Tribunal administratif N° 36068 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mars 2015 1re chambre Audience publique du 13 juin 2016 Recours formé par la société anonyme … S.A., … contre des actes en relation avec des inscriptions au cadastre des biotopes en matière de protection de la nature
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36068 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 mars 2015 par Maître Roland Assa, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions, ainsi qualifiées, suivantes :
1. « Décision(s) non autrement précisée(s) et datée(s) prise(s) par Monsieur …, botaniste par lesquelle(s) a/ont été référencée(s) partiellement en tant que biotope, référence BK_366312285 de type « Prairies maigres de fauche de basse altitude », les parcelles appartenant à la requérante et portant respectivement les numéros cadastraux …, commune de …, section JC d’…, sans préjudice quant à leurs numéros respectifs exacts, suivant informations transmises par courrier du 23 mars 2015 de Madame la Ministre de l’Environnement ;
2. Décision(s) non autrement précisée(s) et datée(s) par lesquelle(s) a/ont été référencée(s) respectivement en 2008 et 2012 les biotopes suivants – référence BK_5D3608004 de type « Friches humides, marais des sources, bas marais et végétation à petites Laîches », références BK_5D3612052, BK_5D3608012 et BK_5D3612053 de type « Prairies maigres de fauche de basse altitude » et référence BK_5D3608013 de type « Prairies humides de Calthion » - couvrant partiellement les parcelles appartenant à la requérante et portant respectivement les numéros cadastraux …, commune de …, section B de …, sans préjudice quant à leur numéro exact ;
3. Relevé géographique desdits prétendus biotopes qui a/aurait été effectué par le Département de l’Environnement à une date non autrement précisée suivant information donnée par courrier du 23 mars 2015 de Madame la Ministre de l’Environnement ;
4. Inscriptions des prétendus dits biotopes dans le Cadastre des biotopes accessible sur le géoportail de l’environnement (emwelt.geoportail.lu) réalisé en collaboration avec l’Administration du cadastre et de la topographie ;
5. Courrier du 23 mars 2015 de Madame la Ministre de l’Environnement prenant position par rapport aux contestations de la requérante quant à la qualification de biotopes des parcelles portant respectivement les numéros …, sans préjudice quant à leurs numéros respectifs exacts ; » Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2015, au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique de Maître Roland Assa, déposé au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2015, au nom et pour le compte de la société requérante préqualifiée ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 octobre 2015, au nom et pour le compte de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées au dossier et notamment les actes critiqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Michel, en remplacement de Maître Roland Assa, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mai 2016.
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La société anonyme … S.A., ci-après désignée par « la société … », est propriétaire des parcelles portant les numéros cadastraux … sises dans la commune de …, ainsi que des parcelles portant les numéros cadastraux … sises dans la commune de …, section B de ….
Par courrier daté au 15 juillet 2014 et portant la signature conjointe du ministre de l’Environnement et du ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs, auquel fut annexé un extrait du cadastre des biotopes visant les parcelles précitées sises à …, ainsi qu’un document intitulé « Leitfaden zur Bewirtschaftung der Biotope des Offenlandes », la société … fut informée de ce qui suit :
« Sehr geehrter Landwirt, Mit diesem Schreiben erhalten Sie einen Auszug des Biotopkatasters mit der Übersicht der von Ihnen bewirtschafteten Biotope, welche laut Naturschutzgesetz geschützt sind. Zudem erhalten Sie einen Leitfaden zur Bewirtschaftung der Biotope des Offenlandes.
Somit verfügen Sie über alle Informationen, um die Biotope auf Ihren Parzellen zu erkennen und fachgerecht zu bewirtschaften.
Sämtliche Biotope des Offenlandes sind über die Internetseite www.agriculture.geoportail.lu (Geoportail) einsehbar. Der im Umschlag enthaltene Auszug des Biotopkatasters mit der Übersicht der von Ihnen bewirtschafteten Biotope basiert auf den FLIK-Parzellen und den von Ihnen gemeldeten Flächen des Flächenantrags 2013. Da es zwischenzeitlich zu Änderungen Ihrer Flächennutzung gekommen sein kann, beziehungsweise kommen wird, raten wir Ihnen auf jeden Fall die Internetseite www.agriculture.geoportail.lu zu konsultieren.
Das Biotopkataster wurde im Rahmen des Nationalen Naturschutzplans auf Nachfrage der Landwirtschaftsvertreter erstellt und am 17. März 2014 veröffentlicht. In diesem Kataster werden die geschützten Biotope kartographisch abgegrenzt und dargestellt.
Weitere, im Feld für den Laien deutlich erkennbare Biotope wie Hecken, Gebüsche, Feldgehölze und Flieβgewässer sind nicht im Biotopkataster dargestellt, aber dennoch gesetzlich geschützt.
Die Kartierung wurde zwischen 2007 und 2012 von erfahrenen Kartierer durchgeführt. Alle Experten nahmen vor Beginn der Kartierung an Schulungs- und Qualitätssicherungsmaβnahmen teil. Über ein standardisiertes Verfahren wurden alle Biotope im Feld aufgenommen und in Kategorien eingeteilt. Die Aufnahmen unterlagen einer Kontrolle durch die staatliche Koordinationsstelle. Eine einheitliche Erfassung und Bewertung der Biotope wurde somit gewährleistet. Das Ziel des Biotopkatasters ist es, Biotope klar zu lokalisieren. Um den Schutz sowie die fachgerechte Nutzung der Biotope zu ermöglichen, wurde in Zusammenarbeit mit den Instanzen der Landwirtschaft ein Leitfaden erstellt, welcher den Umgang mit den geschützten Offenlandbiotopen erleichtern soll (siehe Anhang):
Die direkte Zerstörung, Verkleinerung oder Verschlechterung eines Biotops ist laut Naturschutzgesetz untergesagt. Der Leitfaden zählt Handlungen auf, die zu einer direkten Zerstörung (bzw. Verkleinerung oder Verschlechterung) führen.
Der Leitfaden beschreibt eine ideale Bewirtschaftung der Biotope, welche sicherstellt, dass das Biotop langfristig nicht zerstört oder vermindert wird.
Es handelt sich hierbei um Empfehlungen. Andere Bewirtschaftungsformen sind möglich, sollten aber bei Unklarheiten oder Fragen mit einer Fachperson besprochen werden, um sicherzustellen, dass das Biotop nicht verschlechtert wird.
Bei Fragen zur Bewirtschaftung der Flächen sowie der finanziellen Unterstützung:
Die kommunalen Naturschutzsyndikate und Biologischen Stationen sind für den Abschluss der Biodiversitätsverträge mit den Landwirten verantwortlich. Auβerhalb der Zuständigkeitsgebiete können Biodiversitätsverträge auch von dafür seitens der Naturverwaltung beauftragten Büros abgeschlossen werden. In diesen Fällen ist die Naturverwaltung oder „natur&ëmwelt“ Ansprechpartner. Bei Fragen zu Quellen und Flieβgewässern ist das Wasserwirtschaftsamt Hauptansprechpartner. Die Kontakte befinden sich ab Seite 78 im Leitfaden.
Bei allgemeinen Fragen zum Biotopkataster: Im September finden regionale Informationsversammlungen statt, bei denen verschiedene Experten Rede und Antwort stehen werden. Die genauen Details werden Anfang September über die Presse mitgeteilt. In der Zwischenzeit werden die landwirtschaftlichen Betriebe mit flächenmäβig vielen Biotopen einzeln kontaktiert vom Umweltdepartement des Nachhaltigkeitsministeriums. Betroffene Landwirte welche aus diversen Gründen nicht an den Informationsversammlungen teilnehmen werden, können darüber hinaus bis zum 1.10.2014 schriftlich Kontakt mit dem Umweltdepartement des Nachhaltigkeitsministeriums aufnehmen, bei Beschwerden fachlicher Natur oder beispielsweise wenn seit dem Anfang der Kartierungen 2007 bis dato Änderungen der Biotope entstanden sind (Umbruch, Nutzungsintensität, Baustellenaktivität …).[…] ».
Suite à la réception du courrier précité, la société requérante entreprit des recherches dans le cadastre des biotopes et découvrit à cette occasion que cinq autres biotopes avaient été recensés en 2008 et en 2012 sur les parcelles précitées dont elle est propriétaire dans la commune de ….
Par courrier du 29 septembre 2014, la société requérante s’adressa, par l’intermédiaire de son litismandaire, au ministre de l’Environnement, ainsi qu’au ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs afin de contester une partie des inscriptions au cadastre des biotopes en relation avec les parcelles lui appartenant dans les communes de … et de … et pour en solliciter la suppression, la société requérante ayant précisé que ledit courrier était à considérer comme un recours gracieux.
Ce courrier étant resté sans réponse, la société requérante relança en date du 9 janvier 2015 les deux ministres prévisés et sollicita de leur part une décision formelle et dûment motivée par rapport aux doléances présentées dans son courrier du 29 septembre 2014.
Par courrier du 23 mars 2015, le ministre de l’Environnement, ci-après désigné par « le ministre », prit position par rapport aux courriers de la société requérante des 29 septembre 2014 et 9 janvier 2015 dans les termes suivants :
« […] Je me réfère à vos courriers du 29 septembre 2014 et du 9 janvier 2015 concernant le dossier sous rubrique.
Tout d’abord, je tiens à faire remarquer que le courrier du 29 septembre 2014 se réfère à des pièces justificatives qui néanmoins ne me sont jamais parvenues et que mes collaborateurs n’ont pu localiser la parcelle 5/983 sur le site geoportail.lu.
En ce qui concerne le courrier daté du 15 juillet 2014, je tiens à faire remarquer que ce dernier est un courrier, non nominatif, qui a été adressé à chaque agriculteur, à titre informatif, pour annoncer qu’il existe un cadastre des biotopes qui peut être consulté sur le site internet www.agriculture.geoportail.lu.
Ce courrier ne fait en aucune façon grief, alors qu’il ne fait qu’informer du résultat du relevé géographique de biotopes, relevé effectué par le Département de l’environnement.
Il [n’est] ni plus ni moins que l’information, d’ores et déjà annoncée par la presse dès le mois de mars 2014, qu’un inventaire a été réalisé in concreto.
Les biotopes ont été inventoriés, cartographiés et digitalisés sur base de visites des lieux. Pour identifier les lieux à visiter et ainsi cibler la recherche de biotopes, toutes les données disponibles ont été utilisées, y compris des photos aériennes et des données provenant des déclarations d’exploitants agricoles au sens large relatives au parcellaire agricole (FLIK).
Pour les parcelles de la société … S.A. autres que la parcelle 5/983, Monsieur …, botaniste agréé dûment formé, s’est rendue sur place en date du 8 juin 2012.
L’inventaire effectué sur place a suivi des consignes très précises et détaillées sur base des documents suivants du Département environnement du Ministère du Développement durable et des Infrastructures :
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Die Erfassung der geschützten Offenlandbiotope nach Art. 17 des luxemburgischen Naturschutzgesetzes établie en mars 2009;
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Die Anleitung für die Nachkartierung und Bewertung der Grünlandflächen des FFH-Biotoptyps « Magere Flachlandmähwiese 6510 ».
Tous ces documents peuvent être consultés sur:
http://www.environnement.public.lu/conserv_nature/dossiers/Cadastre_des_biotopes/ cadastre_biotopes_milieux_ouverts/methode_carthographie_descriptiom_donnees_ge ographiques/index.html Monsieur … a référencé sur les parcelles de la société … S.A. une prairie maigre fauche (Magere Flachlandmähwiese FFH 6510) d’une taille de 585,33 a comprenant des Achillées millefeuilles (Achillea millefolium), de l’Avoine élevé (Arrhenatherum elatius), des Brises intermédiaires (Briza media), de la Brome dressé (Bromus erectus), du Cumin des près (Carum carvi), des Centaurées jacées (Centaurea jacea), de la Crételle des prés (Cynosurus cristatus), de[s] Marguerites commune (Leucanthemum vulgare), des Plantains lancéolés (Plantago lanceolata) vulnérable, des Primevères officinales (Primula veris), de l’Avoine dorée (Trisetum flavescens).
Par ailleurs, les parcelles de la société … S.A. sont d’ores et déjà classées en zone Natura 2000 Habitats sous le numéro LU0001020 « Pelouses calcaires de … », par application du règlement grand-ducal du 6 novembre 2009 portant désignation des zones spéciales de conservation. Un des objectifs de conservation de cette zone est le « (b.) maintien dans un état de conservation favorable des prairies maigres de fauche (6510) ». Les prairies maigres de fauche figurent à l’annexe 1 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles. Les prairies maigres de fauche sur les parcelles appartenant à la société … S.A. constituent d’ailleurs un habitat de chasse du Grand murin (Myotis myotis), espèce figurant à l’annexe 2 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 précitée.
Relevons que le cadastre des biotopes n’est qu’une instruction ministérielle, donc purement politique, permettant simplement une aide à une identification concrète de biotopes sur des parcelles, notamment en cas de demandes de dérogation ou de deman des d’autorisation auprès de la ministre, par l’identification concrète, sur le territoire national, de l’ensemble des biotopes présents qui sont difficilement identifiables et pour lesquels un travail de recensement sur place a dû être effectué.
L’article 17 de la loi modifiée du 19 janvier 2004 n’a pas à être complété par un acte réglementaire, alors que seule une appréciation concrète de la situation, parcelle par parcelle, est, selon la jurisprudence, indispensable pour avoir une qualification inconte stée des biotopes.
Finalement, je tiens à remarquer que cette inscription au registre des biotopes ne change rien à la situation actuelle et n’empêche en rien que les terrains sont exploités comme pâture de veaux. […] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2015, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des cinq actes précités pris en relation avec l’inscription au cadastre des biotopes des parcelles portant les numéros cadastraux … sises dans la commune de …, ainsi que des parcelles portant les numéros cadastraux … sises dans la commune de ….
La partie étatique soulève l’irrecevabilité du recours au motif que, d’une part, les cinq actes visés ne seraient pas constitutifs de décisions administratives individuelles de nature à faire grief à la société requérante et en invoquant, d’autre part, l’absence d’intérêt à agir dans son chef.
Face au moyen d’irrecevabilité lui opposé par la partie étatique, la société requérante fait valoir que les actes déférés lui causeraient grief dans la mesure où, à travers l’inscription de parcelles lui appartenant au cadastre des biotopes, l’Etat entendrait lui imposer une limitation de son droit de propriété sur ces parcelles puisque non seulement leur libre usage, ainsi que son droit d’en percevoir les fruits seraient limités, mais toute possibilité de destruction serait encore supprimée.
La consultation du guide d’orientation et de bonne pratique qui a été annexé au courrier ministériel du 15 juillet 2014 permettrait d’ailleurs d’apprendre quels comportements seraient appropriés par rapport aux différents biotopes et lesquels ne le seraient pas, ledit guide prévoyant plus particulièrement des obligations et des interdictions suivant les types de biotopes concernés, ce qui témoignerait nécessairement du caractère réglementaire tant du cadastre des biotopes que dudit guide.
La société requérante énumère ensuite un certain nombre de préjudices concrets découlant du recensement de ses parcelles en biotopes, à savoir des interdictions et restrictions au niveau de l’exploitation des parcelles litigieuses dont le non-respect serait susceptible d’être sanctionné pénalement.
L’inscription des parcelles litigieuses au cadastre des biotopes et les interdictions et restrictions y consécutives entraîneraient, par ailleurs, une perte de valeur d’au moins 50% desdites parcelles qui seraient mises à disposition aux fins d’être exploitées par différents agriculteurs.
Il appartient tout d’abord au tribunal d’analyser s’il est compétent pour connaître du recours introduit par la société … contre les actes déférés, le tribunal étant ainsi amené à examiner le caractère décisionnel des actes critiqués.
Aux termes de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ». Cet article limite ainsi l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste1.
L'acte émanant d'une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si 1 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.
le caractère décisoire de l'acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n'est pas pour autant une condition suffisante. En effet, pour être susceptible de faire l'objet d'un recours la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief2.
Plus particulièrement, n'ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n'étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l'administration, tout comme les déclarations d'intention ou les actes préparatoires d'une décision3. Pareillement, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer l’administré sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur la situation juridique, de même qu’un avis sur l’interprétation à donner à un texte légal ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation4.
Pour déterminer le caractère décisoire ou simplement informatif d’un courrier, il y a dès lors lieu d’analyser son libellé et de qualifier son contenu.
En l’espèce, tel que relevé ci-avant, la société requérante estime que les cinq actes actuellement déférés au tribunal devraient s’analyser en des décisions administratives individuelles de nature à affecter négativement sa situation juridique, la société requérante étant en effet d’avis qu’au moins une, sinon plusieurs décisions administratives individuelles auraient nécessairement été prises afin que les parcelles litigieuses soient désormais renseignées comme constitutives de biotopes.
Le tribunal est amené à constater que la question centrale qu’il y a tout d’abord lieu de trancher est celle de la portée exacte du cadastre des biotopes dont un extrait a été transmis à la société requérante par le biais du courrier litigieux du 15 juillet 2014 - le point de départ du présent litige se situant en effet au moment où la société requérante s’est vu adresser ledit courrier ministériel qu’elle a par la suite contesté par le biais de ses courriers des 29 septembre 2014 et 9 janvier 2015 -, et plus particulièrement celle de savoir si la localisation d’un biotope sur un terrain déterminé par le biais dudit cadastre porte classification du terrain visé en biotope au sens de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.
Il y a, à cet égard, lieu de relever que par courrier du 15 juillet 2014, la société requérante s’est vue adresser, à l’instar d’autres propriétaires de terrains agricoles exploités au Grand-Duché de Luxembourg, un courrier non nominatif par le biais duquel elle a été informée qu’un cadastre des biotopes avait été créé et qu’il avait été publié le 17 mars 2014, le même courrier renseignant encore que les biotopes protégés sont délimités et représentés cartographiquement dans ledit cadastre (« In diesem Kataster werden die geschützten Biotope kartografisch abgegrenzt und dargestellt. »). La société requérante s’est par ailleurs vue transmettre avec ce même courrier un extrait du cadastre des biotopes avec un aperçu des biotopes exploités par elle (« Mit diesem Schreiben erhalten Sie einen Auszug des Biotopkatasters mit der Übersicht der von Ihnen bewirtschafteten Biotope […]», le tout se présentant sous forme d’une orthophoto consultable sur le site internet www.agriculture.geoportail.lu ( "Sämtliche Biotope des Offenlandes sind über die 2 Trib. adm. 18 juin 1998, n° 10617 et 10618 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 35 et les autres références y citées.
3 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas.
adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 52, et autres références y citées.
4 Trib. adm., 7 mars 2007, n° 21708 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 62, et les autres références y citées.
Internetseite www.agriculture.geoportail.lu (Geoportail) einsehbar".), ainsi qu’un guide d’orientation et de bonne pratique intitulé « Leitfaden zur Bewirtschaftung der Biotope des Offenlandes ».
Le tribunal constate dès lors que le cadastre des biotopes a pour objet de localiser et de recenser en zone verte les biotopes du milieu ouvert, localisation qui se mat érialise en l’occurrence sous forme d’images aériennes détaillées, librement consultables sur le site internet étatique www.agriculture.geoportail.lu. Or, à l’instar de toutes les indications du site « geoportail », les indications fournies par le site « www.agriculture.geoportail.lu» n’ont aucune incidence juridique, ne s’agissant en effet que de données matérielles et factuelles par rapport à une situation donnée, sans toutefois que la localisation d’un biotope sur le site en question ne soit de nature à entraîner per se une modification de la situation juridique de ceux qu’elle concerne, ni a fortiori à porter classification d’un terrain en biotope.
Ce constat se trouve d’ailleurs corroboré par la circonstance que l’extrait du cadastre des biotopes communiqué à la société requérante, s’il vise certes ceux-ci nominativement (« Auszug, der von Ihnen bewirtschafteten Biotopen (basierend auf der Flik 2013) »), est toutefois lui-même basé sur la situation factuelle de ses terrains telle qu’elle existait en 2013 et qu’à travers le courrier litigieux, la société requérante a été rendue attentive au fait qu’entretemps, l’affectation de ses terrains a pu changer, respectivement qu’elle pourrait encore changer par rapport aux indications reprises dans l’extrait cadastral lui transmis (« Der […] Auszug des Biotopkatasters mit der Übersicht der von Ihnen bewirtschafteten Biotope basiert auf den FLIK-Parzellen und den von Ihnen gemeldeten Flächen des Flächenantrags 2013. Da es zwischenzeitlich zu Änderungen Ihrer Flächennutzung gekommen sein kann, beziehungsweise künftig kommen wird, raten wir Ihnen auf jeden Fall die Internetseite www.agriculture.geoportail.lu zu konsultieren.»), de sorte qu’elle a été invitée à consulter le site internet www.agriculture.geoportail.lu pour se renseigner sur l‘évolution de la situation.
Dépourvu de valeur juridique propre, le cadastre des biotopes s’analyse dès lors en un outil de simplification administrative, librement consultable sur internet, qui, en tant que guide de référence, est non seulement censé permettre de faciliter l’action des agents du département de l’Environnement, notamment pour déceler les zones à risque, mais également d’avertir les propriétaires de terrains de l’existence de zones susceptibles de tomber dans le champ d’application des dispositions protectrices de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004.
Dans la mesure où il sert à localiser des biotopes, le cadastre est encore constitutif d’un outil de travail qui peut orienter les autorités, et notamment le ministre ayant l’environnement dans ses attributions, dans le cadre de leurs prises de décisions. En effet, tel que cela est renseigné sur le site internet librement consultable du département de l’Environnement5, l’une des missions assignée au cadastre est celle de servir de base de planification importante dans le cadre de l’évaluation des propositions relatives aux modifications de plans d’aménagements généraux, soumis pour approbation au ministre ayant l’environnement dans ses attributions, de sorte à permettre de faciliter les procédures d’autorisation tout en permettant de fonder les décisions du ministre sur des données fiables.
Si le ministre peut dès lors se baser sur le contenu du cadastre pour identifier factuellement des biotopes, il n’en demeure pas moins que, confronté à une demande 5 www.environnement.public.lu spécifique d’un administré à laquelle il entend opposer que le terrain concerné constitue un biotope tombant sous les dispositions protectrices de l’article 17 précité de la loi du 19 janvier 2004 pour refuser de faire droit à cette demande, le ministre sera tenu à chaque fois d’analyser et de justifier in concreto l’existence d’un site ou de végétation méritant la qualification de biotope, sans pouvoir se retrancher derrière les seules données factuelles figurant au cadastre pour qualifier automatiquement un terrain donné de biotope. Il en découle que le cadastre des biotopes n’est pas de nature à produire par lui-même des effets contraignants et qu’il ne peut être qualifié d’acte administratif individuel de nature à faire grief, ni d’ailleurs d’acte réglementaire à portée générale, étant à cet égard encore relevé que les sanctions prévues à l’article 64 de la loi du 19 janvier 2004 en cas d’infraction aux prescriptions de ladite loi s’appliquent à partir du moment où l’existence d’un biotope est concrètement retenue et où il est établi in concreto que celui-ci a été réduit, détruit ou changé en violation de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004, et ce indépendamment de l’existence ou non d’un cadastre ayant identifié et localisé le biotope en question. D’autre part, le seul fait qu’un biotope n’a pas été localisé sur un terrain donné, ni matérialisé par le biais du cadastre ne signifie pas pour autant que ledit terrain ne soit pas susceptible de tomber dans le champ d’application des dispositions protectrices de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004.
Le même constat s’impose en ce qui concerne le guide d’orientation et de bonne pratique annexé au courrier du 15 juillet 2014 qui, tel que l’indique son intitulé (« Leitfaden zur Bewirtschaftung der nach Artikel 17 des Naturschutzgesetzes geschützten Offenlandbiotope -
Bewirtschaftungsempfehlungen sowie unerwünschte und genehmigungspflichtige Eingriffe »), vise uniquement à donner des conseils pratiques aux propriétaires et exploitants agricoles pour reconnaître les biotopes pouvant se situer sur leurs terrains et pour ensuite les exploiter dans le respect des dispositions protectrices de l’article 17 de la loi du 19 janvier 2004. En effet, les critères ou lignes de conduite y énoncées ne peuvent constituer que de simples recommandations, étant donné qu’elles n’ont pas de caractère légal ; qui plus est, elles devraient même, dans la mesure où elles prétendraient fixer des règles nouvelles contraignantes, prévues ni par la loi, ni par un règlement d’exécution, être considérées comme illégales. En tout état de cause, elles ne constituent ni des actes réglementaires, ni des décisions obligatoires pour les administrés, de sorte à ne pas s’imposer aux tribunaux. Ces lignes de conduites ne sauraient dès lors être invoquées comme base juridique suffisante, alors qu’elles ne reflètent que l’opinion de leur auteur et ne constituent pas une norme juridique dont le respect s’impose à ses destinataires6. Dès lors, l’existence de ces lignes de conduite ne dispense pas non plus le ministre d’analyser in concreto l’existence d’un site ou de végétation méritant la qualification de biotope et ne lui permet pas de qualifier automatiquement un terrain donné en tant que tel au vu du seul type général de végétation y présente et de la taille du terrain, définie de manière abstraite.
Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le courrier ministériel du 15 juillet 2014, ensemble avec l’orthophoto et le guide d’orientation y annexés, ne contient pas d’élément décisionnel propre, puisqu’il ne fait en substance qu’informer ses destinataires et en l’occurrence, la société requérante, de l’existence d’un cadastre des biotopes, dont il a été retenu ci-avant qu’il ne s’agit pas d’un acte administratif individuel de nature à faire grief et dont les données peuvent à tout moment être consultées sur le site internet étatique prévisé, tout en lui donnant des conseils pratiques pour exploiter les biotopes susceptibles de se trouver sur ses terrains en conformité avec les dispositions 6 Voir par analogie : Cour adm. 15 janvier 2009, n°24765C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n°80 ; et plus particulièrement en matière de protection de la nature : Trib. adm. 14 novembre 2012, n° 29193, disponible sous www.jurad.etat.lu.
légales en vigueur. Le courrier litigieux, y inclus ses annexes, ne constitue dès lors pas, d’après son libellé et son contenu repris ci-dessus, dans l’intention des autorités qui l’ont signé, à savoir le ministre de l’Environnement et le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et de la Protection des consommateurs, un acte produisant par lui-même des effets juridiques affectant négativement la situation personnelle de la société requérante, de sorte qu’il ne peut pas être qualifié de décision administrative individuelle susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux devant le tribunal administratif.
Cette conclusion en entraîne une autre, à savoir qu’aucun recours gracieux n’a pu être introduit à l’encontre du courrier ministériel du 15 juillet 2014, un recours gracieux ne s’entendant en effet que comme l’expression par un administré de sa contestation de la validité ou de l’opportunité d’un acte administratif individuel de nature à lui faire grief.
Comme le courrier du 15 juillet 2014 n’a pas pu faire l’objet d’un recours gracieux, les courriers précités des 29 septembre 2014 et 9 janvier 2015 ne peuvent pas non plus avoir donné lieu à une décision implicite ou explicite de rejet sur recours gracieux susceptible d’un recours contentieux.
En ce qui concerne à cet égard plus particulièrement le courrier ministériel du 23 mars 2015, il y a de lieu de relever, outre que la société requérante admet elle-même que celui-ci pourrait difficilement être qualifié de décision au sens administratif du terme, que ledit courrier s’inscrit dans la continuité du courrier ministériel du 15 juillet 2014 puisqu’il ne fait en substance que réitérer les développements contenus dans ce courrier tout en donnant des explications quant aux biotopes qui ont été localisés et identifiés sur les parcelles de la société requérante, sans toutefois contenir d’élément décisionnel à cet égard. Comme il a été retenu ci-avant que le cadastre des biotopes n’est pas constitutif d’un acte administratif individuel, mais qu’il s’agit d’un simple outil de travail pour les autorités, et que la localisation de biotopes par un homme de l’art, ainsi que leur inscription audit cadastre, respectivement leur relevé géographique ne constituent que des actes servant à l’élaboration dudit cadastre, ces actes ne peuvent pas non plus être qualifiés de décisions administratives individuelles susceptibles de faire grief à la société requérante ni faire l’objet d’un recours contentieux.
Dans la mesure où aucun des actes déférés au tribunal n’est constitutif d’une décision administrative individuelle de nature à faire grief à la société requérante, le tribunal n’est pas compétent pour connaître des recours principal en réformation et subsidiaire en annulation dirigés contre de tels actes, qui sont dès lors à rejeter.
La société requérante réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500.- euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, demande qui est à rejeter au vu de l’issue du présent litige.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
se déclare incompétent pour connaître des recours principal en réformation et subsidiaire en annulation ;
partant les rejette ;
rejette la demande en obtention d’une indemnité de procédure de l’ordre de 2.500.-
euros formulée par la société requérante ;
condamne la société requérante aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge.
et lu à l’audience du 13 juin 2016, par le premier juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun 11