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23/03/2016 | LUXEMBOURG | N°35879

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 mars 2016, 35879


Tribunal administratif N° 35879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2015 3e chambre Audience publique du 23 mars 2016 Recours formé par Madame … et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35879 du rôle et déposée le 18 février 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Joram Moyal, avocat à la Cour, inscrit au tableau d

e l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Bosnie-Herzégovine), et ...

Tribunal administratif N° 35879 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 février 2015 3e chambre Audience publique du 23 mars 2016 Recours formé par Madame … et Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35879 du rôle et déposée le 18 février 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Joram Moyal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Bosnie-Herzégovine), et de son fils majeur Monsieur …, né le … à … (Bosnie-Herzégovine), tous les deux de nationalité bosnienne, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 janvier 2015 portant refus de prolonger un sursis à l’éloignement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2015 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2015 par Maître Joram Moyal au nom et pour compte de Madame … et de Monsieur … ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Mylène Carbiener, en remplacement de Maître Joram Moyal, et Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbruck en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2016.

Vu l’avis du greffe du tribunal administratif du 15 mars 2016 informant les parties du prononcé de la rupture du délibéré pour permettre à ceux-ci de prendre position oralement lors de l’audience des plaidoiries du 16 mars 2016 sur la question de l’admissibilité rationae temporis du mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 juillet 2016.

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Mylène Carbiener, en remplacement de Maître Joram Moyal, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 mars 2016.

Par un arrêt du 21 janvier 2014, inscrit sous le numéro 33560C du rôle, la Cour administrative a définitivement débouté Madame …, et son fils majeur Monsieur …, de leur demande de protection internationale.

Sur base d’un avis médical du médecin délégué au service médical de l’Immigration de la Direction de la Santé, Division de la Santé du Travail du Ministère de la Santé, ci-après désigné par « le médecin délégué », du 11 juillet 2014, un sursis à l’éloignement a été accordé à Madame … et son fils majeur Monsieur … par une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-

après désigné par « le ministre », du 28 juillet 2014.

En date du 23 décembre 2015, Madame … et Monsieur … ont sollicité la prolongation du sursis à l’éloignement, ce que le ministre a refusé par une décision du 19 janvier 2015.

Cette décision est basée sur les motifs et considérations suivants :

« […] le médecin délégué du service médical de l’Immigration et de la Direction de la Santé a été saisi le 29 décembre 2014 concernant l’état de santé de Madame … et suivant son avis du 13 janvier 2015, reçu par son services en date du 15 janvier 2015, un sursis à l’éloignement est refusé à vos mandants conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration en raison de l’état de santé de l’intéressée.

En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que : (…) vu l’examen du dossier médical réalisé le 13 janvier 2015 par le médecin délégué ; la patiente souffre d’un syndrome dépressif post-traumatique chronique ; elle suit des consultations thérapeutiques depuis un an ; elle est traitée par tranquillisants et anti-dépresseurs ; considérant que la prise en charge de … peut être réalisée dans le pays d’origine (…) l’état de santé de … ne nécessite pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dans le défaut entraînerait pour elle/lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, par conséquent … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d’un sursis à l’éloignement.

Par conséquent, le suris à l’éloignement accordé à vos mandants par décision du 28 juillet 2014 avec validité jusqu’au 11 janvier 2015 en raison de l’état de santé de Madame … ne sera pas prolongé. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 février 2015, inscrite sous le numéro 35879 du rôle, Madame … et son fils Monsieur … ont introduit un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 19 janvier 2015.

Aucun recours au fond n’étant prévu contre une décision en matière de sursis à l’éloignement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Par avis du 15 mars 2016, le tribunal administratif a soulevé d’office la question de l’admissibilité rationae temporis du mémoire en réplique déposé le 23 juillet 2015.

Lors de l’audience des plaidoiries du 16 mars 2016, Madame le délégué du gouvernement s’est rapportée à prudence de justice à cet égard.

Aux termes de l’article 5, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives : « Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse ; […] ».

En l’espèce il ressort des actes de procédure que le mémoire en réponse a été déposé au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2015, et qu’il a été communiqué à la même date à Maître Joram Moyal, de sorte que le délai pour déposer un mémoire en réplique à expiré jeudi, le 18 juin 2015. Le mémoire en réplique déposé le 23 juillet 2015 est dès lors à écarter des débats pour tardiveté.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soutiennent que le ministre aurait fait une mauvaise appréciation du cas d’espèce dans la mesure où les troubles dont la demanderesse souffrirait tomberaient dans les prévisions de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Le délégué du gouvernement estime de son côté que la demande de protection internationale déposée par la demanderesse aurait été motivée plutôt par les problèmes qu’elle aurait eu avec son mari et non les traumatismes subis lors de la guerre de Bosnie de 1992. Il estime en outre que les certificats médicaux déposés par les demandeurs présenteraient des contradictions sur plusieurs points et que par ailleurs, la demanderesse pourrait être traitée de manière adéquate dans son pays d’origine.

Aux termes de l’article 130 de la loi du 29 août 2008 : « Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné. » et de l’article 131 de la même loi « (1) L’étranger qui satisfait aux conditions énoncées à l’article 130 peut obtenir un sursis à l’éloignement pour une durée maximale de 6 mois. Ce sursis est renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans.

[…] (3) Les décisions visées aux paragraphes (1) et (2) qui précèdent, sont prises par le ministre, sur avis motivé du médecin délégué visé à l’article 28, selon les modalités à déterminer par règlement grand-ducal. Le médecin délégué procède aux examens qu’il juge utiles. L’avis du médecin délégué porte sur la nécessité d’une prise en charge médicale, les conséquences d’une exceptionnelle gravité et la possibilité de bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel l’étranger est susceptible d’être éloigné. […] ».

Il suit des dispositions précitées que l’étranger qui prouve, certificats médicaux à l’appui, que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné, peut obtenir un sursis à l’éloignement pour une durée maximale de 6 mois, renouvelable, sans pouvoir dépasser la durée de deux ans. Cette décision est prise par le ministre sur avis motivé du médecin délégué.

Quant à la maladie susceptible d’être prise en compte aux termes de l’article 130, précité, les travaux préparatoires ayant abouti à la loi du 29 août 20081 renseignent au sujet de l’article 131 : « Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur ».

Il appartient dès lors aux demandeurs d’établir de prime abord que l’état de santé de la demanderesse répondant aux conditions énoncées à l’article 130 de la loi du 29 août 2008 persiste.

A cet égard, le tribunal est amené à conclure que la décision du ministre du 28 juillet 2014 d’accorder à Madame … un sursis à l’éloignement a été basée sur un avis du médecin délégué du 11 juillet 2014 qui, se basant sur un certificat médical du Dr. …, neuropsychiatre, du 11 février 2014, ainsi que sur un examen clinique réalisé le 8 avril 2014, conclut que l’état de santé de Madame … nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité.

En effet, d’après ledit certificat médical du 11 février 2014 Madame … : « […] leidet unter massiven Ängsten, Träumen und Flashbacks im Sinne einer posttraumatischen Belastungsstörung. Bei Verstärkung der Belastung ist eine ernsthafte Suizidalität nicht auszuschliessen. Eine Traumabehandlung sollte unbedingt fortgeführt werden und ist im Heimatland zum einen nicht möglich und auch nicht angezeigt […] ».

Il ressort par ailleurs du dossier administratif que la décision déférée du ministre du 19 janvier 2015 s’est basée sur un avis du médecin délégué du 13 janvier 2015 qui, sur base d’un certificat du centre de santé mental du docteur …, psychologue, du 10 décembre 2014 et du seul examen du dossier médical, a retenu que « la patiente souffre d’un syndrome dépressif post-

traumatique chronique ; elle suit des consultations psychothérapeutiques depuis un an ; elle est traitée par tranquillisants et antidépresseurs », de sorte qu’elle ne nécessiterait pas une prise en charge médicale dispensée au Luxembourg dont le défaut entraînerait pour elle des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qu’une prise en charge pourrait être réalisée dans son pays d’origine.

1 Doc. parl. n° 5802, p. 86, sous ad article 131.

S’il est exact que ledit certificat médical du Dr. … du 10 décembre 2014, fait état de désorientation, trous de mémoires, pensées confuses, phénomènes de personnalisation, état de transe et de sensation de vides intérieures, liés au traumatismes vécu et qu’il retient encore qu’un retour dans son pays d’origine ne serait pas indiqué en l’espèce, sans que ce certificat n’évoquent un risque de suicide, il n’en reste pas moins que la demande de prolongation adressée par les demandeurs en date du 23 décembre 2014 a été basée en outre sur un certificat médical du docteur … du 8 décembre 2014 qui atteste que l’état psychologique décrit par le docteur … persisterait dans le chef de la demanderesse et qu’elle présenterait des idées suicidaires avec un risque de passage à l’acte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que l’état de santé d’en souffrait la demanderesse au moment où le ministre lui a accordé un sursis à l’éloignement, n’est pas différent de celui dont elle souffrait au moment où une prolongation du sursis à l’éloignement lui a été refusée. En effet, tout en prenant en considération que le médecin délégué a rendu son avis sans examiner la demanderesse en personne, mais s’est contenté de se baser sur le dossier médical, le tribunal est amené à conclure que le revirement de l’attitude de l’administration n’est pas retraçable en l’espèce, étant relevé par ailleurs que celle-ci a une obligation de motivation renforcée et doit justifier expressément dans sa décision ou par des éléments du dossier pourquoi elle déroge à sa ligne de conduite antérieure.2 Dans la mesure où, en l’espèce, tel que cela a été retenu ci-avant, le ministre n’a fourni aucune explication plausible à son changement de position, malgré la circonstance qu’au regard des pièces fournies par les demandeurs, l’état de santé de la demanderesse est, a priori resté le même, le tribunal n’arrive pas à cerner les raisons qui ont poussé le ministre à refuser une prolongation du sursis à l’éloignement, bien qu’il a antérieurement accordé un tel sursis.

Le tribunal est dès lors amené à annuler la décision déférée pour défaut de motivation et à renvoyer le dossier au ministre compétent, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les autres moyens présentés par les demandeurs, cet examen devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié ;

partant annule la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 janvier 2015 et renvoie le dossier devant le même ministre en prosécution de cause ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

2 20 juin 2007, n° 22160 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non-contentieuse, n° 72 Claude Fellens, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Géraldine Anelli, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 23 mars 2016 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 mars 2016 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 35879
Date de la décision : 23/03/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-03-23;35879 ?

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