Tribunal administratif Numéro 36064 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mars 2015 1re chambre Audience publique du 11 mai 2016 Recours formé par Monsieur …et consort… (France), contre deux décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’aides financières pour études supérieures
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36064 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2015 par Maître Pascal Peuvrel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …et de Madame …, les deux demeurant à F-…, tendant à l’annulation de deux décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche prises en date du 20 novembre 2014 et en date du 30 décembre 2014, en matière d’aides financières pour études supérieures;
Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Patrick Kinsch, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 13 mai 2015 ;
Vu le mémoire en réponse de Maître Patrick Kinsch déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 juin 2015 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 septembre 2015 par Maître Pascal Peuvrel au nom de Monsieur …et consort ;
Vu le mémoire en duplique de Maître Patrick Kinsch déposé au greffe du tribunal administratif en date du 15 octobre 2015 au nom de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Natacha Stella, en remplacement de Maître Pascal Peuvrel, et Maître Julie Zens, en remplacement de Maître Patrick Kinsch, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 avril 2016.
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Monsieur …sollicita au courant de l’année 2014 une aide financière pour études supérieures pour le semestre d’hiver de l’année académique 2014/2015.
Par un courrier du 20 novembre 2014, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, ci-après « le ministre », informa Monsieur …qu’une bourse de base de … euros, une majoration pour frais d’inscription de … euros et une bourse sur critères sociaux de …euros lui avaient été attribuées, mais qu’après déduction d’un montant de … euros au titre d’« autres avantages », le montant total lui attribué au titre de bourses est de 0 euros, tout en l’informant qu’un montant de … euros resterait à être déduit pour le semestre d’été 20014/2015.
A la suite d’un recours gracieux introduit le 7 décembre 2014, le ministre confirma le 30 décembre 2014 sa décision dans les termes suivants :
« L'article 8 de la loi du 24 juillet 2014 stipule, entre autres, que l’aide financière n'est pas cumulable avec les avantages suivants:
a) les aides financières pour études supérieures et autres aides équivalentes attribuables dans l'Etat de la résidence de l'étudiant (Crous, bourses régionales, BAföG, allocations d'études, etc.);
b) tout avantage financier découlant du fait que le demandeur est un étudiant au sens de la présente loi (allocations familiales, aide au logement, etc.) Toute bourse et tout autre avantage financier, dont pourrait bénéficier l'étudiant dans son pays de résidence, sont déduits intégralement de la bourse du premier semestre et le cas échéant le différentiel est déduit au deuxième semestre.
Ne sont pas visées par les dispositions du présent article les bourses ayant leur fondement dans un mérite particulier de l'étudiant ainsi que les bourses ayant leur fondement dans un programme international visant à favoriser la mobilité internationale des étudiants (programme Erasmus).
La lettre d'accord qui vous est parvenue, mentionne les montants qui ont été portés en déduction de votre bourse du semestre d'hiver ainsi que les montants éventuels qui restent à déduire de votre bourse du semestre d'été.
A défaut d'éléments précisant la date de début ou de cessation de paiement d'une prestation versée mensuellement (allocations familiales, aide au logement), le Cedies procède d'office à la déduction de la prestation pour la période de 12 mois entre le 1 er août 2014 et le 31 juillet 2015.
Vous pouvez, le cas échéant, introduire une demande de réévaluation de votre bourse. La demande est à formuler par écrit et doit être accompagnée d'une pièce établie par l'administration étrangère compétente, justifiant la date de début ou de cessation de paiement de la prestation en question. La demande peut être introduite jusqu'au 31 juillet 2015 au plus tard. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2015, Monsieur …a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la décision du 20 novembre 2014 et de celle du 30 décembre 2014 pour autant que, par ces décisions, le ministre a déduit des aides financières pour études supérieures lui accordées les sommes touchées en France au titre de l’aide personnalisée pour le logement, ci-après désignée par « l’APL ». Madame … …déclara intervenir volontairement dans ledit recours.
Quant à la recevabilité Etant donné que ni la loi du 24 juillet 2014 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, ci-après « la loi du 24 juillet 2014 », ni aucune autre disposition légale ne prévoient la possibilité d’introduire un recours de pleine juridiction en matière de refus d’aides financières de l’Etat pour études supérieures, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre des décisions de refus déférées.
Il convient toutefois de vérifier la recevabilité de l’intervention volontaire introduite par Madame …, en sa qualité de mère de l’étudiant.
Aux termes de la requête introductive d’instance, Madame …entend intervenir volontairement dans le recours introduit par son fils.
A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une intervention est recevable dès lors que l’intervenant justifie d’un intérêt direct ou indirect, matériel ou moral, la jurisprudence des juridictions civiles admettant même que le risque que le jugement à intervenir ne crée un simple préjugé favorable comme constitutif d’un intérêt suffisant pour intervenir1, l’intérêt à intervenir étant d’ailleurs apprécié de manière plus libérale que l’intérêt à agir, de sorte que sont recevables à intervenir tous ceux qui n’ont pas un intérêt direct à la solution du litige, mais à l’égard desquels le principe de cette solution peut avoir des incidences2.
A ce titre, Madame …expose avoir un intérêt à intervenir aux côtés de son fils, à sa charge, et ce tant du point de vue de la suppression des allocations familiales qu’elle ne percevrait plus, que de celui des bonifications fiscales qui y seraient liées et qu’elle perdrait également. A cela s’ajouterait que si le tribunal venait à ne pas accueillir la demande en annulation de son fils, celle-ci n’aurait droit à aucune aide financière ce qui aurait pour conséquence que le coût de ses études resterait à la charge définitive de sa mère.
Le tribunal est amené à retenir qu’au regard de ces explications, Madame …doit être considérée comme justifiant d’un intérêt suffisant pour intervenir volontairement dans le présent litige et présenter ses moyens en appui de la décision entreprise. Une requête en intervention volontaire, lorsqu’elle intervient en appui à une requête, peut en effet seulement étayer les moyens développés dans la requête principale ; ainsi, par une intervention, un intervenant ne peut ni étendre la portée de la requête, ni exposer des moyens nouveaux3 : en d’autres termes, l’intervenant ne peut que s’associer à l’action principale.
Sous cette réserve, il y a lieu d’admettre que le recours en annulation est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au fond Il convient de prime abord d’examiner la question de l’admissibilité du mémoire en réplique déposé par les parties de Maître Peuvrel le 15 décembre 2015, admissibilité contestée par la partie étatique au motif que ledit mémoire n’aurait jamais été notifié au mandataire de l’Etat.
Aux termes de l’article 5, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, « le demandeur peut fournir 1 Voir Lux. 21 juin 1972, Pas. 22, p. 229.
2 Trib. adm. 22 juillet 2009, n° 24495 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 429 et les autres références y citées ; voir aussi Trib. adm. 11 janvier 2012, n° 27576, 27679, 27689 et 28442 du rôle, disponibles sous www.jurad.etat.lu.
3 M. Leroy, Contentieux administratif, 3e édition, p.566.
une réplique dans le mois de la communication de la réponse », et aux termes de l’article 5, paragraphe (6) de la même loi « les délais prévus aux paragraphes 1 et 5 sont prévus sous peine de forclusion ».
Conformément à l’article 4, paragraphe (3) de la même loi, à l’égard de l’Etat le dépôt de la requête introductive vaut signification et il en est de même des mémoires subséquents.
Si en vertu de l’article 5, paragraphe (1) de la loi du 21 juin 1999, l’Etat peut se faire représenter soit par un délégué, soit par un avocat, l’article 4, paragraphe (3) de la même loi ne prévoit aucune distinction suivant la forme de représentation choisie par l’Etat, de sorte que le tribunal est amené à retenir que dans l’hypothèse où, comme en l’espèce, l’Etat est représenté par un avocat, le dépôt d’un mémoire au greffe vaut notification à son égard et qu’il n’appartient pas au mandataire de la partie adverse de notifier, par ailleurs, le mémoire par acte d’avocat à avocat. Certes, il se dégage des documents parlementaires à la base de la loi du 21 juin 1999 et plus particulièrement du commentaire des articles4 que l’intention du législateur était a priori de ne prévoir l’échange de mémoires par la voie du greffe qu’en présence d’un délégué du gouvernement, pour des considérations tenant à « la relative pauvreté des moyens logistiques dont disposent » les services des délégués du gouvernement.
Néanmoins, à défaut de distinction claire introduite dans le texte de la loi entre la situation où l’Etat est représenté par un avocat et celle où il est représenté par un délégué du gouvernement, le tribunal ne saurait que faire application des dispositions afférentes de la loi et retenir que même si l’Etat est représenté par un avocat, le dépôt des mémoires au greffe du tribunal vaut communication à son égard.
Dans la mesure où, en l’espèce, le mémoire en réplique a été déposé au greffe du tribunal administratif le 15 septembre 2015, soit dans le mois de la notification du mémoire en réponse, compte tenu de la suspension des délais entre le 16 juillet et le 15 septembre prévue à l’article 5, paragraphe (6) de la loi du 21 juin 1999, précitée, et que ce dépôt vaut communication à l’égard de l’Etat, même représenté par un avocat, le mémoire en réplique n’est pas à écarter des débats.
A l’appui du recours, les parties demanderesse et intervenante invoquent de prime abord un défaut de motivation des décisions des 20 novembre et 30 décembre 2014 en faisant valoir que le ministre resterait en défaut d’expliquer pour quelle raison les montants touchés dans le pays de résidence de l’étudiant devraient être déduits et en quoi ces sommes auraient un lien avec l’aide financière accordée par l’Etat luxembourgeois.
La partie étatique conclut au rejet de ce moyen, en exposant que le ministre aurait cité dans sa décision l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 ainsi que les montants concrètement déduits, tout en déclarant pouvoir compléter les motifs au cours de la procédure contentieuse, et en faisant valoir qu’il ressortirait du dossier que la partie demanderesse percevrait une aide personnalisée au logement dans son pays de résidence qui constituerait une aide équivalente à l’aide financière pour études supérieures, devant être déduite en vertu de l’article 8 précité.
En vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux.
4 Doc. parl. 4326 du 25 septembre 1997, commentaire de l’article 10 La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ;
- révoque ou modifie une décision antérieure, sauf si elle intervient à la demande de l’intéressé et qu’elle y fait droit ;
- intervient sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle ;
- intervient après procédure consultative lorsqu’elle diffère de l’avis émis par l’organisme consultatif ou lorsqu’elle accorde une dérogation à une règle générale.
Dans les cas où la motivation expresse n’est pas imposée, l’administré concerné par la décision a le droit d’exiger la communication des motifs. (…) ».
Cette disposition consacre dès lors le principe que d’une manière générale toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.
A cet égard, il convient de préciser que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste dans la suspension des délais de recours. La décision reste valable et l’administration peut produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif5.
Force est de constater que s’il est vrai que les décisions sous examen s’analysent en des décisions refusant de faire droit à une demande, le ministre ayant retenu que l’intéressé a certes droit en principe à certaines aides, mais ayant toutefois refusé d’effectuer le règlement intégral de ces sommes en raison de la déduction de l’APL touchée en France, de manière qu’elles doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, et s’il est encore vrai que la décision du 20 novembre 2014 est plus que sommaire à cet égard, force est de constater qu’au regard des explications fournies dans la décision confirmative du 30 décembre 2014, ensemble avec les explications fournies par la partie étatique au cours de la présente instance, qui sont suffisamment précises pour répondre aux exigences de l’article 6, précité, le moyen afférent est à rejeter comme étant non fondé.
Quant au fond, après avoir passé en revue l’historique de la loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l'aide financière de l'Etat pour études supérieures, entretemps abrogée par la loi du 24 juillet 2014, en ses différentes adaptations à la suite d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) du 20 juin 2013, n° C-20/12, affaire …, les parties demanderesse et intervenante argumentent qu’il faudrait se référer aux documents parlementaires à la base de la loi du 24 juillet 2014 afin de déterminer la notion d’avantage financier au sens de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, pour conclure que cette notion viserait un avantage dont l’attribution est directement liée à l’inscription à un établissement d’enseignement supérieur, alors que l’APL ne serait pas liée à une telle inscription, celle-ci 5 Cour. adm. 8 juillet 1997, n° 9918 C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 76.
constituant une aide financière destinée à réduire le montant du loyer ou de la mensualité d’un emprunt immobilier.
A cet égard, les parties demanderesse et intervenante soulignent que l’octroi de l’APL serait soumise à une triple condition, la première tenant à la qualité du demandeur, à savoir celle d’être locataire, colocataire ou sous-locataire d’un logement conventionné, ou d’être accédant à la propriété ayant bénéficié d’un prêt conventionné ou d’un prêt d’accession sociale pour l’achat ou la construction de son logement ou d’être résident en un foyer d’hébergement, sans qu’une condition d’âge ne soit requise, la deuxième étant liée au logement, l’APL étant attribuée pour la résidence principale située en France et seulement si le logement répond à certains critères de décence et à des conditions minimales d’occupation, la troisième étant liée aux ressources du demandeur, l’APL étant attribuée si les revenus ne dépassent pas certains plafonds variant en fonction de la composition du foyer et du lieu du logement occupé.
Il s’ensuivrait que l’APL ne constituerait pas une aide exclusivement et spécifiquement réservée et attribuée aux étudiants, toute personne remplissant les conditions d’octroi pouvant en bénéficier quel que soit son âge ou son statut social.
Dès lors, il ne s’agirait pas d’un avantage dont l’attribution est directement liée à l’inscription à un établissement d’enseignement supérieur.
Les parties demanderesse et intervenante ajoutent que le CEDIES se baserait de plus sur des montants hypothétiques pour diminuer le montant de la bourse d’études alors que rien ne garantirait que l’étudiant sollicitant l’aide financière touche des APL au titre de l’intégralité de l’année scolaire puisqu’il arriverait fréquemment qu’un étudiant résilie son bail en cours d’année et ne perçoive donc plus l’APL à ce titre.
Enfin, les parties demanderesse et intervenante font état d’une différence de traitement entre les étudiants résidants et les étudiants non résidants, se matérialisant d’ailleurs par les formulaires mis à disposition des étudiants puisque le formulaire destiné aux résidants ne comprendrait pas de rubrique relative aux aides au logement alors que pourtant les étudiants luxembourgeois effectuant leurs études en France auraient droit au même titre que les étudiants français, de solliciter l’APL. Cette différence de traitement constituerait une atteinte au principe d’égalité respectivement constituerait une discrimination à rebours.
Les dispositions anti-cumul de la loi du 24 juillet 2014 contreviendraient dès lors aux dispositions de droit européen en matière de non-discrimination ainsi qu’au principe d’égalité de traitement ancré dans la Constitution luxembourgeoise.
Dans son mémoire en réponse, la partie étatique fait valoir que l’APL aurait pour objectif d’assurer un logement à des personnes ayant de faibles revenus. Or, tel serait également l’un des buts poursuivis par l’aide financière pour études supérieures prévue par le législateur luxembourgeois, celui-ci ayant souhaité mettre en place un système d’aide promouvant l’accès aux études supérieures en garantissant l’indépendance de l’étudiant. Or, le coût principal auquel les étudiants devraient faire face consisterait dans le financement du logement, de sorte qu’il en découlerait que ces aides seraient équivalentes par rapport à l’aide financière pour études supérieures.
Elle se réfère aux documents parlementaires à la base de la loi du 24 juillet 2014 et plus particulièrement à l’exposé des motifs pour conclure que l’aide financière luxembourgeoise viserait à garantir à l’étudiant la possibilité de réaliser des études indépendamment de la volonté de ses parents en lui permettant de couvrir une partie des frais réels liés aux études, dont la majeure partie serait constituée par des frais de logement, des frais d’inscription ainsi que des aliments.
Parmi ces frais, les frais d’inscription seraient traités de manière différente, en l’occurrence à l’article 6.1 de la loi du 24 juillet 2014.
La partie étatique fait valoir que dans la mesure où, à côté de la bourse que l’Etat luxembourgeois verse aux étudiants, il prendrait également en charge les frais liés à l’inscription, la bourse couvrirait uniquement les coûts liés au logement et aux aliments. Il en découlerait que la bourse aurait le même objet que l’APL, de sorte que cette dernière serait à qualifier d’aide équivalente à l’aide financière pour études supérieures.
Il n’en serait pas de même, par exemple, d’allocations familiales touchées par une étudiante, mère de famille, pour son enfant puisque le but des allocations familiales serait de compenser les charges de famille engendrées par l’entretien d’un ou de plusieurs enfants, mais non pas celui de couvrir les frais liés au logement. Il en serait de même, par exemple, de l’aide accordée par certaines communes de résidence aux étudiants méritants, ces aides visant à récompenser les étudiants pour les notes obtenues et n’ayant pas de caractère alimentaire.
En revanche, les aides accordées par certaines communes luxembourgeoises, à côté de celles accordées pour étudiants méritants et qui auraient un caractère alimentaire, seraient à déduire.
La partie étatique conteste encore l’affirmation des parties demanderesse et intervenante quant au montant des aides touchées en France ayant été déduites.
D’autre part, la partie étatique fait valoir que la qualification d’aide équivalente opérée en l’espèce par le ministre ne serait pas discriminatoire entre les étudiants ressortissants luxembourgeois effectuant leurs études en France et les étudiants ressortissants étrangers effectuant leurs études dans ce même pays, en expliquant que cette différence de traitement serait légitime dans une matière ne faisant pas l’objet d’une harmonisation européenne et où il n’existerait pas de règles de coordination entre les différentes législations des Etats membres.
Dans ce contexte, la partie étatique souligne que l’aide financière pour études supérieures ne constituerait pas une prestation familiale, sous-catégorie de la notion de prestation de sécurité sociale, et ne tomberait partant pas dans le champ d’application du règlement CE 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2014 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que cela aurait été précisé par le tribunal administratif dans un jugement du 18 mai 2015, n° 34790 du rôle.
Dès lors, chaque Etat membre pourrait prévoir des règles anti-cumul afin d’éviter qu’une aide fasse double emploi avec une autre aide octroyée par un autre Etat-membre. Il conviendrait toutefois de déterminer l’Etat devant octroyer l’aide financière sans limite et celui susceptible d’invoquer les dispositions anti-cumul.
En l’occurrence, ce serait l’Etat de résidence de l’étudiant ayant la responsabilité de veiller à ce que celui-ci puisse effectuer des études supérieures qui devrait accorder l’aide financière sans limite. Cette analyse se déduirait à la fois de la responsabilité particulière des Etats pour l’éducation de leurs résidents et, s’agissant spécifiquement de l’aide financière pour études supérieures telle qu’elle existe au Luxembourg, de la finalité propre à celle-ci, finalité approuvée par la CJUE dans l’arrêt … précité. Il appartiendrait dès lors à l’Etat de résidence d’accorder les aides financières pour études supérieures à ses ressortissants pour garantir la poursuite des études supérieures et cela sans déduction d’aides auxquelles l’étudiant aurait droit dans d’autres Etats, notamment dans celui où les études sont poursuivies.
Si un Etat qui n’est pas l’Etat de résidence d’un étudiant souhaitait accorder une aide financière aux étudiants ressortissants d’un autre Etat, l’existence de cette aide ne pourrait décharger l’Etat de résidence de sa responsabilité envers ses étudiants et ne pourrait donc avoir une incidence sur l’aide financière accordée par l’Etat de résidence de l’étudiant. En revanche, l’Etat d’accueil pourrait soumettre l’octroi des aides financières à des conditions de non-cumul pour éviter de payer une aide financière à un étudiant qui en bénéficie déjà dans son Etat de résidence.
Dès lors, en l’espèce, l’Etat français pourrait déduire les aides financières pour études supérieures versées par l’Etat luxembourgeois du montant de l’APL qu’il accorde aux résidents luxembourgeois. Il n’en serait cependant pas de même de l’Etat luxembourgeois, qui devrait accorder l’intégralité de l’aide financière pour études supérieures à ses résidents.
La partie demanderesse, résidente française, aurait par conséquent droit à l’intégralité des aides financières versées par l’Etat français et n’aurait droit aux aides financières de l’Etat luxembourgeois qu’à condition qu’elles ne fassent pas double emploi avec celles versées par l’Etat français.
Une telle disposition anti-cumul serait justifiée au regard du principe de non-
discrimination propre au droit européen et serait approuvée par la CJUE à travers l’affaire … précitée, dans laquelle la Cour aurait consacré le droit des étudiants, enfants de travailleurs frontaliers ne résidant pas au Luxembourg, de bénéficier de l’aide financière pour études supérieures versée par l’Etat luxembourgeois, la Cour ayant pris le soin de préciser que l’Etat luxembourgeois pourrait tenir compte, lors de l’octroi de l’aide financière pour études supérieures, de l’allocation de toutes aides financières équivalentes versées par l’Etat membre dans lequel l’étudiant réside, la partie étatique se référant à cet égard également au considérant n° 79 dudit arrêt.
Enfin, la partie étatique se réfère à la jurisprudence de la CJUE en matière d’impôts directs pour soutenir son argumentation.
Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesse et intervenante font valoir que l’APL ne constituerait pas une aide équivalente aux aides financières pour études supérieures, critiquent le quantum des sommes déduites et insistent sur le caractère discriminatoire des dispositions anti-cumul.
Dans son mémoire en duplique, la partie étatique réfute l’argumentation des parties demanderesse et intervenante présentée dans le mémoire en réplique, suivant laquelle seule la bourse de mobilité viserait les frais relatifs au logement et suivant laquelle la bourse de base ne ferait aucune référence à la prise en charge des frais de logement. Elle souligne que les critères d’application de la bourse de mobilité seraient différents de ceux de l’APL. En vertu des dispositions légales françaises, l’APL serait attribuée aux personnes locataires d’un logement conventionné et ayant leur résidence principale en France, de manière qu’un étudiant français décidant de s’installer à son propre compte dans la même ville que celle où habitent ses parents aurait droit à cette aide, ce qui ne serait pas le cas de la bourse luxembourgeoise de mobilité visant à encourager les étudiants à s’installer en dehors des frontières nationales du pays de résidence du ménage dont ils font partie. Il s’ensuivrait qu’il y aurait de nombreux étudiants ne remplissant pas les critères d’attribution de la bourse de mobilité devant tout de même supporter les coûts liés à un logement. L’étudiant résidant au Luxembourg qui poursuit ses études au Luxembourg et qui décide de s’installer à son propre compte n’aurait pas droit à la bourse de mobilité, de sorte que la bourse de base servirait à couvrir, en partie, ces frais de logement. Dès lors, pour les étudiants n’ayant pas droit à la bourse de mobilité, la bourse de base couvrirait les frais liés au logement, qui représenteraient la majeure partie des dépenses de l’étudiant. La partie étatique en conclut que la bourse de mobilité ainsi que la bourse de base constitueraient des aides équivalentes à l’APL, de sorte que ce serait à bon droit que l’Etat a déduit ces aides du montant de l’aide financière pour études supérieures.
La partie étatique réfute encore l’argumentation des parties demanderesse et intervenante suivant laquelle de nombreux étudiants ne toucheraient pas l’APL pendant toute la durée de l’année.
Avant d’examiner la question de la conformité de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, disposition sur laquelle les décisions litigieuses sont fondées, aux principes de non-
discrimination et d’égalité de traitement invoqués par les parties demanderesse et intervenante, il convient d’examiner la portée de cette disposition et plus particulièrement la question de la notion d’aide équivalente au sens du point a) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 sur lequel sont fondées les décisions litigieuses.
Le tribunal relève en effet que si, suivant le libellé de la décision faisant l’objet du présent recours ainsi que suivant les termes de la décision confirmative sur recours gracieux, l’application par l’Etat des dispositions anti-cumul inscrites à l’article 8, précité, semble se rattacher au point b) dudit article, le ministre s’étant référé à la notion « d’autre avantage », avec la précision qu’il s’agit des « avantages financiers perçus dans [le] pays de résidence […] », suivant les explications de la partie étatique fournies au cours de la présente instance, la décision est fondée sur les dispositions du point a) de l’article 8, précité, en ce que l’APL allouée en France serait à considérer comme une aide équivalente au sens de cette disposition, de sorte qu’il convient de prime abord d’examiner, au regard des contestations afférentes de la partie demanderesse, la question de l’applicabilité de cette disposition, menant à la question de la qualification de l’APL touchée en France.
L’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, intitulé « Dispositions anticumul », et prévoyant des dispositions tendant à éviter le cumul des aides financières pour études supérieures avec un certain nombre d’autres aides ou avantages accordées, dispose ce qui suit : « L’aide financière allouée sur base de la présente loi n’est pas cumulable avec les avantages suivants:
a) les aides financières pour études supérieures et autres aides équivalentes attribuables dans l’Etat de la résidence de l’étudiant;
b) tout avantage financier découlant du fait que le demandeur est un étudiant au sens de la présente loi.
Ne sont pas visées par les dispositions du présent article les bourses ayant leur fondement dans un mérite particulier de l’étudiant ainsi que les bourses ayant leur fondement dans un programme international visant à favoriser la mobilité internationale des étudiants.
Les demandeurs sont tenus de produire les certificats émis par les autorités compétentes de leur pays de résidence, indiquant le montant des aides financières et autres avantages financiers auxquels ils peuvent avoir droit de la part des autorités de leur Etat de résidence. Ce montant est déduit de l’aide financière accordée sur base de la présente loi.
Toute forme d’aide financière et tout autre avantage financier, remboursables ou non remboursables, dont pourrait bénéficier l’étudiant dans son pays de résidence sont déduits intégralement respectivement des montants remboursables ou des montants non remboursables de l’aide financière du premier semestre, le cas échéant le différentiel est déduit au deuxième semestre. » La loi modifiée du 22 juin 2000 concernant l’aide financière de l’Etat pour études supérieures, telle qu’elle résulte de la modification opérée par la loi du 19 juillet 2013, et abrogée par la loi du 24 juillet 2014, prévoyait déjà en son article 5bis, aux termes duquel « L'aide financière allouée sur le fondement de la présente loi n'est pas cumulable avec les aides financières équivalentes qui seraient versées dans l'Etat de la résidence de l'étudiant.
En conséquence, les demandeurs d'allocations seront tenus de fournir, lors de leur demande, une preuve émise par les instances officielles compétentes respectives, indiquant le montant des aides financières auxquelles ils peuvent avoir droit de la part des autorités de leur Etat de résidence. Ce montant sera déduit de l'aide financière versée sur le fondement de la présente loi. », le non-cumul de l’aide financière allouée sur le fondement de cette loi avec des « aides financières équivalentes », sans toutefois préciser ce qu’il fallait entendre par la notion d’aides équivalentes. La loi du 24 juillet 2014 a innové en ce sens que dans les points a) et b) de l’article 8 sont précisés davantage les avantages avec lesquels les aides financières allouées en vertu de cette loi ne sont pas cumulables.
Il convient de prime abord de noter que le principe même des dispositions anti-cumul a été envisagé et reconnu par la CJUE plus précisément dans son arrêt du 20 juin 2013, précité, et n’est d’ailleurs pas remis en cause par les parties demanderesse et intervenante, celles-ci argumentant en substance seulement que le ministre aurait appliqué ces dispositions à des situations non visées par le législateur, sinon subsidiairement, dans l’hypothèse où la loi luxembourgeoise était à interpréter dans le sens préconisé par le ministre, que les dispositions luxembourgeoises seraient contraires au droit communautaire.
Quant aux aides et avantages visés par l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, le point a) dudit article envisage, d’une part, les aides financières pour études supérieures attribuées dans l’Etat de résidence de l’étudiant, et, d’autre part, « d’autres aides équivalentes » attribuées dans l’Etat de résidence de l’étudiant, partant des aides équivalentes aux aides financières pour études supérieures.
Le point b) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 envisage par ailleurs « tout avantage financier » qui découle du fait que l’intéressé est un étudiant.
Il convient de préciser que si dans son dernier alinéa l’article 8 précité mentionne encore « toute forme d’aide financière et tout autre avantage financier » dont pourrait bénéficier l’étudiant dans son pays de résidence, les aides y visées ne constituent pas une catégorie à part par rapport à celles visées aux points a) et b) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, mais le dernier alinéa de l’article 8 n’a, tel que cela se dégage des documents parlementaires à la base de la loi du 24 juillet 20146, pour objet que de définir la procédure présidant au calcul de l’anti-cumul, étant précisé que la loi du 24 juillet 2014 requiert la remise par l’étudiant non résident d’un certain nombre de documents de la part des instances de son pays d’origine relatifs à des avantages financiers auxquels il pourrait y avoir droit du fait de son inscription à un programme d’enseignement supérieur.
S’agissant ensuite de la définition de la notion d’« aide équivalente » au sens du point a) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014, invoqué en l’espèce par la partie étatique, il appartient au tribunal de déterminer quelles aides le législateur a entendu viser, en se référant, à défaut d’autres précisions fournies directement par la loi, plus particulièrement aux travaux parlementaires.
Il se dégage du commentaire des articles à la base de la loi du 24 juillet 2014 que, tirant les enseignements de l’arrêt … de la CJUE précité, le législateur a entendu inscrire dans la loi une disposition anti-cumul évitant « le risque d’un cumul avec l’allocation d’une aide financière équivalente qui serait versée par l’Etat membre dans lequel l’étudiant réside, seul ou avec ses parents », ce qui l’avait amené à introduire d’ores et déjà en 2013 une disposition anti-cumul dans la loi précitée du 22 juin 2000 afin de prendre en compte les aides financières équivalentes. Il se dégage encore du commentaire des articles que la loi du 24 juillet 2014 a ajouté un point b) selon lequel « tout avantage financier découlant du fait que le demandeur est un étudiant n’est pas cumulable avec l’aide financière », les auteurs du projet de loi ayant précisé qu’il faudrait entendre par avantage financier « tout autre avantage social dont l’attribution est directement liée à l’inscription à un établissement d’enseignement supérieur ». Suivant le commentaire des articles, seraient visées outre les allocations familiales dont le paiement est directement conditionné par la poursuite des études, les indemnités de stage ou d’apprentissage payées aux étudiants. Il convient cependant de préciser que cette définition a été critiquée par le Conseil d’Etat, qui avait, dans son avis du 3 juin 2014, relevé que les dispositions anti-cumul ne pourraient s’appliquer que pour des avantages ayant la même nature et la même finalité, en se référant à une ordonnance rendue le 18 juin 2013 par le tribunal de la fonction publique dans une affaire F-98/11 et à l’arrêt de la CJUE, précité, dans l’affaire …. Le Conseil d’Etat en a déduit que la règle anti-
cumul ne pourrait s’appliquer, contrairement à ce qui avait été retenu dans l’exposé des motifs, aux indemnités de stage ou d’apprentissage qui constitueraient des revenus et non pas des avantages sociaux, ces indemnités devant être considérées comme un revenu propre de l’étudiant. Il en a encore déduit que les bourses de formation-recherche initialement prévues comme troisième catégorie d’avantages non cumulables avec une aide pour études supérieures seraient d’une nature et d’une finalité différentes. Reconnaissant la pertinence de cette remarque, les auteurs du projet de loi ont supprimé cette troisième catégorie d’aides7, de manière qu’il y a lieu de retenir que les auteurs du projet de loi ont partagé l’approche du 6 rapport de la Commission de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, des Médias, des Communications et de l’Espace du 3 juillet 2014 page 35, commentaire des articles, document parlementaire n°667011 « afin d’éviter une discrimination indirecte à rebours, la disposition anti-cumul avec l’octroi d’aides financières pour études supérieures dans d’autres Etats membres a été élargie à tout avantage social qui serait dû en vertu d’une inscription à un établissement d’enseignement supérieur » 7 idem, page 34 Conseil d’Etat suivant laquelle la disposition anti-cumul ne pourrait viser que des aides de même nature et ayant la même finalité.
L’article 8, point a) de la loi du 24 juillet 2014 se référant à des aides équivalentes aux aides financières pour études supérieures et au regard de la volonté exprimée par le législateur à travers les documents parlementaires, il convient de retenir qu’est à considérer comme aide équivalente toute aide ayant la même nature et la même finalité que les aides financières pour études supérieures.
S’agissant de la nature et de la finalité des aides financières pour études supérieures prévues par la loi du 24 juillet 2014, il se dégage des documents parlementaires à la base de la loi du 24 juillet 20148 que ladite loi a été prise plus particulièrement pour tenir compte de l’arrêt du 20 juin 2013 de la CJUE dans l’affaire …, précité, la modification consistant, d’après les travaux parlementaires, en « l’ajout d’un critère permettant aux enfants de travailleurs frontaliers d’avoir accès à l’aide financière de l’Etat pour études supérieures »9.
La loi a encore innové en ce sens que la composante « bourse » des aides financières est déclinée en différentes catégories, à savoir : la bourse de base, la bourse de mobilité, la bourse sur critères sociaux et la bourse familiale10, la composante bourse de mobilité étant liée au justificatif d’une prise en location d’un logement à l’étranger, c’est-à-dire en dehors des frontières du lieu de résidence du ménage dont l’étudiant fait partie, alors que la bourse de base est accordée sans distinction aucune à chaque étudiant remplissant les critères généraux d’éligibilité.
Suivant l’exposé des motifs à la base de la loi du 24 juillet 201411, ladite loi « vise la mise en place d’un système d’aide financière pour études supérieures qui promeut l’accès aux études supérieures et qui permet à l’étudiant d’exercer son droit à l’éducation », « garantit l’indépendance de l’étudiant », « prend en compte les frais réels pour subvenir à ses besoins » et « respecte la situation socio-économique de l’environnement dans lequel vit l’étudiant » et vise de manière générale « l’accroissement du niveau de formation de la population ». Dans son avis du 3 juin 2014, le Conseil d’Etat a pareillement relevé que l’objectif de la bourse de base est celui de garantir « l’autonomie de l’étudiant sans que le nombre d’enfants à charge du ménage influe sur le montant », ledit objet étant également rappelé par la Commission de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, des Médias, des Communications et de l’Espace dans son rapport du 3 juillet 2014, en ce qu’il y est précisé que le nouveau système « entend garantir à l’étudiant une large indépendance, il prend en compte les frais réels de l’étudiant pour subvenir à ses besoins et il respecte la situation socio-économique de l’environnement de l’étudiant. », l’étudiant restant « entièrement libre dans le choix du lieu de ses études au même titre qu’il reste libre dans le choix de la discipline de ses études. » D’après les documents parlementaires, l’autonomie de l’étudiant serait garantie par l’attribution d’une bourse de base et par la possibilité de contracter un prêt, le projet de loi envisageant, par ailleurs, la bourse de mobilité afin d’encourager la mobilité internationale de l’étudiant « tout en prenant en compte une partie des frais réels encourus par la location d’un logement »12.
8 idem 9 idem, page 3 10 idem, page 4 11 Exposé des motifs, page 2 12 idem, page 3 Par ailleurs, dans l’arrêt …, précité, auquel le législateur luxembourgeois s’est référé, la CJUE a retenu que les aides financières pour études supérieures luxembourgeoises, sous l’égide de la loi du 22 juin 2000 précitée, sont à qualifier d’avantage social.
A partir de la volonté exprimée par le législateur à travers les documents parlementaires, le tribunal est amené à retenir que s’il est vrai, tel que cela est argumenté par la partie étatique, que les aides pour études supérieures sont censées couvrir essentiellement les frais réels de l’étudiant, tels que notamment les frais de logement, s’agissant de la bourse de mobilité plus spécifiquement pour un logement à l’étranger, et s’agissant de la bourse autre que la bourse de mobilité, de manière générale, entre autre pour les frais de logement, l’objectif primordial de ces aides est toutefois celui d’encourager et de promouvoir les études supérieures, tel que cela a été relevé expressément dans l’exposé des motifs à la base de la loi du 24 juillet 2014.
S’agissant des dispositions pertinentes françaises, et tel que cela a été retenu par le tribunal dans un jugement du 4 mai 2016, n° 36555 du rôle ayant visé la même problématique, force est de constater que l’APL est instituée à travers l’article L.351-1 du Code de la construction et de l’habitation français et est accordée, en vertu de l’article L.351-
2 du même Code, au titre de la résidence principale et comprend dans son domaine d’application les catégories de logements énumérées sous les points 1° à 6° dudit article, à savoir les logements occupés par leurs propriétaires et répondant aux conditions énoncées au point 1°, les logements à usage locatif appartenant à des organismes d’habitations à loyer modéré ou gérés par eux ou appartenant aux bailleurs du secteur locatif répondant aux conditions visées au point 2°, les logements à usage locatif répondant aux conditions définies aux points 3° et 4° du même article, les logements-foyers de jeunes travailleurs et les logements-foyers assimilés répondant aux conditions du point 5° du même article et, enfin, des logements occupés par les titulaires de contrats de location-accession répondant aux conditions du point 6° du même article.
En vertu de l’article L.351-2-1 du Code de la construction et de l’habitation français, l’APL est attribuée « dans les conditions fixées par le présent titre aux personnes de nationalité française et aux personnes de nationalité étrangère dans les conditions prévues par les deux premiers alinéas de l’article L.512-2 du Code de la sécurité sociale. » et en vertu de l’article L.351-3, le montant de l’APL est calculé en fonction d’un barème défini par voie réglementaire, ledit barème étant établi en prenant en considération plus particulièrement la situation de famille du demandeur et le nombre de personnes à sa charge, ses ressources et le montant du loyer. Enfin, conformément à l’article R.351-1 du Code de la construction et de l’habitation français, l’APL est attribuée aux personnes qui occupent « soit le logement dont elles sont propriétaires et qui a été construit, ou amélioré, ou acquis et amélioré dans les conditions définies par l’article L.351-2 (1°) », « soit un logement à usage locatif, faisant l’objet d’une convention intervenue en vertu des articles L.351-2 (2°, 3° ou 4°), L.325-1 ou L.431-6 ou d’un contrat d’amélioration intervenu en vertu de l’article 59 de la loi n°82-526 du 22 juin 1982 relative aux droits et obligations des locataires à des bailleurs », « soit un logement faisant l’objet d’un contrat de location-accession conclu dans les conditions prévues par la loi n°84-595 du 12 juillet 1984 définissant la location-accession à la propriété immobilière et qui a été construit ou acquis dans les conditions définies par l’article L.351-2 (6°). ».
Conformément à l’article 512-2 du Code des assurances sociales français, auquel renvoie l’article L.351-2-1 du Code de la construction et de l’habitation français, « bénéficient de plein droit des prestations familiales dans les conditions fixées par le présent livre les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne, des autres Etats parties à l’accord sur l’Espace économique européen et de la Confédération suisse qui remplissent les conditions exigées pour résider régulièrement en France, la résidence étant appréciée dans les conditions fixées pour l’application de l’article L.512-1.
Bénéficient également de plein droit des prestations familiales dans les conditions fixées par le présent livre les étrangers non-résidents d’un Etat membre de la Communauté européenne, d’un autre Etat parties à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse, titulaires d’un titre exigé d’eux en vertu soit de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux pour résider régulièrement en France. ».
Force est de constater que si l’APL peut certes aussi être allouée à des étudiants poursuivant des études supérieures qui en remplissent les conditions et couvre alors de facto les frais de logement, tel que cela est également le cas, en partie, des aides financières pour études supérieures, il ne se dégage toutefois pas des dispositions françaises précitées, que l’aide en question soit conditionnée par la qualité d’étudiant ou qu’elle ait pour objet de promouvoir les études supérieures à travers la prise en charge des frais de logement liés, le cas échéant, à la poursuite de telles études, l’aide étant au contraire allouée, sans distinction de la nationalité de l’intéressé, pour certains types de logements en fonction des ressources des concernés.
Le tribunal est dès lors amené à retenir que l’APL n’est pas à considérer comme équivalente aux aides financières pour études supérieures, la nature de ces aides, au regard plus particulièrement de leurs conditions d’octroi, n’étant pas la même et n’ayant d’ailleurs pas non plus la même finalité.
Il s’ensuit que le point a) de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 ne peut pas être appliqué en l’espèce.
D’autre part, l’APL n’étant pas conditionnée par la qualité d’étudiant poursuivant des études supérieures, le point b) de l’article 8, précité ne trouve pas non plus application.
Au regard des considérations qui précèdent, l’APL allouée en France à la partie demanderesse n’étant pas à qualifier d’aide équivalente au sens de l’article 8 point a) de la loi du 24 juillet 2014, ni d’avantage financier découlant du fait que le demandeur est un étudiant au sens du point b) du même article, c’est à tort que l’APL touchée en France a été déduite des aides financières pour études supérieures accordées à la partie demanderesse.
Les décisions faisant l’objet du présent recours encourent partant l’annulation pour autant que le ministre a déduit des bourses accordées à Monsieur …les sommes touchées par lui en France à titre d’APL, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner le moyen fondé sur une contrariété des dispositions de l’article 8 de la loi du 24 juillet 2014 par rapport au droit communautaire et à la Constitution, respectivement les contestations quant au quantum des sommes déduites, cet examen devenant surabondant.
Les parties demanderesse et intervenante sollicitent encore dans le dispositif de la requête introductive d’instance que le tribunal pose « toute question préjudicielle qui lui paraîtra pertinente à la Cour de Justice de l’Union européenne, respectivement à la Cour Constitutionnelle luxembourgeoise », demande qui est toutefois à rejeter pour n’être aucunement étayée.
Finalement, les parties demanderesse et intervenante sollicitent la condamnation de l’Etat au paiement d’un montant de 2.500 euros à titre d’indemnité de procédure, demande qui est à rejeter étant donné qu’il n’est pas établi en quoi il serait inéquitable de laisser à leur unique charge les frais non compris dans les dépens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
reçoit l’intervention volontaire de Madame … …en la forme ;
au fond, dit le recours introduit par Monsieur …justifié ;
partant annule les décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche des 20 novembre 2014 et 30 décembre 2014 pour autant que le ministre a déduit des bourses accordées à Monsieur …les sommes touchées par lui en France à titre d’aide personnalisée au logement et renvoie le dossier devant le ministre compétent ;
rejette la demande de saisine de la Cour de justice de l’Union Européenne ou de la Cour Constitutionnelle ;
rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique du 11 mai 2016, par le premier juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11/5/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 15