Tribunal administratif N° 36783 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 août 2015 Ire chambre Audience publique du 11 mai 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36783 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 août 2015 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Mali), de nationalité malienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 23 juillet 2015 portant refus d’un report à l’éloignement dans son chef;
Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 14 août 2015, inscrite sous le n°36784 du rôle ayant rejeté la demande en institution d’une mesure provisoire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 août 2015 ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Elisabeth Pesch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 mars 2016 lors de laquelle la production de mémoires supplémentaires a été ordonnée ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2016 ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé le 11 avril 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Arnaud Ranzenberger pour le compte du demandeur ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives complémentaires à l’audience du 13 avril 2016 à laquelle l’affaire a été refixée pour la continuation des débats.
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En date du 5 mars 2013, Monsieur… introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».
Par décision du 23 juillet 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara cette demande de protection internationale non fondée et exprima à l’encontre de Monsieur … l’ordre de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 août 2014, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 23 juillet 2014 portant refus de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans la même décision ministérielle.
Par jugement du 12 mars 2015 inscrit sous le numéro 35107 du rôle, le tribunal déclara son recours non fondé sous son double volet, jugement qui fut confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015, inscrit sous le n°36124 du rôle.
En date du 8 juillet 2015, Monsieur … introduisit par l’intermédiaire de son mandataire une demande tendant principalement à l’obtention d’« un report à l’éloignement pour raisons humanitaires » et subsidiairement à l’obtention d’« un report à l’éloignement conformément aux articles 125bis, paragraphe (1) et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».
Par décision du 23 juillet 2015, le ministre rejeta le report à l’éloignement sollicité par le litismandataire du demandeur sur base des articles 125 bis et 129 de la loi du 29 août 2008.
La décision est motivée comme suit :
« J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 8 juillet 2015 dans lequel vo us sollicitez pour le compte de votre mandant « (…) principalement (…) un report à l’éloignement pour raisons humanitaires », sans faire référence à un article de loi et « (…) à titre subsidiaire (…) un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis paragraphe (1) et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 ». Vous invoquez la situation sécuritaire du Mali en vous basant sur des articles de presse. Selon vos dires, renvoyer votre mandant dans son pays d’origine « (…) reviendra à l’exposer à un risque grave pour sa vie ».
Votre demande est à requalifier en une simple demande en obtention d’un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration, la notion de « report à l’éloignement pour raisons humanitaires » n’existant pas.
Il y a lieu de rappeler que par décision du 23 juillet 2014 un ordre de quitter a été prononcé à l’encontre de votre mandant avec un délai de 30 jours, délai comptant à partir du jour où la décision de refus concernant sa demande de protection internationale est devenue définitive. Etant donné que votre mandant a été définitivement débouté de sa demande de protection internationale depuis le 25 juin 2015, ledit délai expira le 25 juillet 2015.
Force est de constater que votre demande en obtention d’un report à l’éloignement conformément à l’article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration doit être rejetée étant donné qu’il n’est pas établi que votre mandant est dans l’impossibilité de quitter le territoire luxembourgeois pour des raisons indépendantes de sa volonté ou qu’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129 de la même loi. Vous n’établissez pas qu’en cas de retour au Mali sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées ou qu’il y serait exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale(s) du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans ce contexte, il y a lieu de soulever le jugement du Tribunal administratif du 12 mars 2015, confirmé par la Cour administrative en date du 25 juin 2015, en ce qu’il retient que « (…) Force est au tribunal de constater que le demandeur reste en défaut d’établir à suffisance de droit qu’il court un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité. En effet, le demandeur n’allègue pas qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait la peine de mort ou l’exécution. Quant au risque de se voir exposé en cas de retour dans son pays d’origine à des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, le tribunal a retenu plus en avant qu’il ne ressort pas des pièces et éléments soumis à son appréciation que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes au Mali n’auraient pas voulu et ne voudraient pas accorder au demandeur une protection à l’encontre d’ … et d’ … au Maghreb islamique qui l’auraient menacé. Enfin, quant aux menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un demandeur en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, le tribunal retient, à l’instar du délégué du gouvernement, que la situation qui prévalait au moment où le demandeur a subi les exactions des forces terroristes avant son départ du Mali n’est plus identique à celle prévalant dans le contexte actuel. En effet, il ressort des rapports cités par la partie étatique que déjà dès le mois de juin 2013 « A peace deal between Tuareg rebels and the governement is signed, allowing the way to open for elections. The rebels agree to hand of Kidal, the town they captured following the French troops ousting of religious fighters in January » de sorte que tant le renforcement de l’appareil étatique par l’effet des combats menés par les troupes gouvernementales aidées des forces de l’armée française que la possibilité qui est demeurée aux ressortissants maliens de trouver refuge dans le Sud du pays constituent des éléments de nature à assurer des garanties suffisantes de sécurité pour la population civile. Ce constat est corroboré par les rapports internationaux versés par le demandeur desquels il ressort que le conflit est essentiellement circonscrit au Nord du pays (par exemple le rapport de RFI du 19 août 2014 cité pa r le demandeur indiquant que « les djihadistes sont toujours présents dans le Nord du Mali. Pour preuve : ils ont organisé, ce samedi 16 août 2014, un attentat à la voiture piégée à environ 60 kilomètres de Tombouctou ») ». Ce constat ne saurait être énervé par les articles de presse annexés à votre courrier, desquels ressortent également que le gouvernement malien continue ses opérations de sécurisation, soutenu par les forces internationales.(…) » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 août 2015, inscrite sous le numéro 36783 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 23 juillet 2015.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 36784 du rôle, Monsieur …, fit introduire un recours tendant à voir instituer une mesure de sauvegarde par rapport à la décision précitée du ministre du 23 juillet 2015. Par ordonnance du président du tribunal administratif du 14 août 2015, la requête fut déclarée non fondée.
Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision sous examen. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir qu’il serait de nationalité malienne, qu’il aurait vécu à Tombouctou et qu’il aurait quitté son pays d’origine suite à la prise de ladite ville par les djihadistes du groupe …. Il explique qu’il aurait été contraint d’abandonner ses activités tant professionnelles qu’extra-professionnelles de vendeur de vêtements de prêt-à-porter, selon la mode occidentale, et d’animateur de jeunes suite à l’instauration de la charia à Tombouctou. Il rapporte que ses ennuis auraient commencé dès le mois d’août 2012 par la destruction de la radio de son association de jeunes au cours d’une soirée, suivie par son enlèvement et sa séquestration pendant deux semaines au cours desquelles il se serait vu administrer vingt coups de fouet. Suite à cet incident, des djihadistes auraient fait irruption dans sa boutique, l’auraient frappé et lui auraient porté un coup de couteau au menton. Il indique que depuis cet événement, les djihadistes l’auraient suivi quotidiennement jusqu’à son domicile pour contrôler son stock de marchandises et lui auraient fait subir des humiliations en le giflant, pour enfin ultérieurement détruire son stock de vêtements, casser les vitres de sa boutique et le menacer de mort s’il ouvrait une nouvelle boutique de vêtements de prêt-à-porter occidental. Il s’y ajoute que les terroristes auraient emmené une cliente avec eux. Il se plaint de n’avoir pu rapporter ces faits ni à ses autorités nationales au motif qu’il n’y aurait pas eu de gouvernement en place à Tombouctou, ni à l’UNESCO dont les employés auraient pris la fuite. Il aurait dès lors décidé de quitter son pays d’origine.
En droit, le demandeur fait valoir que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation de sa situation en lui refusant l’octroi d’un report à l’éloignement. Le demandeur met en avant la situation d’insécurité au Mali et reproche au ministre de lui avoir refusé l’octroi d’un report à l’éloignement en se basant uniquement sur l’arrêt de la Cour administrative rendu le 25 juin 2015, sans instruire personnellement le volet relatif aux menaces graves pesant sur sa vie.
En se fondant sur les articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008, le demandeur soutient que ce serait à tort que le ministre aurait rejeté sa demande de report à l’éloignement au motif qu’il n’aurait pas établi être dans l’impossibilité de quitter le territoire luxembourgeois pour des raisons indépendantes de sa volonté, ni qu’il ne pourrait regagner son pays d’origine ou se rendre dans un autre pays, alors qu’il lui serait impossible de pouvoir échapper aux violences qui auraient lieu dans son pays d’origine et qui se propageraient sur l’intégralité du territoire malien, de sorte que sa vie serait en danger en cas de retour dans son pays d’origine.
Ainsi, le demandeur fait état de ce que la citation par l’autorité administrative d’un cessez-
le-feu intervenu en 2013 entre les rebelles touaregs et le gouvernement ayant permis l’organisation des élections ne serait pas pertinente. Le demandeur cite, à cet effet, différentes sources – rapports internationaux et journaux internationaux – relatant que pareil cessez-le-feu n’aurait pas été respecté. D’après les mêmes sources, l’accord d’Alger signé le 15 mai 2015 entre la Coordination des Mouvements de l’Azawad, une alliance de groupes armés rebelles touaregs et arabes, et le gouvernement n’aurait pas permis de stabiliser la situation. Le demandeur met en avant que des zones de combat subsisteraient actuellement surtout dans le Nord du pays. Il se réfère encore à des articles de presse pour expliquer que même si les djihadistes seraient plus actifs au Nord du pays, les attaques se seraient entretemps déplacées au Sud et au Centre du pays et que les attaques contre les civils se seraient intensifiées.
Il en conclut qu’il y aurait un accroissement marqué de l’insécurité liée à l’activité de groupes extrémistes violents dans tout le pays. La situation actuelle au Mali ne serait pas saine et sereine pour lui et par conséquent, il craint, en cas de retour, au vu de la situation actuelle dans son pays d’origine, de subir des persécutions de la part de djihadistes toujours présents sur le territoire.
Le délégué du gouvernement, de son côté, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que ce serait à bon droit qu’il a refusé de lui accorder un report à l’éloignement. Dans son mémoire supplémentaire, et pour prendre position par rapport aux pièces versées par le demandeur avant l’audience des plaidoiries du 23 mars 2016, c’est-à-dire le 18 mars 2016, le délégué du gouvernement se rapporte à la jurisprudence administrative pour soutenir qu’il ne pourrait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte des documents publiés postérieurement à la décision déférée1 et demande le rejet de ces pièces. Il ajoute encore que l’invocation de pièces faisant état de manière générale de discriminations ou de violations des droits de l’Homme dans un pays ne saurait constituer une preuve suffisante mais que le demandeur devrait établir in concreto qu’il a personnellement des raisons de craindre qu’il encourt un risque réel d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants2.
Le demandeur rejette cette argumentation dans son mémoire supplémentaire, en soutenant que certaines pièces auraient trait à la situation concernant la période antérieure à la demande de report à l’éloignement et que la situation difficile au Mali au jour de la prise de la décision serait suffisamment démontrée.
Quant au rejet des pièces demandé par la partie étatique, le tribunal tient à relever que d’après l’article 8 (6) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, désignée ci-après par « la loi du 21 juin 1999 », « toute pièce versée après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique est écartée des débats, sauf si le dépôt en est ordonné par le tribunal ».
Comme en l’espèce, les pièces invoquées par le demandeur ont été versées avant le rapport du juge-rapporteur et comme la loi du 21 juin 1999 ne règle pas expressément le sort des pièces déposées postérieurement au dépôt du recours introductif et des mémoires subséquents auxquels elles se réfèrent, il échet de retenir qu’à partir du moment où des pièces versées avant le 1 trib.adm.24 avril 2013, n°30148 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 2 trib.adm. 16 décembre 2013, n°31582 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu rapport à l’audience ont pu être librement discutées à l’audience et que le dépôt de ces pièces ne porte pas atteinte aux droits de la défense, elles ne sont pas à écarter des débats3.
Or, en l’espèce, il y a lieu de relever qu’il est constant en cause que les pièces litigieuses ont été communiquées par le demandeur le 18 mars 2016, c’est-à-dire avant l’audience du 23 mars 2016 et la lecture du rapport à ladite audience, de sorte qu’il y a lieu d’en déduire que les pièces ont été déposées dans le délai légal. Il s’ensuit que le moyen afférent présenté par le délégué du gouvernement est à rejeter pour ne pas être fondé.
Le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés, étant précisé que le tribunal ne peut prendre en considération que les éléments se rapportant à la situation de fait telle qu’elle existait au jour de la décision attaquée à laquelle le tribunal doit limiter son analyse dans le cadre du recours en annulation dont il est saisi.
Aux termes de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 , tel qu’y inséré par la loi du 1er juillet 2011, « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation.
L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner.
La décision de report de l’éloignement peut être assortie d’une assignation à résidence dans les conditions de l’article 125, paragraphe (1) », tandis qu’aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1 er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».
L’article 125bis précité ouvre dès lors la possibilité d’un report à l’éloignement dans deux cas de figure distincts, à savoir, d’une part, si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté et, d’autre part, s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays parce que sa vie ou sa liberté y seraient gravement menacées ou par ce qu’il y serait exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, dénommée ci-après « la CEDH ».
En l’espèce, encore que le demandeur soutienne tant être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté qu’être exposé en cas de retour au Mali à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, il appert toutefois qu’il entend uniquement 3 trib. adm. 17 novembre 2003, n° 16219 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 622, et autres références y citées.
inscrire sa demande de report à l’éloignement dans le second cas de figure de l’article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129 précité prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement d’un étranger s’il est établi que sa vie ou sa liberté sont gravement menacées ou s’il était exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH dans le pays à destination duquel il doit être éloigné.
Il convient de relever que le report à l’éloignement constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant l’éloignement de l’étranger soumis à une obligation de quitter le territoire auront cessé, la charge de la preuve de l’impossibilité de l’exécution de la mesure d’éloignement incombant en principe au demandeur, qui se prévaut des conditions de l’article 125bis de la loi du 29 août 20084.
Il y a tout d’abord lieu de rappeler que le demandeur a déposé le 5 mars 2013 une demande de protection internationale au Luxembourg, qu’il a été débouté de sa demande et que la décision de refus a été confirmée par les juridictions administratives, à savoir par un jugement du tribunal administratif du 12 mars 2015, respectivement par un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015.
Il convient ainsi de relever que par le jugement du 12 mars 2015, par lequel le recours introduit contre la décision de refus de sa demande de protection internationale a été rejeté, le tribunal administratif a retenu qu’il ne ressort pas des pièces et éléments soumis à son appréciation que l’Etat ou d’autres organisations étatiques présentes au Mali n’auraient pas voulu et ne voudraient pas accorder au demandeur une protection à l’encontre des membres du groupement d’… qui l’auraient menacé et que, tant le renforcement de l’appareil étatique par l’effet des combats menés par les troupes gouvernementales aidées des forces de l’armée française, que la possibilité qui est demeurée aux ressortissants maliens de trouver refuge dans le Sud du pays constituent des éléments de nature à assurer des garanties suffisantes de sécurité pour la population civile. Cette décision a été confirmée par la Cour administrative le 25 juin 2015. Il convient encore de constater que la Cour administrative, pour parvenir à cette conclusion, a analysé la quasi-totalité des éléments actuellement soumis au tribunal, à savoir le fait que le demandeur aurait été contraint d’abandonner ses activités tant professionnelles qu’extra-professionnelles de vendeur de vêtements de prêt-à-porter et d’animateur de jeunes suite à l’instauration de la charia à Tombouctou et à des actes de persécutions subis par lui de la part de djihadistes, le fait qu’il y aurait un accroissement marqué de l’insécurité au pays et que le Sud du pays serait également touché par les combats.
Cette décision de justice n’est certes pas revêtue de l’autorité de chose jugée au sens de l’article 1351 du Code civil par rapport au présent recours, laquelle n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement, étant entendu qu’il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité, mais les décisions ministérielles ayant fait l’objet de tous ces recours infructueux ont acquis autorité de chose décidée5.
4 trib.adm. 12 octobre 2015, n°35827 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 5 trib.adm. 23 avril 2013, n°30148 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu Par ailleurs, le tribunal constate que la question à la base de tous ces recours est identique, c’est-à-dire la question de savoir si le demandeur serait soumis en cas de retour au Mali à un risque tel pour sa vie ou son intégrité physique que ce risque justifierait l’octroi de la protection internationale ou encore un empêchement à l’éloignement, de sorte qu’il ne saurait se départir de ces précédentes décisions, toutes confirmées par les juridictions administratives.
Le tribunal statuant en l’espèce en tant que juge de l’annulation, appelé à procéder à l’analyse de la décision déférée par rapport à la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectuant à cet égard, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue6, il lui appartient encore de vérifier les nouveaux éléments lui soumis, n’ayant pas encore été auparavant déférés aux juridictions administratives et ayant été soumis au ministre, respectivement n’ayant pu échapper à la connaissance de ce dernier à la date à laquelle celui-ci a pris la décision actuellement entreprise, à savoir le 23 juillet 2015.
Or, à ce sujet, le tribunal constate de prime abord que le mandataire de Monsieur … n’a, en annexe à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement du 8 juillet 2015, que communiqué divers articles de presse relatifs à la situation générale au Mali. Le demandeur renvoie plus particulièrement à un rapport du 11 juin 2015 du Conseil de sécurité des Nations Unies, des articles publiés par l’UNHCR en date des 29 mai 2015 respectivement 10 juillet 2015 intitulés « Fighting in Northern Mali forces thousand to flee their homes » respectivement « More People flee to Mauritania to escape insecurity in northern Mali », ainsi qu’à divers articles de presse des sites des journaux BBC, Libération et RADIO France Internationale.
Au-delà de la question de savoir si les rapports concernent des faits antérieurs à la prise de la décision, il convient de noter que la simple invocation de rapports faisant état, de manière générale, de discriminations ou de violations des droits de l’Homme dans un pays, ne suffit pas à établir que tout ressortissant de ce pays a des raisons de craindre d’être persécuté ou encourt un risque réel d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Il incombe en effet au demandeur de démontrer in concreto qu’il a personnellement des raisons de craindre qu’il encourt un risque réel d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants7.
Or, force est au tribunal de constater que le demandeur se contente en l’espèce de faire état de la situation générale au Mali en renvoyant aux articles de presse précités, sans invoquer le moindre élément relatif à sa situation personnelle permettant d’établir in concreto que sa liberté ou sa vie seraient gravement menacées sinon qu’il risquerait de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants contraires notamment à l’article 3 de la CEDH en cas de retour au Mali.
Il ressort d’ailleurs de ces sources invoquées par le demandeur que si la situation générale au Mali est certes difficile, surtout au Nord du Mali, la communauté internationale déploie des efforts non négligeables en vue de soutenir les autorités maliennes. Ainsi, une intervention internationale a été déclenchée en janvier 2013 à l’initiative de la France.
6 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.
7 trib.adm. 16 décembre 2013, n°31582 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu Au vu de ce qui précède et compte tenu toutefois du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH, le tribunal n’estime pas que le renvoi du demandeur au Mali soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH et constitue une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 précitée.
Au vu de tout ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
déclare non fondée la demande tendant au rejet des pièces déposées par le demandeur en date du 18 mars 2016 ;
au fond, déclare le recours non justifié et en déboute;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Anne Foehr, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 11 mai 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11/05/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 9