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14/04/2016 | LUXEMBOURG | N°37590

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 avril 2016, 37590


Tribunal administratif N° 37590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 février 2016 2e chambre Audience publique du 14 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37590 du rôle et déposée le 29 février 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … ...

Tribunal administratif N° 37590 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 février 2016 2e chambre Audience publique du 14 avril 2016 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (3), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37590 du rôle et déposée le 29 février 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 février 2016 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur le fondement de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2016 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en sa plaidoirie à l’audience publique du 11 avril 2016.

Le 11 juillet 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leur fils majeur, Monsieur …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Par décision du 10 décembre 2012, notifiée aux intéressées par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration rejeta la demande de protection internationale des consorts … dans le cadre d’une procédure accélérée et leur ordonna de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par jugement du tribunal administratif du 20 février 2013, inscrit sous le numéro 31886 du rôle, les consorts … furent définitivement déboutés de leur recours contentieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 10 décembre 2012.

Le 7 janvier 2016, Monsieur …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européenne, direction de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministère », une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 février 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », ayant abrogé et remplacé la loi du 5 mai 2006.

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Le 18 janvier 2016, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 17 février 2016, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l'Immigration et de l'Asile, entretemps en charge du dossier, ci-

après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015. Cette décision est libellée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 7 janvier 2016.

Il ressort de votre dossier que vous aviez introduit, avec vos parents, une première demande de protection internationale le 11 juillet 2012 qui a été rejetée par décision ministérielle du 10 décembre 2012. Vous aviez invoqué à la base de cette demande que votre neveu aurait eu un conflit avec un membre de la famille (…) …. Vous dites qu'il aurait tué le fils de … en se bagarrant avec lui et que depuis, vous seriez cloîtré à la maison parce que vous vous trouveriez dans un conflit de vengeance. Vous indiquez avoir voulu vous récon cilier par le biais d'une association, mais la famille de la victime ne l'aurait pas acceptée. Vous auriez vendu votre maison pour vous installer dans la maison de votre gendre qui habiterait en Amérique parce que vous n'auriez pas eu les moyens financiers pour survivre. Votre épouse aurait néanmoins continué à travailler. Le 5 janvier 2012, lorsque vous auriez été sur le chemin pour aller chez un ami ensemble avec votre épouse et votre fils, des membres de la famille … auraient tenté de vous tuer en tirant avec une arme à feu sur vous. La police serait venue sur place après que vous seriez parti et elle aurait rédigé un rapport. Elle connaîtrait votre problème parce que « Les autres personnes qui se trouvaient sur place les [avaient] mis au courant. » (p. 5/10). Vous précisez que vous auriez reçu un message par un certain … le 10 janvier 2012 disant que la famille … ne vous pardonnerait pas. Vous dites que toute la famille … vous aurait menacé mais vous n'auriez plus revu … depuis 2001. Vous n'auriez pas sollicité la police, ni la justice, parce qu'elles seraient corrompues et que ça ne vaudrait pas la peine d'informer la police de vos problèmes. Vous dites que votre neveu aurait été condamné à quatre ans de prison pour avoir commis le meurtre. Lui et toute sa famille auraient quitté le pays et vous ne sauriez pas où ils se trouveraient.

Vous avez été définitivement débouté de votre première demande de protection internationale par un jugement du Tribunal administratif aux motifs que: « (…) la réalité de la crainte de persécutions des demandeurs n'est pas établie en l'espèce, dans la mesure où depuis l'événement déclencheur de la vendetta en 2001, les demandeurs n'ont pas, d'après leurs propres déclarations lors de leurs auditions, été inquiétés concrètement de la part de la famille …. En outre, tel que relevé ci-avant, ils n'ont pas prouvé un défaut de protection des autorités albanaises, étant donné qu'ils ont reconnu ne jamais avoir recherché l'aide de la police de leur pays d'origine, malgré les efforts déployés par la police albanaise afin de combattre les problèmes de vengeance et la création d'une unité spécialisée de la police en matière de lutte contre les vendetta, tel que cela ressort des explications fournies par la partie étatique et non autrement remises en cause par les demandeurs. Cette conclusion n'est pas énervée par l'affirmation des demandeurs qu'ils auraient recherché l'aide d'une association de réconciliation, car la mission d'une association de réconciliation consiste en la seule médiation entre parties et non en la protection contre d'éventuelles infractions. En ce qui concerne l'incident survenu en janvier 2012, celui-ci est à qualifier d'infraction de droit commun, étant donné que les demandeurs restent en défaut d'établir un lien concret entre cet incident et la vendetta invoquée, qui peut le cas échéant mener à une procédure pénale devant les tribunaux de droit commun en Albanie, mais qui ne saurait être rattachée à l'un des motifs de persécutions énumérés à l'article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l'appartenance à un certain groupe social. Il s'ensuit que ce problème ne tombe pas dans le champ d'application de l'article 2 c) de la loi du 5 mai 2006, respectivement de la Convention de Genève. (…) ».

Vous êtes par la suite retourné volontairement dans votre pays d'origine le 11 avril 2013.

Il ressort de votre dossier que vous auriez introduit une nouvelle demande de protection internationale à cause du même conflit de vengeance dont vous avez fait état lors de votre premier séjour au Luxembourg. Vous affirmez ne pas avoir connu de problèmes depuis votre retour en Albanie mais avoir de nouveau déposé une plainte parce que votre femme serait enceinte et que vous aimeriez que votre enfant puisse grandir « en liberté ».

Vous expliquez que vous auriez à plusieurs reprises essayé de vous réconcilier avec la famille … mais que celle-ci n'aurait jamais accepté et que vous vous trouveriez donc toujours en dette de sang avec celle-ci. Le 26 novembre 2015, vous seriez parti en Italie où vous auriez vécu pendant un mois auprès de votre oncle avant de venir fin décembre au Luxembourg.

Je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

En effet, conformément à l'article 32 de la loi du 18 décembre 2015 il ressort clairement de vos déclarations que vous auriez introduit une deuxième demande de protection internationale sur base des motifs identiques que ceux exposés lors de votre première demande. En effet, vous affirmez ne pas avoir rencontré le moindre problème depuis votre retour en Albanie en 2013 et vous répondez par « oui» à la question: « Donc les raisons pour lesquelles vous êtes venus sont les mêmes que lorsque vous avez fait votre première demande» (p. 4). Les motifs que vous avancez dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale ne sauraient donc manifestement pas être considérés comme des éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions prévus pour bénéficier du statut de réfugié.

Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable au sens de l'article 28 (2) d). (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 février 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 17 février 2016.

Étant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28 (2) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur expose les faits et rétroactes à la base de la décision déférée. Il explique plus particulièrement que les faits invoqués à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale seraient étroitement liés à ceux ayant fait l’objet de sa première demande, dans la mesure où ces deux demandes s’inscriraient dans le cadre du même conflit de vengeance auquel il serait exposé. A cet égard, il précise qu’il « (…) se [trouverait] dans une situation de danger qui [serait] la conséquence du meurtre du fils du sieur … commis par son neveu, meurtre réalisé à l’occasion d’une rixe (…) ». Il ajoute que depuis son retour en Albanie consécutif au rejet définitif de sa première demande de protection internationale, il ne se serait rien passé, « (…) sauf que [lui-même et son épouse auraient] tout le temps [été] enfermés à la maison (…) ».

En droit, le demandeur soutient en premier lieu que la décision déférée devrait encourir l’annulation pour violation des droit de la défense, du principe d’égalité des armes et du droit à un procès équitable, au sens de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », ainsi que de l’article 11, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », – le demandeur se référant de façon erronée à l’ « (…) article 11 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse (…) » –, au motif que le dossier administratif lui communiqué par la partie étatique ne comporterait que des pièces relatives à sa seconde demande de protection internationale et non à sa première demande. Or, dans la mesure où son litismandataire actuel n’aurait pas été chargé de la défense de ses intérêts dans le cadre de sa première demande de protection internationale, il serait indispensable pour ledit litismandataire de disposer d’une copie intégrale du dossier administratif, afin d’être en mesure d’apprécier si les faits d’espèce répondent ou non aux conditions prévues par l’article 32 de la loi du 18 décembre 2015. Cette conclusion ne serait pas énervée par la référence, contenue dans la décision déférée, à la motivation sous-tendant le jugement, précité, du tribunal administratif du 20 février 2013 portant rejet définitif de sa première demande de protection internationale, étant donné que cette référence ne saurait se substituer à la communication du rapport d’entretien dressé dans le cadre de l’instruction de sa première demande, qui reprendrait les faits invoqués à l’appui de celle-ci, lesquels seraient seuls pertinents dans le cadre de l’examen de la recevabilité de sa deuxième demande d’asile.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces moyens. En effet s’il est exact que l’article 11, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit que « Tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être. » et qu’aux termes de l’article 6 (1) de la CEDH, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) », il n’en reste pas moins, d’une part, qu’il est constant en cause que le dossier administratif se rapportant à la deuxième demande de protection internationale de Monsieur …, en ce compris la décision déférée comportant un résumé des faits invoqués à l’appui de sa première demande, a été communiqué au demandeur les 18 janvier et 10 février 2016 et, d’autre part, que s’il avait souhaité obtenir des pièces supplémentaires se rapportant à sa demande antérieure, telles que le rapport d’audition dressé dans le cadre de l’instruction de celle-ci, afin d’assurer la défense de ses intérêts, il lui aurait appartenu d’adresser une demande afférente au ministre, ce qu’il n’a pourtant pas fait. A cela s’ajoute que le susdit rapport d’audition, de même que la décision ministérielle susmentionnée du 10 décembre 2012 ont été communiqués au litismandataire du demandeur le 31 mars 2016, lors de la notification, à ce dernier, du mémoire en réponse du délégué du gouvernement et des pièces versées à l’appui de celui-ci, en ce compris les documents en question, de sorte qu’en cas de besoin, il aurait été loisible à la partie demanderesse de solliciter l’autorisation de déposer un mémoire supplémentaire, afin de prendre position par rapport au contenu de ces pièces, ce qu’elle est cependant restée en défaut de faire. Dans ces circonstances, le tribunal ne saurait déceler de violation ni de l’article 11, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ni des droit de la défense, ni du principe d’égalité des armes, ni encore du droit à un procès équitable, au sens de l’article 6 de la CEDH, de sorte que les moyens afférents sont à rejeter.

Ensuite, le demandeur conclut à l’annulation de la décision déférée pour violation de l’obligation de motivation inscrite à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce que le ministre aurait déclaré sa demande irrecevable, au motif que les éléments invoqués à l’appui de celle-ci ne sauraient être qualifiés d’ « (…) éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité [qu’il remplirait] les conditions prévues pour bénéficier du statut de réfugié (…) », sans motiver sa décision sous l’angle de la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

A cet égard, le tribunal relève que, conformément à l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse, aux termes duquel « Les règles établies par le règlement grand-ducal [du 8 juin 1979] s’appliquent à toutes les décisions administratives individuelles pour lesquelles un texte particulier n’organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré », l’article 6 dudit règlement grand-ducal du 8 juin 1979 – invoqué par le demandeur dans ce contexte et en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base – ne trouve pas application en l’espèce, dans la mesure où une disposition spéciale prévoit une garantie au moins équivalente, en l’occurrence l’article 34 (1) de la loi du 18 décembre 2015, qui exige que toute décision négative rendue par le ministre en matière de protection internationale – en ce compris les décisions d’irrecevabilité prises sur le fondement de l’article 28 (2) d) de la même loi, telles que la décision déférée – soit « (…) motivée en fait et en droit (…) ».

Or, le tribunal retient que la motivation gisant à la base de la décision déférée est conforme aux exigences de la disposition légale susvisée, étant donné que le ministre a indiqué, avec précision et par référence aux normes applicables, en l’occurrence les articles 28 (2) d) et 32 de la loi du 18 décembre 2015, les raisons l’ayant amené à adopter la décision d’irrecevabilité litigieuse, à savoir le fait que les motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale seraient identiques à ceux dont il se serait prévalu dans le cadre de sa première demande d’asile. S’il est exact que la décision déférée est, entre autres, motivée par la considération selon laquelle les faits invoqués par le demandeur à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale ne sauraient être qualifiés d’ « (…) éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité [qu’il remplirait] les conditions prévues pour bénéficier du statut de réfugié (…) », le tribunal retient que cette référence au seul statut de réfugié ne permet pas de conclure que le ministre n’aurait pas analysé la recevabilité de ladite demande par rapport aux conditions d’obtention de la protection subsidiaire, tel que le prétend le demandeur, étant donné que la décision déférée précise également que celui-ci n’aurait « (…) présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer [s’il remplit] les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale (…) », la notion de « protection internationale » étant définie par l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015 comme englobant tant le statut de réfugié que le statut conféré par la protection subsidiaire. A cela s’ajoute que cette motivation a été complétée par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse, notamment par la considération selon laquelle « (…) les faits avancés par le requérant ne constite[raient] pas des éléments nouveaux augmentant de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale (…) », cette dernière notion visant également la protection subsidiaire, tel que relevé ci-avant. Il s’ensuit que le moyen tiré d’une motivation insuffisante de la décision litigieuse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au fond, le demandeur fait valoir que la décision déférée devrait encourir l’annulation pour violation, sinon fausse application de la loi, sinon pour appréciation erronée des faits de l’espèce, au motif que s’il est exact qu’aucun incident ne se serait produit depuis son retour en Albanie le 11 avril 2013, il n’en resterait pas moins qu’il aurait précisé que pendant tout ce temps, il aurait vécu reclus dans sa maison par crainte de subir des actes de vengeance de la part d’un des membres de la famille …, ce qui serait constitutif d’un élément nouveau augmentant de manière significative la probabilité, pour lui, de se voir accorder une protection internationale et plus précisément le statut conféré par la protection subsidiaire.

Dans ce contexte, le demandeur insiste sur le fait que, d’une part, ce serait justement au motif que sa vie serait devenue insupportable du fait qu’il aurait été contraint à vivre enfermé dans sa maison, sans perspective d’évolution favorable de sa situation, qu’il aurait décidé d’introduire une nouvelle demande de protection internationale et, d’autre part, qu’en matière de protection internationale, « (…) la seule crainte de voir se réaliser les éléments constitutifs de la notion d’« asile politique » sinon « protection subsidiaire » suffi[rait] pour que le statut qui en découle[rait] soit accordé (…) », le demandeur se prévalant, à cet égard, de la définition de la notion de « protection subsidiaire » prévue par l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement soutient que ce serait à bon droit que le ministre aurait déclaré irrecevable la deuxième demande de protection internationale de Monsieur ….

L’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit que « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: (…) d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale (…) ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

(3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. (…) ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure – c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne –, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Il est constant en cause que la demande de protection internationale de Monsieur … faisant l’objet de la décision déférée a été introduite le 7 janvier 2016, soit après le rejet définitif de sa précédente demande du 11 juillet 2012 par le jugement, précité, du tribunal administratif du 20 février 2013, de sorte que la demande en question doit être qualifiée de demande ultérieure au sens de l’article 32 (1) de la loi du 18 décembre 2015.

Force est au tribunal de constater qu’il se dégage des éléments soumis à son appréciation que la nouvelle demande de protection internationale de Monsieur … est motivée par le conflit de vengeance déjà invoqué à l’appui de sa précédente demande et que depuis le rejet définitif de celle-ci, ledit conflit n’a donné lieu à aucun incident nouveau, le demandeur ayant expressément déclaré qu’ « (…) il ne [se serait] rien passé (…) »1 et que les raisons l’ayant amené à déposer une nouvelle demande de protection internationale seraient les mêmes que celles ayant motivé sa première demande2.

Le tribunal relève ensuite qu’il ne saurait suivre l’argumentation développée par le demandeur dans la requête introductive d’instance, selon laquelle le fait qu’après son retour dans son pays d'origine le 11 avril 2013, il aurait été obligé de vivre reclus dans sa maison serait constitutif d’un élément nouveau augmentant de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale. En effet, force est au tribunal de constater qu’il ressort du rapport d’audition de Monsieur … dressé dans le cadre de l’instruction de sa première demande d’asile qu’à l’appui de celle-ci, il avait déjà invoqué le fait que depuis le 11 septembre 2001, il serait contraint à vivre enfermé dans sa maison3, de sorte que la circonstance selon laquelle il aurait recommencé à vivre de cette façon après son retour en Albanie consécutif au rejet définitif de sa première demande de protection internationale ne saurait manifestement être qualifiée d’élément nouveau augmentant de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, s’agissant de la simple prolongation d’une situation de fait déjà prise en considération dans le cadre de l’examen de sa demande antérieure.

Quant aux pièces versées en cause par le demandeur, à savoir le « Résumé du Rapport spécial de l’Avocat du Peuple sur « La vendetta » » d’avril 2013, la résolution 2014/2951 (RSP) du Parlement européen du 30 avril 2015 sur le rapport de suivi 2014 concernant la vendetta et un rapport intitulé « Mission exploratoire en Albanie – du 1er au 6 avril 2016 », publié sur le site internet « www.forumrefugies.org », force est au tribunal de constater que le demandeur n’en tire aucune conclusion en fait ou en droit, ni, a fortiori, aucun moyen d’annulation, de sorte que ces pièces ne sont pas de nature à affecter la légalité de la décision déférée, étant précisé, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses prétentions.4 Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a conclu qu’à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale, le 1 Rapport d’audition du 18 janvier 2016, p. 4.

2 Ibid.

3 Rapport d’audition du 28 novembre 2012, p.3.

4 En ce sens : Trib. adm., 5 juillet 2000, n° 11527 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 393 et les autres références y citées.

demandeur n’a pas fait valoir des éléments ou faits nouveaux qui seraient de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, de sorte qu’il a valablement pu déclarer ladite demande irrecevable, en application des articles 28 (2) d) et 32 de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 14 avril 2016 par le premier juge, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 avril 2016 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 37590
Date de la décision : 14/04/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-04-14;37590 ?

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