Tribunal administratif N° 37324 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2015 3e chambre Audience publique extraordinaire du 29 février 2016 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37324 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2015 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’aux noms et pour compte de leur fils mineur …, né le … à …, ainsi que de …, né le … à …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de leur demande de protection internationale, ainsi qu’à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 janvier 2016 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 29 janvier 2016 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom et pour compte de Monsieur … et consorts ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 février 2016.
En date du 14 juillet 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leur fils majeur, …, ainsi que de leur fils mineur …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un procès-verbal du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du même jour.
En date des 6 et 31 août, 24, 25 et 28 septembre et 5 et 12 octobre 2015, les consorts … furent entendus par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
A l’occasion de ses auditions, Monsieur … expliqua qu’il aurait été condamné à tort en Grèce pour trafic de drogues et qu’il aurait collaboré avec la police grecque afin de réduire sa peine. Suite à cette collaboration qui aurait contribué à l’arrestation de certains membres du réseau de trafiquants, il aurait reçu des menaces d’un certain … et de personnes de l’entourage de ce dernier qui voudraient se venger du fait qu’ils ont été emprisonnés suite aux révélations de Monsieur …. En raison des pressions subies par l’entourage du dénommé …, il aurait négocié un allègement de la peine de ce dernier, tout en continuant son activité d’informant.
En 2010, il serait retourné en Albanie et les proches de … l’auraient à nouveau approché en réclamant de l’argent pour payer leurs avocats. Monsieur … serait venu le voir après sa libération de la prison en juillet 2012 et il l’aurait accusé d’être responsable de son arrestation et lui aurait réclamé la somme de 100.000,- euros. A cause de son incapacité de payer le montant demandé, le dénommé … aurait déclaré qu’il existerait entre eux une dette de sang selon la loi du Kanun.
Monsieur … expliqua en outre qu’il aurait été attaqué dans la nuit du 24 au 25 septembre 2013 dans sa maison par des personnes masquées. Après cet incident, la police serait venue et elle aurait interrogé les voisins, alors que lui-même aurait consulté un médecin.
Par ailleurs, pendant la nuit du 16 au 17 septembre 2014, des inconnus, dont il estime qu’il s’agirait du dénommé … ou de personnes proches de lui, auraient jeté un explosif dans sa maison, ce qui aurait détruit celle-ci. La police aurait analysé le lieu de cette infraction, mais il n’y aurait pas eu de suivi, respectivement de résultats, et la police aurait par ailleurs refusé de lui accorder une protection permanente.
Après un bref retour de sa famille au Luxembourg en novembre 2014, un petit groupe de personnes aurait envahi sa maison et aurait pris son neveu, qui aurait ouvert la porte, par la gorge. Il aurait alors rapidement quitté la maison par une deuxième porte afin de se rendre chez un policier habitant à proximité. Quand il serait rentré avec ce dernier, les envahisseurs auraient déjà quitté l’immeuble. Son épouse n’aurait pas entendu cette intrusion dans la mesure où elle se serait trouvée au lit pour des raisons de santé. Finalement, Monsieur … indiqua qu’ils auraient quitté l’Albanie en été 2015 et que son avocat pourrait par ailleurs verser des articles de presse relatant les évènements prédécrits.
Madame … et leur fils majeur … confirmèrent en substance les dires de Monsieur …, tout en soutenant qu’ils ne seraient pas au courant des détails des évènements que ce dernier aurait vécu.
Par décision du 9 décembre 2015, notifiée par lettre recommandée expédiée le 10 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les consorts … qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20, paragraphe (1) a) et c), de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande avait été refusée comme étant non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Le ministre releva de prime abord que l’Albanie figurerait sur la liste des pays d’origine sûrs fixée par le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 ».
Le ministre releva par ailleurs qu’il existerait de nombreuses contradictions dans le récit de Monsieur … tant en ce qui concerne son arrestation qu’en ce qui concerne les circonstances exactes de sa coopération avec les autorités policières.
Le ministre estima par ailleurs que les raisons ayant amené Monsieur … et sa famille de quitter leur pays d’origine n’auraient pas été motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, ci-après dénommée la « Convention de Genève », respectivement « la loi du 5 mai 2006 ».
En outre, ils auraient pu bénéficier d’une protection des autorités de leur pays d’origine.
Finalement, le ministre conclut que les consorts … n’établiraient pas de motifs sérieux permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2015, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 9 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du même ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
A titre liminaire et en ce qui concerne la loi applicable au présent recours, force est au tribunal de constater que la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection a été abrogée par l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désigné par « loi du 18 décembre 2015 ». La nouvelle loi précitée du 18 décembre 2015 a apporté plusieurs changements législatifs notamment au niveau de la procédure et de la nature des voies de recours en la présente matière. En effet, la loi du 18 décembre 2015 prévoit dans son article 35, paragraphe (2) de manière générale un recours en pleine juridiction devant le tribunal administratif contre toutes les décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile prises dans le cadre d’un refus d’une protection internationale selon la procédure accélérée au sens de l’article 27, paragraphe (1) de la même loi, contrairement à la loi abrogée du 5 mai 2006, qui ne prévoyait qu’un recours au fond contre les seules décisions du ministre portant refus d’accorder un des statuts de la protection internationale. Or, en ce qui concerne les affaires contentieuses en cours au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, ce changement législatif quant à la nature de la voie de recours qui est ouverte, est susceptible, à défaut de dispositions transitoires, d’entraîner des conflits de lois dans le temps.
En l’espèce, la procédure contentieuse était pendante au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi dans la mesure où le recours, tel que relevé ci-avant, était introduit le 21 décembre 2015, tandis que la nouvelle loi date du 18 décembre 2015 et est entrée en vigueur, à défaut de dispositions spécifiques afférentes, trois jours après sa publication au journal officiel le 28 décembre 2015, c’est-à-dire avant que l’affaire n’ait été prise en délibéré et que le tribunal n’ait statué. Il se pose dès lors la question de savoir quelle loi est applicable en l’espèce et plus particulièrement quelles voies de recours étaient ouvertes à l’encontre des décisions déférées.
Conformément au droit commun, les lois de droit judiciaire privé entrent en vigueur à la date qu’elles fixent ou à défaut, trois jours après leur publication. Or, ce principe n’est pas transposable de manière aussi évidente s’agissant de l’application de la nouvelle loi aux instances en cours, qui par hypothèse, ont débuté sous l’empire de la loi ancienne. En principe, la nouvelle loi a vocation à s’appliquer immédiatement à ces instances et cela quel que soit son objet.1 Ainsi, tant la jurisprudence française que luxembourgeoise s’accordent à dire que, sauf s’il n’en a été autrement disposé par le législateur, toute loi nouvelle de compétence et de procédure s’applique aux instances qui sont en cours au jour de son entrée en vigueur, à moins qu’une décision sur le fond ait été rendue.2 Toutefois, le principe de l’application directe de la nouvelle loi connaît des exceptions.
Ainsi, la loi ancienne de compétence continue à s’appliquer lorsque, au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, la juridiction saisie a déjà rendu une décision intéressant le fond de l’affaire. La loi ancienne doit également continuer à s’appliquer lorsque la loi nouvelle met en cause le fond du droit.3 Or, l’existence d’une voie de recours est une règle de fond du droit judiciaire et non pas une règle de forme.4 Dès lors, la survie de la loi ancienne joue également en matière de voies de recours. La nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été rendue. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.5 En l’espèce, par l’article 83 de la nouvelle loi précitée du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans prévoir de dispositions transitoires. Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement disposé, l’existence et la nature du recours ouvert en l’espèce, sont régies par la loi du 5 mai 2006.
A l’appui de leur recours, les demandeurs reprennent en substance l’exposé des faits tel que décrit lors des leurs auditions respectives auprès de la direction de l’Immigration, tout en soutenant que leurs récits seraient crédibles.
Au regard de la crédibilité des récits des demandeurs, force est au tribunal de conclure que s’il est exact, tel que soutenu par la partie étatique, que les déclarations de Monsieur … sont à différents endroits quelque peu rocambolesques, il n’en reste pas moins qu’aucun doute n’a été mis en avant par la partie étatique en ce qui concerne les différentes agressions subies par les demandeurs dans leur pays d’origine, de sorte qu’il y a lieu de conclure que leur récit est à déclarer crédible dans son ensemble.
1 Loïc Cadiet, Emmanuel Jeuland, Droit judiciaire privé, Litec, 5e édition, p.11, n°19.
2 Encyclopédie Dalloz, Procédure, V° Conflits de lois dans le temps, n° 132 et 133 et voir dans le même sens :
trib. adm. 25 juin 2009, n°24354 du rôle, Pas. adm. 2009, V° Lois et règlements, n° 33.
3 Loïc Cadiet, Emmanuel Jeuland, op. cit., n°20.
4 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72 et voir en ce sens : Cour adm. 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2009, V° actes règlementaires, n° 4.
5 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72.
1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 9 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Tel que relevé ci-avant, l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006, qui prévoit expressément que le tribunal administratif est compétent pour connaître d’un recours en annulation contre une décision de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée en la présente matière, est applicable, de sorte que seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision déférée. Le recours en annulation, par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
A l’appui de ce volet de la requête introductive d’instance, les demandeurs estiment d’abord que ce serait à tort que le ministre, pour traiter leurs demandes de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée, s’est notamment basé sur le fait que l’Albanie figure sur la liste des pays d’origine sûrs fixée par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006. Ils estiment en effet que ledit règlement serait contraire aux dispositions de la directive 2005/85/CE et à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après « CEDH », de sorte que le tribunal devrait refuser de l’appliquer dans le cadre du présent litige conformément à l’article 95 de la Constitution. Ainsi, ils s’emparent de la volonté affichée par l’Union européenne d’harmoniser la politique d’asile pour considérer qu’à défaut de liste commune minimale, il ne pourrait y avoir aucune harmonisation, puisque l’établissement d’une liste nationale de pays d’origine sûrs conduirait nécessairement à une discrimination tant du point de vue du pays d’origine que du point de vue des Etats chargés d’instruire la demande d’asile. Dans cet ordre d’idées, ils exposent que ce serait surprenant que le Luxembourg ait pu établir une telle liste, alors que les Etats membres de l’Union européenne ont échoué à établir une liste commune dans ce sens.
Par ailleurs, les consorts … affirment que la notion de « pays d’origine sûr » aurait toujours été fortement critiquée et rappellent que l’UNHCR aurait estimé que l’application de cette notion devrait être limitée et inclure la possibilité réelle de réfuter une présomption de sécurité. Les demandeurs soulignent que l’UNHCR aurait dès lors retenu que chaque cas devrait être examiné individuellement quant au fond et qu’il faudrait des critères clairs pour déterminer à quel moment un pays peut être inclus dans une liste commune des pays d’origine sûrs. Dans le même ordre d’idées, les demandeurs rappellent que la Commission consultative des Droits de l’Homme aurait souligné que l’adoption d’une liste des pays d’origine sûrs serait contraire à l’article 3 de la Convention de Genève, alors qu’elle conduirait à une discrimination entre réfugiés en raison de leur nationalité. Par ailleurs, la Commission consultative des Droits de l’Homme aurait mis en évidence la difficulté matérielle pour les demandeurs de renverser cette présomption et aurait constaté que souvent le seul critère utilisé pour dresser une telle liste serait l’adhésion des pays à des instruments internationaux de droits de l’Homme, mais non pas le respect effectif des droits de l’Homme par ces pays. Ils soulignent encore que dans son avis du 3 mai 2005 sur le projet de loi relatif au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, le Conseil d’Etat a proposé de supprimer la possibilité de fixer une liste de pays d’origine sûrs. Les demandeurs reprochent également au règlement grand-ducal de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste a été établie, de sorte que la pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée. Finalement, les demandeurs affirment que d’après l’article 21(4) de la loi du 5 mai 2006, la désignation de pays d’origine sûr se ferait pour chaque pays après un examen détaillé de la situation particulière dudit pays. Ils concluent que le règlement grand-
ducal du 21 décembre 2007 serait illégal et inapplicable, tant pour violation de l’article 3 de la Convention de Genève que pour violation des dispositions communautaires dont la directive 2005/85/CE et plus particulièrement la pluralité des sources exigée par cette directive.
Ils demandent par conséquent au tribunal de ne pas faire application dudit règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 sur base de l’article 95 de la Constitution.
Les demandeurs s’emparent ensuite d’une prétendue violation de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et de l’article 1er section A2 de la Convention de Genève pour affirmer que le ministre, en traitant leurs demandes de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée, aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce. En effet, contrairement à ce qu’a retenu le ministre, les faits exposés soulèveraient des questions pertinentes et rempliraient les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
Au dispositif de leur requête introductive d’instance, ils sollicitent l’institution d’« une mesure d’instruction complémentaire contradictoire. ».
Le délégué du gouvernement estime que ce serait à bon droit que le ministre, après examen individuel de leur demande de protection internationale, a conclu que les demandeurs proviendraient d’un pays d’origine sûr au sens du règlement du 21 décembre 2007, que par ailleurs, ce dernier serait légal et que ce serait encore à bon droit que le ministre a retenu que des faits invoqués par les demandeurs ne seraient pas pertinents ou d’une pertinence insignifiante au sens de l’article 20, a) de la loi du 5 mai 2006.
Dans la mesure où le tribunal statue dans le cadre du recours en annulation, la loi applicable au fond est celle en vigueur au moment où la décision déférée a été prise, en l’occurrence celle du 5 mai 2006.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 :
« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
[…] c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;[…] ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement en ce qui concerne le point c) de l’article 20, paragraphe (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Plus particulièrement quant à l’application éventuelle de l’article 20, paragraphe (1) c) de la loi du 5 mai 2006, il se dégage de la lecture de l’article 21, paragraphe (2), précité, qu’un pays peut être qualifié de pays d’origine sûr soit si le demandeur en a la nationalité, soit s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays.
Il est constant en cause qu’en vertu du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, l’Albanie figure sur la liste des pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006.
En l’espèce, il est également constant en cause que les demandeurs ont la nationalité albanaise et qu’ils ont résidé en Albanie avant de venir au Luxembourg de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer dans le cadre de la procédure accélérée.
Dans ce cadre, s’agissant du moyen tendant à ce que le tribunal n’applique pas le règlement grand-ducal précité dans la présente affaire, il échet tout d’abord de rappeler que le rôle du tribunal consiste à vérifier, dans le cadre de la compétence lui déférée par l’article 95 de la Constitution, que la norme réglementaire incriminée est conforme aux lois, et le cas échéant, d’en écarter l’application, mais non de contrôler l’exactitude matérielle des faits pris en considération et d’annuler, le cas échéant, la disposition réglementaire. Ainsi, à défaut de violation allégée d’une quelconque disposition légale par un règlement grand-ducal, le tribunal n’est pas autorisé en refuser l’application dans un cas concret. En l’espèce, au vu de l’habilitation légale accordée par l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 au pouvoir réglementaire de prendre un règlement grand-ducal en vue de la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, au vu des moyens et arguments développés par une partie demanderesse, de vérifier si le règlement grand-ducal a été pris en conformité à la disposition légale précitée fixant ainsi le champ d’application de ladite disposition.
En ce qui concerne les développements des demandeurs consistant à affirmer que le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 tel que modifié par le règlement grand-ducal du 1er avril 2011 ne serait pas conforme à l’article 3 de la Convention de Genève, il y a lieu de rappeler que cet article consacre le principe de non-discrimination des réfugiés et dispose que « Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette convention aux réfugiés sans discrimination quant à la race, la religion ou le pays d’origine ». Or, s’il peut certes y avoir une discrimination prima facie, alors qu’il peut sembler que les personnes cherchant refuge dans un pays disposant d’une liste de pays sûrs ne bénéficieraient plus d’un examen individuel de la situation actuelle de leur pays d’origine, il convient cependant de relever que, d’une part, l’inscription d’un pays sur une telle liste constitue l’aboutissement de l’examen de la situation de ce pays, certes non pas à un niveau individuel, mais à un niveau réglementaire et, d’autre part, qu’en l’espèce, le ministre, au-delà du constat de l’inscription de l’Albanie sur la liste des pays d’origine sûrs, a procédé à une analyse in specie de la situation actuelle des demandeurs dans le contexte de la situation générale de ce pays.
Ainsi, il résulte de la lecture de la décision ministérielle déférée que la demande des consorts … a fait l’objet d’un examen individuel et que tant en ce qui concerne la décision de statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’en ce qui concerne le refus de leur accorder la protection internationale, le ministre a non seulement pris en compte l’origine des demandeurs, mais a fait un examen précis de leur situation individuelle, notamment sur la toile de fond de la situation sécuritaire et légale de l’Albanie. En effet, la décision ministérielle entreprise n’est pas basée sur le simple motif que les demandeurs proviennent d’un pays considéré comme étant d’origine sûr, mais bien au contraire sur de nombreux motifs différents, correspondant aux critères contenus dans la Convention de Genève.
Les demandeurs, comme relevé ci-avant, reprochent en outre au règlement grand-ducal en cause de rester muet quant aux critères d’après lesquels la liste est à établir, de sorte que la pluralité des sources exigée par la directive 2005/85/CE ne saurait être valablement vérifiée.
De même, ils reprochent au règlement grand-ducal de contrevenir aux dispositions de l’article 21 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006, alors qu’en établissant une liste des pays d’origine sûrs, il n’existerait pas de garantie qu’il y ait eu effectivement un examen pays par pays comme l’exigerait la loi. Sur base de ces affirmations, les demandeurs invoquent dès lors un manque de motivation au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. Force est au tribunal de rappeler que contrairement à ce qui est imposé pour les décisions administratives individuelles par l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 sur la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, inapplicable en matière réglementaire, aucun texte n’oblige l’administration à formuler de manière expresse et explicite les motifs gisant à la base d’un acte à caractère réglementaire, dont toutefois le motif doit être légal et à cet égard vérifiable par la juridiction administrative. S’agissant en l’espèce d’un acte à caractère réglementaire, il peut valablement contenir sa motivation dans son exposé des motifs et son commentaire des articles, lesquels contiennent par ailleurs une motivation explicite en ce qui concerne les sources et critères retenus pour qualifier certains pays comme pays d’origine sûrs, motivation qui n’a pas fait l’objet de critiques de la part des demandeurs.
Au vu des développements qui précèdent, le moyen quant à la contrariété du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 tel que modifié par le règlement grand-ducal du 1er avril 2011 aux dispositions de la directive 2005/85/CE et à l’article 3 de la CEDH laisse d’être fondé. Le tribunal se doit donc d’appliquer le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité.
En ce qui concerne l’analyse de la situation personnelle décrite par les demandeurs, lors de leurs auditions par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères ainsi que des développements présentés au cours de la présente procédure contentieuse, force est au tribunal de constater que les demandeurs ont fait l’objet à plusieurs reprises, tel qu’il ressort également des pièces déposées par eux, d’attaques violentes contre leur vie, sans que les autorités albanaises ont été capables de leurs assurer une protection adéquate. En effet, dans la mesure où il n’est contesté par la partie étatique que la maison des demandeurs a été détruite par des explosifs et que, notamment, le demandeur a été gravement blessé à l’arme blanche le soir du 24 août 2013, et que les auteurs soupçonnés de ces attaques n’ont pas été inquiétés par les autorités albanaises bien que les demandeurs ont une suspicion précise qui en sont les coupables, le tribunal est amené à conclure que dans le cas concret des demandeurs, l’Albanie n’est pas à considérer comme pays d’origine sûr, de sorte que la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20, c) de la loi du 5 mai 2006 n’est pas fondée.
En ce qui concerne la pertinence des faits invoqués, au sens de l’article 20, a) de la loi du 5 mai 2006, le tribunal est amené à conclure que s’il est exact que les actes sous analyse ne tombent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève pour ne pas avoir été motivés pour un des critères de fond de cette disposition, il n’en reste pas moins que ces faits ne sont pas à qualifier comme étant non pertinents ou uniquement d’une pertinence insignifiante au regard de l’analyse de la protection subsidiaire, les faits relatés étant en effet pertinents dans le cadre de l’analyse d’une exécution voire de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation sous analyse est à déclarer fondé et que la décision déférée encourt l’annulation.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 9 décembre 2015 portant refus d’une protection internationale Dans la mesure où le tribunal a annulé la décision ministérielle de statuer sur le bien-
fondé de la demande de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée et dans la mesure où la prédite décision ministérielle n’est pas exempte de conséquences en ce qui concerne les garanties pour les demandeurs, notamment en termes de double degré de juridiction, droit qui ne saurait être rétabli par le tribunal dans le cadre du recours en réformation sous analyse, il y a lieu d’annuler la décision ministérielle déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier devant le ministre afin qu’il procède à un réexamen de la demande de protection internationale des consorts ….
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision précitée encourt l’annulation.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 9 décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif que la décision portant refus de reconnaissance d’une protection internationale devrait être réformée.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».
Dans la mesure où le tribunal administratif vient d’annuler tant la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que la décision ayant refusé de faire droit à leur demande en obtention d’une protection internationale, il y a lieu d’annuler également l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 9 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision ministérielle du 9 décembre 2015 de statuer sur le bien-
fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 décembre 2015 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 9 décembre 2015 portant refus d’une protection internationale et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 9 décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare justifié ;
partant, annule la décision ministérielle du 9 décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire et renvoie l’affaire devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile en prosécution de cause ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Géraldine Anelli, attaché de justice, et lu à l’audience publique extraordinaire du 29 février 2016, à 17.00 heures, par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 4 mars 2016 Le greffier du tribunal administratif 11