La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

13/04/2016 | LUXEMBOURG | N°35789

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 avril 2016, 35789


Tribunal administratif Numéro 35789 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2015 3e chambre Audience publique du 13 avril 2016 Recours formé par la société … s.a., …, contre divers bulletins d’impôt des années 2010 à 2013 émis le 12 février 2014, en matière d’impôt sur le revenu

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35789 du rôle et déposée le 3 février 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Marianne Goebel, avocat à la Cour

, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, la société … s.a., société anonyme en l...

Tribunal administratif Numéro 35789 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 février 2015 3e chambre Audience publique du 13 avril 2016 Recours formé par la société … s.a., …, contre divers bulletins d’impôt des années 2010 à 2013 émis le 12 février 2014, en matière d’impôt sur le revenu

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35789 du rôle et déposée le 3 février 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Marianne Goebel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, la société … s.a., société anonyme en liquidation volontaire, ayant élu domicile en l’étude de Maître Marianne Goebel, sise à L-

1325 Luxembourg, 3, rue de la Chapelle, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son liquidateur actuellement en fonctions, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation des bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux des années 2010, 2011 et 2012, des bulletins de l’impôt sur les collectivités des années 2010, 2011 et 2012, des bulletins de l’impôt commercial communal portant calcul d’assiette globale et de l’impôt commercial communal des années 2010, 2011 et 2012, des bulletins de l’impôt sur la fortune des années 2010, 2011, 2012 et 2013, ainsi que du bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2011, tous émis en date du 12 février 2014 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2015 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 mai 2015 par Maître Marianne Goebel au nom et pour le compte de la société anonyme en liquidation volontaire … s.a. ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins de l’impôt déférés ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Emmanuel Glock, en remplacement de Maître Marianne Goebel et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Lou Thill en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 février 2016.

___________________________________________________________________________

Le 28 mars 2013, la société anonyme … s.a., ci-après désignée par « la société … », s’est vue adresser une sommation-astreinte en vertu du § 202 alinéa 6 de la loi générale des impôts (AO) alors qu’elle n’a pas déposé sa déclaration de l’impôt sur le revenu des collectivités et sur l’impôt commercial communal de l’année 2011.

Par courrier du 8 janvier 2014, le mandataire de la société … informa l’administration des Contributions directes du transfert de siège social de ladite société, ainsi que de sa mise en liquidation par acte notarié du 9 décembre 2013.

Par missive du 10 janvier 2014, l’inspecteur principal du bureau d’imposition Sociétés … prit position comme suit :

« Par courrier du 08 janvier 2014, vous nous informez que la susdite société a été mise en liquidation. Or, force est de constater que votre cliente n’a pas encore remis ses déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial des années 2010, 2011 et 2012 et qu’elle n’y a pas déposé non plus ses comptes annuels des susdites années auprès du registre de commerce et des sociétés ce qui constitue une infraction aux articles 75 et suivants de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises.

La société … S.A. est ainsi invitée par la présente de déposer les déclarations d’impôt manquantes pour le 31 janvier 2014 au plus tard ; ce délai passé, le bureau d’imposition SOCIETES … devra procéder à des impositions par voie de taxation conformément au paragraphe 217 de la loi générale des impôts (AO).

La sommation-astreinte du 29 novembre 2013 garde d’autre part toute sa valeur […] ».

Faute de réaction de la part de la société …, le bureau d’imposition Sociétés …, en procédant par voie de taxation conformément au § 217 AO, émit en date du 12 février 2012 les bulletins d’impôts de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux des années 2010, 2011 et 2012, les bulletins de l’impôt sur les collectivités des années 2010, 2011 et 2012, les bulletins de l’impôt commercial communal portant calcul d’assiette globale et de l’impôt commercial communal des années 2010, 2011 et 2012, les bulletins de l’impôt sur la fortune des années 2010, 2011, 2012 et 2013, ainsi que le bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2011 à l’égard de la société en question.

Moyennant lettre recommandée du 6 mai 2014, la société … fit parvenir, par l’intermédiaire de son mandataire, les déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour l’impôt commercial des années 2010 à 2012 avec les pièces y afférentes.

Par un courrier recommandé daté au 9 mai 2014 la société … introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur », à l’encontre des bulletins de l’impôt prévisés émis en date du 12 février 2012, réclamation qui n’a pas connue de suites.

Par requête déposée le 3 février 2015 au greffe du tribunal administratif, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sino subsidiairement à l’annulation des bulletins de l’impôt prévisés des années 2010 à 2012.

Conformément aux dispositions combinées du § 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », ci-après désigné par « AO », et de l’article 8 (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond en la présente matière.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal par la société ….

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

Quant la recevabilité du recours en réformation introduit à titre principal, il échet de relever qu’aux termes de l’article 8 (3) 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996, « lorsqu’une réclamation au sens du § 228 de la loi générale des impôts ou une demande en application du § 131 de cette loi a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant ou le requérant peuvent considérer la réclamation ou la demande comme rejetées et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ou, lorsqu’il s’agit d’une demande de remise ou en modération, contre la décision implicite de refus. Dans ce cas le délai prévu au point 4, ci-après ne court pas ».

Il résulte de cette disposition que le contribuable dont la réclamation n’a pas fait l’objet d’une décision définitive du directeur dans un délai de six mois a le droit de déférer directement au tribunal le bulletin qui a fait l’objet de la réclamation, étant entendu que, s’agissant d’une condition de recevabilité, l’observation de ce délai de six mois, qui court à partir de l’introduction de la réclamation contre le bulletin, s’apprécie au jour de l’introduction du recours.1 En l’espèce, il résulte des pièces versées en cause que la réclamation datée du 9 mai 2014 a été envoyée par lettre recommandée à la poste le même jour et a été réceptionnée le 12 mai 2014.

Le délai précité de six mois, qui court à partir de l’introduction de la réclamation introduite contre le prédit bulletin d’impôt, a partant commencé à courir le 12 mai 2014 pour expirer le 12 novembre 2014.

Le recours sous analyse ayant été introduit au greffe du tribunal administratif le 3 février 2015, soit plus de six mois après l’introduction de la réclamation prémentionnée, est quant à lui recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours la demanderesse souligne que les bulletins d’impôt litigieux auraient été émis sur base d’une taxation d’office, dans la mesure où elle se serait trouvée dans l’impossibilité de remettre les déclarations fiscales des années 2010 à 2012 dans le délai lui imparti. A cet égard elle explique qu’elle n’aurait pas réagi aux avertissements et astreintes lui adressés, alors que ces missives auraient été envoyées à l’adresse de la … s.à r.l., laquelle aurait été son commissaire des comptes, et non pas à son propre siège social, de sorte qu’elle ne les aurait pas réceptionné. La demanderesse ajoute que par courrier du 8 janvier 2014, elle aurait informé l’administration des Contributions directes du transfert de son siège social ainsi que de sa mise en liquidation. L’administration des Contributions directes auraient accusé réception dudit courrier en date du 10 janvier 2014 en invoquant en même temps la sommation-astreinte de novembre 2013, sans pour autant joindre ladite sommation à ce même 1 Voir en ce sens trib. adm. 23 mars 2011, n°27128 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n°799 accusé de réception. Ce n’aurait été qu’après qu’un rappel concernant son changement d’adresse aurait été envoyé au service de recette de l’administration des Contributions directes en date du 31 janvier 2014 qu’elle aurait finalement reçu les courriers et documents, dont les bulletins litigieux. A partir de ce moment elle aurait pleinement communiqué avec l’administration des Contributions directes et aurait introduit les déclarations fiscales manquantes, ensemble avec les copies du rapport du conseil d’administration à l’assemblée des actionnaires et des rapports du commissaire aux comptes, de même que ses bilans et compte de profits et pertes pour les mêmes années par courrier recommandé de son mandataire du 6 mai 2014. Elle explique le retard en ce qui concerne l’établissement de ses déclarations fiscales par un différend entre elle et son ancien domiciliataire, la … s.à r.l, et ce en raison de factures indues et en rapport avec la finalisation de ses comptes annuels et partant de ses déclarations fiscales. En se référant sur un extrait du registre de commerce et des sociétés du 18 novembre 2013, la demanderesse souligne que les mandats des administrateurs et commissaires aux comptes n’auraient plus été renouvelés ce qui prouverait l’absence de tenue d’une assemblée générale des actionnaires. Elle ajoute que suite à sa dissolution et sa mise en liquidation, elle aurait déposé ses bilans des années 2010 à 2012 en date du 12 mai 2014 et son bilan pour l’année 2013, en date du 19 décembre 2014. Pour ce faire, elle aurait dans un premier temps demandé à son ancien domiciliataire de mettre ses dossiers sociaux à sa disposition et de finaliser sa comptabilité tout en lui demandant de lui communiquer la sommation-astreinte, communication qui n’aurait cependant jamais eu lieu. Elle aurait dès lors chargé un autre professionnel de finaliser ses comptes sur base de duplicatas de pièces et cela aurait finalement été ce même professionnel qui aurait remis les déclarations fiscales à l’administration des Contributions directes. Elle précise encore que ses bilans auraient été déposés électroniquement le 12 mai 2014, à savoir 6 jours après la tenue de l’assemblée générale du 6 mai 2014, la demanderesse mettant ainsi en exergue les efforts qu’elle aurait entrepris pour régulariser sa situation endéans un délai raisonnable et de remettre toutes les pièces requises au directeur en vue d’un réexamen de son dossier, dont une comptabilité régulière. En se prévalant d’un arrêt de la Cour administrative du 26 juin 2006, n°29808C du rôle, elle estime que ce serait à tort que le directeur n’a pas procédé à un tel réexamen.

La demanderesse met encore en exergue les différences entre la taxation opérée par l’administration des Contributions directes et ses propres déclarations fiscales. Ainsi, pour l’exercice fiscal 2010, son bénéfice imposable aurait été évalué, en tenant compte de la perte reportable de l’exercice antérieur, à …,- euros, alors qu’en réalité, il se serait élevé …,- euros.

Pour l’exercice fiscal de 2011, son bénéfice imposable aurait été évalué à …,- euros et ce malgré le fait que cet exercice se serait effectivement soldé par une perte fiscale de …,- euros.

De même, et en ce qui concerne l’exercice fiscal de 2012, l’administration des contributions directes aurait évalué son bénéfice imposable à …,- euros, alors que ce même exercice se serait en réalité soldé par une perte fiscale de …,- euros.

La demanderesse soutient ainsi que les cotes d’impôt telles qu’elles résultent de la taxation d’office divergeraient de la réalité. Ainsi, l’imposition aurait dû être nulle en ce qui concerne les exercices fiscaux de 2011 et 2012, alors que pour l’exercice fiscal de 2010, elle aurait dû être supérieure.

En donnant à considérer que le but de la taxation d’office serait non pas de sanctionner le contribuable mais de fixer une cote d’impôt la plus exacte possible et ce conformément à la légalité de l’impôt, la demanderesse conclut à la réformation des bulletins litigieux.

Le délégué du gouvernement de son côté estime que les bulletins litigieux ne prêteraient pas à critique, de sorte qu’il y aurait lieu de rejeter le recours sous analyse. Il donne plus particulièrement à considérer que conformément aux §§ 167 et suivants AO, le contribuable aurait l’obligation légale de faire une déclaration d’impôt. Il ajoute qu’un des principes généraux qui gouvernerait la procédure d’imposition serait la bonne coopération entre le contribuable et le bureau d’imposition. Il ajoute qu’aux termes des §§ 243 et 244 AO, le directeur serait certes tenu de procéder à un réexamen d’un dossier ayant fait l’objet d’une réclamation, mais il estime qu’une telle « première procédure d’imposition » devant le directeur ne saurait être admise, et ce d’autant plus qu’elle aurait été rendue impossible auparavant au niveau du bureau d’imposition par la non collaboration du contribuable. Il soutient plus particulièrement que la ratio legis du § 243 AO ne serait pas d’offrir au contribuable négligent et fautif le choix entre l’acceptation et le refus d’une taxation ayant son origine dans le refus de collaboration de celui-ci et d’imposer comme bon lui semble sa collaboration au directeur des contributions en obligeant celui-ci à procéder à un premier examen d’une déclaration d’impôt au lieu d’un réexamen du dossier. Il précise encore que face à une taxation ressentie comme défavorable, le contribuable négligent ne saurait profiter de son comportement fautif pour abuser ainsi d’une voie de recours.

En ce qui concerne les contestations mêmes vis-à-vis des bulletins litigieux, le délégué du gouvernement estime qu’elles ne sont pas fondées, tout en donnant à considérer que les déclarations d’impôts sur le revenu, de même qu’une comptabilité reconnue régulière en la forme, ne seraient pas revêtus d’une présomption d’exactitude et de sincérité au cours de la phase contentieuse et judiciaire, mais uniquement au cours de la phase précontentieuse. Il estime dès lors que la demanderesse n’aurait pas rapporté la preuve de la véracité de ses déclarations.

Le tribunal doit de prime abord relever que la réclamation introduite par la demanderesse auprès du directeur n’a pas été rencontrée par ce dernier, le directeur ayant maintenu le silence par rapport à la réclamation circonstanciée de la société ….

Or, si le législateur a permis au contribuable, au travers de l’article 8 (3) de la loi du 7 novembre 1996 précitée, de saisir le tribunal administratif de la décision initiale - le bulletin d’imposition critiqué - en cas de silence du directeur perdurant pendant plus de 6 mois suite à l’introduction de la réclamation, cette possibilité de recours a été créé à la seule fin de ne pas retarder l’évacuation du contentieux fiscal en cas de silence perdurant du directeur dû à une instruction prolongée de dossiers pouvant présenter une complexité certaine, mais non de consacrer le droit du directeur à ne pas instruire les réclamations portées devant lui.

En effet, le § 243 (1) AO impose au directeur la mission de procéder d’office à l’examen des faits à la base de la réclamation et le § 244 AO lui confère à cette fin les mêmes prérogatives et obligations que celles revenant au bureau d’imposition dans le cadre de la procédure d’imposition. Il s’agit là d’une obligation à charge du directeur - le texte allemand du § 243 (1) AO utilisant à dessein les termes « haben [die Rechtsmittelbehörden] den Sachverhalt von Amts wegen zu ermitteln » qui consacre une notion d’obligation - et non d’une faculté laissée à sa discrétion l’autorisant, le cas échéant, à refuser d’instruire une réclamation donnée.

Cette obligation est par ailleurs renforcée par le texte du paragraphe 258 AO qui impose au directeur non seulement de prendre une décision, mais encore de prendre une décision formellement motivée ; or, si le législateur a imposé au directeur de prendre une décision motivée, il lui a, a fortiori, imposé de prendre une décision et ce indépendamment de la question de savoir si le contribuable a auparavant remis une déclaration d’impôt en bonne et due forme.

Au-delà de la constatation d’une obligation légale dans le chef du directeur, il convient encore de souligner que la communication d’une décision sur réclamation doit également permettre au contribuable de décider, en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose le directeur et sur lesquels il se base pour asseoir sa décision, s’il est utile pour le contribuable de saisir le tribunal. En d’autres termes, la communication de la décision doit permettre au contribuable de connaître exactement sa situation administrative et de juger ainsi de l’opportunité d’un recours contentieux de sa part.

Néanmoins, la demanderesse ne saurait en tirer une quelconque annulation du silence gardé par le directeur, étant donné que contrairement au droit administratif général, le droit fiscal ne considère pas que le silence prolongé du directeur de l’administration des Contributions directes est à assimiler à une décision implicite de refus, susceptible, le cas échéant d’être annulée pour défaut de motivation, mais seulement que ce silence ouvre le droit, pour le contribuable, à porter la décision initiale devant le juge administratif.

Quant au fond et en ce qui concerne les bulletins de l’impôt sur la fortune des années 2010 à 2013 et les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux des années 2010 à 2012 tels que déférés au tribunal, force est de constater que dans le recours sous analyse la demanderesse se contente de critiquer le montant retenu en tant que bénéfice commercial dans les bulletins de l’impôt sur les collectivités et les bulletins de l’impôt commercial communal des années 2010 à 2012, mais reste cependant en défaut de préciser en quoi, d’après elle, les bulletins de l’impôt sur la fortune, ainsi que les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux ne seraient pas justifiés dans son chef. Or, en l'absence de l'invocation de moyens susceptibles d'entraîner l'annulation ou la réformation de la décision en question, il n'appartient pas au tribunal administratif de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions de la demanderesse.

Le recours sous analyse est dès lors à déclarer non fondé en ce qu’il est dirigé contre les bulletins de l’impôt sur la fortune des années 2010 à 2013 et contre les bulletins de la retenue d’impôt sur les revenus des capitaux des années 2010 à 2012.

En ce qui concerne les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de la base d’assiette de l’impôt commercial communal des années 2010 à 2012, force est de constater que l’imposition retenue, actuellement critiquée, a été établie, à défaut d’explications fournies par la demanderesse, par voie de taxation, laquelle, conformément à sa dénomination allemande (« Schätzung »), consiste « à déterminer et à utiliser une valeur probable et (ou) approximative, lorsque la détermination de la valeur réelle et exacte n’est pas possible2 ». Ce procédé comporte nécessairement et par définition une marge d’incertitude et d’inexactitude et la prise en compte par l’administration fiscale d’une marge de sécurité est licite, dès lors qu’elle est faite avec mesure et modération3.

2 J. Olinger, La Procédure contentieuse en matière d’impôts directs, Etudes fiscales n°s 81 à 85, novembre 1989, page 117 n° 190, ainsi que trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, Pas. adm. 2015, Vo Impôts, n° 524 et autres références y citées.

3 Cour adm. 30 janvier 2001, n° 12311C du rôle, Pas. adm. 2015, Vo Impôts, n° 520 et autres références y citées.

La taxation des revenus constitue ainsi le moyen qui doit permettre aux instances d’imposition, qui ont épuisé toutes les possibilités d’investigation sans pouvoir élucider convenablement tous les éléments matériels du cas d’imposition, d’arriver néanmoins à la fixation de l’impôt4. Ainsi, en vertu du paragraphe 217 (2) AO, la taxation des revenus est possible si le contribuable ne peut pas fournir d’explications suffisantes à l’appui de ses déclarations ou si le contribuable devant effectuer une comptabilité ne peut pas présenter sa comptabilité ou si cette dernière est incomplète respectivement formellement ou matériellement incorrecte : le paragraphe 217 AO consacre ainsi le principe de la taxation d’office par voie d’estimation du bénéfice d’après les éléments et circonstances d’exploitation dans l’hypothèse d’une irrégularité au niveau de la comptabilité non clarifiée à suffisance de droit et de fait5.

Il est vrai que le principe d’ordre public de la détermination exacte des bases d’imposition oblige les autorités fiscales à mettre tout en œuvre pour arriver à une imposition sur des bases qui correspondent le plus exactement possible à la réalité. Au cas cependant où le contribuable met le bureau d’imposition dans l’impossibilité de déterminer de manière exacte le revenu imposable, il est censé se contenter de cette approximation, qu’elle opère en sa faveur ou en sa défaveur, et il ne saurait utilement réclamer devant le directeur contre un bulletin d’impôt établi par voie de taxation, respectivement par après devant les juridictions administratives au seul motif que la cote d’impôt fixée ne correspond pas exactement à sa situation réelle. Il ne saurait dans une telle hypothèse prospérer dans sa réclamation que s’il rapporte la preuve que ses revenus s’écartent de manière significative des bases d’imposition fixées par le bulletin d’impôt6. Dans le cadre de la preuve à rapporter ainsi, ses déclarations ne bénéficient en effet d’aucune présomption de véracité. Aussi, le contribuable qui veut renverser la présomption découlant d’une taxation d’office doit se ménager des preuves7.

C’est sur cette toile de fond que le tribunal se propose d’examiner les bulletins lui déférés par rapport aux moyens développés par la demanderesse, étant encore souligné que le tribunal n’a pas vocation à procéder de sa propre initiative à l’examen de la situation fiscale du contribuable sur base du dossier fiscal afférent, mais uniquement à examiner la décision administrative lui soumise, le tribunal n’étant en effet pas appelé à faire œuvre d’administration par rapport à une situation générale donnée, mais à juger une décision administrative par rapport aux moyens lui opposés par un administré, quitte à réformer celle-

ci en les points jugés illégaux ou erronés.

Il est constant en cause que la taxation actuellement critiquée repose sur le fait que la demanderesse n’a pas remis ses déclarations fiscales, ainsi que les pièces justificatives y afférentes, en temps voulu à l’administration des Contributions directes.

Force est de constater qu’en l’espèce, la demanderesse, pour prouver que ses revenus s'écartent de manière significative des bases d'imposition fixées par la voie de la taxation d’office, se contente en effet de verser ses déclarations pour l’impôt sur le revenu des collectivités et pour le revenu l’impôt commercial des années 2010 à 2012, ces déclarations ne présentant comme retenu ci-avant pas de présomption de véracité.

4 Trib. adm. 26 avril 1999, n° 10156 du rôle, op.cit.

5 Trib. adm 17 mai 1999, n° 10651 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n° 514 et autres références y citées.

6 Cour adm. 19 février 2009, n° 24907C, Pas. adm. 2015, Vo Impôts, n° 526 et autres références y citées.

7 Par analogie Cour adm. 19 mai 2009, n° 25152C, Pas. adm. 2015, Vo Impôts, n° 530.

Force est encore de constater qu’il se dégage des explications de la demanderesse-même, ainsi que d’un échange de courriers du 14 février 2014 entre son mandataire et celui de son ancien domiciliataire, que ce dernier n’a pas finalisé sa comptabilité en temps utile, de sorte qu’elle aurait fait appel à un nouveau professionnel pour ce faire. La demanderesse ne disposait dès lors pas d’une comptabilité régulière avant l’émission des bulletins litigieux. Si elle affirme certes dans son recours sous analyse qu’elle a chargé un autre professionnel de la finalisation de ses comptes et partant de dresser ex post une comptabilité en bonne et due forme, elle reste cependant en défaut de verser une telle comptabilité régulière. Or, il appartient cependant à la demanderesse de justifier des conditions de fait dont dépend la diminution d'impôt à laquelle elle aspire. La simple affirmation dans la requête introductive d'instance qu'elle aurait tenu une comptabilité régulière, aucune pièce du dossier ne permettant de sous-tendre utilement cette affirmation, n'est pas suffisante à cet égard 8, étant encore précisé que la seule production des extraits du registre de commerce relatifs au dépôt des bilans de la demanderesse, bilans publiés en date du 12 mai 2014, c’est-à-dire postérieurement à l’émission des bulletins litigieux et à l’introduction de sa réclamation, n’est pas non plus de nature à prouver la tenue d’une comptabilité en bonne et due forme établie avant l’émission des bulletins litigieux.

Il convient encore de souligner qu’en tout état de cause la mise à disposition, en vrac, de pièces diverses n’est pas de nature à établir la preuve requise, le rôle du tribunal ne consistant en effet pas à mener de son propre chef l’instruction de l’affaire en examinant l’intégralité des dossiers afin d’y déceler le cas échéant des pièces ou mentions susceptibles d’étayer la thèse de la partie concernée9 et en particulier de faire œuvre comptable en lieu et place du contribuable.

En effet, si le tribunal est certes investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond en la présente matière, il n’en demeure pas moins que saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré, mais que son rôle ne consiste pas à procéder indépendamment des moyens à un réexamen général et global de la situation fiscale du demandeur. Il ne suffit dès lors pas de contester la conclusion d’une décision administrative donnée, en renvoyant en substance le juge administratif au contenu du dossier administratif, mais il appartient au requérant d’établir que la décision critiquée est non fondée ou illégale.

Or, au vu de l’ensemble des développements qui précèdent, le tribunal ne saurait suivre la demanderesse en ce que celle-ci considère avoir rapporté, moyennant les pièces versées en cause, les éléments probants suffisants de nature à renverser la taxation telle que retenue par l’administration des Contributions directes, de sorte que le recours est à rejeter comme étant non fondé, aucun autre moyen n’ayant été soulevé par la demanderesse à l’encontre des bulletins déférés.

8 Cour adm. 15 juillet 2003, n° 16414C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n°513 9 Voir en ce sens Cour adm. 20 janvier 2011, n° 27402C, concernant la production en vrac par un demandeur d’un ensemble de pièces non détaillées et non référencées, ainsi que trib. adm. 16 février 2011, n° 24142b et trib.adm. 18 janvier 2012, n° 27668, en ce qui concerne le seul dépôt par la partie étatique d’un volumineux dossier fiscal.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en en réformation en la forme ;

quant au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu d’analyser le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Géraldine Anelli, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 13 avril 2016 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 avril 2016 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 35789
Date de la décision : 13/04/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-04-13;35789 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award