Tribunal administratif No 36596 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit 15 juillet 2015 Ire chambre Audience publique du 9 mars 2016 Recours formé par Madame …, …, contre un arrêté du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de suspension
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36596 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 juillet 2015 par Maître Gaston Vogel, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, professeur, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 24 avril 2015 la suspendant de l’exercice de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure disciplinaire ordonnée contre elle jusqu’à la décision définitive ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 décembre 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2016 par Maître Gaston Vogel au nom de Madame … ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er février 2016 ;
Vu les pièces versées en cause, et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Emmanuelle Rudloff, en remplacement de Maître Gaston Vogel, et Madame le délégué du gouvernement Marie-Anne Ketter en leurs plaidoiries respectives.
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Par courrier du 24 mars 2015, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après désigné par « le ministre », demanda au commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, ci-après désigné par « le Commissaire du Gouvernement » d’ouvrir une instruction disciplinaire à l’encontre de Madame …, courrier qui fut libellé dans les termes suivants :
« Suite à un article paru en date du jeudi le 19 mars 2015 dans le journal Tageblatt, duquel il ressort que certains enseignants de l'enseignement fondamental auraient continué à des parents d'élèves les sujets des épreuves communes que doivent passer les élèves du cycle 4.2 en vue de leur orientation vers l'ordre d'enseignement postprimaire qui leur correspond le mieux et qui constituent un des éléments pris en compte dans la décision d'orientation et suite à un courriel de Madame …, inspectrice de l'enseignement fondamental, bureau régional -Est, daté du 20 mars 2015 et conformément à l'article 56, paragraphe 2, de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, je vous saisis aux fins de procéder à une instruction disciplinaire à l'encontre de Madame …, professeur de lettres au Lycée classique …, classée au grade 7, échelon 7. (Pièces n°1 et 2) En effet, la concernée est présumée avoir manqué à ses obligations statutaires pour avoir manqué à ses devoirs tels que prévus à l'article 9, paragraphe 1, à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, à l'article 11, respectivement à l'article 14 de la loi mod ifiée du 16 avril 1979 précitée, pour :
ne pas s'être conformée consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose et aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l'accomplissement régul ier de ses devoirs ainsi qu'aux ordres de service de ses supérieurs et en l'occurrence pour ne pas s'être consciencieusement conformée à son devoir de secret professionnel prévu par l'article 458 et suivants du Code pénal, respectivement pour être impliqué e dans un recel punissable au titre des articles 505 et suivants du Code pénal, respectivement pour son implication dans toute autre infraction dont les faits sont susceptibles d'être qualifiés ;
ne pas avoir évité, dans l'exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public ;
avoir révélé des faits dont elle a obtenu connaissance en raison de ses fonctions et qui ont un caractère secret de par leur nature ou de par les prescriptions des supérieurs hiérarchiques, ainsi que détourné et communiqué des pièces ou documents de service à des tiers ;
ne pas s'être tenue à son devoir d'indépendance et de neutralité.
Comme vous pourrez le constater à la lecture du courriel de l'inspectrice, Madame …, daté du 20 mars 2015, elle a été informée par une institutrice du cycle 4.2. de l'école fondamentale de …, Madame …, que les questionnaires des épreuves communes, y compris les corrigés, auraient circulé entre les parents d'élèves de sa classe sous forme d'un courriel avec en pièces jointes les documents sous forme de PDF et les fichiers audio MP3.
Il ressort des attestations testimoniales versées par Madame … datées du 23 mars 2015, que d'après les affirmations de parents d'élèves de sa classe, Madame …, professeur au Lycée classique … et maman d'un élève de la classe de Madame …, aurait scanné tous les questionnaires des épreuves communes, y compris les corrigés, et les aurait envoyés à certains parents d'élèves de la classe de Madame …, ainsi qu'à d'autres connaissances. (Pièces n°3, 4 et 5) Parmi les personnes ayant reçu ce courriel, il y aurait Madame …, également professeur au Lycée classique … et maman d'un élève de la classe de Madame …. Etant donné, que ce courriel n'a pas été envoyé à tous les parents d'élève de la classe, cette dernière a, dans un souci d'équité, contacté par téléphone les parents d'élèves restants pour leur proposer de recevoir le courriel en question en cas d'accord de leur part. Certains parents ont accepté et d'autres n'ont pas voulu être impliqués. (Pièce n°3) Il ressort du rapport qu'apparemment ce serait également Madame … qui aurait continué toutes ces informations au Ministère et à la presse.
Madame … indique dans son courriel qu'elle aurait demandé à Madame … si elle pouvait lui transmettre le courriel qu'elle avait reçu de Madame …. Madame … a cependant effacé ce courriel. (Pièce n°6) Il ressort de l'attestation testimoniale de Madame … datée du 23 mars 2015, qu'en date du mercredi 18 mars 2015 vers 16.00 heures, sans préjudice quant aux date et heure exactes, une parent d'élève, Madame …, serait venue la voir à la fin des cours pour lui transmettre une information importante. Elle a raconté que Madame … lui aurait dit que c'était Madame … qui aurait scanné les questionnaires des épreuves communes et les aurait diffusés par courriel. (Pièce n°4) Suite à ces informations, Madame … a contacté, le soir-même, Madame … par téléphone qui confirme les dires de Madame …. Elle a expliqué qu'elle ne voulait pas dénoncer sa collègue de travail, Madame …, et que c'est pour cette raison qu'elle n'avait pas précisé le mardi, sans préjudice quant à la date exacte, que le nom de la dame qui lui a envoyé le courriel comprenant les questionnaires des épreuves communes, y compris les corrigés, était celui de Madame ….
D'après les dires de Madame …, Madame … aurait non seulement envoyé le courriel à certains parents d'élèves, mais également à d'autres connaissances éparpillées un peu partout dans le pays et qu'elle aurait informé la presse, ainsi que le min istère et certains élus politiques sur le fait que les questionnaires des épreuves communes et les corrigés auraient été apparemment envoyés précocement dans les lycées.
Finalement, il ressort de l'attestation testimoniale de Monsieur …, directeur du Lycée classique …, datée du 24 mars 2015, que le lundi 23 mars 2015, vers 18.15 heures, sans préjudice quant aux date et heure exactes, Madame …, professeur d'allemand au Lycée classique …, lui aurait à l'issue de la soutenance d'un examen de fin de stage, révélé qu'elle aurait reçu de la part d'une tierce personne, dont elle a refusé de révéler l'identité, l'enveloppe contenant les questionnaires des épreuves communes. Elle aurait procédé au scanning des documents pour les transmettre à un certain nombre de destinataires, dont sa collègue Madame … …. De même, elle aurait informé les responsables d'un parti politique (CSV), ainsi que des organes de presse. (Pièce n°7) Toujours selon l'attestation de Monsieur …, Madame … aurait affirmé avoir réalisé les copies et l'envoi à son domicile, depuis ses installations privées.
Il est à soulever que Monsieur … précise qu'à la fin de l'entretien, il a rendu Madame … attentive à la gravité des faits commis et il lui a recommandé de se dénoncer elle -même auprès du Ministère de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse.
Il résulte de tout ce qui précède que les faits dont Madame … est présumée s'être rendue coupable sont tout à fait inacceptables.
Elle a eu un comportement hautement déloyal, irrespectueux et indigne d'un pédagogue supposé constituer un exemple pour ses élèves. En effet, les faits reprochés sont tout à fait inacceptables et indignes d'un fonctionnaire devant rep résenter et véhiculer les valeurs de l'enseignement et les valeurs en général.
Je me dois de constater que la confiance nécessaire à son maintien en fonction est aujourd'hui irrémédiablement compromise et qu'en conséquence, j'envisage de suspendre Madame … de l'exercice de ses fonctions, conformément à l'article 48, paragraphe 1 de la loi modifiée du 16 avril 1979 précitée.
A toutes fins utiles, je tiens à soulever que tous les faits précités sont indiqués sous réserve de tous droits, moyens et qualifications, faits nouveaux ou autres précisions à faire valoir ultérieurement.
Je tiens encore à préciser que, dans ce contexte, une plainte contre X a été déposée en date de ce jour au Parquet pour violation du secret professionnel, pour recel d'informations obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit ou pour toute autre qualification pénale dont les faits sont susceptibles d'être qualifiés.
Par ailleurs, le directeur du Lycée classique …, a avisé, en date de ce jour, le Procureur d'Etat de Diekirch des faits dont il a connaissance conformément à l'article 23, paragraphe 2, du Code d'Instruction criminelle. (Pièce n°8) Je reste bien évidemment à votre entière disposition pour tout renseignement complémentaire.
Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire du Gouvernement, l’assurance de ma parfaite considération. » Par courrier du 26 mars 2015, le ministre informa Madame … de son intention de la suspendre de ses fonctions pendant tout le cours de la procédure administrative et ce jusqu’à la décision définitive.
En date du 31 mars 2015, Madame … informa le ministre qu’elle entendait user de son droit d’être entendue en ses explications.
Par arrêté du 24 avril 2015, le ministre prit à l’encontre de Madame … un arrêté de suspension pour les motifs suivants :
« (…) Vu l’instruction disciplinaire ouverte à l’encontre de Madame …, professeur de lettres au Lycée classique … ;
Vu les faits reprochés à Madame … au titre de ces poursuites ;
Vu l’article 51 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ;
Madame … avisée par courrier daté du 26 mars 2015 de l’intention de la suspendre de ses fonctions et de son droit à être entendue en ses explications ;
Vu la télécopie datée du 31 mars 2015 du mandataire de Madame … informant de l’intention de cette dernière d’user de son droit à être entendue en ses explications ;
Considérant que trois dates, le 13 avril 2015, le 22 avril 2015 et le 23 avril 2015, ont été proposées à Madame … mais que son mandataire s’est considéré, à chaque fois, dans l’impossibilité d’honorer lesdites dates, y compris à la date du 23 avril 2015 qu’il avait pourtant lui-même proposée ;
Considérant la missive du 16 avril 2015 par laquelle le mandataire de Madame … a été invité à verser des observations écrites pour le 22 avril 2015 ;
Considérant qu’à défaut d’autres explications sur les raisons de son empêchement ou sur le fond des reproches de la part du mandataire de Madame …, cette dernière est à considérer comme ayant renoncé à son projet d’être entendue en personne ou à présenter des observations écrites ;
Vu les articles 48 paragraphe 1 et 52 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat ;
Arrête :
Art. 1er : Madame … (Matr. : …), professeur de lettres au Lycée classique …, est suspendue de l’exercice de ses fonctions à partir d’aujourd’hui et pendant tout le cours de la procédure disciplinaire ordonnée à son encontre et ce, jusqu’à décision définitive. (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2015, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 24 avril 2015.
Par décision du 8 décembre 2015, le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-
après dénommé « le Conseil de discipline », a prononcé à l’égard de Madame … la sanction disciplinaire prévue à l’article 47, paragraphe 8 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désigné par « le statut général », à savoir l’exclusion temporaire de ses fonctions avec privation de rémunération pendant 6 mois.
En vertu de l’article 54, paragraphe 2, du statut général, « le fonctionnaire (…) suspendu conformément à l’article 48, paragraphe 1er, peut, dans les trois mois de la notification de la décision, prendre recours au Tribunal administratif qui statue comme juge du fond.» La loi prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision de suspension.
Lors de l’audience des plaidoiries du 3 février 2016, le tribunal a soulevé d’office et conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives la question de l’intérêt à agir de Madame …, respectivement de l’objet du recours introduit par cette dernière au regard de la décision du Conseil de Discipline intervenue en date du 8 décembre 2015, qui, d’après le litismandataire de Madame …, n’a pas encore fait l’objet d’un recours au jour des plaidoiries.
Il ressort effectivement des pièces du dossier administratif que le Conseil de discipline a statué en date du 8 décembre 2015 et qu’il a prononcé la sanction de l’exclusion temporaire de ses fonctions avec privation de rémunération pendant 6 mois.
Le délégué du gouvernement souligne que la suspension prendra fin dès l’intervention de la décision du Conseil de discipline qui serait à considérer comme décision définitive au sens de l’article 48 du statut général, de sorte que le tribunal ne saurait plus que statuer en annulation.
Le mandataire de Madame … n’a pas pris position par rapport à ce point.
Aux termes de l’article 48, paragraphe 1er, du statut général, « la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive. ». Cet article prévoit donc la possibilité d’ordonner la suspension de l’exercice des fonctions pendant le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive en visant indistinctement les poursuites judiciaires et administratives, de sorte que la décision définitive au sens de ce paragraphe s’entend soit de la décision définitive à l’issue de poursuites judiciaires, soit de la décision définitive à l’issue de poursuites administratives.
Pour justifier d'un intérêt à agir, il faut pouvoir se prévaloir de la lésion d'un intérêt personnel dans le sens que la réformation ou l'annulation de l'acte attaqué confère au demandeur une satisfaction certaine et personnelle.1 Force est au tribunal de relever que le terme « décision définitive » au sens de l’article 48 du statut général doit nécessairement être compris comme étant coulée en force de chose décidée, respectivement en force de chose jugée. Dans la mesure où la décision du Conseil de discipline du 8 décembre 2015 n’est pas encore coulée en force de chose décidée, respectivement en force de chose jugée, au moment du prononcé du présent jugement, pour avoir été notifiée au plus tôt le 9 décembre 2015, la demanderesse conserve un intérêt à faire contrôler la légalité et le bien-fondé de la décision de suspension litigieuse.
Quant à l’objet du recours, force est de constater que la mesure de suspension sort encore ses effets au moment du prononcé du présent jugement, étant donné que la décision du Conseil de discipline n’est pas encore coulée en force de chose décidée, respectivement en force de chose jugée. Il s’ensuit que le tribunal, appelé à statuer comme juge du fond et à apprécier la situation de 1 cf. trib. adm. 19 juin 2013, n° 30886 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 7 fait et de droit de la cause au moment où il statue, pourra épuiser l’intégralité de son pouvoir de réformation en ce qui concerne la décision de suspension.
Le recours en réformation est par ailleurs recevable, pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
L’analyse de la légalité externe d’une décision administrative devant précéder celle de son bien-fondé, le tribunal est amené à analyser de prime abord le moyen de la demanderesse tendant à l’annulation de la décision déférée au motif que le défaut d’entretien préalable à la décision de suspension litigieuse violerait l’article 51 du statut général, respectivement l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ». Madame … fait valoir à ce titre que malgré le fait qu’elle aurait informé le ministre en date du 31 mars 2015 de vouloir user de son droit tiré de l’article 51 alinéa 1er du statut général et de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le ministre aurait pris la décision de suspension sans qu’elle aurait pu exercer le droit d’être entendue en ses explications, alors qu’elle n’y aurait jamais renoncé. Elle fait exposer que c’est précisément en raison de cette non-comparution aux entrevues proposées que le ministre aurait pris la décision du 24 avril 2015 et demande à voir « réformer la décision comme mal fondée ».
Le délégué du gouvernement rétorque que la demanderesse soulèverait à tort que la décision de suspension aurait été prise en raison de sa non-comparution à un entretien en vue d’être entendue en ses explications et souligne qu’elle aurait commis des fautes graves en ayant manqué à ses obligations statutaires telles que prévues à l’article 9, paragraphe 1er, à l’article 10, paragraphe 1er, alinéa 1er, à l’article 11 et à l’article 14 du statut général. Cependant Madame … n’aurait à aucun moment de la procédure jugé nécessaire de s’expliquer quant à ses agissements et n’aurait montré aucun signe de conscience de ses responsabilités, ni reconnu ses agissements fautifs.
La partie étatique souligne à ce titre que plusieurs dates auraient été proposées au mandataire de Madame … qui les aurait toutes refusées ou annulées, ce qui témoignerait de l’attitude irresponsable de la demanderesse qui n’aurait pas non plus donné de suites à la possibilité lui laissée de prendre position par écrit.
Madame … insiste ensuite, à titre subsidiaire, sur le fait que la décision de suspension aurait été prise en raison du seul défaut d’audition, comportement qui ne serait que la non-utilisation d’un des droits de la défense et qui ne saurait « ni relever du droit disciplinaire, ni être mis en lien causal avec un impact nuisible sur l’intérêt du service public ou avec le bon fonctionnement de celui-ci ».
Il échet de prime abord de relever que le moyen de la demanderesse fondé sur « l’absence d’audition » contient à la fois des développements ayant trait à la légalité externe en ce que la décision litigieuse pécherait par une violation de l’article 51 du statut général, respectivement de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et au bien-fondé des motifs y renseignés, ce deuxième volet du moyen étant examiné au niveau de l’analyse du fond.
L’article 51, alinéa 1er du statut général dispose que : « Aucune sanction disciplinaire ne peut être appliquée sans instruction disciplinaire préalable conformément à l’article 56 ci-après.
La suspension du fonctionnaire prévue au paragraphe 1er de l’article 48 ne pourra être prononcée qu’après qu’il aura été entendu en ses explications. » Il se dégage de cette disposition que la suspension d’un fonctionnaire de l’exercice de ses fonctions ne peut être prononcée qu’après qu’il aura été entendu en ses explications.
Aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir.
Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.
Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) ».
La finalité essentielle de cette disposition est d’éviter de provoquer la surprise de l’administré devant le fait accompli en lui ménageant un délai d’au moins huit jours entre l’annonce d’une décision envisagée et la date de prise de celle-ci dans le but de lui permettre de présenter ses arguments et d’éviter, le cas échéant, que la décision pressentie soit prise2.
Cependant, l’article 4 de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse prévoit que les règles établies par le règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ne sont applicables aux décisions administratives individuelles que dans le cas où un texte particulier n’organise pas une procédure spéciale présentant au moins des garanties équivalentes pour l’administré.
La clé de répartition prévue par ledit article 4 consiste à voir appliquer les règles soit spéciales, soit générales dans la mesure où elles sont globalement plus favorables pour l’administré.
En cas d’équivalence de garanties prévues respectivement par la règle spéciale et la règle générale, c’est la règle spéciale qui l’emporte en application du principe général « speciala generalibus derogant ». Cependant, si les garanties prévues par la procédure administrative non contentieuse issue du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sont supérieures à celles prévues par la règle spéciale, ce sont celles de la réglementation générale de la procédure administrative non contentieuse qui s’appliquent par préférence à celles de la réglementation spéciale, même postérieure à celle du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.3 Force est au tribunal de constater que le statut général prévoit, en son article 51 précité, une procédure spéciale d’entretien préalable avec des garanties pour le moins équivalentes pour l’administré à celles prévues à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en voulant éviter de provoquer la surprise du fonctionnaire devant le fait accompli en lui ménageant un délai entre l’annonce d’une décision envisagée et la date de prise de celle-ci dans le but de lui permettre de 2 cf. Cour adm, 5 mai 2015, n°35722C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu 3 Cour adm. 27 novembre 2014, n°35045C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n°3 présenter ses arguments et d’éviter, le cas échéant, que la décision pressentie soit prise4, de sorte que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne saurait trouver application en l’espèce5.
S’il est vrai que l’article 51 du statut général n’exige aucun formalisme particulier quant au droit accordé au fonctionnaire d’être entendu en ses explications avant qu’une mesure de suspension de l’exercice de ses fonctions ne soit prise à son égard, il n’en reste pas moins que ce préalable obligatoire doit respecter des règles minimales tenant plus particulièrement au principe général du respect des droits de la défense. Ainsi, il faut que le fonctionnaire ait réellement été mis en mesure d’être entendu en ses explications. Dans les hypothèses où le fonctionnaire aura été convoqué préalablement par écrit, avec l’indication de l’objet de l’entrevue, l’accomplissement de ces formalités laisse présupposer que le fonctionnaire a utilement pu se préparer afin qu’il puisse être entendu en ses explications. Néanmoins, si, comme en l’espèce, un entretien préalable à la mesure de suspension envisagée n’a pas eu lieu, il faudra analyser au cas par cas si le fonctionnaire a effectivement été mis en mesure d’être entendu en ses explications, sous peine d’enlever tout effet utile aux dispositions de l’article 51 du statut général6.
Force est au tribunal de constater que, même si un entretien préalable à la mesure de suspension envisagée n’a pas eu lieu en l’espèce, la demanderesse a néanmoins été mise en mesure de présenter ses explications au préalable en ce qu’elle a été invitée à être entendue en personne ou à présenter ses observations par le courrier du ministre du 26 mars 2015. Par ce courrier, le ministre a informé la demanderesse qu’il envisage de la suspendre de ses fonctions en indiquant tant la base légale que les faits à la base de cette intention en se référant au courrier du 24 mars 2015 adressé au Commissaire du Gouvernement joint au courrier du 26 mars 2015 et en l’informant de la possibilité ouverte par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 d’être entendue en personne. Il convient encore de relever que trois dates ont été proposées par le ministre à la demanderesse afin qu’elle puisse faire valoir ses observations, qui ont toutes été soit refusées, soit annulées par le litismandataire de la demanderesse. En effet, l’application de l’adage « Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » s’oppose à ce que la demanderesse puisse exciper de son propre comportement négligent consistant à refuser toutes les dates d’entrevue proposées par le ministre pour invoquer ensuite une violation de l’article 51 du statut général. Si Madame … avait effectivement voulu faire usage du droit prévu à l’article 51 du statut général, elle aurait parfaitement pu encore faire parvenir ses observations par écrit, ce qu’elle a cependant également choisi de ne pas faire. En effet, ledit article 51 exige uniquement que l’intéressé soit « entendu en ses explications » sans qu’il soit spécifié que la présentation des explications doive obligatoirement avoir lieu à travers un entretien.7 En conséquence, aucune violation des droits de la défense de la demanderesse n’est établie en l’espèce, d’autant plus qu’aucun préjudice du fait du défaut de cet entretien préalable n’est ni établi, ni même allégué.
Compte tenu de ces considérations, le tribunal est amené à conclure que le moyen tiré d’une prétendue violation de l’article 51 du statut général, respectivement de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, laisse d’être fondé.
4 Ibidem 5 trib. adm. 20 janvier 2016, n°35496 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 6 cf. trib. adm. 15 février 2012, n° 28341 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Fonction publique, n° 312 7 Ibidem Madame … invoque en deuxième lieu un défaut de motivation étant donné que la décision, pour autant qu’elle ne serait pas fondée sur sa non-comparution aux entrevues fixées en vue de son audition, serait dénuée de tout élément de motivation.
Le délégué du gouvernement rétorque que par courrier recommandé du 26 mars 2015 auquel aurait été annexée la lettre de saisine du Commissaire du Gouvernement, Madame … aurait non seulement été informée par le ministre de son intention de la suspendre de l’exercice de ses fonctions, mais également des faits à la base de cette intention, ainsi que de la base légale sur laquelle cette intention repose.
Dans son mémoire en réplique, Madame … précise que le manque de motivation de la décision entreprise violerait ses droits de la défense et ne saurait être réparé ultérieurement et que les développements y relatifs du délégué du gouvernement ne seraient pas de nature à redresser ce défaut de motivation.
Le statut général restant muet à ce sujet, il y a lieu de se référer à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en vertu duquel « toute décision administrative doit baser sur des motifs légaux » et elle « doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base ».
Cette disposition consacre dès lors le principe que, d’une manière générale, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, et que certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.
Il convient encore d’ajouter que la sanction de l’obligation de motiver une décision administrative consiste en principe dans la suspension des délais de recours, la décision restant valable lorsque l’administration produit ou complète de manière utile les motifs postérieurement et même pour la première fois devant le juge administratif.8 En l’espèce, le tribunal est amené à retenir que si l’arrêté de suspension du 24 avril 2015 se borne à indiquer qu’une instruction disciplinaire a été ouverte à l’encontre de Madame … et à se référer aux démarches effectuées en vue de l’audition de cette dernière, le courrier ministériel du 26 mars 2015, auquel l’arrêté de suspension se réfère expressément, l’ayant avisé de l’intention du ministre de la suspendre de ses fonctions, comporte comme pièce jointe la lettre de saisine du Commissaire du Gouvernement du 24 mars 2014 indiquant minutieusement les faits reprochés à Madame …. Cette motivation a encore été complétée par le délégué du gouvernement à l’instance, de sorte que la demanderesse n’a pas pu se méprendre sur les raisons à la base de la décision litigieuse, à savoir l’instruction disciplinaire diligentée à son encontre. La motivation ainsi fournie est à considérer comme suffisante au regard des exigences de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.
Il s’ensuit que le moyen fondé sur une prétendue violation de l’article 6 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 laisse d’être fondé.
8 cf. Cour adm. 11 octobre 2005, n° 19880C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 85 Quant au fond, la demanderesse conteste que les conditions pour prononcer la suspension soient données en l’espèce.
Madame … reconnaît avoir eu accès aux documents litigieux dès le lundi, 16 mars 2015, jour qui ouvrait la deuxième semaine des épreuves d’évaluation en vue de l’orientation des élèves, ce qui prouverait que les questionnaires auraient été distribués aux professeurs membres des commissions d’orientation avant la fin des épreuves et ce dans un espace non sécurisé, contrairement aux questionnaires relatifs aux épreuves orales de l’examen de fin d’études secondaires qui ne seraient pas distribués dans les cases, mais remis individuellement à chaque professeur concerné au secrétariat ou à la direction. Elle reproche à ce titre au ministre d’avoir fait acheminer des documents hautement confidentiels dans des cases non protégées et destinées à recueillir des informations non confidentielles en prenant appui sur les déclarations de Monsieur …, directeur du lycée classique …, effectuées en réponse aux questions du Commissaire du Gouvernement. Elle insiste à ce sujet qu’il ne serait nullement manifeste qu’elle aurait nui à l’intérêt du service public, des enfants et des familles, d’autant plus que les élèves auraient en réalité repassé des épreuves non viciées par la fuite des sujets.
Elle admet qu’elle se serait révoltée contre l’état de fait que l’envoi prématuré des questionnaires et corrigés des épreuves communes aurait conduit à la rupture de l’égalité des chances et se pose la question de savoir « quelle valeur de fonctionnaire prime : la loyauté à un Ministre qui manifestement a agi en dehors du mode opératoire garant de l’égalité des chances ? Ou la loyauté au service public de l’enseignement et donc de l’égalité des chances ? ». Elle affirme avoir été guidée par la volonté de préserver et de défendre l’intérêt du service public de l’enseignement.
Le délégué du gouvernement conclut au caractère fondé de la mesure de suspension en soulignant que les conditions de l’article 48 du statut général seraient remplies en ce que tant une instruction disciplinaire que des poursuites judiciaires auraient été ouvertes à l’encontre de Madame …. Les faits que la demanderesse serait soupçonnée avoir commis seraient inacceptables en ce qu’ils feraient preuve d’un comportement fautif, hautement déloyal, irrespectueux et indigne d’un enseignant supposé constituer un exemple pour ses élèves. La mesure de suspension aurait été par ailleurs nécessaire afin de protéger aussi bien l’intérêt, l’image et la réputation du service public, que de garantir le bon fonctionnement de ce dernier auquel la présence de la demanderesse aurait nui.
Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement confirme en substance les moyens repris dans son mémoire en réponse en y ajoutant que Madame … n’aurait pas contesté les faits lui reprochés à l’audience du Conseil de discipline du 24 novembre 2015, de sorte que la mesure de suspension aurait été parfaitement justifiée eu égard à la gravité des faits retenus par le Conseil de discipline dans sa décision du 8 décembre 2015.
Il est rappelé qu’aux termes de l’article 48, paragraphe 1er, du statut général, « la suspension de l’exercice de ses fonctions peut être ordonnée à l’égard du fonctionnaire poursuivi judiciairement ou administrativement, pendant tout le cours de la procédure jusqu’à la décision définitive. ».
Si cette disposition reste muette quant aux critères censés guider le ministre dans l’exercice de ce pouvoir, il résulte de l’article 56 (3) alinéa 3 du statut général que « Si le fonctionnaire est suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, le Commissaire du Gouvernement peut le suspendre conformément au paragraphe 1 er de l’article 48.
Cette suspension devient caduque si elle n’est pas confirmée dans la huitaine par le ministre du ressort ».
Le tribunal est partant amené à analyser si en l’espèce la décision de suspension est justifiée sur base des exigences posées par l’article 56 (3) alinéa 3 du statut général, c’est-à-dire si en l’occurrence la demanderesse est suspectée d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave, cette analyse s’effectuant dans la limite des moyens produits par la demanderesse. Une fois cette condition vérifiée, il appartient au tribunal d’analyser, toujours dans la limite des moyens proposés par la demanderesse, si le ministre a pu, dans les conditions données, suspendre le fonctionnaire en question de ses fonctions.
Il y a encore lieu de souligner qu’en aucun cas, le tribunal n’est amené à analyser à ce stade de la procédure concernant la validité de la décision de suspension, le bien-fondé de la procédure disciplinaire engagée à l’encontre du fonctionnaire concerné9. En revanche, il lui appartient de vérifier si ce fonctionnaire est suspecté d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave d’après les termes mêmes de l’article 56 (3) alinéa 3 du statut général précité.
Il convient enfin de souligner que la suspension constitue une mesure, non pas disciplinaire mais d’urgence, à caractère conservatoire, destinée à interdire à titre provisoire l’exercice de ses fonctions à un agent public, auquel une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave est reprochée, dans le cas où sa présence risque de troubler le bon fonctionnement du service.
Plus particulièrement, pour répondre aux critiques mises en avant par la demanderesse, il échet de relever que la mesure de suspension n’est pas destinée à sanctionner le comportement fautif du fonctionnaire, mais elle est justifiée à la fois par les motifs relevant de l’intérêt du service et des motifs de protection du fonctionnaire lui-même, appelé de la sorte à pouvoir exposer son point de vue et à préparer sa défense avec toute la sérénité requise.
Néanmoins, même si une telle mesure provisoire ne préjuge en rien du fond de l’affaire disciplinaire, il n’en reste pas moins qu’une suspension témoigne du moins de l’apparence de gravité de la faute reprochée au fonctionnaire et de la nécessité de veiller, dans l’intérêt à la fois du service et du fonctionnaire lui-même à ce que la présence de celui-ci dans son service, d’une part, ne risque pas de gêner le bon déroulement de l’instruction préalable à accomplir dans le cadre de l’enquête disciplinaire et, d’autre part, ne porte pas atteinte au bon fonctionnement, à l’image et à la réputation du service10.
9 trib. adm. 1er décembre 2010, n° 26761 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Fonction publique, n° 330 10 cf. trib. adm. 16 octobre 2013, n° 31729 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Fonction publique, n° 324, et autres décisions y citées.
Force est à ce sujet de constater que la demanderesse n’a à aucun moment de la procédure disciplinaire, ni encore à l’audience du Conseil de discipline du 24 novembre 201511, contesté la réalité des faits lui reprochés.
Il s’ensuit qu’au vu de l’absence de toute contestation afférente, le tribunal se doit seulement de vérifier si la demanderesse est valablement suspectée d’avoir commis une faute susceptible d’entraîner une sanction disciplinaire grave.
En l’espèce, il résulte du dossier disciplinaire établi par le Commissaire du Gouvernement à l’encontre de Madame … qu’elle est suspectée d’avoir contrevenu à ses obligations statutaires pour avoir manqué à ses devoirs tels que prévus à l’article 9, paragraphe 1, à l’article 10, paragraphe 1, alinéa 1, à l’article 11, respectivement à l’article 14 du statut général, les faits lui reprochés s’analysant en une violation de son devoir au secret professionnel prévu par l’article 458 et suivants du Code pénal, respectivement en un recel punissable au titre des articles 505 et suivants du Code pénal, en une violation de l’obligation d’éviter dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, de donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public, en la révélation de faits dont elle a obtenu connaissance en raison de ses fonctions et en une violation de son devoir d’indépendance et de neutralité.
Le tribunal est ainsi amené à retenir que les faits tels que libellés à travers la décision déférée par la référence à l’instruction disciplinaire, en ce qu’ils représentent non seulement des violations du statut général, mais également des infractions pénales de l’ordre délictuel, sont de nature à revêtir un caractère fautif de nature à entraîner une sanction disciplinaire grave, d’autant plus que, contrairement aux allégations de la demanderesse qui, par sa fonction, est tenue à l’obligation de confidentialité, le fait pour le ministre de distribuer les questionnaires et corrigés dans les cases des professeurs membres des conseil d’orientation n’équivaut pas à une publication desdits documents, et ce, même si la procédure de distribution des questionnaires pour l’examen de fin d’études secondaires est plus encadrée. La gravité des faits étant par ailleurs confirmée par la décision du Conseil de discipline ayant retenu une exclusion temporaire de 6 mois avec privation de rémunération, qui est la troisième sanction la plus grave de l’échelle des sanctions disciplinaires de l’article 47 du statut général.
Les considérations de Madame … tentant de justifier ses actes par sa volonté de maintenir l’égalité des chances des élèves ne sont pas de nature à renverser ce constat.
Force est également de constater que les faits reprochés à la demanderesse ne se confinent par nature pas à sa seule personne, mais dépassent le cadre individuel pour concerner d’autres personnes travaillant dans la même administration, ainsi que tous les enfants de la dernière année de l’école fondamentale qui ont dû repasser l’intégralité des épreuves communes12, de sorte que de tels faits sont de nature à troubler le fonctionnement normal du service. Une mesure provisoire dans l’intérêt du service auquel l’auteur des faits est affecté, consistant dans sa suspension en attendant que la procédure disciplinaire suive son cours, est partant justifiée, la présence de l’auteur des faits à 11 Décision du Conseil de discipline du 8 décembre 2015 12 Courrier non daté adressé par le ministre aux élèves du cycle 4.2. les informant qu’ils doivent repasser les épreuves son poste, étant en définitive préjudiciable non seulement à la bonne marche et à la réputation du service, mais également à ses propres intérêts.
Madame … expose finalement que le ministre ne serait pas impartial, étant donné qu’il aurait diligenté une enquête, alors qu’il aurait été au courant dès le mois de février, respectivement du mois de mars, de la fuite des documents reprochée actuellement à Madame … et qu’il n’aurait fait aucune démarche pour empêcher cette fuite. Elle se réfère à ce sujet à un reportage diffusé sur RTL en date du 19 mars 2015, lors duquel le ministre aurait affirmé avoir eu connaissance de la circulation des questionnaires entre certains parents d’élèves au cours de la semaine du 9 au 15 mars 2015, voire antérieurement aux faits lui reprochés.
Le délégué du gouvernement conteste que le ministre aurait eu connaissance des fuites concernant certaines épreuves communes en amont aux faits reprochés à Madame … sans prendre une mesure pour les éviter. Il fait valoir à ce titre que le ministre aurait reçu au courant de la journée du 16 mars 2015, par personnes interposées, de nombreuses informations divergentes et floues pouvant porter à confusion, de sorte qu’il aurait été dans l’impossibilité d’évaluer l’envergure et le caractère sérieux de ces informations et que ce n’aurait été qu’après une analyse approfondie des données, qu’il serait apparu que les épreuves n’auraient pas pu être communiquées la semaine du 9 au 15 mars 2015, parce que les différentes épreuves communes auraient été envoyées aux professeurs de l’enseignement secondaire qu’en date du vendredi 13 mars 2015.
Contrairement aux allégations de Madame …, il n’est pas établi que le ministre aurait en connaissance de la fuite des questions des épreuves communes avant les faits reprochées, de même qu’il n’est pas lui-même à l’origine de la fuite, alors qu’il n’a pas rendu publics les questionnaires et corrigés en les faisant distribuer dans les cases des professeurs destinataires et membres des conseils d’orientation, étant donné qu’il pouvait légitimement s’attendre à ce qu’un professeur tenu à l’obligation de confidentialité, ne les divulguerait pas aux parents d’élèves, respectivement à la presse, d’autant plus qu’en l’occurrence, Madame … n’étant pas le destinataire direct des documents litigieux, était au courant que les épreuves communes n’étaient pas encore terminées, du fait que son propre enfant, élève au cycle 4.2., devait passer les épreuves communes litigieuses, de sorte que le caractère confidentiel des documents lui devait être parfaitement connu.
Il découle par conséquent de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours n’est fondé en aucun de ses moyens, de sorte qu’il est à rejeter.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 9 mars 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 09/03/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 15