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13/06/2016 | LUXEMBOURG | N°36832

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juin 2016, 36832


Tribunal administratif Numéro 36832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2015 1re chambre Audience publique du 13 juin 2016 Recours formé par Madame …et consort, … (France), contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36832 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2015 par Maître Pascal Peu

vrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Mada...

Tribunal administratif Numéro 36832 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 août 2015 1re chambre Audience publique du 13 juin 2016 Recours formé par Madame …et consort, … (France), contre une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36832 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2015 par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …et de Madame …, les deux demeurant à F-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche prise en date du 1er juin 2015 en matière d’aides financières pour études supérieures ;

Vu le mémoire en réponse du délégué de gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 décembre 2015 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 janvier 2016 par Maître Pascal Peuvrel au nom de Madame …et de Madame … ;

Vu le mémoire en duplique du délégué de gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2016 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Franck Simans, en remplacement de Maître Pascal Peuvrel, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martine en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 mai 2016.

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Au courant de l’année 2014, Madame …, se prévalant de la qualité d’enfant d’un travailleur frontalier sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, introduisit une demande en obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures pour le semestre d’hiver de l’année académique 2014/2015. Au courant de l’année 2015, Madame…introduisit encore une demande en obtention d’une aide financière de l’Etat pour études supérieures pour le semestre d’été de l’année académique 2014/2015.

Par un courrier du 1er juin 2015, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après désigné par « le ministre », refusa de faire droit à la demande en obtention d’une aide financière pour études supérieures introduite par Madame …, ladite décision étant libellée comme suit :

« En réponse à votre demande en vue de l'obtention d'une aide financière de l'Etat pour études supérieures pour l'année académique 2014-2015 je suis au regret de vous annoncer que votre demande a été refusée pour la raison suivante :

• la notification définitive du CROUS fait défaut L'article 8 de la loi du 24 juillet dispose que l'étudiant doit fournir un certificat d'une autorité compétente indiquant le montant des bourses et autres avantages auquel l'étudiant pourrait avoir droit dans son pays de résidence pour l'année académique 2014-2015. Un certificat du Crous doit mentionner les points de charge, l'échelon et le montant des ressources familiales pris en compte pour le calcul ou toute raison pour laquelle la bourse aurait été refusée (formation non-habilitée, résultats, etc.) Les certificats attestant que « l'étudiant n'est pas boursier », « l'étudiant n'a pas introduit de demande », « demande hors-délais » ne permettent pas de déterminer le montant dont l'étudiant aurait pu bénéficier pour l'année académique 2014-2015 et ne peuvent pas être acceptés.

[…] A toute fin utile, je vous informe que la notification définitive du CROUS doit, chaque année, être jointe à votre demande d'aide financière. Veuillez respecter les procédures et dates limites pour obtenir une notification définitive du CROUS. […] » Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 août 2015, Madame…a fait introduire un recours tendant à l’annulation de ladite décision du 1er juin 2015. Madame … déclara intervenir volontairement dans ledit recours.

Quant à la recevabilité Etant donné que ni la loi du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après « la loi du 24 juillet 2014 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en matière de refus d’aides financières de l’Etat pour études supérieures, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre la décision de refus déférée.

Il convient toutefois de vérifier la recevabilité de l’intervention volontaire introduite par Madame …, en sa qualité de mère de l’étudiante.

A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une intervention est recevable dès lors que l’intervenant justifie d’un intérêt direct ou indirect, matériel ou moral, la jurisprudence des juridictions civiles admettant même que le risque que le jugement à intervenir ne crée un simple préjugé favorable comme constitutif d’un intérêt suffisant pour intervenir1, l’intérêt à intervenir étant d’ailleurs apprécié de manière plus libérale que l’intérêt à agir, de sorte que sont recevables à intervenir tous ceux qui n’ont pas un intérêt direct à la solution du litige, mais à l’égard desquels le principe de cette solution peut avoir des incidences2.

1 Voir Lux. 21 juin 1972, Pas. 22, p. 229.

2 Trib. adm. 22 juillet 2009, n° 24495 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 429 et les autres références y citées ; voir aussi Trib. adm. 11 janvier 2012, n° 27576, 27679, 27689 et 28442 du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.

A ce titre, Madame … expose avoir un intérêt à intervenir aux côtés de sa fille, à sa charge, et ce tant du point de vue de la suppression des allocations familiales qu’elle ne percevrait plus, que de celui des bonifications fiscales qui y seraient liées et qu’elle perdrait également. A cela s’ajouterait que si le tribunal venait à ne pas accueillir la demande en annulation de sa fille, celle-ci n’aurait droit à aucune aide financière ce qui aurait pour conséquence que le coût de ses études resterait à la charge définitive de sa mère.

Le tribunal est amené à retenir qu’au regard de ces explications, Madame … doit être considérée comme justifiant d’un intérêt suffisant pour intervenir volontairement dans le présent litige et présenter ses moyens en appui du recours. Une requête en intervention volontaire, lorsqu’elle intervient en appui à une requête, peut en effet seulement étayer les moyens développés dans la requête principale ; ainsi, par une intervention, un intervenant ne peut ni étendre la portée de la requête, ni exposer des moyens nouveaux3 : en d’autres termes, l’intervenant ne peut que s’associer à l’action principale.

Sous cette réserve, il y a lieu d’admettre que tant le recours en annulation, que l’intervention volontaire, sont recevables pour avoir été, par ailleurs, introduits dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond Force est de relever que le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.

Il convient ainsi de prime abord d’examiner le moyen tenant à la légalité externe de la décision déférée tiré d’une absence de motivation.

A cet égard, les parties demanderesse et intervenante argumentent que le ministre se serait contenté de formulations générales et standardisées sans s’attacher à leur situation personnelle.

La partie étatique conclut au rejet de ce moyen, en exposant que la décision serait fondée sur l’article 8 de la loi du 24 juillet 2004 requérant que l’étudiant doit fournir un certificat d’une autorité compétente indiquant le montant des bourses et autres avantages que l’étudiant pourrait toucher dans son pays de résidence, un certificat générique de non attribution d’une bourse ne pouvant pas être accepté En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.

La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :

3 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p.566.

- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;

- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;

- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;

- intervient après procédure consultative lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.

Dans les cas où la motivation expresse n’est pas imposée, l’administré concerné par la décision a le droit d’exiger la communication des motifs. (…) ».

Cette disposition consacre dès lors le principe que d’une manière générale toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

A cet égard, il convient de préciser que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif4.

Force est de constater que s’il est vrai que la décision sous examen s’analyse en une décision refusant de faire droit à une demande, de manière qu’elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, les explications fournies dans la décision litigieuse, ensemble les explications fournies par la partie étatique, faisant état tant de la disposition légale appliquée, que de l’appréciation des faits de l’espèce par rapport à cette disposition, sont suffisamment précises pour répondre aux exigences de l’article 6, précité. Le moyen afférent est partant à rejeter comme étant non fondé.

Quant à la légalité interne de la décision litigieuse, les parties demanderesse et intervenante argumentent que de nombreux étudiants français n’auraient pas pu soumettre l’attestation exigée par le ministre sur le fondement de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, puisqu’au moment de l’entrée en vigueur de ladite loi, ils auraient été dans l’impossibilité matérielle, respectivement temporelle de solliciter une telle attestation. Il ressortirait en effet d’une circulaire gouvernementale n° 2014-0010 du 2 juillet 2014 que la demande sur critères sociaux est à effectuer chaque année à l’aide d’un dossier social étudiant entre le 15 janvier et le 30 avril précédant la rentrée universitaire. Au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2014, les étudiants auraient dès lors déjà été forclos à entamer les démarches en vue de l’obtention des aides en France.

Elles ajoutent que la fourniture d’une attestation visant le montant des aides touchées dans le pays de résidence n’aurait de sens que pour autant que l’intéressé puisse prétendre à recevoir une bourse. Or, en l’espèce, les revenus des époux …-… dépasseraient largement les plafonds permettant l’attribution d’une bourse en France sur critères sociaux, les parties demanderesse et intervenante renvoyant à cet égard à l’avis d’imposition de l’année 2013. Il 4 Cour. adm. 8 juillet 1997, n° 9918 C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 76.

s’ensuivrait que la partie demanderesse ne pourrait prétendre à une bourse sur critères sociaux en France.

Elles demandent encore au tribunal de poser « toute question préjudicielle qui lui paraîtra pertinente » à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), respectivement à la Cour constitutionnelle.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, s’appuie sur l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 pour souligner que, d’une part, cette disposition aurait pour but d’éviter le cumul d’aides versées par deux Etats différents pour une même inscription à un cycle d’études universitaires et que, d’autre part, les étudiants auraient l’obligation de procéder aux démarches nécessaires pour obtenir une aide financière de la part de leur pays de résidence.

Un différentiel serait alors accordé, le cas échéant, par l’Etat luxembourgeois.

L’article 8 ne viserait pas seulement les aides effectivement versées, mais aussi celles que l’étudiant pourrait toucher dans son pays de résidence.

L’étudiant devrait dès lors épuiser les moyens financiers mis à disposition par son Etat de résidence avant de pouvoir demander une aide auprès de l’Etat luxembourgeois, qui serait alors tenu de verser la différence à concurrence du montant maximal dont l’étudiant peut bénéficier suivant sa situation.

La partie étatique en déduit que le dossier de la partie demanderesse aurait dû contenir une notification définitive du CROUS attestant le montant dont elle pourrait ou dont elle aurait pu bénéficier, respectivement attestant l’accord ou le refus d’une aide financière pour l’année académique 2014/2015.

Elle ajoute que le dispositif anti-cumul n’aurait pas été introduit pour la première fois par la loi du 24 juillet 2014, mais qu’une telle disposition aurait déjà été introduite par la loi du 19 juillet 2013 modifiant la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, de sorte que l’argumentation suivant laquelle de nombreux étudiants n’auraient pas pu fournir le certificat requis au moment de l’introduction de la loi du 24 juillet 2014 serait non fondée.

Quant au document à fournir, pour les résidents en France, il n’existerait qu’une seule pièce, tel que cela serait confirmé par le sous-directeur du « Dossier social Etudiant » du CROUS, attestant la situation de l’étudiant, à savoir la notification conditionnelle d’une bourse française.

Chaque demandeur serait tenu d’une manière générale de produire les documents officiels nécessaires à l’instruction du dossier, dont notamment la notification du CROUS.

La partie étatique ajoute que le Luxembourg ne pourrait pas se substituer aux autorités compétentes d’autres pays pour la détermination du montant auquel l’étudiant aurait droit dans son pays de résidence, et devrait dès lors avoir recours à un document officiel qui, pour des raisons d’égalité de traitement, devrait être fourni par tous les étudiants non-

résidents quels que soient les revenus à la disposition des parents.

Dans la mesure où, en l’espèce, le ministre aurait été dans l’impossibilité de procéder au calcul nécessaire, la décision de refus serait parfaitement justifiée.

Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesse et intervenante font valoir que si la disposition anti-cumul figurait déjà dans la loi du 19 juillet 2013 précitée, les difficultés quant à la fourniture de l’attestation de refus du CROUS demeureraient les mêmes.

En effet, au moment où la loi du 19 juillet 2013 avait finalement été publiée, il aurait été trop tard pour obtenir un document du CROUS attestant l’octroi ou le refus d’une bourse en France, puisque le dossier social étudiant devrait être constitué chaque année entre janvier et avril pour l’année académique suivante.

Elles donnent à considérer que la partie demanderesse aurait dès lors dû solliciter, pour l’année académique 2013/2014, une bourse en France entre janvier et avril 2013, tandis que la loi exigeant la communication d’une telle attestation n’aurait été publiée qu’en juillet 2013, soit après l’expiration du délai requis pour introduire un dossier en France.

S’agissant de l’année académique 2014/2015, la problématique serait la même.

Depuis le début de l’année 2014, la presse aurait certes annoncé que le système d’octroi des bourses allait être modifié pour l’année académique suivante et les étudiants auraient su, par ailleurs, qu’une nouvelle loi allait régir l’octroi des aides financières dès l’année académique 2014/2015. S’ils avaient encore pu prendre connaissance du fait que la bourse allait être divisée en plusieurs catégories de bourses, le maintien de l’obligation de fournir une attestation du CROUS relative à l’octroi ou au refus de la bourse dans leur pays de résidence serait restée floue. Or, au moment de la publication de la loi du 24 juillet 2014, il aurait été trop tard pour introduire une demande auprès des organismes français. Les parties demanderesse et intervenante concluent que les « atermoiements » du législateur luxembourgeois l’auraient mis dans l’impossibilité matérielle et temporelle de fournir l’attestation requise.

Les parties demanderesse et intervenante précisent encore qu’il ne serait pas demandé au ministre de se substituer aux autorités compétentes françaises pour la détermination du montant auquel l’étudiant pourrait prétendre. Elles-mêmes feraient tout simplement état de la situation de fait telle qu’elle existe par rapport au barème français, en produisant à ce titre l’arrêté du 5 août 2014 fixant les plafonds de ressources relatifs aux bourses d’enseignement supérieur du ministère de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche pour l’année universitaire 2014/2015.

Elles ajoutent qu’il se dégagerait des pièces communiquées par le délégué du gouvernement que les époux …-… disposeraient d’un revenu annuel imposable de …€, qui serait manifestement supérieur au revenu annuel imposable susceptible de justifier une bourse sur critères sociaux en France. Il s’ensuivrait que la partie demanderesse ne pourrait prétendre à aucune bourse sur critères sociaux en France.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique souligne, par rapport à l’argumentation des parties demanderesse et intervenante relative au projet de la loi du 24 juillet 2014, que tant qu’une nouvelle loi n’est pas venue abroger l’ancienne, cette dernière resterait en vigueur, de sorte que sur le fondement de la loi antérieure à celle du 24 juillet 2014, il aurait été indubitable pour la partie demanderesse qu’elle devait fournir une attestation du CROUS, exigence qui aurait été continuée par la loi du 24 juillet 2014.

S’agissant de l’argumentation des parties demanderesse et intervenante suivant laquelle le revenu du ménage dont la demanderesse dépend serait tellement élevé qu’il ne nécessiterait aucune interprétation de la part du ministre, la partie étatique fait valoir qu’une telle pratique irait à l’encontre de l’égalité de traitement en favorisant les ménages les plus aisés. En effet, le ministre ne pourrait pas se substituer aux autorités compétentes d’autres pays pour déterminer le montant auquel l’étudiant a droit dans son pays de résidence, de sorte qu’il devrait faire appel à un document officiel émis par les autorités étrangères qui devrait être fourni par tous les étudiants non-résidents, quels que soient les revenus à la disposition de leurs parents.

L’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, intitulé « Dispositions anticumul », et prévoyant des dispositions tendant à éviter le cumul des aides financières pour études supérieures avec un certain nombre d’autres aides ou avantages accordés, dispose ce qui suit :

« L’aide financière allouée sur base de la présente loi n’est pas cumulable avec les avantages suivants :

a) les aides financières pour études supérieures et autres aides équivalentes attribuables dans l’Etat de la résidence de l’étudiant;

b) tout avantage financier découlant du fait que le demandeur est un étudiant au sens de la présente loi.

Ne sont pas visées par les dispositions du présent article les bourses ayant leur fondement dans un mérite particulier de l’étudiant ainsi que les bourses ayant leur fondement dans un programme international visant à favoriser la mobilité internationale des étudiants.

Les demandeurs sont tenus de produire les certificats émis par les autorités compétentes de leur pays de résidence, indiquant le montant des aides financières et autres avantages financiers auxquels ils peuvent avoir droit de la part des autorités de leur Etat de résidence. Ce montant est déduit de l’aide financière accordée sur base de la présente loi.

Toute forme d’aide financière et tout autre avantage financier, remboursables ou non remboursables, dont pourrait bénéficier l’étudiant dans son pays de résidence sont déduits intégralement respectivement des montants remboursables ou des montants non remboursables de l’aide financière du premier semestre, le cas échéant le différentiel est déduit au deuxième semestre. » Force est de constater que tant l’alinéa 3 de l’article 8, précité, que son dernier alinéa, qui prévoit le principe de la déduction des aides et avantages visés par l’article 8, se réfèrent à des aides financières et autres avantages financiers auxquels les étudiants « peuvent avoir droit » ou dont l’intéressé « pourrait bénéficier » de la part des autorités du pays de résidence, le point a) de l’article 8 se référant d’ailleurs à des aides « attribuables », étant précisé que si le texte initial du projet de loi mentionnait les aides « attribuées », il a été modifié pour rendre « mieux compte de la procédure à respecter telle que décrite dans le dernier alinéa de l’article 8 »5.

Il convient encore de relever qu’il se dégage des documents parlementaires à la base de la loi du 24 juillet 2014 et plus particulièrement du rapport de la commission de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, des Médias, des Communications et de l’Espace6 5 doc. parl. du 12 août 2014, n°667011, p. 33 6 doc. parl. du 12 août 2014, n° 667011, p. 34 que le dernier alinéa de l’article 8, en vertu duquel « toute forme d’aide financière et tout autre avantage financier, remboursable ou non remboursable, dont pourrait bénéficier l’étudiant dans son pays de résidence sont déduits intégralement respectivement des montants remboursables ou des montants non remboursables de l’aide financière du premier semestre, le cas échéant le différentiel est déduit au deuxième semestre », a été ajouté pour définir la procédure présidant au calcul de l’anti-cumul, les documents parlementaires précisant à cet égard que « l’aide financière faisant l’objet du présent projet de loi constitue en effet pour l’étudiant non résident une aide de substitution. Pour en bénéficier, il doit fournir des documents émis par les instances officielles respectives démontrant qu’il a entrepris toutes les démarches en vue d’obtenir les avantages financiers auxquels il peut avoir droit dans son pays de résidence du fait de son inscription à un programme d’enseignement supérieur. » Au regard du libellé de l’article 8 précité, et au regard de l’intention du législateur se dégageant des documents parlementaires précités en ce sens que l’aide financière pour études supérieures est censée constituer à l’égard des étudiants non-résidents une aide de substitution, leur Etat de résidence restant principalement responsable du paiement des aides pour études supérieures et le Luxembourg ne payant que le différentiel, le tribunal est amené à retenir que l’étudiant doit fournir un certificat indiquant les sommes qu’il peut obtenir, ce certificat devant être émis par les autorités compétentes de son pays de résidence.

Dès lors, la tentative de fournir la preuve par d’autres moyens que l’intéressé ne remplit pas les conditions d’octroi d’une aide sur critères sociaux ou encore un certificat indiquant que l’intéressé n’a pas introduit une demande d’aide, peu importe d’ailleurs la raison de cette omission et que, de ce fait, il ne touche pas d’aide, sont insuffisants, puisque l’article 8 litigieux ne vise pas l’aide effectivement touchée, mais celle susceptible de l’être.

Tel que cela est argumenté à juste titre par la partie étatique, l’exigence de la remise d’un document officiel attestant des aides que l’étudiant non-résident est susceptible d’obtenir dans son pays de résidence permet de garantir le bon fonctionnement de l’attribution des aides en évitant des discriminations à rebours par l’effet d’un éventuel cumul d’aides équivalentes, étant donné que seul ce document permet au ministre, qui n’est pas compétent pour procéder au calcul des aides ainsi visées susceptibles d’être accordés par un autre Etat, de calculer le différentiel qu’il est obligé de verser à l’étudiant.

D’autre part, force est de constater qu’aux termes de l’article 2 du règlement grand-

ducal du 25 août 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures pris en exécution de la loi du 24 juillet 2014, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 25 août 2014, « Le questionnaire dûment rempli doit parvenir au ministre au plus tard le 30 novembre pour le semestre d’hiver et au plus tard le 30 avril pour le semestre d’été.

Toute demande introduite dans les délais fixés au paragraphe 1er et qui est incomplète sur base des documents requis au sens du présent règlement doit être complétée dans un délai d’un mois à partir de la notification sous peine de rejet de la demande d’aide financière ».

Il suit d’une lecture combinée de ces dispositions que la demande non assortie d’un certificat correspondant aux exigences de l’article 8, précité, est à considérer comme incomplète et sera rejetée.

Au regard du libellé de l’article 8, précité, et de l’intention exprimée par le législateur luxembourgeois à travers les documents parlementaires, la loi du 24 juillet 2014 est en effet à interpréter en ce sens que les aides financières luxembourgeoises constituent des aides de substitution pour l’étudiant non-résident et qu’ainsi l’Etat luxembourgeois n’est obligé de payer que le différentiel des aides après déduction de celles que l’étudiant est susceptible d’obtenir dans son pays de résidence impliquant que les étudiants sont obligés d’y introduire une demande. Ainsi, à défaut de disposer d’un justificatif des aides que l’étudiant est susceptible de se voir accorder dans son pays de résidence, le ministre est mis dans l’impossibilité de procéder au calcul des aides qu’il est obligé d’accorder et le dossier doit être considéré comme incomplet.

Force est de constater qu’en l’espèce, la partie demanderesse a produit, d’une part, un certificat établi le 17 octobre 2014 par la responsable du service « dossier Social Etudiant » du CROUS de Dijon suivant lequel la partie demanderesse « n’a pas déposé de dossier social étudiant pour l’Année Universitaire 2014/2015 » et « n’a pas obtenu de bourse et ne peut, de ce fait, se prévaloir de la qualité de boursier de l’Enseignement supérieur, au titre de l’Année Universitaire 2014/2015 », et, d’autre part, un certificat du 27 avril 2015 émis au nom du chef du service de l’enseignement supérieur au sein du ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, suivant lequel il n’est pas possible de remettre à la demanderesse un dossier de demande de bourse d’enseignement supérieur sur critères sociaux pour l’année universitaire 2014/2015 au motif que la demande afférente aurait dû être introduite avant le 31 août 2014 et ne répondrait par ailleurs pas aux critères dérogatoires prévus par la réglementation.

Ces certificats attestent certes que la partie demanderesse n’a, plus particulièrement, pas obtenu des aides sur critères sociaux en France pour ne pas avoir déposé un « dossier social », mais la partie demanderesse reste en défaut de produire un certificat attestant des aides qu’elle aurait pu obtenir en France si elle avait déposé un dossier.

Il s’ensuit que les attestations produites par la partie demanderesse ne correspondent pas au certificat requis en vertu de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 et que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder les aides litigieuses à défaut de certificat correspondant aux conditions de l’article 8, précité, comme n’ayant pas été mis en mesure d’opérer le calcul des aides luxembourgeoises à accorder.

Si les parties demanderesses et intervenante se réfèrent, par ailleurs, à des pièces, en l’occurrence des pièces justifiant le revenu imposable du ménage des parents de la partie demanderesse, ainsi que des pièces ayant trait aux conditions d’octroi d’une bourse sur critères sociaux en France, pour conclure qu’il serait évident que la demanderesse ne pourrait pas prétendre à une bourse sur critères sociaux en France, force est néanmoins de constater qu’elles restent en défaut de fournir le certificat tel que requis par l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 et des preuves alternatives, forçant le ministre luxembourgeois à procéder au calcul des aides que l’intéressé peut obtenir dans son pays de résidence, ne sont pas à prendre en considération pour ne pas correspondre aux exigences de la loi du 24 juillet 2014. A cet égard, le tribunal relève, tel que cela a été retenu ci-avant, que l’Etat luxembourgeois ne saurait se substituer aux autorités compétentes françaises dans le calcul des aides qu’un étudiant est susceptible de toucher en France, un tel calcul échappant à la compétence du ministre luxembourgeois. Admettre que le ministre puisse le faire dans les hypothèses où il est évident que l’intéressé ne peut pas toucher de telles aides impliquerait d’ailleurs un traitement discriminatoire des étudiants.

S’agissant de l’argumentation des parties demanderesse et intervenante tenant à une prétendue impossibilité matérielle de fournir l’attestation requise au vu de la date de l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2014 et des délais endéans lesquels les dossiers de demande d’aides doivent être introduits en France, le tribunal constate que la loi du 19 juillet 2013, ayant modifié la loi du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, avait d’ores et déjà prévu, pour l’année académique 2013/2014, la fourniture d’une « preuve émise par les instances officielles compétentes respectives, indiquant le montant des aides financières auxquelles ils peuvent avoir droit de la part des autorités de leur Etat de résidence ». La partie demanderesse n’est dès lors pas fondée à soutenir qu’elle aurait été prise au dépourvu par les dispositions de la loi du 24 juillet 2014, pour avoir, au moment de l’entrée en vigueur de cette loi, été forclose à solliciter des aides sur critères sociaux en France, la loi du 24 juillet 2014 ne faisant que reprendre les dispositions légales luxembourgeoises antérieures, qui étaient en vigueur au moment où la demanderesse aurait pu introduire un dossier de demande d’aides en France. Le fait qu’à l’époque où le dossier d’aides aurait dû être introduit en France un nouveau projet de loi était en cours d’élaboration n’est pas de nature à justifier l’argumentation des parties demanderesse et intervenante, étant donné qu’à cette époque, la loi en vigueur exigeait déjà la fourniture d’une attestation visant les aides que l’étudiant pouvait obtenir et rien ne permettait d’ailleurs de retenir que le législateur avait l’intention d’abroger cette exigence. L’argumentation des parties demanderesse et intervenante par rapport à la loi du 19 juillet 2013 et l’année académique 2013/2014 est encore non pertinente à cet égard, la décision litigieuse ne visant pas des aides financières pour études supérieures pour cette année, mais pour l’année académique 2014/2015.

Les parties demanderesse et intervenante sollicitent encore à titre subsidiaire dans le dispositif de la requête introductive d’instance que le tribunal pose « toute question préjudicielle qui lui paraîtra pertinente à la Cour de Justice de l’Union européenne, respectivement à la Cour Constitutionnelle luxembourgeoise », demande qui est toutefois à rejeter pour n’être aucunement étayée.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours n’est fondé en aucun de ses moyens, de sorte qu’il est à rejeter.

Au vu de l’issue du litige, la demande en paiement d’une indemnité de procédure de l’ordre de 2.500 euros est rejetée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, dit le recours non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande de saisine de la Cour de justice de l’Union Européenne, respectivement de la Cour constitutionnelle ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne les parties demanderesse et intervenante aux frais.

Ainsi jugé par :

Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique du 13 juin 2016, par le premier juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/6/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 36832
Date de la décision : 13/06/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-06-13;36832 ?

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