Tribunal administratif N° 37645 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mars 2016 3e chambre Audience publique extraordinaire du 16 mars 2016 Recours formé par Monsieur …, Findel contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L.29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37645 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2016 par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 26 février 2016 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale d’un mois à partir de la notification de ladite décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mars 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 16 mars 2016.
Une première tentative de reconduire Monsieur … dans son pays d’origine, il fut à cet effet placé au Centre de rétention du 13 mai 2015 jusqu’au 25 septembre 2015, échoua étant donné qu’il n’a pas pu être identifié endéans la durée légale maximale de rétention. Il fut libéré en conséquence le 25 septembre 2015.
En date du 26 février 2016, Monsieur … fut arrêté par la police grand-ducale pour tentative de vol par effraction.
Par arrêté du 26 février 2016, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification dudit arrêté en attendant son éloignement du territoire. Ledit arrêté fut notifié à Monsieur … le même jour.
Cet arrêté est fondé sur les considérations et motifs suivants :
« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport n° 2016/6663/2058/KC du 25 février 2016 établi par la police grand-
ducale, unité CIP Esch/Alzette ;
Vu ma décision de retour du 25 mai 2015, lui notifié le même jour ;
Vu ma décision d’interdiction de territoire du 12 mai 2015 lui notifié le même jour ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valables ;
Attendu que l’intéressé est signalé auprès de la police grand-ducale ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;
Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles quelles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées :
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l’éloignement de l’intéressé ont été engagées ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 mars 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle de placement en rétention précitée du 26 février 2016.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur critique la décision déférée en ce qu’elle ne serait pas, sinon pas suffisamment, motivée et il conteste tout risque de fuite dans son chef.
Par ailleurs, les diligences entreprises par le ministre en vue de son éloignement ne seraient pas documentées. Le demandeur en conclut que la décision déférée serait à qualifier de détention arbitraire.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Par rapport au reproche du demandeur que la décision déférée ne serait pas suffisamment motivée, le tribunal est amené à conclure que s’il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées limitativement, en l’occurrence celles refusant de faire droit à la demande de l´intéressé, celles révoquant ou modifiant une décision antérieure, sauf si elles interviennent à la demande de l’intéressé et qu’elles y font droit, celles intervenant sur recours gracieux, hiérarchique ou de tutelle, celles intervenant après procédure consultative, lorsqu’elles diffèrent de l’avis émis par l´organisme consultatif ou lorsqu´elles accordent une dérogation à une règle générale, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Or, le cas d’espèce sous examen ne tombe dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 précité, de sorte que l’obligation inscrite à l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, ne trouve pas d’application en l’espèce. Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs doit être rejeté pour ne pas être fondé.
Par ailleurs, en tout état de cause, la sanction de l’absence de motivation ne consiste pas dans l’annulation de l’acte visé, mais dans la suspension des délais de recours et que celui-ci reste a priori valable, l’administration pouvant produire ou compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois à la phase contentieuse.1 Ainsi, un acte n’est susceptible d’encourir l’annulation qu’au cas où la motivation le sous-tendant ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal au moment où l’affaire est prise en délibéré, étant donné qu’une telle circonstance rend tout contrôle de la légalité des motifs impossible.
Or, en l’espèce, la motivation de la décision déférée, en l’occurrence, notamment, l’existence de la décision de retour précitée du 12 mai 2015 ainsi que la décision d’interdiction de territoire prise le même jour et, par conséquent l’illégalité de la situation du demandeur qui en découle et le risque de fuite indiqué dans la décision déférée, ressort tant de cette dernière que des explications que le délégué du gouvernement a exposées au cours de la procédure contentieuse, ainsi que du dossier administratif déposé, de sorte que le moyen afférent laisse d’être fondé.
Quant au fond, force est au tribunal de constater qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 115, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées. Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuit ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] » Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de 1 Voir CA 20 octobre 2009, n° 25738C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 78 et les autres références y citées garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise de l’intéressé. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.
Plus particulièrement, quant aux diligences effectuées en l’espèce, force est au tribunal de constater qu’il ressort des pièces versées en cause, et notamment du dossier administratif, que le 1er mars 2016 le ministre a pris contact avec les autorités tunisiennes pour se renseigner sur l’avancement des recherches sur l’identité du requérant, qui, par ailleurs, avaient déjà été entamées lors de la première rétention précitée et qui avaient, dans un premier temps, abouti à une réponse négative desdites autorités déclarant que le requérant ne serait pas de nationalité tunisienne. Par contre, au vu de l’élément nouveau cité par le délégué du gouvernement, en l’occurrence que le demandeur a un frère au Luxembourg qui est de nationalité tunisienne, les autorités luxembourgeoises ont à bon droit pu contacter à nouveau les autorités tunisiennes en vue de l’identification du demandeur. Il ressort encore des pièces versées en cause que les autorités luxembourgeoises ont appelé l’ambassade tunisienne les 2 et 3 mars 2016, et que le consul tunisien a demandé de nouvelles empreintes digitales du demandeur qui furent envoyées le 3 mars 2016. Au vu des éléments précités, le tribunal est amené à conclure que le dispositif d’éloignement du demandeur est en cours et est exécuté avec toute la diligence requise au sens de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.
Quant aux allégations du demandeur qu’il n’existerait pas de risque de fuite dans son chef, force est au tribunal de constater qu’aux termes de l’article 111, paragraphe (3), c) de la loi du 29 août 2008 « […] Le risque de fuite est présumé dans les cas suivants :
6. Si l’étranger ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage ou cours de validité, […] » Dès lors, l’article précité institue une présomption réfrageable qu’il existe un risque de fuite dans le chef d’un étranger qui, notamment, ne peut justifier de la possession de documents d’identité et de voyage en cours de validité.
En l’espèce, il ressort tant de la décision de retour précitée du 12 mai 2015 que de la décision déférée que le demandeur ne dispose pas de ces documents d’identité. Par voie de conséquence, c’est a priori à bon droit que le ministre a conclu qu’il existe un risque de fuite dans le chef du demandeur.
Dès lors, il aurait appartenu au demandeur de prouver que la motivation sous-tendant la présomption du risque de fuite ne correspond pas à la réalité ou encore de prouver qu’il dispose de garanties de représentation suffisantes pour contrecarrer la présomption du risque de fuite. Or, en l’espèce, le demandeur se limite à alléguer qu’il serait quelqu’un de correct qui aurait fait preuve d’une intégration exemplaire au sein de la société luxembourgeoise.
Cependant, à défaut d’explications plus concrètes et des éléments de preuve à cet égard, le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.
Au vu des conclusions dégagées ci-avant, il y a également lieu de conclure qu’une mesure moins coercitive, telle que suggérée par le demandeur, n’a pas pu être prise à son égard.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Géraldine Anelli, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 16 mars 2016, à 17.00 heures, par le vice-
président, en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 mars 2016 Le greffier du tribunal administratif 5