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13/06/2016 | LUXEMBOURG | N°37997

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2016, 37997


Tribunal administratif Numéro 37997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2016 2e chambre Audience publique du 13 juin 2016 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37997 du rôle et déposée le 3 juin 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né...

Tribunal administratif Numéro 37997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 juin 2016 2e chambre Audience publique du 13 juin 2016 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37997 du rôle et déposée le 3 juin 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 mai 2016 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 juin 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 mai 2016 par Maître Louis Tinti pour compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juin 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis Tinti et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2016.

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Le 20 janvier 2016, Monsieur … fut intercepté à la gare d’Ettelbrück par la Police grand-ducale, Circonscription Régionale de Diekirch, Service de recherche et d’enquêtes criminelles, lors d’un contrôle de personnes, et qui fit l’objet d’un procès-verbal n°50064-1-

HEMI/MAAL du 20 janvier 2016, ayant constaté qu’il n’était ni en possession d’un passeport ni d’un document d’identité en cours de validité.

Par arrêté du même jour, notifié à Monsieur … le jour même, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, et lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.

Par un second arrêté du même jour, lui notifié le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

«(…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention;

Vu le procès-verbal n°50064-1-HEMI/MAAL du 20 janvier 2016 établi par la Police grand-ducale;

Vu ma décision de retour comportant une interdiction de territoire de 3 ans du 20 janvier 2016 ;

Attendu que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’adresse au Grand-Duché de Luxembourg;

Attendu par conséquent, que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches; […] » Par transmis du 22 janvier 2016, le ministre demanda au service de Police judiciaire, section des étrangers et des jeux, d’enquêter sur l’intéressé et de lui tenir un rapport.

Par courrier du même jour, le ministre contacta le Consulat Général de Tunisie à Bruxelles aux fins d’identification de Monsieur … et de la délivrance d’un laissez-passer en faveur de ce dernier.

Par arrêté du 16 février 2016, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur …, ladite décision ayant été notifiée à l’intéressé le 19 février 2016. Cet arrêté est fondé notamment sur la considération que les motifs à la base de la mesure de placement du 20 janvier 2016 subsisteraient, que toutes les diligences en vue de l’identification de Monsieur … afin de permettre son éloignement auraient été entreprises auprès des autorités compétentes, mais que ces démarches n’auraient pas encore aboutis, de sorte qu’il y aurait lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir d’exécution de la mesure d’éloignement.

Par arrêté du 16 mars 2016, notifié à l’intéressé le 18 mars 2016, le ministre prorogea le placement de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois, en retenant notamment que les motifs à la base de la mesure de placement du 20 janvier 2016 et du 19 février 2016 subsisteraient toujours, que toutes les diligences en vue de son identification afin de permettre son éloignement auraient été entreprises auprès des autorités compétentes, que ces démarches n’auraient pas encore abouti, de sorte qu’il y aurait lieu de maintenir la mesure afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement.

Par un arrêté du 13 avril 2016, notifié à l’intéressé le 18 avril 2016, le ministre prorogea une troisième fois, pour une nouvelle durée d’un mois, le placement en rétention de Monsieur ….

Le 17 mai 2016, le ministre prorogea une quatrième fois le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification, intervenue le 18 mai 2016, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

«Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention;

Vu mes arrêtés des 20 janvier, 16 février, 16 mars et 13 avril 2016, notifiés le 20 janvier, le 19 février, le 18 mars et le 18 avril 2016, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement;

Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 20 janvier 2016 subsistent dans le chef de l'intéressé;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes;

Considérant que les autorités compétentes tardent à établir l'identité de l'intéressée;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement; […] » Par requête déposée le 3 juin 2016 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision de placement en rétention précitée du 17 mai 2016.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le recours ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir que sa présence sur le sol luxembourgeois se limiterait à la seule journée du 20 janvier 2016 lors de laquelle il aurait prévu de rendre visite à l’enfant d’un ami résidant au Luxembourg afin de lui remettre un cadeau. Ce serait au moment de son départ, alors qu’il se serait apprêté à prendre le train pour retourner en France qu’il aurait été interpellé par la police. Pour démontrer cette relation amicale profonde ayant seule justifié sa présence sur le territoire luxembourgeois, il expose que l’enfant en question lui aurait rendu visite avec ses parents au Centre de rétention.

En droit, le demandeur reproche d’abord au ministre de ne pas avoir choisi une mesure moins coercitive que son placement en rétention administrative. A cet égard, il renvoie aux considérants n° 15 et 16 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-

après « la directive 2008/115/CE », transposés en droit interne aux articles 120 (1) et 125 (1) de la loi du 29 août 2008. Il fait valoir qu’en application des prédits articles, la légalité d’une mesure de placement en rétention devrait s’apprécier en tenant en compte des critères suivants, à savoir le risque de fuite apprécié à la lumière de la situation individuelle de l’étranger, le caractère proportionné de la mesure et l’inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Le demandeur conteste encore que l’autorité ministérielle aurait entrepris, avec la diligence requise, toutes les démarches utiles en vue de son éloignement dans les plus brefs délais.

Enfin, le demandeur fait valoir que la mesure de placement ne pourrait se justifier que si l’éloignement reste une perspective susceptible de se réaliser. Tel ne serait cependant pas le cas en l’espèce puisqu’il se trouverait au centre de rétention depuis le 20 janvier 2016 et que son identification n’aurait pas abouti à ce jour.

Le délégué du gouvernement conclut au bien-fondé de la mesure prise par le ministre au vu de la situation irrégulière du demandeur au pays.

Quant à la demande tendant à pouvoir bénéficier de mesures moins coercitives qu’un placement au Centre de rétention, il répond que de telles mesures ne pourraient être envisagées que s’il n’existe aucun risque de fuite dans le chef de la personne concernée. Or, le demandeur présenterait indubitablement un risque de fuite au sens de l’article 111 de la loi du 19 août 2008, puisqu’il ne remplirait pas les conditions prévues aux articles 34 et 100 de ladite loi. En outre, du fait que le demandeur ne soumettrait aucun élément concluant quant à des attaches particulières au Luxembourg, la simple référence très vague à un ami y résidant étant insuffisante à cet égard, il ne présenterait aucune garantie de représentation, de sorte que seule une rétention administrative au Centre de rétention aurait été appropriée en l’espèce.

Le délégué du gouvernement conteste, par ailleurs, tout défaut de diligences de la part du ministre en vue du rapatriement du demandeur. Le simple fait que l’identification du demandeur n’aurait pas encore abouti serait insuffisant pour conclure à un manque de diligences de la part de l’autorité ministérielle. D’ailleurs, en vertu de la jurisprudence luxembourgeoise, le refus de coopération de la part de l’intéressé justifierait une prorogation d’une mesure de placement. En l’espèce, le demandeur n’aurait entrepris aucune démarche afin de se procurer des documents d’identité auprès des autorités de son pays d’origine, comportement qui serait constitutif d’un manque de coopération.

Il explique finalement que dès le placement initial du demandeur en rétention le 20 janvier 2016, le ministre aurait entrepris des démarches qu’il énumère de façon chronologique.

Afin d’appuyer son argumentation quant au manque de diligences de la part du ministre, le demandeur réplique que suivant courrier du 26 mai 2016, le consulat de Tunisie aurait informé le ministre que le traitement du dossier visant son identification serait en cours et qu’une réponse devrait intervenir incessamment. A l’heure actuelle, aucune réponse ne serait intervenue, le ministre n’ayant pour sa part pourtant pas procédé à une relance. Il insiste encore sur le fait que les diligences s’apprécieraient en fonction de la durée de la rétention et elles devraient notamment s’intensifier au fur et à mesure que la rétention s’allongerait.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur la circonstance selon laquelle le ministre aurait entrepris toutes les démarches requises aux fins d’identification du demandeur et de l’obtention d’un laissez-passer dans son chef. Il précise que les autorités consulaires tunisiennes auraient été relancées à intervalles réguliers, et ce, pour la dernière fois le 9 juin 2016. Une recherche auprès du Centre de coopération policière et douanière, afin de déterminer si Monsieur … est connu des autorités policières françaises, italiennes ou allemandes, aurait été effectuée en date du 8 juin 2016. Finalement, le délégué du gouvernement expose que de par son attitude purement passive, le demandeur aurait contribué à retarder son éloignement et à prolonger de facto la mesure de rétention dans son chef.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, tel que modifié par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 », : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. (…) » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien », une quatrième prorogation, tel que cela est le cas en l’espèce, étant, par ailleurs, conditionnée par le constat que la prolongation de la durée de l’éloignement s’explique soit par un manque de collaboration de l’intéressé, soit par des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.

Le tribunal retient qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant fait l’objet d’une décision de retour le 20 janvier 2016 et d’une interdiction d’entrer sur le territoire pendant une durée de trois ans le 20 janvier 2016, et qu’il ne dispose, par ailleurs, pas ni documents d’identité ni de documents de voyage, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, qui renvoie expressément, notamment, à l’article 111 de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

C’est à tort que le demandeur soutient, en substance, que les conditions particulières d’une quatrième prorogation d’un placement en rétention ne seraient pas remplies dans son chef et tenant soit à un manque de collaboration de sa part, soit à des retards subis de la part d’autorités de pays tiers. Au-delà du constat que le fait que le demandeur ne dispose ni de documents d’identité ni de documents de voyage en cours de validité rend nécessaire d’abord son identification et ensuite l’émission de documents de voyage, et se répercute nécessairement sur la durée de la procédure d’éloignement, le tribunal conclut que le ministre a valablement pu retenir l’hypothèse de retards subis de la part des autorités tunisiennes pour obtenir les documents nécessaires afin d’organiser son retour en raison du manque de collaboration de Monsieur …. En effet, malgré les démarches entreprises par les services du ministre auprès des autorités tunisiennes, se concrétisant par des relances régulières, tel que cela se dégage du dossier administratif à la disposition du tribunal, la dernière relance datant du 25 mai 2016, à savoir 8 jours suivant le jour de la prorogation du placement en rétention, les autorités tunisiennes n’avaient pas encore présenté le résultat de leurs recherches. La notion de retards subis vise justement l’hypothèse de l’espèce, à savoir celle où les autorités luxembourgeoises subissent, malgré les efforts entrepris, des retards de la part des autorités de pays tiers dans le cadre de l’obtention des documents nécessaires permettant l’organisation de l’éloignement de l’étranger se trouvant en séjour irrégulier, peu importe d’ailleurs qu’il s’agisse de retards subis en raison de difficultés objectives auxquelles sont confrontées les autorités étrangères ou d’un manque de collaboration de leur part, la loi ne distinguant pas à cet égard. Il s’y ajoute que Monsieur … n’a entrepris lui-même aucune démarche active afin de contribuer à l’émission des documents de voyage par les autorités de son pays d’origine, tentant ainsi d’éviter voire d’empêcher la préparation de la procédure de son éloignement et faisant preuve d’un manque de collaboration évident.

S’agissant ensuite de l’argumentation du demandeur selon laquelle une autre mesure moins coercitive qu’un placement en rétention aurait dû être prise, l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008, tel qu’il a été modifié par la loi du 18 décembre 2015, régit les mesures moins coercitives pouvant être appliquées par le ministre comme suit : «Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) [de la loi du 29 août 2008] […] ».

L’article 125, paragraphe (1), tel que modifié, de la loi du 29 août 2008, prévoit en effet que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, une des mesures moins coercitives énumérées à l’article 125(1) de la loi du 29 août 2008 à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, lesquelles sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi. Il convient néanmoins de relever qu’il s’agit d’une simple prérogative pour le ministre et s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du demandeur, tel que cela est le cas en l’espèce, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes.

Or, il y a lieu de constater qu’en l’espèce, le demandeur ne soumet au tribunal aucun élément concluant quant à des attaches particulières au Luxembourg susceptibles de constituer des garanties de représentation effectives de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite qui, tel que cela a été retenu ci-avant, en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, est établie dans son chef.

Tel que cela a été relevé à juste titre par le délégué du gouvernement, la vague référence à un ami résidant au Luxembourg non autrement expliquée, ne constitue en l’espèce pas un élément pertinent susceptible d’entrer en ligne de compte en tant que garantie de représentation effective de nature à renverser la présomption du risque de fuite.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir un risque de fuite conformément à l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 - risque qui est, tel que relevé ci-dessus, présumé dans son chef -, de sorte que le constat du ministre qu’il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement, n’encourt aucune critique.

Quant aux contestations soulevées par le demandeur quant aux diligences accomplies par le ministre en vue d’organiser son éloignement et quant aux explications fournies par la partie étatique à cet égard, force est de constater que 2 jours après le premier placement en rétention, soit le 22 janvier 2016, le ministre a contacté tant le Service de police judiciaire, section des étrangers et des jeux en vue de l’établissement d’une enquête, que le consulat général de Tunisie en vue de l’identification du demandeur et en vue de la délivrance d’un laissez-passer permettant son retour en Tunisie. Les recherches EURODAC ont été effectuées le même jour par le Service de police judiciaire. Par la suite, le consulat de Tunisie a été relancé régulièrement, tel que cela se dégage du dossier administratif à la disposition du tribunal, soit le 11 février 2016, par voie téléphonique, conversation au cours de laquelle les services du consulat ont confirmé que la demande d’identification était en cours d’instruction, ainsi que le 25 février 2016 par courrier. Il se dégage ensuite d’une note au dossier, portant la référence du dossier du demandeur, et dont le contenu n’a pas autrement été contesté par celui-ci, que lors d’une entrevue avec le consul tunisien et son attaché, au ministère des Affaires étrangères et européennes le 11 mars 2016, les services du ministre ont été informés que la demande d’identification du demandeur en vue de l’obtention d’un laissez-passer était toujours en cours d’instruction. Par la suite le consulat de Tunisie a été relancé les 29 mars, 13 avril, 27 avril, 11 mai 2016 et 25 mai 2016, le consul ayant répondu le 26 mai 2016 que le dossier était en cours de traitement. Le consulat de Tunisie a ensuite été relancé le 9 juin 2016. Enfin, il se dégage du dossier administratif, et notamment d’un courriel du 8 juin 2016 du ministre à un agent du Centre de coopération policière et douanière, que le ministre a lancé une recherche afin de déterminer si le demandeur est connu des autorités policières françaises, italiennes ou sinon allemandes.

Le tribunal est amené à retenir que toutes ces démarches sont à considérer comme étant suffisantes, étant relevé que les recherches entreprises par les services du ministre sont tributaires des diligences déployées par les autorités du pays d’origine de l’intéressé, en l’occurrence les autorités tunisiennes.

En toute hypothèse, le tribunal n’entrevoit en l’espèce pas d’éléments qui permettraient de conclure que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien, la prise de position du consulat de Tunisie suivant laquelle l’instruction du dossier serait en cours n’étant pas de nature à entraîner que les démarches seraient vouées à l’échec, de sorte que les contestations du demandeur quant à l’absence de perspective réaliste que son éloignement puisse aboutir sont encore à rejeter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, Anne Foehr, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 13 juin 2016 par le premier juge, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s.Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juin 2016 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37997
Date de la décision : 13/06/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-06-13;37997 ?

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