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18/04/2016 | LUXEMBOURG | N°36374

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 avril 2016, 36374


Tribunal administratif N° 36374 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2015 2e chambre Audience publique du 18 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, Esch-sur-Alzette contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36374 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2015 par Maître Nicky Stoffel, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le...

Tribunal administratif N° 36374 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2015 2e chambre Audience publique du 18 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, Esch-sur-Alzette contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36374 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2015 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, erronément désigné par « le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration », du 19 mai 2015, refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Marcel Marigo en remplacement de Maître Nicky Stoffel et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 mars 2016.

En date du 29 janvier 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après la « loi du 5 mai 2006 ».

Il fut entendu, le même jour, par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg en vue du dépôt de sa demande de protection internationale.

Il fut auditionné en date du 11 février 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, afin de déterminer l’Etat membre 1 responsable de l’examen de sa demande de protection internationale conformément au règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le Règlement Dublin III.

Il fut encore entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale en date des 25 mars et 20 avril 2015.

Par décision du 19 mai 2015, notifiée à l’intéressé par envoi recommandé du 22 mai 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours à destination du Monténégro ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner. Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« Monsieur, J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 29 janvier 2015.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 29 janvier 2015.

Il ressort dudit rapport que vous êtes entré en territoire Schengen le 24 janvier 2015 de façon légale en passant de la Serbie en Hongrie au poste-frontière de ….

Vous présentez un passeport monténégrin, no. …, émis le 24.01.2014 par les autorités monténégrines et valable jusqu'au 24.01.2024.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien Dublin III du 11 février 2015 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 25 mars et 20 avril 2015 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez fui votre pays d'origine à cause des problèmes que vous auriez eus avec un groupe de trafiquant de drogues. Selon vos dires, vous auriez habité à …, ville frontalière avec le Kosovo.

2 En date du 28 décembre 2009, vous auriez été arrêté ensemble avec votre ami … en République de Serbie « en possession de drogues (2 kg d'héroïne)» (page 3/11). Selon vos dires, vous auriez été condamné à cinq ans de prison. Néanmoins, vous auriez été relâché après 3 ans et 10 mois en raison d'une amnistie « qui concernait les personnes qui ont commis un délit pour la première fois et qui n'ont pas commis un délit grave comme viol ou meurtre » (page 4/11).

Lors de votre sortie de prison, vous citez qu' « on m'a demandé de continuer avec le même business » (page 3/11). Ils (vous parlez des Albanais du Kosovo) vous auraient laissé le choix entre d'une part « rembourser la drogue confisquée par la police » ou bien d'autre part « travailler de nouveau pour eux » (page 5/11). Vous auriez en vain demandé à vos agresseurs un délai de remboursement de deux ans pour leur virer l'équivalent en argent de la valeur de la drogue saisie par les forces de l'ordre, somme estimée à 35.000.-€. Deux jours avant votre départ, vous prétendez même qu' « on m'a mis le pistolet dans ma bouche, on m'a menacé pour la dernière fois » (page 5/11).

Afin d'échapper à vos agresseurs, vous vous seriez caché au sein de votre famille (mère, soeur et cousins) à différents endroits en changeant toutefois régulièrement votre cachette.

Vous esquivez dans votre déclaration avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que par peur, vous n'auriez pas dénoncé votre calvaire à la police locale. Vous affirmez que « je suis très conscient que le business (trafic de drogues) de cette envergure ne se fait pas sans l'implication de la police » (page 7/11). De même, vous déclarez que lors de votre procès, vous n'auriez jamais relevé l'identité de vos donneurs d'ordre au procureur d'[E]tat.

Il y a lieu de noter que vous avez versé plusieurs documents pour étayer vos dires. Il s'agit en l'occurrence de copies de jugement de la Cour suprême de Justice de Cacak, vous condamnant à une peine de prison pour trafic illégal et vente de drogues à l'intérieur de la République de Serbie.

Enfin, il ressort du rapport d'entretien des 25 mars et 20 avril 2015 qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de votre demande de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, votre demande de protection internationale est évaluée par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève 3 Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de ta prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui [craint] avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amené à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis de lesdites Convention et loi.

Monsieur, les actes invoqués (menaces, agressions) que vous déclarez avoir subis de la part de membres d'une organisation criminelle, constituent des délits et crimes relevant du droit commun, punissables selon la loi monténégrine et ne sauraient être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. Ces faits ne sauraient constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu'ils ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1 er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

En outre, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas du rapport d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre des membres de cette « mafia ». Vous indiquez vous-même que vous n'auriez jamais porté plainte contre vos agresseurs. Par conséquent, aucun reproche ne saurait être prononcé à l'encontre des autorités monténégrines. Le simple fait que vous n'auriez pas porté plainte contre vos agresseurs parce que vous auriez eu peur et parce que vous craignez que ces derniers pourraient s'attaquer à votre famille, ne saurait pas justifier votre inaction dans ce domaine.

4 Ainsi, on peut noter au sujet des authorités monténégrines et de la lutte contre le trafic de drogues et le crime organisé que: « The amount of seized drugs rose of around 30 % compared to 2012. A total of 1 338 kg of cannabis and 7.1 kg of heroin were seized both at border crossings and within Montenegro. In June 2014 the police, in close cooperation with the customs, seized 250 kg of cocaine on a ship in the port of Bar which came from Ecuador. The market value of the seized drugs is estimated at € 12.5 million. New criminal cases were opened, while various police operations are ongoing, including in cooperation with international partners. A risk-assessment analysis and a technical equipment needs assessment for the port of Bar were jointly developed by the police and customs authorities, to improve checks on passengers and goods; joint control teams were formed and premises allocated. Sustainable implementation of these measures remains crucial, as Montenegro is on the main drug trafficking routes throughout the Western Balkan region. Cooperation with the European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction continued and Montenegro participated in training on the early warning system and in meetings of the European information network on drugs and drug addiction (Reitox). As regards customs cooperation, representatives of the administration took part in joint operations organised by the European Anti-Fraud Office. Following the adoption of the risk analysis for the port of Bar, relevant profiles were entered into the customs administration's risk management system; they are also available to the police. ». Il n'est donc nullement établi que vous n'auriez pas pu compter sur la protection des autorités monténégrines.

Ce constat est renforcé par le fait qu'il ressort des informations en nos mains qu'une opération conjointe des ministères de la Justice serbe et monténégrin a mené à l'arrestation d'un chef d'un cartel de la drogue, …, dit « le roi de la cocaïne dans les Balkans », en fuite depuis plus de quatre ans. De même, déjà en juillet 2011, la police monténégrine avait arrêté l'épouse et le frère de …, « parrain de la drogue ». En février 2013, la justice serbe a ouvert une enquête sur des contacts présumés de hauts responsables avec des personnes soupçonnées d'appartenir au crime organisé.

En outre, il y a lieu de préciser que la lutte contre le crime organisé est l'une des conditions imposées par l'UE aux pays des Balkans en échange de leur rapprochement avec le bloc des 28.

On peut également noter que: «A community police officer is located at approximately 122 'contact sites' throughout Montenegro. According to one deputy commander, each site aims to cover around 2.5- 3km2 and contain about 2500 to 3000 inhabitants. It is claimed that one quarter of the Montenegrin population has access to a community police officer and that 40% of Podgorica is covered by the programme. The stated objective is to cover the entire country and to export the programme from uniformed police to other branches of the Directorate, including traffic police and criminal police. (…) Criminal investigation (CID) was presented to the researcher as being one of the most structurally reformed aspects of the Montenegrin Police Directorate. CID figures prominently in the Directorate's long term strategy that anticipates a 'high degree of efficiency and training in fighting all forms of crime, especially terrorism, organized crime and corruption'. ».

5 Quoi qu'il en soit, il y a lieu de signaler que vous auriez eu la possibilité de vous plaindre auprès des autorités compétentes si vous étiez d'avis que les policiers ne feraient pas convenablement leur travail, voire, qu'ils seraient impliqués dans le crime organisé: « The national and border police were responsible for law and order. They worked under the supervision of the Ministry of Interior and Public Administration and were generally effective. In 2009 internal control responsibility was moved from the Police Directorate to the Ministry of Interior and Public Administration in an effort to improve control of the police force. ».

« During the year the Department for Internal Control of Police Operations received 95 complaints concerning police conduct, compared with 112 during 2009. The department found 14 cases justified and 81 unjustified. Police stated that they took disciplinary actions in response to those complaints they considered justified. Although there is a legally mandated agency, the Council for Civilian Control of Police Operations, to which citizens could address complaints of abuse, it is only empowered to make recommendations. Since its establishment in 2004, the council has reviewed and forwarded approximately 400 citizen complaints. (…) The commission reported that disciplinary measures were imposed on 124 police officers in this period, white from February to July, criminal charges were brought against 27. ».

Par ailleurs, vous auriez pu faire p[art] de vos problèmes à l'instance de l'« Ombudsman », instance compétente à recevoir toute plainte dans les domaines de la discrimination et mauvais traitements de la part des autorités publiques. Il importe d'abord de noter que vous auriez donc eu la possibilité de vous défendre et de faire valoir vos droits devant un tribunal.

« En ce qui concerne l'institution du Défenseur des droits de l'homme et des libertés (ombudsman), l'Assemblée: 18.1. se félicite de l'adoption en juillet 2011 de la loi sur le Défenseur des droits de l'homme et des libertés du Monténégro (ombudsman) qui, selon les termes de la loi de lutte contre la discrimination de 2010, est le mécanisme national de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants dans le cadre du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT) et le mécanisme national de prévention des discriminations et de protection contre ces pratiques; ».

Le rapport continue à souligner le rôle accru de l'Ombudsman au sein de la société monténégrine: « Nous avons été satisfaits d'apprendre que l'influence du Défenseur des droits de l'homme et des libertés du Monténégro (Ombudsman) s'accroît, que ses recommandations sont suivies par les institutions compétentes dans la grande majorité des affaires (avec, toutefois, un retard important) et que sa coopération avec la société civile s'est nettement améliorée.

L'Ombudsman verra en effet son rôle renforcé suite à l'adoption de la loi de lutte contre la discrimination en 2010 (voir ci-dessous) qui définit l'Ombudsman comme un mécanisme national de prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains, dans le cadre du Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (OPCAT) et comme un mécanisme national de prévention des discriminations et de protection contre ces pratiques. (…) ».

6 Il convient ensuite de constater que vous auriez pu coopérer, dès le début de votre arrestation, avec les instances de la Justice serbe afin de pouvoir profiter d'une réduction de peine et ainsi obtenir une protection pour vous et votre famille à l'égard de vos agresseurs. Vous confirmez dans vos propos que vous auriez refusé de citer le nom du responsable du trafic de la drogue. Il est d'autant plus étonnant que vous n'hésitez à aucun moment pour divulguer son nom, …, apparemment de nationalité albanaise, vivant à Pec au Kosovo, lors de votre entretien avec l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date des 25 mars et 20 avril 2015.

Vous acceptez plutôt une longue peine d'emprisonnement à votre encontre, au lieu de pouvoir bénéficier d'une protection de la part des autorités serbe[s], voire monténégrines.

Relevons qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. S elon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort uniquement de vos dires que « le Monténégro est un pays très petit » et qu' « ils (vous parlez des Albanais du Kosovo) connaissent les gens là-bas » (page 9/11). Or, il n'est pas établi en l'espèce que vous n'auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation à l'intérieur du Monténégro, notamment à un endroit où personne n'aurait été au courant de votre passé, pour ainsi échapper à vos problèmes. Vous ne soulevez donc pas de raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécuté dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire 7 L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez quitté le Monténégro parce que vous auriez eu des problèmes liés à votre ancienne vie comme courrier de drogue.

Etant donné que les faits invoqués à la base de votre demande de protection internationale ne sauraient être actuellement admis comme justifiant à suffisance une crainte de persécution ; dès lors, et a fortiori, l'absence matérielle de crainte actuelle fondée s'impose également en ce qui concerne la demande tendant à obtenir la protection subsidiaire. En effet, vous ne faites pas état d'un jugement ou d'un risque de jugement vous condamnant à la peine de mort. Vous ne faites également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants ou de risques réels émanant d'une violence aveugle résultant d'un conflit armé interne ou international. Ainsi, rien ne s'oppose à un retour dans votre pays d'origine.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de votre demande ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptible de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Monténégro, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner (…) ».

8 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 19 mai 2015 portant rejet de sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans la même décision.

A titre liminaire, il y a lieu de relever que la loi du 5 mai 2006 a été abrogée par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », publiée au Mémorial A le 28 décembre 2015 et entrée en vigueur 3 jours après sa publication, soit le 1er janvier 2016, à défaut de disposition spéciale de mise en vigueur contraire.

Dans la mesure où, par l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans prévoir de mesures transitoires, se pose dès lors la question de savoir quelle loi est applicable en l’espèce.

En ce qui concerne les voies de recours à exercer contre une décision refusant l’octroi d’un statut de protection internationale et comportant l’ordre de quitter le territoire, seule la loi en vigueur au jour où la décision a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires1. Il s’ensuit que la recevabilité des recours sous examen devra être analysée conformément aux dispositions de la loi du 5 mai 2006.

Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, le tribunal est compétent pour connaître, d’une part, du recours en réformation introduit, en l’espèce, contre la décision ministérielle du 19 mai 2015 portant rejet de la demande de protection internationale de Monsieur … et, d’autre part, du recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, lesdits recours étant par ailleurs recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai prévus par la loi du 5 mai 2006.

Quant à la loi applicable à l’examen du bien-fondé de la demande de protection internationale, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d'un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse2, tandis que, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d'une décision administrative s'apprécie en considération de la 1 Trib. adm. 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 288 et l’autre référence y citée.

2 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en reformation, n° 17 et l’autre référence y citée.

9 situation de droit et de fait au jour où elle a été prise3. Par ailleurs, la loi du 18 décembre 2015 reprend en substance les dispositions de fond de la loi antérieure du 5 mai 2006 quant au statut de réfugié et au bénéfice de la protection subsidiaire, à l’exception de quelques modifications de détail. Il s’ensuit, d’une part, que la loi du 18 décembre 2015 est applicable quant au refus ministériel d’accorder la protection internationale, et, d'autre part, que la loi du 5 mai 2006 demeure applicable pour l’analyse du bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire.

1. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours, le demandeur, ressortissant monténégrin, d’ethnie bosniaque et de confession musulmane, expose en substance avoir dû fuir son pays d’origine en raison des menaces dont il aurait fait l’objet suite à un trafic de stupéfiants. Il explique qu’après avoir purgé en Serbie, une peine réduite à 3 ans et 10 mois, après amnistie, sur une condamnation à 5 ans d’emprisonnement pour avoir détenu, avec un complice, des stupéfiants en vue de leur revente en République Serbe, il aurait fait l’objet d’un chantage de la part de malfaiteurs, des « Albanais du Kosovo », pour lesquels il aurait agi en tant que revendeur de stupéfiants. Il fait valoir que ceux-ci l’auraient forcé soit à reprendre les affaires pour leur compte soit à rembourser les sommes équivalentes aux stupéfiants saisis lors de son arrestation, à savoir un montant de 35.000 euros. Il indique qu’ayant refusé, à sa sortie de prison, de poursuivre son activité illicite pour le compte desdits malfaiteurs, il aurait été contraint à rembourser le montant dû. Il donne à considérer que malgré l’octroi d’un délai de grâce de 2 ans pour s’acquitter du paiement, il aurait été dans l’impossibilité d’honorer sa dette. Il rapporte avoir alors été menacé tant verbalement que physiquement au moyen d’un revolver, situation qui l’aurait contraint, dans un premier temps, à se cacher auprès de membres de sa famille, puis ultérieurement, à fuir vers le Luxembourg.

En droit, il fait tout d’abord valoir que les faits qu’il soulève seraient pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions pour bénéficier de la protection internationale ou toute forme complémentaire de protection. Il critique la décision ministérielle pour ne pas avoir évalué correctement sa situation individuelle dès lors qu’« [elle se serait limitée] à la description de la situation du pays par l’évocation de rapports, et à estimer qu’il [ferait] uniquement état de problèmes de droit commun sans analyser si ces problèmes (menaces/agressions) n’avaient pas eu des implications telles [qu’il] ne [pourrait] plus vivre dans son pays d’origine ». Il expose que les menaces verbales et physiques émanant de la bande de malfaiteurs pour qui il aurait opéré constitueraient « des éléments de persécution morale et physique qui [l’][auraient] déterminé à fuir son pays d’origine » alors qu’il y craindrait pour sa vie en cas de retour. Il appuie ses dires en citant un extrait du rapport d’Amnesty International de 2014-2015 pour conclure qu’il aurait été « victime de persécutions eu égard [aux] menaces et agressions proférées à son encontre mais également au non-respect des droits de l’Homme à son encontre ». Il conclut en indiquant que « cette situation constitue[rait] une persécution morale et physique insupportable dans la mesure où elle compromettr[ait] la dignité et l’épanouissement de tout être humain ». Il est encore d’avis que les faits décrits seraient de nature à démontrer que les 3 Trib. adm., 27 janvier 1997, n° 9724 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en annulation, n° 17 et les autres références y citées.

10 conditions posées à l’article 31 (2) de la loi du 5 mai 2006 seraient remplies. Il fait valoir qu’il s’exposerait, en cas de retour dans son pays d’origine, à des persécutions au sens de l’article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 et « que le fait de vivre dans une crainte constante constitue[rait] une véritable torture psychologique, sinon un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours et estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur.

En vertu de l'article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015 (anciennement article 2 d) de la loi du 5 mai 2006), la notion de « protection internationale » se définit comme étant celle correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l'article 2 f) de ladite loi du 18 décembre 2015 (anciennement l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006) comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays. […] » Par ailleurs, l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 (anciennement l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006) dispose « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 (anciennement l’article 28 de la loi du 5 mai 2006) : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » 11 et aux termes de l’article 40 de la même loi (anciennement l’article 29 de la loi du 5 mai 2006) : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que (i) les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, (ii) que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et (iii) qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, en ce compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder au demandeur une protection contre les persécutions et que celui-ci ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie suffit pour conclure que le demandeur ne peut bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans que le demandeur n’ait forcément été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avère que le demandeur avait déjà été persécuté avant son départ de son pays d’origine, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit que cette circonstance donne un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté en cas de retour, sauf à rapporter la preuve du contraire. Il s’ensuit que l’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitive sur la détermination du risque encouru par le demandeur d’être persécuté en cas de retour dans son pays d’origine.

12 En l’espèce, il ressort des déclarations du demandeur telles qu’actées dans son rapport d’audition que les faits qui l’ont amené à quitter son pays d’origine, à savoir des menaces verbales et physiques émanant d’une bande de malfaiteurs opérant dans le trafic de stupéfiants et pour laquelle il aurait agi en tant que revendeur, ne sont pas de nature à s’inscrire dans le cadre d’actes qui ont été posés en relation avec un des critères définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un groupe social. En effet, les représailles dont le demandeur a été victime sont intrinsèquement liées à son appartenance au milieu mafieux et découlent de son ancienne activité pour compte d’un réseau de trafiquants de stupéfiants. Il y a ainsi lieu de retenir que lesdits faits constituent des délits de droit commun punissables selon la loi applicable au Monténégro. Il s’ensuit que la première des trois conditions cumulatives pour pouvoir bénéficier du statut de réfugié, à savoir celle selon laquelle les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 fait défaut en l’espèce, de sorte que le fait que cette condition ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne peut bénéficier du statut de réfugié. Partant, les conditions d’octroi du statut du réfugié n’étant pas remplies en l’espèce, c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à sa demande afférente.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus d’accorder au demandeur le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, (anciennement article 2 f) de la loi du 5 mai 2006), peut bénéficier de la protection subsidiaire : « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays (…) ».

L’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 (anciennement l’article 37 de la loi du 5 mai 2006) définit comme atteintes graves : « a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. » Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’articles 39 de cette même loi.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Force est au tribunal de constater que si le demandeur ne fait manifestement pas état de ce 13 qu’il risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, la peine de mort ou l’exécution telles que visées à l’article 48 (a) de la loi du 18 décembre 2015 ou encore des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article 48 (c) de la loi du 18 décembre 2015, il n’en demeure pas moins qu’au moins un des faits dont il se prévaut, à savoir la circonstance d’avoir été menacé de mort au moyen d’un révolver, peut être considéré comme atteignant un certain niveau de gravité qui paraît, nonobstant l’absence de description détaillée de l’incident dans le chef du demandeur, néanmoins suffisant pour être qualifié d’atteintes graves au sens de l’article 48 (b) précité, à savoir celui de se voir exposé en cas de retour dans son pays d’origine à des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, étant donné qu’il fut porté, au moins à une reprise, atteinte à son intégrité physique et que le risque que la bande de malfaiteurs qui est à ses trousses persiste dans la commission d’actes de représailles n’est pas négligeable.

Il appartient à ce stade au tribunal d’examiner l’existence d’une protection idoine du demandeur par les autorités nationales au sens de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 face à des actes de violence commis par des acteurs non étatiques au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015. Il ressort des déclarations du demandeur faites dans le cadre de son audition qu’il n’a pas déclaré les menaces dont il a fait l’objet à la police en raison de ce qu’« [il] n’ [avait] pas confiance [en] la police » et « [il] [serait] très conscient que le business de cette envergure ne se [ferait] pas sans l’implication de la police ». Par ailleurs, force est au tribunal de constater que si le demandeur avait des doutes quant à l’efficacité des démarches des autorités policières en vue de lui accorder une protection idoine, il lui eut été loisible d’introduire une action auprès des autorités hiérarchiquement supérieures auxdites autorités policières, à savoir auprès du ministère de l’Intérieur et de l’Administration publique, Département de contrôle interne des opérations policières ou auprès de l’Ombudsman, l’instance compétente pour recevoir toute plainte en matière de discrimination et de mauvais traitements de la part des autorités publiques. Il s’y ajoute tel que le relève le délégué du gouvernement, qu’il ressort d’un rapport du « United States Department of State » du 27 février 2014 intitulé « 2013 Country Reports on Human Rights Practices – Montenegro » que le Monténégro s’est doté d’une législation et d’un cadre institutionnel efficace en matière de lutte contre la corruption. Dès lors que le demandeur reste en défaut de rapporter la preuve que les autorités monténégrines n’auraient pas voulu lui fournir une protection adéquate, il ne saurait prétendre à l’octroi de la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé en ses deux volets.

2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

14 En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 19 mai 2015 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant, en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Hélène Steichen, juge Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 18 avril 2016 par le premier juge, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 avril 2016 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 36374
Date de la décision : 18/04/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-04-18;36374 ?

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