Tribunal administratif N° 37622 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mars 2016 1re chambre Audience publique du 27 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37622 du rôle et déposée le 7 mars 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Iraq), de nationalité iraquienne, ayant élu domicile à l’étude de son mandataire sise à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 février 2016 par laquelle ledit ministre a décidé de le transférer vers la République Fédérale d’Allemagne, Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;
Vu l’ordonnance présidentielle du 11 mars 2016, inscrite sous le numéro 37623 du rôle ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mars 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Françoise Nsan-Nwet et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 18 avril 2016.
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Le 19 janvier 2016, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».
Le 4 février 2016, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Par décision du 17 février 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande en reconnaissance d’un statut de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et à celles de l’article 18, paragraphe 1b), du règlement Dublin III, au motif que ce serait l’Allemagne qui était responsable du traitement de sa demande de protection internationale, du fait qu’il y aurait introduit le 3 janvier 2016 une demande de protection internationale et que les autorités allemandes auraient accepté le 15 février 2016 de reprendre en charge l’examen de sa demande de protection internationale.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mars 2016, inscrite sous le numéro 37622 du rôle, le demandeur a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 17 février 2016.
Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 37623 du rôle, il fit également introduire une demande tendant à voir ordonner une mesure provisoire consistant en l’institution d’un sursis à exécution, sinon en l’obtention d’une autorisation de séjour provisoire sur le territoire luxembourgeois jusqu’au jour où le tribunal administratif aura statué sur le mérite de son recours au fond, demande dont il fut débouté par ordonnance présidentielle du 11 mars 2016.
Etant donné que l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en annulation contre la décision de transfert visée à l’article 28 (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation déposé contre la décision ministérielle déférée qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir quitté l’Iraq suite aux menaces dont il aurait été victime de la part des milices armées qui officieraient dans son quartier et pour échapper à l’état de guerre et à la menace constante d’être tué. Après avoir transité par la Turquie, il aurait rejoint l’Europe en passant par l’Autriche, pour finalement arriver en Allemagne. Il fait ensuite valoir que, dans la mesure où il serait d’origine kurde, il ne comprendrait pas la langue arabe. Lorsqu’il serait arrivé en bus en Allemagne le 25 décembre 2015, les autorités allemandes auraient demandé en anglais à Monsieur …, ainsi qu’aux autres migrants présents dans le bus, quel était leur pays de destination, tout en précisant que s’il ne s’agissait pas de l’Allemagne, ils seraient renvoyés en Autriche. A cette occasion, il aurait indiqué vouloir se rendre au Luxembourg, suite à quoi les autorités allemandes l’auraient informé qu’il ne disposait pas d’un titre de séjour régulier pour rester en Allemagne et que s’il souhaitait y rester, il devrait accepter d’y introduire une demande de protection internationale. Face à son refus, il aurait été renvoyé en Autriche. Il aurait ensuite de nouveau entrepris de se rendre au Luxembourg en repassant en janvier 2016 par l’Allemagne où il aurait une nouvelle fois été interpellé par les autorités avec les autres migrants qui l’accompagnaient. Il aurait alors de nouveau été informé qu’il serait renvoyé en Autriche, faute de disposer d’un titre de séjour régulier pour l’Allemagne. Ce serait dans ce contexte que les autorités allemandes auraient relevé ses empreintes digitales en lui indiquant que cette mesure serait purement administrative et qu’elle ne vaudrait pas demande de protection internationale. Il aurait ensuite été une nouvelle fois expulsé vers l’Autriche, mais comme il aurait toujours voulu se rendre au Luxembourg, il aurait de nouveau entrepris de s’y rendre pour finalement y déposer une demande de protection internationale le 19 janvier 2016.
Le demandeur insiste ensuite sur le fait qu’il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale en Allemagne puisque ce pays n’aurait constitué qu’une étape dans son voyage. Comme il aurait à plusieurs reprises informé les autorités allemandes qu’il souhaitait se rendre au Luxembourg et qu’il n’aurait signé aucune demande de protection internationale en Allemagne, la prétendue demande datée du 3 janvier 2016 à laquelle il serait fait référence dans la décision ministérielle du 17 février 2016 ne pourrait que résulter d’une erreur administrative.
En droit, le demandeur réitère avoir été victime d’une erreur administrative de la part des autorités allemandes qui auraient mal enregistré ses demandes lors de la prise de ses empreintes au cours de son transit sur le territoire allemand. Il affirme également ne pas avoir bénéficié de l’assistance d’un interprète kurde en Allemagne, de sorte que l’un de ses droits fondamentaux n’aurait pas été respecté. Le demandeur déplore dès lors que le ministre se soit déclaré incompétent pour connaître de sa demande de protection internationale au profit de l’Allemagne alors même qu’il n’y aurait introduit aucune demande de protection internationale.
Le demandeur se fonde ensuite sur l’article 3, paragraphe 1, du règlement Dublin III pour soutenir que les circonstances particulières de l’espèce et sa situation personnelle justifieraient que le ministre se déclare compétent pour examiner sa demande de protection internationale et ce plus particulièrement compte tenu de l’erreur matérielle dont seraient entachées les informations enregistrées dans son dossier administratif. A titre subsidiaire, il estime que le ministre aurait dû appliquer l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III au lieu de s’abstenir de rechercher si des raisons humanitaires justifiaient que les autorités luxembourgeoises examinent sa demande de protection internationale. Il invoque à cet égard plus particulièrement le risque élevé qu’il encourrait de subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH », en cas de transfert de l’Allemagne vers l’Iraq.
Quant à la décision ministérielle de transférer le demandeur vers l’Allemagne, celui-ci s’appuie sur l’article 54 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que sur l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et sur l’article 19, paragraphe 2, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, qui interdiraient au ministre de le transférer vers l’Allemagne puisqu’il y risquerait d’être renvoyé en Iraq où il courrait le risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH. En effet, le ministre devrait s’assurer que le rapatriement d’une personne vers un autre Etat n’est pas contraire au principe de non refoulement, y compris dans le cadre d’un refoulement indirect et par le biais du règlement Dublin III. Or, en l’espèce, le ministre n’aurait pas recherché si l’Allemagne avait pris toutes les garanties nécessaires pour qu’il ne soit pas soumis à un traitement contraire à l’article 3 CEDH, ni tenu compte des risques réellement encourus en Iraq.
La décision ministérielle déférée encourrait dès lors l’annulation pour avoir été adoptée en violation des articles 54 de la loi du 18 décembre 2015 et 3 de la CEDH.
Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Le tribunal relève tout d’abord que la décision ministérielle déférée, qui a été prise en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, a, conformément à cette même disposition, un double objet, à savoir, d’une part, celui de transférer la personne concernée vers l’Etat membre compétent de sa demande de protection internationale, et, d’autre part, celui de ne pas examiner sa demande de protection internationale, ce dernier volet étant la conséquence du premier volet de la décision.
En effet, aux termes de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».
L’article 18, paragraphe 1b), du règlement Dublin III, dans le cadre duquel s’inscrit plus particulièrement la décision déférée, est libellé comme suit : « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu du : […] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre. ».
Il s’ensuit que si, en vertu d’un des critères du règlement Dublin III, un autre Etat membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale introduite au Luxembourg par un ressortissant d’un Etat tiers et si ce pays accepte la reprise en charge de ce dernier, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.
Le tribunal constate qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est motivée par le fait, d’une part, que le demandeur a déposé le 3 janvier 2016 une demande de protection internationale en Allemagne, de sorte que les autorités allemandes seraient responsables de sa demande de protection internationale sur le fondement de l’article 18, paragraphe 1b), du règlement Dublin III, et, d’autre part, que l’Allemagne a accepté le 15 février 2016 la reprise en charge de l’examen de la demande de protection internationale y déposée par Monsieur ….
Le tribunal constate que le bien-fondé de cette motivation ressort à la fois des résultats des recherches effectuées dans la base de données EURODAC versés au dossier et du courrier des autorités compétentes allemandes du 15 février 2016.
Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que, contrairement à ce qui est affirmé par le demandeur, celui-ci a déposé une demande de protection internationale en Allemagne avant de venir au Grand-Duché de Luxembourg et que cette demande est toujours en cours d’examen, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a constaté que l’Allemagne est à considérer comme étant l’Etat membre responsable du traitement de sa demande de protection internationale au sens de l’article 18, paragraphe 1b), du règlement Dublin III et a en conséquence décidé de l’y transférer.
L’argumentation du demandeur suivant laquelle la reconnaissance par les autorités allemandes serait le résultat d’une erreur administrative n’est pas de nature à énerver la légalité de la décision du ministre, étant donné qu’il appartenait seulement au ministre d’examiner si un autre Etat membre a accepté sa compétence au vu de la demande de protection internationale y déposée par le demandeur, mais il n’avait pas à examiner le bien-
fondé de cette acceptation, sous réserve de l’application de l’article 17 du règlement Dublin III1.
A titre superfétatoire, le tribunal relève encore que, pour ce qui est de la contestation par le demandeur de la compétence de principe de l’Etat allemand, celle-ci est à rejeter pour être contraire aux faits établis, son affirmation selon laquelle il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale en Allemagne devant en particulier être écartée comme étant contredite par les pièces versées en cause.
La décision ministérielle de transférer le demandeur en Allemagne et de ne pas examiner sa demande de protection internationale en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe 1b), du règlement Dublin III n’encourt dès lors aucune critique.
En ce qui concerne ensuite l’invocation par le demandeur de l’article 17 du règlement Dublin III, le tribunal relève que le recours à la clause discrétionnaire, telle qu’inscrite à cet article, aux termes duquel, « […] chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. L’Etat membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. […] », est soumis à une limitation.
En effet, s’il est vrai que lorsqu’en application des critères du règlement Dublin III, l’Etat luxembourgeois n’est pas responsable de l’examen de la demande, il peut malgré tout décider d’examiner une demande de protection internationale en vertu de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 du règlement Dublin III, cette possibilité relève cependant du pouvoir discrétionnaire du ministre, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres2. Si un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge3, et qu’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée4, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu d’annuler la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal.
Plus précisément, en ce qui concerne la situation où, comme en l’espèce, un Etat membre a accepté la reprise en charge d’un demandeur d’asile, le demandeur ne peut mettre en cause cette décision qu’en invoquant l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans cet Etat membre qui constituent des motifs sérieux et avérés de croire que ledit demandeur courra un risque réel 1 Par analogie : CJUE, grande chambre, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.
2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.
3 « Les limites du pouvoir discrétionnaire des autorités administratives », in Rapports belges du VIIe Congrès international de Droit comparé, CIDC, 1966, p.449.
4 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.
d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne5.
Il y a en effet lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard6. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping » l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants78. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption - réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées9.
En l'espèce, force est tout d'abord de constater que l'Etat luxembourgeois devait non pas refouler le demandeur en Iraq, mais le transférer en Allemagne suite à l'accord de reprise en charge des autorités allemandes. Il s'ensuit que le ministre n'avait en tout état de cause pas à prendre en compte les risques de torture, sinon de traitements inhumains ou dégradants, le cas échéant, encourus par le demandeur au sens de l'article 3 CEDH en cas de retour en Iraq.
En ce qui concerne plus particulièrement le transfert prévu en Allemagne, il y a lieu de constater que le demandeur ne fait pas état des moindres défaillances de la procédure d'asile ou des conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Allemagne, le demandeur n'invoquant lui-même pas que sa demande d'asile aurait été ou risquerait d’être traitée de manière inadéquate par l’Allemagne. Les seules craintes mises en avant par le demandeur ont en effet trait aux éventuels traitements inhumains ou dégradants qu'il risquerait de subir en cas de transfert par les autorités allemandes en Iraq. Il s'ensuit que le demandeur reste en défaut d'établir, voire seulement d'alléguer, concrètement l'existence en Allemagne de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile, et plus spécifiquement le non-respect par les autorités allemandes de l'obligation de non refoulement, respectivement le défaut de possibilité de recours contre une décision des autorités allemandes qu’il estimerait contraire à ce principe, qui impliqueraient que le ministre, en n'invoquant pas la clause de souveraineté inscrite à l'article 17 du règlement Dublin III, se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d'appréciation.
Il y a encore lieu de relever que le transfert du demandeur vers l’Allemagne ne constitue que l'exécution matérielle de la décision d'incompétence du ministre et de la décision de compétence des autorités allemandes. Force est encore de constater que 5 CJUE, grande chambre, 10 décembre 2013, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, C-394/12, point 62.
6 Arrêt du 21 décembre 2011, N.S. e.a., op.cit., point 78.
7 Ibidem, point. 79.
8 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib.adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.
9 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.
l’Allemagne fait partie des Etats signataires de la Convention de Genève, l’Allemagne ayant en effet ratifié ladite Convention en date du 26 octobre 1954. Il s'ensuit que la défense d'expulsion et de refoulement telle qu'ancrée à l'article 33 de ladite Convention s'impose en principe également à l’Allemagne. Ainsi, le tribunal est amené à retenir que, par analogie à l'article 30 de la loi du 18 décembre 2015, l’Allemagne peut être considérée comme « pays sûr », dans la mesure où, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de la Convention de Genève, elle doit observer les droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques, respectivement la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, toute demande de protection internationale au Luxembourg d'un ressortissant de l’Allemagne étant par ailleurs et en conséquence conformément à l'article 28 (2), f) de la loi du 18 décembre 2015 irrecevable. De même, elle doit assurer un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés, de sorte que le demandeur doit en principe être en mesure de faire valoir ses droits de façon efficiente en Allemagne. Il s'ensuit que, même à admettre pour les besoins de la discussion, que le Luxembourg soit responsable de veiller à ce que la décision attaquée n’expose pas le demandeur à un traitement contraire à l'article 3 CEDH en cas d’expulsion par les autorités allemandes dans l’hypothèse où sa demande de protection internationale y était rejetée définitivement, il ne ressort pas des éléments d'information fournis par le demandeur, qu'il existe un risque réel que, si sa vie et sa liberté étaient menacées en Iraq, l’Allemagne l'y expulserait, et ce en violation de l'article 3 CEDH. Il s'ensuit que le ministre a valablement pu partir du principe, non énervé en l’espèce, que l’Allemagne veillera à ce que le demandeur ne soit pas exposé à des traitements contraires à l’article 3 CEDH.
Au vu des considérations qui précèdent, le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Annick Braun, premier juge, Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, et lu à l’audience publique du 27 avril 2016 par le premier juge en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28/4/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 7