La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/02/2016 | LUXEMBOURG | N°37338

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 24 février 2016, 37338


Tribunal administratif Numéro 37338 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2015 Ire chambre Audience publique du 24 février 2016 Recours formé par Monsieur …et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37338 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2015 par Maître François Gengler,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif Numéro 37338 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 décembre 2015 Ire chambre Audience publique du 24 février 2016 Recours formé par Monsieur …et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37338 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2015 par Maître François Gengler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), et de son épouse, Madame …, née le … à …, tous deux de nationalité monténégrine, demeurant ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même jour portant refus de leur accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 janvier 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître José Lopes, en remplacement de Maître François Gengler, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives.

Le 21 septembre 2015, Monsieur …et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux …», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, dénommée ci-après « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des époux … sur leurs identités et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un rapport du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour, conformément à l’article 8 de la loi du 5 mai 2006.

Le 27 octobre 2015, Monsieur …fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, tandis que son épouse, Madame … fut entendue séparément pour les mêmes raisons le même jour.

Par décision du 8 décembre 2015, notifiée par courrier recommandé expédié le 9 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et d’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les époux … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 décembre 2015, les époux … ont fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 8 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à leurs demandes de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

Le tribunal relève à titre liminaire qu’en date du 28 décembre 2015 a été publiée au Mémorial A la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après dénommée « la loi du 18 décembre 2015 », abrogeant la loi du 5 mai 2006 et sans prévoir de dispositions transitoires relatives aux questions de compétence et de procédure ou quant aux voies de recours.

Une nouvelle loi est applicable aux instances en cours quand elle se contente de modifier les formes ou la procédure du recours, mais elle ne l’est pas lorsqu’elle affecte la recevabilité même du recours qui doit être appréciée selon la loi en vigueur au jour où la décision a été prise. En résumé, l’existence d’une voie de recours est régie, en l’absence de mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée1.

Ainsi, à défaut par le législateur d’en avoir autrement disposé, l’existence et la nature des recours ouverts en l’espèce sont régies par la loi du 5 mai 2006.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur les demandes de protection internationale des époux … dans le cadre d’une procédure accélérée.

Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre d’avoir retenu à tort que leur récit rentrerait dans l’une des hypothèses énumérées à 1 Jurisclasseur, Procédure civile, fasc. 61, Application dans le temps des lois de droit judiciaire privé, n°72, date de dernière mise à jour : 4 janvier 2013.

l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et d’avoir statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Les demandeurs estiment que ce serait à tort que le ministre a retenu qu’ils n’auraient soulevé que des faits sans pertinence et qu’ils ne rempliraient pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié, en soutenant qu’ils n’auraient pas bénéficié d’une analyse et d’un examen concrets des faits à la base de leurs demandes.

Les demandeurs font exposer que Monsieur …serait dans un état de santé alarmant et il serait discriminé au point que l’accès à un traitement adéquat lui aurait été refusé. Etant donné qu’aucun traitement adéquat n’existerait dans son pays, il aurait été transféré dans un établissement médical en Turquie pour recevoir des soins, le coût desquels il aurait dû prendre à sa charge.

Quant à la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement de l’article 20 (1), c) de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs font valoir qu’ils auraient exposé des raisons valables de penser que le Monténégro ne serait pas à considérer comme un pays d’origine sûr eu égard à leur situation personnelle, et plus particulièrement en tenant compte des tensions existant entre ressortissants serbes et albanais dans le pays.

Le ministre aurait dès lors omis de prendre en considération leur situation in concreto puisqu’il se serait contenté d’argumenter au sujet de la situation générale au Monténégro pour conclure qu’il s’agirait d’un pays d’origine sûr. Or, l’argument du ministre suivant lequel le Monténégro serait un Etat démocratique qui veillerait aux droits et libertés fondamentales et que ce pays disposerait d’un système judiciaire indépendant laisserait penser qu’il aurait manqué de se confronter à la réalité, et plus particulièrement à celle les concernant.

Les demandeurs sollicitent en tout état de cause l’annulation de la décision litigieuse pour défaut de motivation, excès de pouvoir, abus de pouvoir ou irrégularité formelle.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur les demandes de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.

En ce qui concerne les dispositions légales applicables et à prendre en considération dans le cadre de l’examen au fond de ce volet de la décision, il échet de décider que dans la mesure où le tribunal est valablement saisi d’un recours en annulation dirigé contre ce volet de la décision déférée, seules les dispositions afférentes de la loi applicable au jour où le ministre a pris la décision sont à examiner par le tribunal afin de vérifier la légalité de ce volet de la décision lui soumise. Ainsi, dans le cadre de ce volet de l’instance, et malgré le fait qu’elle ait été abrogée par la loi du 18 décembre 2015, seule la loi du 5 mai 2006 peut trouver application.

Il y a lieu de rappeler que le tribunal, saisi d’un recours en annulation, vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et contrôle si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés et dans ce cadre, il lui appartient d’abord de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, en ce compris la procédure ayant abouti à la décision litigieuse, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

En ce qui concerne tout d’abord le prétendu défaut de motivation de la décision ministérielle déférée, force est de prime abord de relever que les demandeurs se contentent de faire état d’un défaut de motivation, sans autrement expliquer leur moyen.

Il y a, à cet égard, lieu de rappeler que si, en vertu de l’article 6 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, dont celles refusant de faire droit à une demande, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il suffit que ces indications soient sommaires. Quant à l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, qui requiert que le ministre statue sur la demande de protection internationale par une décision motivée, cette disposition n’indique pas le degré de précision à laquelle cette motivation doit correspondre, de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’une motivation sommaire est suffisante, pour autant que plus particulièrement le destinataire de la décision comprenne les motifs à la base de la décision de refus.

En l’espèce, au vu de la décision ministérielle elle-même qui indique clairement les motifs à sa base, en les développant sur un total de 8 pages, complétée encore par les explications apportées par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse, et à défaut par les demandeurs de développer plus amplement le moyen suivant lequel la décision déférée pècherait par un défaut de motivation, le tribunal est amené à retenir que la motivation à la base de la décision de statuer sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée fournie en l’espèce est conforme aux exigences de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne la légalité intrinsèque de la décision critiquée et plus particulièrement les moyens d’annulation fondés sur un excès ou détournement de pouvoir commis par le ministre, le tribunal est là encore amené à relever que les demandeurs se contentent d’invoquer ces moyens sans pour autant les développer. Or, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à des moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement.

Il s’ensuit que ces moyens d’annulation doivent également être écartés pour ne pas être fondés.

Force est ensuite de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels :

« (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de cette demande en obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006.

Par ailleurs, les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, le fait qu’une seule des conditions soit valablement remplie justifie la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point a) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et qu’en vertu du point d) du même article, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays.

L’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 dispose : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

En l’espèce, force est de constater que lors de leurs auditions par l’agent compétent de la direction de l’Immigration, les demandeurs ont souligné avoir quitté leur pays d’origine en raison du fait que, depuis les années 1990, ils n’arriveraient pas à trouver du travail et se trouveraient au chômage, les administrations refusant de donner du travail aux musulmans.

Ils ajoutent que Monsieur …serait tombé malade, mais que des soins médicaux lui auraient été refusés dans leur pays d’origine. Les demandeurs soulignent à ce sujet que pour obtenir des soins, il faudrait « donner des pots-de-vin » aux médecins, la caisse de maladie ne rembourserait d’ailleurs que les soins de base, les soins dispensés à l’étranger et non disponibles au Monténégro, ne seraient pas pris en charge, Monsieur …ayant ainsi dû prendre à sa charge le traitement suivi en Turquie.

Si le litismandataire des demandeurs soulève que Monsieur …aurait fait l’objet de discriminations en termes d’accès aux soins et d’accès à l’emploi, le tribunal doit constater que cette affirmation n’est corroboré par aucun élément concret du dossier. Au contraire, il ressort des auditions des demandeurs que Monsieur …a pu bénéficier de soins. Il en ressort également qu’ils ont tous les deux pu s’inscrire auprès du bureau de chômage et qu’il avait même été proposé à Monsieur …de suivre une formation en informatique, sinon en électricité pour mieux s’adapter aux besoins du marché de l’emploi, ce que le demandeur a cependant refusé. Le tribunal constate qu’ils ne font donc pas état du moindre acte discriminatoire dont ils auraient été victime en termes d’accès au marché de l’emploi, ni en termes d’accès aux soins médicaux du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques ou leur appartenance à un certain groupe social.

Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que des problèmes de santé ou la qualité des soins médicaux dans le pays d'origine ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié2. Des difficultés économiques et des considérations d’ordre matériel, telles qu’en l’espèce la difficulté de trouver un emploi ainsi que la crainte de difficultés financières, n’entrent pas non plus dans le champ d’application prévu par la Convention de Genève3.

Force est donc au tribunal de constater que les faits relatés par les demandeurs ne peuvent être rattachés à aucun des critères de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, de sorte qu’ils n’ont dès lors soulevé que des faits dénués de pertinence dans le cadre de la demande de statut de réfugié.

En ce qui concerne l’analyse de la pertinence des faits allégués au regard de la protection subsidiaire, il y a encore lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006 est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces 2 trib. adm. 6 décembre 2000, n°12222 du rôle, confirmé par Cour adm. 8 mars 2001 n°12721C du rôle, Pas.

adm. 2015, V° Etrangers, n° 169, et autres références y citées 3 trib. adm. 20 juin 2001, n°12679 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Etrangers, n°172, et autres références y citées graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Comme il n’y a pas de conflit armé au Monténégro et que les demandeurs n’allèguent pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans leur pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les difficultés dont ils font état peuvent être qualifiées de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants.

Force est à cet égard de constater, d’une part, que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que l’état de santé à lui seul, la situation sanitaire et sociale du pays de destination, ou encore l’état de précarité, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’elle aurait été infligée ou qu’elle résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 2006.

Le tribunal relève d’ailleurs à cet égard que Monsieur …a bien eu accès aux soins de santé au Monténégro.

A cela s’ajoute qu’il ressort de la décision ministérielle litigieuse, sources internationales à l’appui, que le droit à l’assurance-maladie est garanti pour les chômeurs au Monténégro4, et que les autorités monténégrines ont démontré leur détermination à lutter contre la corruption au sein du système de santé et que des suites pénales ont été engagées contre les personnes accusées de corruption.5 Il en résulte que l’examen des faits et motifs invoqués par les époux … à l’appui de leurs demandes en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions, amène le tribunal à conclure que les éléments soumis au ministre sont d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si les demandeurs remplissent les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale en son double volet, de sorte que le ministre a valablement pu décider de statuer sur les demandes de protection internationale des demandeurs dans le cadre d’une procédure accélérée.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait besoin d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) c) de la loi du 5 mai 2006, ainsi que les développements afférents des demandeurs.

2. Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans 4 Bundesamt für Migration und Flüchtlinge, Country fact sheet, Montenegro, octobre 2013, disponible sur www.bamf.de/SharedDocs/MILo-

DB/EN/Rueckehrfoerderung/Laenderinformationen/Informationsblaetter/cfs_montenegro -dl_de.pdf?__blob=publicationFile 5 Anti-corruption portal of Montenegro, Montenegro focuses on healthcare corruption, 8 novembre 2013, disponible sur www.anticorruption-montenegro.org/home/news-from-montenegro/96-montenegro-focuses-on-healthcare-corruption le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

Le tribunal rappelle que le recours en réformation est l’attribution légale accordée au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée à elle au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés6.

Il s’ensuit que le tribunal est amené à appliquer la loi du 18 décembre 2015 dans le cadre du recours en réformation introduit contre la décision du 8 décembre 2015 refusant aux époux … l’octroi de la protection internationale, étant relevé que si la numérotation des dispositions pertinentes relatives aux conditions d’octroi de la protection internationale a changé, leur contenu est resté identique.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs invoquent en substance les mêmes moyens que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, et continuent à soutenir que le ministre n’aurait pas pris en compte leur situation concrète et individuelle.

Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale aux demandeurs.

Ainsi, comme le tribunal vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer que les demandeurs sont restés en défaut de présenter des faits suffisamment pertinents pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, que ce soit au statut de réfugié ou à celui conféré par la protection subsidiaire, comme les dispositions pertinentes de la loi du 18 décembre 2015 concernant le statut de réfugié ou celui de la protection subsidiaire sont identiques à celles de la loi du 5 mai 2006, et comme les demandeurs n’ont fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant d’étayer leurs demandes, le tribunal, statuant par rapport à ce volet en tant que juge de la réformation, ne saurait au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale que réitérer son 6 Cour adm. 21 août 2013, n° 31952C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Recours en réformation, n°11 et autres références y citées analyse précédente, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et moyens invoqués par les demandeurs à l’appui de leurs demandes en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse, que les demandeurs ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, les faits ne rentrant dans aucune des catégories de l’article 2 de la loi du 18 décembre 2015 et n’étant pas suffisamment graves pour être considérés comme des atteintes graves.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3. Quant au recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

De même que pour le premier volet du recours sous examen, il échet également dans le cadre de ce troisième volet de faire exclusivement application de la loi du 5 mai 2006.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté les demandes de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Comme le tribunal vient de retenir que les demandeurs ne sont pas fondés à faire état d’un risque de subir des persécutions ou des atteintes graves, c’est encore à tort que les demandeurs invoquent le principe de précaution à l’appui de leur recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 décembre 2015 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 décembre 2015 portant refus d’une protection internationale aux demandeurs ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 8 décembre 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Michèle Stoffel, juge, Anne Foehr, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 24 février 2016 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24/02/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 37338
Date de la décision : 24/02/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-02-24;37338 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award