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29/02/2016 | LUXEMBOURG | N°35845

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 février 2016, 35845


Tribunal administratif N° 35845 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2015 2e chambre Audience publique du 29 février 2016 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, alias …, alias … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police d’étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35845 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2015 par Maître Karima Hammouche, avoca

t à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclaran...

Tribunal administratif N° 35845 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 février 2015 2e chambre Audience publique du 29 février 2016 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, alias …, alias … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police d’étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35845 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2015 par Maître Karima Hammouche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, alias …, déclarant être né le… et être de nationalité marocaine, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité tunisienne, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité algérienne, alias …, déclarant être né le … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement sans domicile connu, mais élisant domicile en l’étude de Maître Karima Hammouche, préqualifiée, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 12 décembre 2014 portant à son égard interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Karima Hammouche et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Gillou-Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er février 2016.

Le 31 janvier 2011, Monsieur …, alias …, alias …, alias …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Le 29 novembre 2012, Monsieur … fut placé en détention préventive pour infractions à la législation sur les stupéfiants.

Par jugement du tribunal de police de Luxembourg du 4 février 2013, il fut condamné à une amende de 400 euros pour vol.

Par arrêt de la Cour d’appel du 9 juillet 2014, siégeant en matière correctionnelle, il fut définitivement condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, dont 18 mois assortis du bénéfice du sursis, ainsi qu’à une amende de 2.000 euros, du chef d’infractions à la législation sur les stupéfiants.

Par décision du 12 septembre 2014, notifiée à l’intéressé par affichage public, le ministre de l'Immigration et de l'Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Suite à un signalement, Monsieur … fut incarcéré au Centre pénitentiaire de Luxembourg du 7 novembre au 13 décembre 2014, dans le cadre de l’exécution de la contrainte par corps relative aux peines d’amende auxquelles il avait été condamné par les décisions susmentionnées des juridictions répressives luxembourgeoises des 4 février 2013 et 9 juillet 2014.

Par deux arrêtés du 12 décembre 2014, notifiés à l’intéressé le même jour, le ministre prononça une interdiction du territoire pour une durée de cinq ans à l’encontre de Monsieur … et ordonna son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question, la décision portant interdiction d’entrée sur le territoire étant motivée comme suit : « (…) Vu l’article 112 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Vu ma décision de retour du 12 septembre 2014, lui notifiée par voie d’affichage public ;

Attendu que l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 février 2015, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 12 décembre 2014 portant à son égard interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Etant donné qu’aucune disposition de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après « la loi du 29 août 2008 », ni aucune autre disposition légale n’instaurent de recours au fond en matière d’interdiction d’entrée sur le territoire, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation. Le recours subsidiaire en annulation ayant été introduit dans les formes et délai prévu par la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, Monsieur … expose les faits et rétroactes à la base de la décision déférée.

En droit, il conclut à l’annulation de la décision litigieuse pour défaut de motivation. A cet égard, il fait valoir que le ministre se serait contenté de mentionner qu’il constituerait une menace pour l’ordre public, sans préciser les raisons pour lesquelles il estimerait que tel serait le cas.

Par ailleurs, il fait valoir que ladite décision constituerait une atteinte disproportionnée à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ». A l’appui de ce moyen, il se plaint de n’avoir été informé de l’interdiction d’entrée sur le territoire prononcée à son encontre que tardivement, soit à un moment où cette information n’aurait plus eu d’utilité « (…) pour une défense efficiente contre la motivation de la décision prise (…) », le demandeur étant d’avis qu’il aurait dû être entendu avant la prise de la décision ministérielle « (…) ayant donné lieu à sa mise en rétention administrative et donc ayant donné lieu à une restriction de sa liberté d’aller et de venir (…) », afin de lui permettre de « (…) s’opposer à une telle mesure et [de] soumettre sa défense en temps utile (…) ».

Le demandeur conclut encore à une violation de l’article 7 de la CEDH. En se prévalant d’un arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », du 15 décembre 2009, il soutient qu’en raison de sa gravité, la décision déférée devrait être qualifiée de peine au sens dudit article 7 de la CEDH, en ce qu’elle aurait pour effet de restreindre sa liberté d’aller et de venir, liberté fondamentale garantie par la prédite Convention. Or, une telle peine ne pourrait être prononcée « (…) dans [le] système juridique [luxembourgeois] que pour des raisons tenant à des infractions sanctionnées (…) ».

Par ailleurs, la décision déférée serait contraire au principe « non bis in idem », tel que consacré par l’article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le demandeur estimant qu’il se serait vu infliger une double peine, étant donné que suite à la commission d’une infraction pénale, il aurait été condamné non seulement à une peine d’emprisonnement – qu’il aurait d’ailleurs subie « (…) sous réserve du bénéfice de sa libération anticipée (…) » –, mais aussi à une autre sanction, à savoir la décision litigieuse portant à son égard interdiction d’entrée sur le territoire.

En se prévalant de l’article 14 de la CEDH, le demandeur soutient encore que la décision déférée, d’une part, violerait son droit à un procès équitable, dans la mesure où il se serait vu infliger une peine privative de sa liberté d’aller et de venir sur le territoire du Grand-Duché de Luxembourg, sans avoir été entendu à cet égard et, d’autre part, le priverait de son droit d’accès à la justice, dans la mesure où elle l’empêcherait de faire valoir son droit d’être indemnisé du préjudice lui causé par une tentative d’assassinat dont il aurait été victime le 31 octobre 2012 et dont l’auteur ferait actuellement l’objet d’un procès devant les juridictions répressives luxembourgeoises, dans le cadre duquel il se serait constitué partie civile. Dans ce contexte, le demandeur décrit les blessures qui lui auraient été infligées par le prévenu et il donne à considérer, premièrement, que deux audiences auraient été fixées aux 11 et 12 février 2015, deuxièmement, que « (…) tout laisse[rait] à croire qu’une expertise sera[it] (…) ordonnée pour évaluer [son préjudice] (…) » et, troisièmement, que le jugement à intervenir à l’issue de la susdite procédure pénale serait « (…) certainement entrepris (…) » par l’auteur des faits en question.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Quant au moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse, le tribunal relève qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et elle doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, dans les seules hypothèses énumérées de manière limitative à l’alinéa 2 dudit article 6. Or, le cas d’espèce ne tombe dans aucune des hypothèses ainsi énumérées, de sorte qu’une violation de l’article 6, alinéa 2, précité, du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne saurait être retenue.

Comme il n’existe en outre aucun autre texte légal ou règlementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire, prise sur le fondement de l’article 112 de la loi du 29 août 2008, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée.

A titre superfétatoire et en fait, le tribunal relève que la décision litigieuse – qui fait référence à une décision de retour du 12 septembre 2014, tout en indiquant sa base légale, en l’occurrence l’article 112 de la loi du 29 août 2008 – est motivée par la considération selon laquelle, compte tenu de ses antécédents judiciaires, le demandeur constituerait une menace pour l’ordre public, cette motivation ayant été complétée au cours de la présente instance par la partie étatique. En effet, dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se prévaut de l’arrêt, précité, de la Cour d’appel du 9 juillet 2014 en insistant sur le fait que les infractions retenues à charge du demandeur, à savoir l’importation et la revente de cocaïne et d’héroïne, auraient été commises en bande organisée, en l’occurrence par un réseau d’une dizaine de personnes. Or, une telle activité nuirait clairement à l’ordre public, ce d’autant plus qu’il se dégagerait du jugement de première instance que les substances illicites auraient également été vendues à des mineurs, que le demandeur aurait à maintes reprises changé sa version des faits au cours de l’enquête et qu’il aurait reconnu financer sa vie quotidienne par la vente de stupéfiants.

Il suit de ces considérations que le moyen tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au fond, le tribunal relève que l’article 112 (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « (…) Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure. Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. (…) ».

L’article 112 (1), précité, de la loi du 29 août 2008 permet dès lors au ministre, en prenant en considération les circonstances propres à chaque cas, d’assortir une décision de retour d’une interdiction d’entrée sur le territoire, prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure, la durée de l’interdiction d’entrée sur le territoire ne pouvant, en principe, pas excéder cinq ans, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.

Le ministre dispose en la matière d’un pouvoir d’appréciation discrétionnaire, sauf en ce qui concerne la durée de l’interdiction du territoire qui peut être fixée, en principe, à un maximum de cinq ans et sous la réserve de l’obligation de prise en compte des circonstances propres à chaque cas.

Cette dernière obligation est le reflet de l’obligation du ministre de respecter le principe général de proportionnalité. En effet, le pouvoir discrétionnaire du ministre n’échappe pas au contrôle des juridictions administratives, en ce que le ministre ne saurait verser dans l’arbitraire. Ainsi, confronté à une décision relevant d’un pouvoir d’appréciation étendu, le juge administratif, saisi d’un recours en annulation, est appelé à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis, en ce sens qu’au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision.1 Le tribunal relève que par le biais de la décision ministérielle, précitée, du 12 septembre 2014 portant refus de sa demande de protection internationale, le demandeur a fait l’objet, conformément à l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, en vertu duquel « (…) Une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) », d’une décision de retour, c’est-

à-dire, aux termes de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, d’une « (…) décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Le tribunal précise ensuite qu’en vertu du renvoi opéré par l’article 22 (3) de la loi du 5 mai 2006, l’article 112, précité, de la loi du 29 août 2008 est applicable aux décisions de retour découlant des décisions de refus de protection internationale prises sur base de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, telles que celle dont le demandeur a fait l’objet le 12 septembre 2014, cette décision étant, par conséquent, susceptible d’être assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire prononcée soit simultanément, soit par décision séparée postérieure.

Etant donné, d’une part, qu’il se dégage de l’arrêt susmentionné de la Cour d’appel du 9 juillet 2014 que le demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, dont 18 mois assortis du bénéfice du sursis, ainsi qu’à une amende de 2.000 euros, notamment pour avoir « (…) de manière illicite importé, vendu et de quelque autre façon mis en circulation des quantités indéterminées de cocaïne et de marihuana (…) » et pour avoir « (…) vendu et de quelque autre façon mis en circulation une quantité indéterminée de cocaïne et de marihuana à une dizaine de personnes (…) » et, d’autre part, que la lutte contre le trafic de stupéfiants constitue un intérêt fondamental de la société2, le tribunal retient que le ministre pouvait a priori valablement assortir la décision de retour susmentionnée d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans par décision séparée postérieure, sur base du constat que le demandeur constitue une menace pour l’ordre public, constat qui n’a d’ailleurs pas fait l’objet de contestations circonstanciées de la part de l’intéressé.

S’agissant du moyen tiré de la violation de l’article 6 de la CEDH, selon lequel « (1) Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien -

fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) », en ce que le demandeur n’aurait été informé de l’interdiction d’entrée sur le territoire prononcée à son encontre que tardivement, soit à un moment où cette information n’aurait plus eu d’utilité « (…) pour une défense efficiente contre la motivation de la décision prise (…) », respectivement en ce qu’il n’aurait pas été entendu avant la prise de la décision ministérielle « (…) ayant donné lieu à sa mise en rétention administrative et donc ayant donné lieu à une restriction de sa liberté d’aller et de venir (…) », de sorte qu’il aurait été privé de la possibilité de « (…) s’opposer à une telle mesure et [de] soumettre sa défense en temps utile (…) », le tribunal retient qu’outre le fait qu’il n’est pas saisi d’un recours introduit à 1 Trib. adm., 27 février 2013, n° du rôle 30584, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n° 581.

2 Cour adm., 5 juin 2012, n° 29926C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n° 505.

l’encontre d’une décision de rétention administrative, de sorte que les développements afférents du demandeur sont à écarter pour défaut de pertinence, l’argumentation de Monsieur … selon laquelle il aurait été privé de la possibilité de présenter sa défense en temps utile est à rejeter pour manquer en fait, étant donné, d’une part, que le demandeur a valablement pu introduire le présent recours et, d’autre part, qu’il lui aurait été loisible de saisir le président du tribunal administratif d’une demande tendant à l’institution d’une mesure de sauvegarde, dans l’attente de l’issue du présent litige, ce qu’il n’a pourtant pas fait. Il s’ensuit que le moyen sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Pour les mêmes motifs, cette conclusion s’impose également en ce qui concerne le moyen tiré de la violation du droit à un procès équitable, respectivement du droit à un recours effectif inscrit à l’article 13 de la CEDH – le demandeur se référant de façon erronée à l’article 14 de la CEDH, relatif à l’interdiction des discriminations dans le cadre de la jouissance des droits garantis par la CEDH –, au motif que Monsieur … se serait vu infliger une peine privative de sa liberté d’aller et de venir sur le territoire luxembourgeois, sans avoir été entendu au préalable. A titre superfétatoire, le tribunal relève que la décision déférée ne constitue pas une peine, au motif que le but assigné à l’interdiction d’entrée et de séjour sur le territoire est celui d’écarter du territoire, sinon d’empêcher l’entrée des personnes susceptibles de troubler la sécurité, la tranquillité et l’ordre publics et non celui de sanctionner les personnes concernées pour des faits passés, les mesures administratives relatives au contentieux de l’expulsion, de la reconduite à la frontière ou du séjour ne constituant pas une double peine dans la mesure où elles n’ont pas le caractère d’une sanction pénale mais constituent des mesures de police exclusivement destinées à protéger l’ordre et la sécurité publics.3 Il s’ensuit que le moyen sous analyse est également à rejeter sous cet angle.

Eu égard à ces précisions quant à la nature et au but d’une interdiction d’entrée sur le territoire, les moyens tirés de la violation, d’une part, de l’article 7 (1) de la CEDH, aux termes duquel « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise » et, d’autre part, du principe « non bis in idem », tel que consacré notamment par l’article 14.7 du Pacte international relatif aux droits civils et politique, aux termes duquel « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays », sont à rejeter, en ce qu’ils reposent tous les deux sur la prémisse erronée que la décision déférée serait constitutive d’une peine destinée à sanctionner des infractions antérieurement commises, étant encore précisé que l’arrêt de la CourEDH4, dont le demandeur se prévaut à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 7 (1), précité, de la CEDH, n’est pas transposable à sa situation, étant donné que ledit arrêt a trait au remplacement, par le juge pénal espagnol, en instance d’appel et sur le réquisitoire du ministère public, sans que le prévenu n’ait été entendu, d’une peine de prison infligée à un étranger par une expulsion du territoire et une interdiction de retour, peine de remplacement prévue par le Code pénal espagnol, partant à une situation ne présentant aucune similitude avec celle du demandeur, qui fait l’objet d’une mesure administrative débattue contradictoirement devant le tribunal de céans.

3 Cour adm., 10 décembre 2013, n° 32970C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Droits de l’Homme et libertés fondamentales, n° 53 et les autres références y citées.

4 Arrêt 15.12.2009, Gurguchiani c. Espagne, n° 16012/06.

S’agissant en dernier lieu du moyen tiré de la violation du droit à un recours effectif, tel que prévu par l’article 13 de la CEDH – le demandeur se référant de façon erronée à l’article 14 de la CEDH, relatif à l’interdiction des discriminations dans le cadre de la jouissance des droits garantis par la CEDH, tel que relevé ci-avant –, respectivement du droit d’accès à la justice, en ce que la décision déférée empêcherait le demandeur de faire valoir son droit d’être indemnisé du préjudice lui causé par la tentative d’assassinat dont il aurait été victime, force est au tribunal de constater qu’il se dégage des pièces versées en cause que les faits en question ont donné lieu à une information judiciaire, dans le cadre de laquelle un rapport d’expertise médicale a été dressé le 5 septembre 2013 sur la personne du demandeur, ce rapport décrivant en détail les blessures lui infligées, de sorte que son préjudice corporel est a priori déterminable à partir des éléments du dossier répressif, sans que sa présence sur le territoire luxembourgeois ne soit requise à cette fin. Par ailleurs, la décision litigieuse ne prive pas le demandeur de sa faculté de charger un litismandataire de la défense de ses intérêts dans le cadre de la procédure pénale susvisée – ce qu’il a d’ailleurs fait, ainsi que cela se dégage de la constitution de partie civile versée en cause –, ledit litismandataire pouvant, le cas échéant, fournir des éléments de preuve complémentaires en relation avec l’évaluation du préjudice de Monsieur …, tels que des attestations testimoniales ou des certificats médicaux, ne nécessitant pas la présence physique de l’intéressé sur le territoire luxembourgeois. Dans ces circonstances, le tribunal ne saurait suivre l’argumentation du demandeur selon laquelle la décision déférée violerait son droit à un recours effectif, respectivement son droit d’accès à la justice en ce qu’elle l’empêcherait de faire valoir son droit à réparation, de sorte que le moyen sous analyse est à écarter.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 29 février 2016 par le premier juge, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s.Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 février 2016 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 35845
Date de la décision : 29/02/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-02-29;35845 ?

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