Tribunal administratif N° 35867 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 février 2015 Ire chambre Audience publique du 27 avril 2016 Recours formé par Madame …, … contre trois décisions du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche en matière d’homologation de diplômes
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35867 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2015 par Maître Hervé Hansen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation 1) d’un arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche du 2 décembre 2014 lui accordant le titre de « Master en sciences d’éducation spécialisée et le titre orthophoniste », 2) d’un arrêté du même ministre du 17 décembre 2014 reconnaissant équivalent à la qualification professionnelle luxembourgeoise d’orthophoniste son diplôme serbe de diplômé en éducation spécialisé option orthophonie sous condition de se soumettre à des épreuves d’examen de pratique professionnelle et 3) d’une décision implicite de rejet du même ministre suite à son recours gracieux du 29 septembre 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 mai 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juin 2015 par Maître Hervé Hansen pour compte de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Hervé Hansen, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.
Par courrier du 27 avril 2013, Madame … demanda au ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle de reconnaître l’équivalence de son diplôme universitaire en orthophonie et de son Master of Science en orthophonie au diplôme universitaire en orthophonie, respectivement au master en sciences en orthophonie.
Par courrier du 6 septembre 2013, le ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle demanda à Madame … la production de certificats attestant de son niveau de compétence dans les trois langues nationales, certificats qu’elle fit parvenir au ministère compétent par courrier du 6 mai 2014.
Par arrêté du 30 juin 2014, le ministre de l’Education supérieur et de la Recherche, entretemps en charge du dossier, ci-après dénommé « le ministre », refusa la reconnaissance d’équivalence du diplôme serbe de diplômée en éducation spécialisée option orthophonie au diplôme d’Etat luxembourgeois d’orthophoniste, de même que l’inscription de Madame … au registre des titres professionnel prévu à l’article 2(3) de la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur, dénommée ci-après « la loi du 17 juin 1963 ».
Par recours gracieux du 29 septembre 2014, Madame … demanda par le biais de son litismandataire l’inscription au registre des titres de formation et au registre des titres professionnels des diplômes de 2000 et de 2012 obtenus en Serbie pour être autorisée à porter les titres de « Graduate Special Educator and Rahibilitator in Speech and Language Pathology », respectivement de « Master of Science in Special Education and Rehabilitation – Scientific field : Speech and Language Pathology » et « la reconnaissance comme diplôme d’orthophoniste » des deux diplômes.
Par arrêté du 7 novembre 2014, le ministre décida que le titre de diplômée en éducation spécialisée option orthophonie de Madame … est inscrit au registre des diplômes prévu à l’article 1er de la loi du 17 juin 1963 et qu’elle peut porter le titre de « diplômée en éducation spécialisée option orthophonie ».
En date du 2 décembre 2014, le ministre prit un arrêté qui fut libellé comme suit :
« (…) Vu la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur ;
Vu le règlement grand-ducal du 3 décembre 1963 fixant la composition et le fonctionnement de la commission prévue à l’article 2 de la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur, ainsi que la tenue du registre des diplômes ;
Vu la demande présentée en date du 7 novembre 2014 par Madame …, née le … à … et les pièces produites à l’appui de cette demande ;
Vu le diplôme délivré au requérant par l’Université de Belgrade – Faculté de l’Education et de la Réhabilitation Spéciale en juin 2012 et lui conférant le titre de Master en sciences d’éducation spécialisée et le titre orthophoniste ;
Considérant que le présent titre peut être classé selon le niveau 5° conformément à l’article 6 de la loi du 19 juin 2009 ayant pour objet la transposition de la directive 2005/36/CE pour ce qui est a) du régime général de reconnaissance des titres de formation et des qualifications professionnelles et b) de la prestation temporaire de service.
Vu l’avis de la commission des titres en date du 25/11/2014 ;
Arrête :
Art. 1er. – Le titre de Master en sciences d’éducation spécialisée et le titre ortohponiste de Madame … est inscrit au registre des diplômes prévu à l’article 1er de la loi modifiée du 17 juin 1963 ayant pour objet de protéger les titres d’enseignement supérieur.
Le titre à porter par Madame … est :
Master en sciences d’éducation spécialisée et le titre orthophoniste. (…) ».
Par arrêté du 17 décembre 2014, le ministre décida que « (…) le diplôme serbe de diplômé en éducation spécialisé option orthophonie de Madame … sera reconnu équivalent à la qualification professionnelle luxembourgeoise d’orthophoniste, sous condition que la requérante, se soumette à des épreuves d’examen de pratique professionnelle (théorique et pratique)(…) ».
Par courrier du 29 décembre 2014, le litismandataire de Madame … demanda au ministre de se voir communiquer les modalités précises des épreuves d’examen de pratique professionnelle.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 février 2015, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de l’arrêté précité du 2 décembre 2014, de l’arrêté précité du 17 décembre 2014 et de la décision implicite de rejet suite à son recours gracieux du 29 septembre 2014.
Comme l’article 4 de la loi du 17 juin 1963, prévoit un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision déférée.
Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.
Quant à la recevabilité du recours en réformation, le délégué du gouvernement soutient dans son mémoire en réponse que le recours serait devenu sans objet au motif qu’en date du 6 mai 2015, le ministre aurait accordé à Madame …, d’une part, « la reconnaissance de la profession d’orthophoniste » et, d’autre part, « le titre de Master en sciences d’éducation spécialisée et orthophoniste ». Il rajoute, dans son mémoire en duplique, qu’en date du 15 juillet 2015 le diplôme de Master en sciences d’éducation spécialisé du 11 juin 2012 est reconnu et inscrit au registre des titres professionnels.
A l’audience des plaidoiries, le litismandataire de la demanderesse a affirmé vouloir maintenir le recours uniquement en ce qui concerne la demande d’une indemnité de procédure de l’ordre de 2.500 euros réclamée dans la requête introductive d’instance et en se rapportant à ses écrits quant à l’objet du recours au regard des pièces versées par la partie étatique.
La recevabilité d’un recours est en principe conditionnée par l’existence et la subsistance d’un objet qui s’apprécie sur la période allant de l’introduction du recours au prononcé du jugement. Si, suite à l’introduction du recours, l’acte dont l’annulation ou la réformation est recherchée par le dépôt du recours disparaît, le recours devient sans objet, le demandeur n’ayant par ailleurs a priori et sauf circonstances particulières, plus aucun intérêt à poursuivre un recours contre un acte inexistant qui, par définition, ne lui fait plus grief.
En l’espèce, il se dégage des deux arrêtés ministériels du 6 mai 2015 et de celui du 14 juillet 2015 que le ministre a d’une part reconnu les diplômes de Madame … aux fins de l’accès aux activités professionnelles d’orthophoniste et leur inscription au registre des titres professionnels prévu à l’article 2 (3) de la loi du 17 juin 1963.
Le tribunal constate dès lors que le ministre est revenu sur ses décisions de ne pas inscrire les titres de Madame … sur le registre des diplômes, respectivement de ne pas reconnaître ses diplômes comme étant équivalent à la qualification professionnelle luxembourgeoise que sous condition de se soumettre à des épreuves d’examen de pratique professionnelle, telles qu’elles étaient cristallisées dans les décisions déférées, de sorte que suite à la reconnaissance et de l’inscription des diplômes de Madame … au registre des titres professionnels prévu à l’article 2 (3) de la loi du 17 juin 1963 et au registre des diplômes prévu à l’article 1er de la loi du 17 juin 1963, le ministre a implicitement mais nécessairement révoqué les décisions litigieuses. Il s’ensuit que le recours sous examen introduit le 16 février 2015 a perdu son objet en cours d’instance et est partant à déclarer irrecevable.
Concernant la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 2.500 euros formulée par la partie demanderesse, il y a lieu de rappeler que cette prétention procède d’une cause juridique particulière et autonome, à savoir l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après dénommée « la loi du 21 juin 1999 ». Il s’ensuit que l’irrecevabilité du recours pour autant qu’il tend à l’annulation ou à la réformation des décisions ministérielles déférées n’implique pas l’irrecevabilité de la demande en allocation d’une indemnité de procédure, de sorte qu’il échet d’en examiner le mérite.
Lors de l’audience des plaidoiries, le délégué du gouvernement s’est opposé à l’indemnité de procédure réclamée en faisant valoir que l’Etat n’aurait commis aucune faute en l’espèce.
Aux termes de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 : « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ».
Le tribunal est amené à retenir qu’eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, du fait d’un recours gracieux, la partie demanderesse a été obligée à introduire une instance en justice nécessitant la représentation obligatoire par un avocat en vue de faire réformer la décision du ministre refusant l’inscription de ses diplômes, respectivement de son titre aux registres respectifs prévus par la loi du 17 juin 1963, inscriptions qui ont néanmoins finalement été acceptées au cours de la phase contentieuse par le ministre, de sorte qu’il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame … les sommes exposées par elle pour faire valoir ses droits et qui ne sont pas compris dans les dépens1.
Il s’ensuit que la prétention de la demanderesse est justifiée en son principe, et qu’elle est évaluée ex aequo et bono par le tribunal au montant de 1.500 euros. Il y a dès lors lieu de condamner l’Etat à payer à la demanderesse la somme de 1.500 euros à titre d’indemnité de procédure.
1 trib. adm. 21 mars 2012, n° 29057 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 927 ; Cour adm. 7 octobre 2010, n° 26555C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 926 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare irrecevable le recours en réformation ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne l’Etat à payer à Madame … une indemnité de procédure de 1.500 euros ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 27 avril 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27/04/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 5