Tribunal administratif Numéro 37942 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mai 2016 1re chambre Audience publique du 1er juin 2016 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37942 du rôle et déposée le 23 mai 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Nigéria), et être de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation sinon à l’annulation d'une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 mai 2016 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cyril Chapon, en remplacement de Maître Philippe Stroesser, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 30 mai 2016.
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Le 15 février 2011, Monsieur … déposa une demande en obtention d’une protection internationale qui fut définitivement rejetée par un arrêt de la Cour administrative du 26 juin 2014, inscrit sous le numéro 34467C du rôle.
Par arrêté du 1er avril 2016, notifié à l’intéressé le 4 avril 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prononça à l’encontre de Monsieur … une interdiction d’entrée sur le territoire.
Par arrêté du même jour et notifié à l’intéressé le 4 avril 2016, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté en attendant son éloignement du territoire.
Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;
Vu ma décision de retour du 24 juillet 2013, lui notifié par courrier recommandé le 30 juillet 2013 ;
Vu ma décision d’interdiction de territoire du 1er avril 2016 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valables ;
Attendu que l’identité de l’intéressé n’est par conséquent pas établie ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu que l’intéressé a fait usage d’identités alias ;
Attendu que l’intéressé évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées :
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par un arrêté du 4 mai 2016, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur …. Cet arrêté est fondé sur la considération que les motifs à la base de la mesure de placement du 1er avril 2016 subsisteraient, que les démarches en vue de l’éloignement auraient été engagées, mais n’auraient pas encore abouti, que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement auraient été entreprises auprès des autorités compétentes, que l’intéressé aurait dû être présenté auprès des autorités nigérianes le 15 avril 2016, mais que celui-ci aurait refusé de coopérer et qu’en raison du manque de coopération de Monsieur … et afin de garantir l’exécution de l’éloignement, il y aurait lieu de maintenir la mesure de placement en rétention.
Par requête déposée le 23 mai 2016 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision précitée du 4 mai 2016 prorogeant son placement en rétention.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé les faits et rétroactes depuis sa demande de protection internationale jusqu’à la prorogation de la mesure de placement en rétention actuellement litigieux, fait valoir, sur base de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, que le placement d’une personne au Centre de rétention constituerait une faculté pour le ministre et non pas une obligation et que le ministre aurait l’obligation de motiver sa décision, ce que celui-ci n’aurait pas fait en l’espèce.
Par rapport au reproche du ministre qu’il empêcherait l’exécution de l’éloignement, le demandeur fait valoir qu’un seul courrier aurait été envoyé à l’ambassade de la République fédérale du Nigeria en date du 11 avril 2016 et que le 15 avril 2016, il aurait refusé de rencontrer l’ambassadeur au motif que l’ambassade ne pourrait le protéger des rebelles qui auraient exécuté sa famille, faits à la base de sa demande de protection internationale. Il ajoute qu’un manque de coopération ne pourrait justifier son maintien au Centre de rétention.
Enfin, il donne à considérer qu’un mois se serait écoulé depuis son placement en rétention, sans que les démarches entreprises n’auraient pas progressé, de sorte qu’il n’existerait aucune chance raisonnable que son éloignement puisse être mené à bien.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Par rapport au reproche du demandeur que la décision déférée ne serait pas suffisamment motivée, le tribunal est amené à conclure qu’il est certes vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et que les catégories de décisions y énumérées limitativement, en l’occurrence celles refusant de faire droit à la demande de l´intéressé, celles révoquant ou modifiant une décision antérieure, sauf si elles interviennent à la demande de l’intéressé et qu’elles y font droit, celles intervenant sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle, celles intervenant après procédure consultative, lorsqu’elles diffèrent de l’avis émis par l´organisme consultatif ou lorsqu´elles accordent une dérogation à une règle générale, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Or, le cas d’espèce sous examen ne tombe dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, de sorte que l’obligation inscrite à l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, ne trouve pas d’application. Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, en tout état de cause, la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et celui-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois à la phase contentieuse.1 Ainsi, un acte n’est susceptible d’encourir l’annulation qu’au cas où la motivation le sous-tendant ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal au moment où l’affaire est prise en délibéré, étant donné qu’une telle circonstance rend tout contrôle de la légalité des motifs impossible.
Or, en l’espèce, la motivation de la décision déférée, en l’occurrence, notamment, la référence aux conditions de la mesure de placement initiale et le constat que le demandeur n’a pas coopéré et que les démarches entreprises n’ont pas encore abouti, ressort tant du libellé de cette dernière que des explications du délégué du gouvernement au cours de la procédure contentieuse, ainsi que du dossier administratif déposé, de sorte que le tribunal est amené à conclure que la décision déférée est suffisamment motivée. Par voie de conséquence, le moyen afférent laisse d’être fondé.
Quant au fond, les moyens du demandeur se résument à la contestation des diligences entreprises, de la perspective que l’éloignement puisse être mené à bien et au reproche tenant à un manque de coopération.
Force est de constater qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008: « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment l’identification de l’intéressé, si, comme en l’espèce, il ne dispose pas de documents d’identité, ensuite la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre 1 Voir Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 78 et les autres références y citées.
son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.
Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
Le tribunal constate qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant fait l’objet d’une décision de retour le 24 juillet 2013 et d’une interdiction d’entrer sur le territoire pendant une durée de cinq ans le 1er avril 2016, et ne dispose, par ailleurs, pas de documents d’identité et de voyage, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi ou encore s’il ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et également proroger cette mesure. Dans la mesure où la décision litigieuse est motivée à suffisance par la considération qu’il y a risque de fuite dans le chef du demandeur, motif sur lequel est fondé la décision litigieuse par renvoi à la décision de placement initiale, sans que celui-ci n’ait avancé des éléments de nature à renverser cette présomption, il devient surabondant d’examiner le deuxième motif de la décision de prorogation du placement tel qu’avancé par le délégué du gouvernement et tenant à ce que le demandeur empêche ou évite la préparation de son retour.
A cet égard et à titre superfétatoire, le tribunal est encore amené à retenir, d’une part, que les explications du demandeur selon lesquelles il n’aurait pas voulu parler aux représentants de l’ambassade nigériane, dans la mesure où ceux-ci ne seraient pas capables de le protéger contre les rebelles, ne sont pas pertinentes dans le cadre de la présente procédure contentieuse, dont l’objet est limité au contrôle du respect des conditions inscrites à l’article 120 de la loi du 29 août 2008, et, d’autre part, que son vécu dans son pays d’origine a déjà fait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure administrative et contentieuse en relation avec sa demande de protection internationale, ayant mené d’abord le tribunal, à travers son jugement du 31 mars 2014, inscrit sous le n° 33285 du rôle, et ensuite la Cour administrative, dans son arrêt du 26 juin 2014, précité, à la conclusion que le demandeur n’est pas fondé à se prévaloir d’un risque de subir des atteintes graves en cas de retour au Nigéria contre lesquelles il n’y peut pas obtenir une protection, de sorte qu’il n’est pas non plus fondé à se prévaloir des mêmes faits pour justifier son refus de se présenter aux autorités de l’ambassade nigériane.
C’est encore à tort que le demandeur conteste les diligences entreprises par le ministre.
En effet, dans son jugement du 12 mai 2016, précité, le tribunal a retenu que les diligences entreprises jusqu’à cette date sont à considérer comme suffisantes, les autorités luxembourgeoises ayant, le 11 avril 2016, contacté l’ambassade de la République fédérale du Nigeria à Bruxelles afin d’identifier le demandeur et de lui délivrer un laissez-passer, les représentants de l’ambassade s’étant rendus au Centre de rétention en date du 15 avril 2016 afin d’entendre le demandeur, celui-ci ayant toutefois refusé de les voir et de sortir de sa chambre.
Pour ce qui est des démarches entreprises depuis la prolongation de la mesure de placement initiale, le tribunal constate que, par ailleurs, il se dégage d’une note au dossier du 23 mai 2016 qu’il était prévu que le représentant de l’ambassade nigériane à Bruxelles se déplace à nouveau au Centre de rétention le 26 mai 2016, entrevue ayant toutefois été reportée à la demande du représentant de l’ambassade, tel que cela dégage d’une note au dossier du 26 mai 2016.
Le tribunal est amené à retenir que ces démarches sont à considérer comme suffisantes au regard des diligences requises, étant relevé, par ailleurs, que le manque de coopération du demandeur, qui a refusé de se présenter aux autorités de l’ambassade nigériane, sans que les explications fournies par lui puissent justifier son comportement, a nécessairement des répercussions sur l’effet des démarches entreprises par le ministre. Il s’ensuit que les contestations du demandeur quant aux diligences entreprises sont à rejeter comme non fondées.
En toute hypothèse, le tribunal n’entrevoit en l’espèce pas d’éléments qui permettraient de conclure que l’éloignement du demandeur ne puisse pas être mené à bien, de sorte que ses contestations quant à une perspective réaliste que son éloignement puisse aboutir sont encore à rejeter.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique du 1er juin 2016, par le premier juge, en présence du greffier en chef Michèle Hoffmann.
Michèle Hoffmann Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 1.6.2016 Le greffier du tribunal administratif 7