Tribunal administratif N° 37326 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2015 1re chambre Audience publique du 9 mai 2016 Recours formé par Monsieur …, … contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37326 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2015 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le ….
(Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant, d’une part, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 1er décembre 2015 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laura Urbany, en remplacement de Maître Faisal Quraishi, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 avril 2016.
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Le 6 octobre 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu le même jour par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Monsieur … fut ensuite entendu le 30 octobre 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 1er décembre 2015, notifiée au demandeur par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », après avoir résumé les déclarations de Monsieur … comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous vous sentiriez menacé à cause de votre homosexualité présumée. Celle-ci aurait mené à des difficultés avec vos parents qui auraient eu l’intention de vous marier à une femme, ainsi qu’avec des gens de votre village qui vous menaceraient par téléphone et internet. Vous auriez reçu de telles menaces après qu’un ami aurait révélé votre homosexualité il y a trois ou quatre mois.
Un jeune de votre village vous aurait frappé et menacé de mort. D’après vos dires, la police vous aurait ignoré quand vous auriez essayé de la solliciter en juillet 2015. En effet, vous précisez qu’ « Un policier m’avait demandé d’attendre. J’ai dû attendre deux ou trois heures. Ils ne m’ont même pas appelé par après ensuite je suis parti. » (p. 6/9 du rapport d’entretien).
Finalement, vous déclarez ne pas connaître des associations telles que des ONG qui défendent des intérêts LGBTI en Albanie qui auraient pu vous aider parce que vous auriez eu honte de demander de l’aide. Vous ajoutez que vous n’auriez pas été en contact avec d’autres personnes homosexuelles.
Enfin, il ressort du rapport d’entretien du 30 octobre 2015 qu’il n’y a plus d’autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.», informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre estima que les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande de protection internationale ne seraient pas suffisamment graves pour pouvoir retenir dans son chef l’existence d’une crainte fondée de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désignées par « la Convention de Genève ». A cela s’ajouterait que les agressions et menaces de mort dont il aurait été victime en raison de son homosexualité seraient constitutives de délits relevant du droit commun, punissables selon la loi albanaise. Il constata encore qu’il ne serait pas démontré que les autorités albanaises seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque à l’encontre des agissements dont il ferait état et qui émaneraient de personnes privées.
Après avoir encore relevé que les problèmes dont le demandeur fait état n’auraient qu’un caractère local, de sorte qu’il aurait pu s’installer dans une autre partie de son pays d’origine, le ministre conclut que les faits allégués par le demandeur ne pourraient pas, à eux-seuls, établir dans son chef une crainte fondée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses convictions politiques et que, par conséquent, il ne remplirait pas les conditions permettant de se voir octroyer le statut de réfugié.
Finalement le ministre estima que le récit de Monsieur … ne contiendrait pas non plus de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’il courrait un risque réel et sérieux de subir les atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
En conséquence, il constata que le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois était illégal et lui enjoignit de quitter ledit territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant, d’une part, principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre du 1er décembre 2015 portant rejet de sa demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans le même acte.
A titre liminaire, il y a lieu de relever que la loi du 5 mai 2006 a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », publiée au Mémorial A le 28 décembre 2015 et entrée en vigueur 3 jours après sa publication, soit le 1er janvier 2016, à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire.
Dans la mesure où, par l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires, se pose dès lors la question de savoir quelle loi est applicable en l’espèce.
En ce qui concerne les voies de recours à exercer contre une décision refusant l’octroi d’un statut de protection internationale et comportant l’ordre de quitter le territoire, seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires1. Il s’ensuit que la recevabilité des recours sous examen devra être analysée conformément aux dispositions de la loi du 5 mai 2006.
Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître, d’une part, du recours en réformation introduit, en 1 Trib. adm. 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 288 et l’autre référence y citée.
l’espèce, à titre principal contre la décision ministérielle du 1er décembre 2015 portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur …, et, d’autre part, du recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, lesdits recours étant par ailleurs recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai prévus par la loi du 5 mai 2006.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la décision portant rejet de la demande de protection internationale.
Quant à la loi applicable à l’examen du bien-fondé de la demande de protection internationale, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2, tandis que, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise3. Par ailleurs, la loi du 18 décembre 2015 reprend en substance, sauf quelques modifications de détail, concernant les dispositions de fond relatives à la fois au statut de réfugié et au bénéfice de la protection subsidiaire, les dispositions de la loi antérieure du 5 mai 2006. Il s’ensuit que, d’une part, la loi du 18 décembre 2015 est applicable en ce qui concerne l’examen du recours dirigé contre le refus de la protection internationale, et, d'autre part, la loi du 5 mai 2006 continue à s’appliquer pour l’analyse de la légalité de l’ordre de quitter le territoire.
1) Quant au recours visant la décision portant rejet de la demande de protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur renvoie en substance aux faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale, tels que retranscrits dans le rapport d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes du 30 octobre 2015.
Sur base de ces mêmes faits, il insiste plus particulièrement sur la situation de la communauté homosexuelle en Albanie où l’homosexualité serait encore considérée comme une déviance sexuelle maladive et où elle ne serait pas encore généralement acceptée. Il s’appuie à cet égard sur un extrait du rapport de la commission des réfugiés au Canada concernant les minorités sexuelles en Albanie pour en conclure que, même s’il pouvait être admis que l’Albanie a fait des progrès, il y aurait lieu de relativiser la situation puisque les quelques normes législatives entrées en vigueur ne changeraient pas la mentalité du pays. Le demandeur est encore d’avis que les prétendus progrès ne seraient qu’un moyen pour le gouvernement albanais de justifier son acte de candidature à l’Union européenne sans que la population ni les responsables politiques ne soient prêts 2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en reformation, n° 17 et l’autre référence y citée.
3 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en annulation, n° 17 et les autres références y citées.
à accepter socialement les homosexuels. Le refus d’accepter l’égalité et l’orientation sexuelle des homosexuels se ferait ainsi non seulement sentir au sein de la population albanaise, mais également au sein de la classe politique qui les rejetterait de manière officielle, le demandeur relevant à cet égard que la gay parade qui aurait dû se tenir à Tirana en 2012 aurait été annulée suite à des manifestations de particuliers et de politiques élus.
Le demandeur estime ensuite que, dans la mesure où l’Albanie ne respecterait pas les droits quant à l’orientation sexuelle de ses ressortissants, respectivement qu’elle ne veillerait pas au respect des droits de la communauté homosexuelle, il ne saurait raisonnablement lui être demandé de retourner y vivre pour y rester cloîtré chez lui, le demandeur insistant plus particulièrement sur le fait que, contrairement à ce que suggérerait le ministre, il ne serait en sécurité nulle part en Albanie, puisque la police albanaise serait laxiste et n’interviendrait pas dans les affaires de violences contre les homosexuels, de sorte que non seulement elle ne pourrait pas lui garantir une sécurité absolue, mais elle refuserait par ailleurs de ce faire.
Le demandeur fait finalement valoir que ce serait à tort que le ministre douterait de son homosexualité, alors que, d’une part, il ne rapporterait pas de preuve contraire et, d’autre part, il n’aurait soulevé ni contradictions, ni imprécisions ou déclarations mensongères dans son récit.
En droit, le demandeur reproche en substance au ministre d’avoir basé sa décision sur un examen superficiel et insuffisant des faits de l’espèce, respectivement d’avoir procédé à une analyse erronée de ces mêmes faits. Ainsi, contrairement aux conclusions retenues par le ministre, les menaces répétées, la tentative de meurtre et l’agression par un villageois dont il aurait été victime établiraient à suffisance dans son chef une crainte fondée de persécution. Le ministre n’aurait plus particulièrement pas tiré les conséquences qui s’imposeraient du fait de l’agression, des insultes homophobes et des menaces de mort dont il aurait été victime, ce d’autant plus que la police albanaise aurait refusé de lui venir en aide. Le demandeur estime dès lors qu’un retour en Albanie l’exposerait certainement à la mort, sinon à des traitements inhumains et dégradants dans un laps de temps plus ou moins court. Au vu de son récit, il ferait dès lors non seulement état de l’existence dans son chef d’une crainte suffisante pour se voir reconnaître le statut de réfugié, mais également celui conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement soutient quant à lui que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut au rejet du recours.
Aux termes de l'article 2 b) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […]», tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.
Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). ».
Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :
« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :
« a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.
Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquant, comme relevé ci-avant, tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.
En l’espèce, indépendamment de la qualification des faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale ou encore de la question de savoir si les actes invoqués sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de relever que les auteurs des agissements dont le demandeur a déclaré avoir été victime sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat.
Le demandeur ne peut dès lors faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités albanaises ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou si le demandeur a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.
En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale4. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut5.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre 4 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
5 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
En l’espèce, il ne ressort pas des déclarations du demandeur, ni des explications de son litismandataire, ni des pièces produites en cause, que les autorités albanaises compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de lui fournir une protection contre les agissements dont il déclare avoir été victime.
En effet, alors même que le demandeur a déclaré qu’il aurait été constamment menacé, insulté et agressé par des jeunes de son village, depuis que, trois ou quatre mois avant de quitter l’Albanie, son homosexualité aurait été révélé au grand jour, il ne s’est toutefois adressé qu’à une occasion, au début du mois de juillet 2015, à la police locale pour dénoncer ces agissements et ce alors même qu’il connaît l’identité des auteurs de ceux-ci. Or, il ne ressort pas de son audition, ni des explications de son litismandataire qu’à cette occasion, les policiers du commissariat local auraient refusé de l’aider ou d’enregistrer sa plainte. Le demandeur a au contraire déclaré qu’un policier lui aurait demandé d’attendre, mais qu’après avoir attendu deux ou trois heures au commissariat, il serait reparti parce que personne ne l’aurait appelé. Or, le seul fait que le demandeur ait dû patienter avant de pouvoir déposer une plainte ne permet pas de retenir que, de manière générale, il ne puisse pas obtenir une protection des autorités de son pays d’origine, respectivement que, de manière générale, la police albanaise refuse de l’aider.
Au lieu de baisser tout simplement les bras et de s’en aller, il lui aurait en tout état de cause appartenu soit de s’enquérir de la raison de cette attente, soit de repasser le lendemain pour déposer sa plainte, ce qu’il n’a toutefois pas fait.
Le demandeur reproche également à la police locale de ne pas s’être déplacée après qu’il ait été agressé et menacé de mort à la fin du mois de juillet 2015 par un dénommé Fabio. Si le comportement des policiers auxquels il s’est adressé témoigne certes d’un certain manque de zèle, il ne permet toutefois pas non plus de remettre en cause le fonctionnement des autorités policières albanaises de manière générale, ni de retenir que la police locale ait refusé de lui assurer une protection. En effet, outre le fait qu’il ressort du récit du demandeur qu’il n’aurait appelé la police que deux heures après l’agression dont il aurait été victime, de sorte qu’à ce moment-là, l’utilité d’un déplacement de la police aurait de toute façon été très limitée, rien ne l’aurait empêché de se rendre au commissariat pour déposer une plainte contre son agresseur dont il connaissait l’identité, ce qu’il est toutefois également resté en défaut de faire, sans fournir une quelconque explication quant à son inactivité.
Il y a finalement lieu de relever que le demandeur reste en défaut d’expliquer pour quelle raison, face aux réactions des policiers locaux auxquels il s’est adressé qu’il a jugées insatisfaisantes, il ne s’est pas dirigé vers les policiers d’un autre commissariat ou vers d’autres autorités de son pays d’origine, tel que l’Ombudsman qui est notamment chargé de traiter les plaintes contre les membres de la police.
En ce qui concerne finalement la situation générale prétendument difficile des homosexuels en Albanie qui se traduirait notamment par les difficultés rencontrées par ceux-ci pour se voir accorder une protection de la part des autorités policières, le tribunal constate, au regard de sources internationales citées tant par le demandeur que par la partie étatique, que la législation albanaise a connu une évolution positive à l’égard de la communauté LGBTI avec, en 2010, le vote d’une loi anti-discrimination, et, en 2013, le rajout dans le code pénal, d’une circonstance aggravante pour des atteintes commises, entre autres, en raison de l’orientation sexuelle de la victime de l’infraction, ainsi qu’avec l’adoption d’une loi sanctionnant toute forme de diffusion d’informations ou de matériel homophobes par une peine d’amende et d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 ans, ces dispositions renforçant ainsi les droits et libertés des membres de la communauté LGBTI. En termes de protection de ces droits et libertés, il ressort desdites sources, d’une part, que ces dernières années, le gouvernement albanais soutient la communauté LGBTI et condamne toute atteinte commise à leur encontre, le Premier Ministre ayant ainsi vivement critiqué et pris ses distances par rapport aux remarques homophobes faits par le ministre de la Défense lors d’une manifestation de la communauté LGBTI en 2012 et, d’autre part, que la police albanaise a été sensibilisée au sujet de la situation légale des LGBTI.
Le constat d’une amélioration tant théorique que pratique de la situation sécuritaire de la population LGBTI en Albanie fait par le ministre n’est en tout état de cause pas valablement infirmé par les éléments apportés par le demandeur.
Par ailleurs, s’il ne peut certes jamais être totalement exclu que, malgré l’évolution positive de l’attitude du gouvernement albanais à l’égard de la communauté LGBTI et de la volonté des autorités albanaises à créer un climat de tolérance et un système de protection efficace, les membres de la communauté homosexuelle en Albanie, tout comme d’ailleurs dans tout autre pays respectueux des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, soient victimes d’agressions et de menaces, il ne se dégage toutefois pas des éléments du dossier que, de manière générale, la situation de la communauté LGBTI en Albanie soit telle que ses membres soient systématiquement confrontés à des actes homophobes ou discriminatoires, respectivement que, lorsque tel est le cas, ils ne puissent pas obtenir une protection des autorités albanaises contre ces actes.
Le tribunal est dès lors amené à constater qu’au regard des éléments à sa disposition, il n’est pas établi que le demandeur ne puisse pas obtenir une protection suffisante de la part des autorités de son pays d’origine, respectivement qu’elles refuseraient de lui fournir une telle aide.
Il s’ensuit que le demandeur n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.
C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telle que présentée par le demandeur.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
En l’espèce, le demandeur fait valoir que suivant le principe de précaution, il serait hautement préférable de ne pas le reconduire dans un pays où il aurait fait l’objet de menaces attentatoires à sa sécurité et à son intégrité.
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder au demandeur un statut de protection internationale, le tribunal ayant retenu l’absence de risque de persécutions, respectivement d’atteintes graves en cas de retour en Albanie, de sorte qu’il a également valablement pu émettre l’ordre de quitter le territoire à son égard, sans violer le principe de précaution.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 1er décembre 2015 portant rejet d’un statut de protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 1er décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique du 9 mai 2016 par le premier juge en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Arny Schmit Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 mai 2016 Le greffier du tribunal administratif 12