Tribunal administratif N° 34630 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 juin 2014 Ire chambre Audience publique du 17 février 2016 Recours formé par la société anonyme …, S.A., …, contre une décision du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, en matière d’arrêté de fermeture de chantier
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34630 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juin 2014 par Maître Laurent Niedner, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à l’annulation d’un arrêté de fermeture de chantier du bourgmestre de la Ville d’Esch-
sur-Alzette du 4 mars 2014 concernant un chantier situé à Esch-sur-Alzette, … ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Véronique Reyter, agissant en remplacement de l’huissier de justice Jean-Claude Steffen, tous les deux demeurant à Esch-sur-
Alzette, du 19 juin 2014 portant signification de la prédite requête à l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonction, établie à L-4138 Esch-sur-Alzette, place de l’Hôtel de Ville ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 novembre 2014 par Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette, ledit mémoire en réponse ayant été notifié par acte d’avocat à avocat du même jour au mandataire de la partie demanderesse ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 19 décembre 2014 par Maître Laurent Niedner pour compte de la société anonyme … S.A., ledit mémoire en réplique ayant été notifié par acte d’avocat à avocat en date du même jour au mandataire de la partie défenderesse ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 janvier 2015 par Maître Steve Helminger pour compte de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette, ledit mémoire en duplique ayant été notifié par acte d’avocat à avocat du même jour au mandataire de la partie demanderesse ;
1 Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laurent Niedner et Maître Hannelore Rivière, en remplacement de Maître Steve Helminger, en leurs plaidoiries respectives.
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La société anonyme … S.A., dénommée ci-après « la société … », fit introduire en date du 4 juin 2013 auprès du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, dénommé ci-après « le bourgmestre », une demande en obtention d’une autorisation de construire un dépôt et « une partie administrative » sur une parcelle inscrite au cadastre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, section … de …, au lieu-dit « Z.I. … », inscrite au cadastre sous les numéros … et … avec l’indication que le terrain en question sera occupé par elle-même et qu’il se trouve à cheval sur des terrains appartenant aux territoires respectifs des communes de Schifflange et d’Esch-sur-
Alzette. En ce qui concerne la partie du terrain se trouvant sur le territoire de la commune d’Esch-sur-Alzette, la demande en question indiqua que celle-ci serait occupée « par un bâtiment qui regroupe une partie administrative, un hangar et un atelier » et qu’ « autour de ce bâtiment est mise en œuvre une surface macadamisée qui accueille des emplacements de stationnement pour voitures et camions, les réserves de matériaux et les équipements nécessaires à l’activité ».
Par un contrat de concession d’un droit de superficie conclu en date du 18 juillet 2013 entre l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, représenté par son ministre des Finances et son ministre de l’Economie et du Commerce extérieur, et la société …, cette dernière s’est vu accorder un droit de superficie s’étendant sur un terrain domanial situé dans la zone d’activités économiques à caractère communal « … » à Esch-sur-Alzette/Schifflange, inscrit au cadastre sous le numéro …, en ce qui concerne la partie du territoire située sur le territoire de la commune d’Esch-sur-Alzette et sous le numéro …, en ce qui concerne la partie du terrain se trouvant sur le territoire de la commune de Schifflange. Suivant l’article 6 dudit contrat, la société … s’est engagée à construire et à exploiter à ses frais sur le fonds en question « une station d’enrobage pour la production d’asphalte ».
Par arrêté du 4 mars 2014, le bourgmestre ferma avec effet immédiat le chantier situé au numéro … de la rue … à … en considération de ce que des travaux auraient été exécutés sur le terrain en question sans autorisation de construire, et ceci au vu d’une descente sur les lieux effectuée en date du 3 mars 2014.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 juin 2014, la société … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté précité du bourgmestre du 4 mars 2014 portant fermeture avec effet immédiat du chantier situé au numéro … de la … à …..
Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la présente matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre l’arrêté de fermeture de chantier précité du 4 mars 2014.
Le recours en annulation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.
2A l’appui de son recours, la demanderesse fait état de son projet de construire sur le terrain sur lequel porte le droit de superficie lui accordé pour une durée de 30 ans par l’Etat suivant contrat précité du 18 juillet 2013, et qui se trouve à cheval entre les communes de Schifflange et d’Esch-sur-Alzette, une installation de production d’asphalte, des bureaux, ainsi qu’un hangar, le tout entouré d’une surface macadamisée et de plantations. Les travaux litigieux seraient couverts par une autorisation de construire émise par le bourgmestre de la commune de Schifflange, ainsi que par une autorisation émise en matière d’établissements classés. Malgré le fait que déjà en date du 4 juin 2013, elle aurait fait introduire une demande en autorisation de construire sur la partie de la parcelle se trouvant sur le territoire de la Ville d’Esch-sur-Alzette, un tel permis de construire n’aurait toujours pas été émis par le bourgmestre, et ce, malgré plusieurs rappels à cet égard. Ainsi, « afin de pouvoir progresser au plus vite », elle aurait procédé « à un échange de terres aux endroits où son projet comporte des plantations », en ce sens qu’elle déclare avoir fait « enlever de la mauvaise terre sur une profondeur de quelques dizaines de centimètres », en la transportant « à la décharge » et en la remplaçant « par de la bonne terre ». Elle estime que du fait que les niveaux du terrain seraient restés « inchangés », ces travaux ne constitueraient ni des travaux de remblai ni de déblai, de sorte à ne pas avoir été soumis à une autorisation de remblai ou de déblai ni à un permis de construire. Elle ajoute qu’elle aurait encore « grand intérêt » à pouvoir effectuer d’autres travaux préparatoires ou provisoires sur la parcelle en question, afin de pouvoir y mettre en place « certaines installations provisoires » qui ne nécessiteraient aucune autorisation, comme par exemple des « vestiaires mobiles ou des cabinets d’aisance ».
La demanderesse justifie son intérêt à agir contre la décision litigieuse du 4 mars 2014 en ce qu’elle entendrait se prémunir contre toute demande de la part de la Ville d’Esch-sur-Alzette de remettre les lieux dans leur état antérieur et d’échapper ainsi à d’éventuelles poursuites pénales.
En droit, la demanderesse reproche tout d’abord au bourgmestre d’avoir violé l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après dénommé le « règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en ce que le bourgmestre aurait dû l’informer de son intention de décréter la fermeture de chantier litigieuse, en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’auraient amené à agir.
L’article 9, alinéa 1er du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dispose comme suit :
« Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir ».
En l’espèce, c’est à bon droit que l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-
Alzette conclut au rejet de ce moyen, au motif que l’exception de l’existence d’un péril en la demeure, prévue par la disposition réglementaire précitée trouve application en l’espèce, étant donné que le bourgmestre se trouvait dans l’obligation de réagir en urgence afin d’arrêter les travaux a priori non couverts par un quelconque permis de construire afférent.
3 A défaut de violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé. Cette conclusion ne saurait être énervée par l’argumentation développée par la demanderesse suivant laquelle à l’époque où l’arrêté de fermeture litigieux a été pris par le bourgmestre, des travaux soumis à autorisation de la part de celui-ci n’auraient pas été en cours, alors qu’elle admet elle-même qu’en février, ainsi qu’au début du mois de mars 2014, elle a procédé à un échange de terres et qu’elle admet de manière expresse qu’elle a procédé à de « véritables travaux de remblais » sur le terrain en question qui auraient été « terminés avant la fin de l’année 2013 », en admettant ne pas disposer d’autorisation afférente de la part du bourgmestre, qu’elle supposait ne pas être requise, en ayant toutefois par la suite tenté de régulariser son dossier en sollicitant une autorisation en matière d’établissements classés au sujet de travaux de « recyclage de déchets, de construction ou d’excavations inorganiques », de sorte à avoir été obligée de faire établir ex post des plans afférents par un bureau d’études au cours des mois de décembre 2013 et janvier 2014.
En deuxième lieu, la demanderesse conclut à une violation de l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, des articles 52.2.1 et 64.1 du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette, de l’article 14-1 de la loi du 22 octobre 2008 portant notamment sur le droit d’emphytéose et le droit de superficie, ainsi que des articles 544 et 552 du Code civil et enfin de l’article 16 de la Constitution, en reprochant pour le surplus au bourgmestre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation et d’avoir violé le principe de proportionnalité, étant donné qu’elle n’aurait fait que procéder à un échange de terres sur une étendue limitée de la parcelle et sans en modifier le relief. Elle estime que ledit échange de terres n’aurait pas été sujet à autorisation, puisqu’il n’aurait pas eu pour objet une modification définitive du niveau du terrain litigieux.
Sur base des photos versées par elle, l’administration communale d’Esch-sur-Alzette fait soutenir que « les terres remblayées n’ont rien de bonnes terres », alors qu’au contraire, elles constitueraient des « déchets inertes de chantier ». Elle se réfère en outre à l’article 52.2.1 du règlement des bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette suivant lequel un permis de construire est requis pour tous travaux de déblai et de remblai, pour la modification du relief du sol, ainsi que pour l’établissement de dépôts de tout genre, tel que notamment des dépôts de déchets inertes.
Elle se base encore sur lesdites photos pour démontrer que les travaux litigieux constitueraient d’importants travaux de remblai qui n’auraient rien à voir avec un simple échange de terres et qui auraient été de nature à modifier le relief du sol en vue de la mise en place notamment d’un hangar, ainsi que de l’aménagement d’un espace libre. Elle conclut que du fait qu’en l’espèce, il s’agirait d’une véritable décharge pour déchets inertes qui aurait été mise en place par la demanderesse sans disposer d’une autorisation afférente de la part du bourgmestre, l’arrêté de fermeture de chantier serait parfaitement justifié.
En ce qui concerne la violation alléguée de diverses dispositions tant constitutionnelles que légales et réglementaires, à savoir l’article 37 de la loi précitée du 19 juillet 2004, les articles 52.2.1 et 64.1 du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-Alzette, l’article 14-1 de la loi précitée du 22 octobre 2008, les articles 544 et 552 du Code civil, ainsi que l’article 16 de la Constitution, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à de tels moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, puisque l’exposé d’un moyen de droit 4requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué.
En effet, en l’espèce, la demanderesse reste en défaut de préciser dans quelle mesure ces dispositions, ayant tantôt trait au droit de superficie, tantôt au droit de propriété, tantôt au cadre légal des permis de construire, auraient été concrètement violées par l’arrêté de fermeture de chantier litigieux émis par le bourgmestre en date du 4 mars 2014.
Or, les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
En ce qui concerne enfin le reproche adressé au bourgmestre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation des faits et d’avoir violé le principe de proportionnalité, il échet de se rallier à l’argumentation développée par l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-
Alzette en ce que celle-ci se réfère à l’article 52.2.1 du règlement des bâtisses de la Ville d’Esch-
sur-Alzette suivant lequel « une autorisation de bâtir est requise (…) pour les travaux de déblai et remblai » et « pour (…) la modification du relief du sol » et « pour l’établissement de dépôts de tout genre, tels que dépôts (…) de déchets inertes ». En effet, non seulement la demanderesse a admis elle-même avoir effectué au cours de l’année 2013 et au début de l’année 2014 des travaux de déblai et de remblai, en affirmant avoir procédé à un « échange de terres », mais il ressort encore des photos non critiquées par la demanderesse et versées par l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette que des remblais importants ont été effectués sur le terrain litigieux, qui d’ailleurs ne sauraient manifestement pas être considérés comme portant sur « de la bonne terre », comme exposé par la demanderesse, étant donné que les photos font apparaître des déchets inertes du chantier. D’ailleurs, le mandataire de la demanderesse a admis que sa partie avait commencé à procéder à faire des travaux de remblai sur le terrain litigieux, en ignorant qu’une autorisation afférente était nécessaire. C’est ainsi qu’au cours de l’été 2013, la société … aurait commencé à faire des travaux de débroussaillage et aurait commencé avec des travaux de remblai au cours des mois de septembre et octobre 2013. Il a d’ailleurs souligné dans ce contexte qu’une autorisation avait été délivrée en matière d’établissements classés afin d’autoriser lesdits travaux de remblai. Ledit mandataire a encore admis au cours des plaidoiries qu’au cours des mois de février à début mars 2014, 20 à 30 centimètres de terres auraient fait l’objet d’un décapage sur une superficie de 2 ares, en estimant que pour les travaux en question, aucun permis de construire n’était nécessaire, au vu de l’envergure limitée des travaux en question, tout en admettant cependant que les vrais travaux de remblai auraient été terminés à la fin de l’année 2013. Il échet enfin de rappeler à cet égard qu’au jour de l’arrêté de fermeture de chantier, aucun permis de construire n’avait été délivré par le bourgmestre, tel que cela ressort d’ailleurs d’un jugement du tribunal administratif du 14 décembre 2015, inscrit sous le numéro 35242 du rôle.
Ainsi, au vu de la disposition réglementaire précitée et de la réalité des travaux effectués par la demanderesse sur le terrain litigieux, tels qu’admis par la demanderesse elle-même, il échet d’en conclure qu’aucune erreur manifeste d’appréciation des faits ne peut être reprochée au 5bourgmestre et celui-ci ne saurait se voir reprocher une quelconque violation du principe de proportionnalité.
Il s’ensuit que les moyens afférents sont à rejeter pour ne pas être fondés.
Aucun autre moyen n’ayant été soulevé en cause, il échet de rejeter le recours en annulation comme n’étant pas fondé.
Au vu de l’issue du litige, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 € formulée par la partie demanderesse, de sorte que celle-ci est à rejeter.
Il échet également de rejeter comme n’étant pas fondée la demande tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 3.000 € sollicitée par l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette, étant donné qu’elle omet de préciser la nature des sommes exposées non comprises dans les dépens et qu’elle ne précise pas en quoi il serait inéquitable de laisser des frais non répétibles à charge de la partie gagnante, la simple référence à l’article de la loi applicable étant insuffisante à cet égard1.
Par ces motifs le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 17 février 2016, par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s. Marc Warken s. Carlo Schockweiler 1 Cour adm. 1er juillet 1997, n° 9891C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 936 et autres références y citées 6Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17/02/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 7