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15/02/2016 | LUXEMBOURG | N°37412

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 février 2016, 37412


Tribunal administratif N° 37412 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 janvier 2016 3e chambre Audience publique extraordinaire du 15 février 2016 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 16, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37412 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2016 par Maître Ardavan Fatholahzadeh,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsi...

Tribunal administratif N° 37412 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 14 janvier 2016 3e chambre Audience publique extraordinaire du 15 février 2016 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 16, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 37412 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2016 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Syrie), de nationalité syrienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation de la décision du ministre l’Immigration et de l’Asile du 17 décembre 2015 déclarant irrecevable sa demande de protection internationale, ainsi que d’une décision implicite de réadmission par les autorités hongroises, ainsi qualifiée, sous-jacente à la décision d’irrecevabilité du 17 décembre 2015 chargeant les autorités ministérielles de l’organisation matérielle de la réadmission de Monsieur … vers la Hongrie ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2016 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 janvier 2016 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom et pour le compte de Monsieur … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 janvier 2016.

Le 19 octobre 2015, Monsieur … introduisit une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées dans un procès-verbal du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale du même jour. Il ressort dudit procès-verbal que la comparaison des empreintes digitales dans la base de données EURODAC releva que Monsieur … avait antérieurement introduit deux demandes de protection internationale en Hongrie en dates des 18 juillet 2008 et 9 juillet 2014.

1 Le 9 novembre 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III », ci-après désigné par « le règlement UE 604/2013 ».

Suite à une demande afférente des autorités luxembourgeoises, l’« Office of Immigration and Nationality – Department of Internal Affairs » de la République de Hongrie les informa en date du 13 novembre 2015 de leur refus de réadmettre de Monsieur … en tant que demandeur d’asile en Hongrie, au motif qu’il bénéficierait du statut de la protection subsidiaire. Dans ce même courrier les autorités hongroises précisèrent encore que Monsieur … pourrait toutefois être transféré à tout moment en Hongrie et ce sur base de l’accord conclu entre le Gouvernement de la République de Hongrie et les Gouvernements des Etats du Benelux relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier signé en date du 23 janvier 2002.

Par téléfax du 23 novembre 2015, les autorités hongroises compétentes acceptèrent la réadmission de Monsieur … sur base du prédit accord de réadmission.

Par décision du 17 décembre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … sur le fondement de l’article 16 de la loi du 5 mai 2006, au motif que la Hongrie serait à considérer comme premier pays d’asile et que ce pays respecterait le principe de non-

refoulement conformément à la Convention de Genève et l’interdiction de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 17 décembre 2015 déclarant sa demande de protection internationale irrecevable, ainsi que, d’après le libellé de la requête introductive d’instance, à l’annulation « d’une décision implicite de réadmission par les autorités hongroises, sous-jacente à la décision du 17 décembre 2015 pris par Monsieur le Ministre de l’Immigration et de l’Asile, chargeant les autorités ministérielles de l’organisation matérielle de sa réadmission vers la Hongrie sous peu de temps ».

A titre liminaire et en ce qui concerne la loi applicable au présent recours, force est au tribunal de constater que la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection a été abrogée par l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « loi du 18 décembre 2015 », laquelle est entrée en vigueur, à défaut de dispositions spécifiques afférentes, trois jours après sa publication au journal officiel le 28 décembre 2015, c’est-à-dire avant que le recours sous analyse ait été déposé, que l’affaire n’ait été prise en délibéré et que le tribunal n’ait statué, de sorte qu’il y a lieu d’analyser le conflit des lois dans le temps ainsi posé.

2 A cet égard le tribunal est amené à conclure que la loi ancienne doit continuer à s’appliquer lorsque la loi nouvelle met en cause le fond du droit.1 Or, l’existence d’une voie de recours est une règle de fond du droit judiciaire et non pas une règle de forme.2 Dès lors, la survie de la loi ancienne joue en matière de voies de recours. Ainsi et dans la mesure où existence d’une voie de recours est régie, en l’absence, comme en l’espèce, de mesures transitoires, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.3 L’article 17 de la loi du 5 mai 2006, applicable en cause, prévoyant expressément que le tribunal administratif est compétent pour connaître d’un recours en annulation contre les décisions ayant déclaré irrecevable une demande de protection internationale sur le fondement notamment de l’article 16 de la même loi, seul un recours en annulation a pu être introduit à l’encontre de la décision ministérielle déférée. Le recours en annulation, en ce qu’il est dirigé contre la décision ministérielle d’irrecevabilité du 17 décembre 2015 par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, est recevable.

Ensuite et en ce qui concerne la recevabilité du recours en ce qu’il est dirigé contre une prétendue décision implicite de réadmission par les autorités hongroises qui serait, selon l’analyse du demandeur, sous-jacente à la décision d’irrecevabilité du 17 décembre 2015 chargeant les autorités ministérielles de l’organisation matérielle de la réadmission de Monsieur … vers la Hongrie, le tribunal constate de prime abord que factuellement les autorités hongroises ont pris une décision explicite de réadmission en date du 23 novembre 2015, de sorte qu’une décision implicite n’existe pas en l’espèce et que le recours sous analyse en ce qu’il est dirigé contre une telle décision implicite est sans objet. Par ailleurs, le tribunal est encore amené à conclure qu’il est en tout état de cause incompétent pour se prononcer sur la légalité d’une décision émanant d’une autorité étrangère, relevant en l’espèce de la souveraineté nationale hongroise, le principe de l’indépendance et de l’égalité souveraine des Etats s’opposant à l’ingérence d’un Etat dans l’exercice de la puissance publique d’un autre Etat.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique avoir quitté son pays d’origine, la Syrie, en raison de problèmes qu’il aurait rencontré avec un policier syrien. Sur recommandation d’un ami haut placé au sein du Service des Renseignements, il se serait rendu en Ukraine où il aurait séjourné pendant 20 mois. Durant son séjour en Ukraine, il aurait découvert que son nom figurerait sur une liste de personnes en état d’arrestation en Syrie. En 2008, il aurait pris la décision d’introduire une demande de protection internationale en Hongrie et ce, en utilisant une fausse nationalité, à savoir la nationalité palestinienne, et une fausse identité, le demandeur expliquant cette usurpation d’identité par sa peur d’être renvoyé en Syrie. Les autorités hongroises auraient fait droit à sa demande et lui auraient accordé le statut de la protection subsidiaire, lequel aurait été renouvelé au mois de janvier 2015. Il ajoute qu’en 2011, lorsque la situation en Syrie commença à se détériorer, il aurait envisagé de révéler sa véritable identité, mais conscient de son attitude antérieure inacceptable, il aurait renoncé à ce faire. Le 19 octobre 2015, il aurait, sous sa véritable identité, introduit une demande de protection internationale au Luxembourg et ce notamment pour y rejoindre son frère, lequel serait également demandeur de protection internationale et qui souffrirait de problèmes cardiologiques et aurait fait un infarctus du myocarde en octobre 2014, le demandeur se prévalant à cet égard du règlement UE 604/2013 en affirmant que 1 Loïc Cadiet, Emmanuel Jeuland, op. cit., n°20.

2 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72 et voir en ce sens : Cour adm. 10 juillet 1997, n° 9804C du rôle, Pas. adm. 2015, V° actes règlementaires, n° 4.

3 Jurisclasseur, Procédure, Vol. 2, fasc. 61, n°72.

3d’après ce même règlement, un Etat membre de l’Union européen peut se déclarer responsable d’une demande de protection internationale, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille.

En droit, le demandeur se prévaut en premier lieu d’une mauvaise application de l’article 16, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006. Ainsi, il est d’avis qu’en cas de renvoi en Hongrie, il se verrait retirer son statut de la protection subsidiaire vu qu’il s’est prévalu d’une fausse identité pour l’avoir. Monsieur … estime dès lors que sa demande de protection internationale devrait être réexaminée par les autorités hongroises en prenant en compte sa véritable identité. A cet égard, il donne à considérer que d’après le libellé du téléfax adressé en date du 23 novembre 2015 aux autorités luxembourgeoises par les autorités hongroises, ces dernières le considéreraient d’ores et déjà comme étranger en situation irrégulière dans la mesure où elles auraient accepté sa réadmission non pas sur base du règlement UE 604/2013, mais sur base de l’accord conclu entre le Gouvernement de la République de Hongrie et les Gouvernements des Etats du Benelux relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier signé en date du 23 janvier 2002. Le demandeur estime dès lors qu’en cas de réadmission par les autorités hongroises, il n’aura plus la possibilité de pouvoir déposer une nouvelle demande de protection internationale, le demandeur se référant à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 14 octobre 2015, n° 36966 du rôle dans lequel le tribunal a conclu à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueils des demandeurs de protection internationale.

Dans un deuxième temps, le demandeur se prévaut d’une violation de l’article 11b) du règlement UE 604/2013 lequel prévoirait que l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale dans le cas où plusieurs membres d’une famille introduisent des demandes dans un même Etat membre à des dates simultanées ou suffisamment rapprochées pour que les procédures de détermination de l’Etat membre responsable puissent être conduites conjointement et que l’application des critères énoncés au même règlement conduirait à les séparer, est l’Etat que ces mêmes critères désignent comme responsable de l’examen de la demande du plus âgé. Le demandeur estime dès lors que dans la mesure où les autorités luxembourgeoises se seraient déclarées compétentes pour examiner la demande de protection internationale de son frère aîné, elles auraient également dû se déclarer compétentes pour examiner sa propre demande.

Finalement, le demandeur soulève une violation de l’article 17 du règlement UE 604/2013 en vertu duquel, un Etat membre pourrait décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est soumise par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères visés par ce même règlement notamment pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées sur des motifs familiaux ou culturels. Le demandeur, en expliquant avoir toujours vécu ensemble avec son frère en Syrie et en mettant en exergue leurs traumatismes respectifs qui seraient dus au fait qu’ils auraient dû abandonner leur famille pour avoir été victime de leur régime politique, ainsi que l’état de santé précaire de son frère, soutient qu’en déclarant sa demande de protection internationale irrecevable, le ministre aurait méconnu l’esprit du règlement UE 604/2013 lequel prônerait le respect de l’unité familiale.

Dans son mémoire en réponse, la partie étatique, après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de la décision litigieuse, souligne qu’il résulterait notamment du courrier des autorités hongroises du 23 novembre 2015 que celles-ci connaissent la véritable identité du demandeur. Or, et dans la mesure où elles auraient accepté la réadmission de Monsieur … 4sur base de la protection subsidiaire dont il dispose en Hongrie, il y aurait lieu de conclure qu’elles tiendront compte de cette protection déjà accordée. Ainsi, la crainte du demandeur d’être renvoyé en Syrie resterait à l’état de simple supposition.

Par ailleurs, la Hongrie, comme tout autre pays de l’Union européenne respecterait le principe de non-refoulement et le délégué du gouvernement ajoute qu’il ne serait pas établi que le demandeur serait sanctionné d’une façon ou d’une autre pour avoir fait usage d’une fausse identité lors du dépôt de sa demande de protection internationale en Hongrie. Il ne serait pareillement pas établi qu’il ne pourra pas s’expliquer devant les autorités hongroises.

La partie étatique précise en outre que la Hongrie ne serait pas assimilable à un pays où la vie du demandeur serait menacé et elle donne à considérer qu’il n’aurait pas fait état d’un problème quelconque rencontré en Hongrie si ce n’est de ne pas avoir gagné assez d’argent.

En ce qui concerne les défaillances systémiques soulevées par le demandeur, le délégué du gouvernement fait valoir que le demandeur bénéficierait d’ores et déjà d’une protection, de sorte à ne pas être concerné par ces mêmes défaillances. Par ailleurs, il existerait une procédure spécifique permettant à un réfugié de se faire reconnaître son statut dans un autre Etat si tant est qu’il ait une raison valable pour le faire.

La partie étatique affirme encore que les moyens soulevés par le demandeur et basés sur une violation du règlement UE 604/2013 seraient inopérants dans la mesure où la décision sous analyse n’aurait pas été prise dans le cadre de ce même règlement. Par ailleurs, il résulterait du dossier médical du frère du demandeur que celui-ci aurait d’ores et déjà été soigné en Syrie et que son état de santé serait stable, de sorte que la présence de Monsieur … ne serait pas indispensable.

Finalement, le délégué du gouvernement met en doute la réalité des ennuis que le demandeur affirme avoir eu avec un policier syrien et il donne à considérer que ces ennuis seraient en tout état de cause trop éloignés dans le temps pour être pris en considération à l’heure actuelle et ce d’autant plus que la situation en Syrie aurait considérablement changée depuis le départ du demandeur.

Le délégué du gouvernement estime dès lors que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut au rejet du recours sous analyse.

Dans son mémoire en réplique le demandeur soutient qu’il résulterait du libellé des deux courriers prémentionnés des autorités hongroises à l’adresse des autorités luxembourgeoises que celles-ci n’examineront pas une nouvelle demande de protection internationale et il insiste sur le fait que d’après la Convention de Genève, l’usage d’une fausse identité peut être sanctionné par le retrait du statut de protection internationale accordé.

Monsieur … demande encore acte qu’il est disposé à retourner en Hongrie si les autorités hongroises consentent à examiner sa demande de protection internationale sous sa véritable identité.

Le demandeur ajoute que les autorités luxembourgeoises auraient sollicité sa réadmission aux autorités hongroises sur base de l’accord conclu entre le Gouvernement de la République de Hongrie et les Gouvernements des Etats du Benelux relatif à la réadmission des personnes en séjour irrégulier signé en date du 23 janvier 2002 et ce malgré le fait qu’il ne se trouverait pas en situation irrégulière au Grand-Duché de Luxembourg, mais en tant que 5demandeur d’asile, le demandeur reprochant ainsi au ministre de ne pas avoir appliqué d’office le droit applicable.

Finalement, Monsieur … sollicite la saisine de la Cour de Justice de l’Union européenne de la question péjudicielle suivante :

« Lorsqu'une demande de protection internationale introduite par un demandeur d'asile sous sa véritable identité dans un Etat membre, en l'occurrence le Grand-Duché de Luxembourg, lequel Etat ne se considère pas compétent sur base du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, reçoit un refus de prise/ reprise en charge du demandeur de protection internationale de la part d'un autre Etat membre, en l'occurrence la Hongrie, mais laquelle accepte sa réadmission sur son territoire au motif que ce dernier après avoir fourni préalablement une fausse identité s'est vu accordé une protection subsidiaire, Que le demandeur, une fois arrivé sur le sol hongrois se verra notifié, à juste titre, le retrait de son statut de la protection subsidiaire par les autorités hongroises tant sur base des dispositions de la directive 2013/32/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale que sur base de la loi nationale du pays membre, Que compte tenu de la réalité du retrait de son statut de protection subsidiaire et ceci à juste titre par les autorités hongroises, le renvoi du requérant en Hongrie, sans que les autorités dudit pays accepte l'examen de sa demande de protection internationale contrevient-

il aux dispositions de l'article 18 paragraphe (1) b) et suivant du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 combiné avec les articles 3 et 6 de la CEDH en ce que les garanties procédurales dans le cadre de sa nouvelle demande d'asile ne seront pas respectées à la lumière des récents événements dans ledit pays, respectivement le fait que la Hongrie a refusé l'examen de sa demande de protection internationale sur base du prédit règlement (UE) n°604/2013, et également à la lumière des dispositions des articles 12(a) et 12 4), 27, 28 44 et 45 de la directive 2013/32/UE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 26 juin 2013 précité, sinon le fait que sa cause, à savoir l'examen de sa demande de protection internationale, ne sera pas entendu en Hongrie au sens de l’article 6§1 de la CEDH ».

De prime abord, le tribunal est amené à conclure que dans le cadre du recours en annulation, l’analyse du tribunal ne saurait se rapporter qu’à la situation de fait et de droit telle qu’elle s’est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l’annulation ne pouvant faire porter son analyse ni à la date à laquelle il statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise4. Par voie de conséquence, c’est la loi du 5 mai 2006 qui est applicable au recours en annulation intenté contre la décision du ministre du 17 décembre 2015.

Force est de constater que la décision d’irrecevabilité déférée est fondée sur l’article 16, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006 qui dispose en ses paragraphes (2) et (3) que:

4 TA 23 mars 2005, n° 19061 du rôle, Pas. Adm. 2015 v° Recours en annulation, n°18 et les références y citées.

6 « (2) Une demande de protection internationale peut être considérée comme irrecevable s’il existe un premier pays d’asile ou un pays tiers sûr.

(3) Un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur particulier, si le demandeur:

a) s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection, ou b) jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ce pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement, à condition qu’il soit réadmis dans ce pays. En appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, le ministre peut tenir compte des dispositions du paragraphe (4) qui suit […] ».

Dès lors, le ministre peut considérer une demande de protection internationale comme irrecevable s’il existe un premier pays d’asile et que le demandeur s’y est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection ou s’il bénéficie d’une autre protection jugée suffisante dans ce pays et, finalement, qu’il soit réadmis dans ce pays.

Il appartient ainsi au ministre de vérifier si le demandeur s’est soit vu reconnaître le statut de réfugié et s’il peut encore se prévaloir de la protection que lui confère ledit statut, soit une protection jugée suffisante dans un premier pays, qu’il soit réadmis dans ce pays et qu’il y bénéficie du principe de non-refoulement. Cette vérification implique que le ministre se livre à un examen de la situation concrète du demandeur dans le premier pays d’asile, au vu des éléments lui soumis.

En l’espèce, il ressort des pièces et éléments du dossier administratif que bien que le demandeur ne se soit pas vu reconnaître la qualité de réfugié en Hongrie, il y bénéficie cependant de jure du statut de la protection subsidiaire, certes sous une autre identité, étant relevé par ailleurs qu’une telle protection subsidiaire est à qualifier comme protection suffisante au sens de l’article 16, paragraphe (3) b) précité. Il résulte encore des précisions de la partie étatique, basées notamment sur les courriers prémentionnés des autorités hongroises, que celles-ci sont disposées à la réadmettre sur leur territoire. Etant donné qu’il n’est par ailleurs pas contesté que la législation hongroise prévoit le principe de non-refoulement, c’est a priori à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur irrecevable.

Force est cependant de constater que pour arriver à la conclusion que le demandeur bénéficie d’une protection suffisante en Hongrie, le ministre ne s’est non seulement basé sur les critères énoncés à l’article 16, paragraphe (3) précité, à savoir le fait que demandeur s’est vu reconnaître la protection subsidiaire dans ce même pays, mais, en retenant qu’en Hongrie le demandeur n’aurait pas à craindre pour sa vie ou pour sa liberté en raison de sa race, sa religion, sa nationalité son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques et que la Hongrie « respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève et l’interdiction de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains et dégradants », également sur les critères énoncés au paragraphe (4) du même article.

En effet, afin de déterminer l’existence d’une protection suffisante au sens de l’article 16, paragraphe (3) b) précité, laquelle inclut en tout état de cause le bénéfice du principe de non-refoulement, le législateur a expressément prévu la possibilité pour le ministre de se 7référer aux critères inscrits à l’article 16 (4) de la loi du 5 mai 2006, article définissant la notion de premier pays d’asile et aux termes duquel :

« (4) Le ministre peut appliquer la notion de pays tiers sûr uniquement lorsqu’il a acquis la certitude que dans le pays tiers concerné, le demandeur sera traité conformément aux principes suivants:

a) le demandeur n’a à craindre ni pour sa vie ni pour sa liberté en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques;

b) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la Convention de Genève;

c) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée;

d) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève […] ».

Il appartient dès lors également au tribunal de vérifier si, comme l’affirme la partie étatique, les critères énoncés à l’article 16, paragraphe (4) précité sont respectés en l’espèce.

A cet égard, il échet de souligner qu’il résulte des explications non autrement contestées du demandeur, qu’il a déposé sa demande de protection internationale en Hongrie sous une fausse identité et qu’il s’est vu accorder le statut de la protection subsidiaire en tant que ressortissant palestinien et non pas en tant que ressortissant syrien, cette circonstance ayant d’ailleurs été connue par le ministre au moment de la prise de décision litigieuse. S’il est vrai comme l’affirme à juste titre le délégué du gouvernement, que les autorités hongroises ont accepté la réadmission de Monsieur … en tant que bénéficiaire de la protection subsidiaire, il ne saurait cependant être raisonnablement admis à l’exclusion de tout doute qu’en cas de retour en Hongrie, le demandeur ne sera pas confronté à un retrait de ce même statut, l’octroi de ce statut, voire du statut de réfugié étant en effet intiment lié à l’identité dont une personne demanderesse de protection internationale se prévaut. C’est en effet sur l’identité d’une personne demanderesse de protection internationale, c’est-à-dire l’ensemble des données de fait et de droit la concernant, ensemble avec son vécu, qui est déterminante dans l’examen de sa demande de protection internationale.

Dans la mesure où, comme retenu ci-avant, le demandeur a fait usage d’une fausse identité pour pouvoir prétendre au statut de la protection subsidiaire en Hongrie, circonstance connue et non contestée par la partie étatique, de sorte qu’il ne saurait être définitivement exclu que le demandeur se verra retirer son statut de protection subsidiaire en cas de retour en Hongrie, il échet de vérifier si dans ce cas précis, il bénéficie des garanties énoncées à l’article qui précède, à savoir s’il n’a à craindre ni pour sa vie, voire sa liberté en raison d’un des critères visés par la Convention de Genève, s’il peut y bénéficier du principe de non-

refoulement et s’il a la possibilité de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et en cas de réponse positive d’y bénéficier d’une protection conformément à la Convention de Genève.

A cet égard, il y a lieu de se référer à plusieurs jugements récents du tribunal administratif, notamment à un jugement 15 octobre 2015, inscrit sous le n° 36941 du rôle, 8ainsi qu’à un jugement du 8 décembre 2015, inscrit sous le n°37149 du rôle,5 jugements rendus certes - comme l’affirme à juste titre la partie étatique - dans un contexte différent, à savoir celui de décisions ministérielles prises sur base de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006, mais qui illustrent cependant la situation des demandeurs de protection internationale en Hongrie et dans lesquels le tribunal a retenu, au regard des évènements récents en Hongrie, en se référant à cet égard plus particulièrement au bulletin d’information du 18 septembre 2015 du Comité Helsinki hongrois et à l’article de Human Rights Watch du 19 septembre 2015, qu’il existe des défaillances systémiques avérées en Hongrie, les différents rapports et articles de presse versés dans cette affaire, attestant, d’une part, que les autorités hongroises, confrontées à un nombre sans précédent de demandeurs de protection internationale, sont totalement dépassées par l’ampleur de ces chiffres, de sorte que le pays n’est plus en mesure de faire face à ses obligations, situation ayant d’ailleurs amené la Hongrie à suspendre temporairement en juin 2015 le règlement (UE) n° 604/2013, pour céder ensuite face aux pressions de la Commission européenne, de sorte que la Hongrie ne peut plus ni assurer un accès rapide et effectif à la procédure d’asile ni offrir aux personnes en quête d’une protection un hébergement adéquat, ceci valant aussi pour les personnes transférées en vertu du règlement (UE) n° 604/2013.

D’autre part, le tribunal administratif a retenu dans ces mêmes jugements, qu’en plus de ce problème matériel de traitement des demandes et d’accueil des demandeurs de protection internationale, il résulte des documents à sa disposition que la Hongrie a instauré un régime draconien résolument hostile aux demandeurs de protection internationale, comprenant des mesures matérielles telles que l’édification d’une clôture aux frontières et le déploiement de l’armée ainsi que des mesures légales, telles que la pénalisation de l’immigration illégale, ayant pour conséquence le rejet quasi-automatique, aux termes d’une procédure excessivement courte n’offrant aucune garantie de respect des droits les plus élémentaires des demandeurs de protection internationale, cette situation étant résumée comme suit par le Comité Helsinki hongrois dans son bulletin d’information du 18 septembre 2015, intitulé « No country for refugees » : […] Also on 15 September, amendments to Hungarian legislation entered into force that fundamentally reshape the Hungarian asylum system and prevent refugees from having access to international protection in the country.

The legal changes create a system in which most refugees will be denied access to the territory of the EU on the border, regardless of the circumstances they are fleeing from and regardless of the protection need, as nearly all asylum claims will be automatically rejected as inadmissible in an extremely accelerated procedure. Several elements of the new legislation and policy are in clear breach of EU law and/or go against the clear principles established by the European Court of Human Rights or UNHCR guidance », ces modifications législatives prévoyant notamment : « Extremely accelerating asylum proceedings, basically referring all asylum claims to a fast-track procedure ; Rendering the one-instance judicial review of asylum cases ineffective, with unreasonably short deadlines for submitting an appeal and for the judge to make a decision, with no automatic suspensive effect on most removal measures and no personal interview in the judicial review phase ;

Creating the legal ground to officially tolerate overcrowding in “asylum jails” through introducing a provision that has already been quashed as unlawful by the Constitutional Court in another context ; Enabling the Office of Immigration and Nationality (OIN) to oblige asylum-seekers to contact their countries of origin during the asylum-procedure ; etc ».

5 disponibles sur www.ja.état.lu 9Au regard de la solution retenue dans ces affaires récentes par rapport à la situation des demandeurs d’asile en Hongrie, le tribunal avait conclu à l’existence de défaillances systémiques en Hongrie.

Force est de constater au vu de ces jugements récents, que la Hongrie a non seulement pénalisé l’immigration illégale, dont le demandeur s’est a priori rendu coupable, mais a instauré des mesures matérielles conduisant au rejet quasi-automatique des demandes de protection internationales et ce sans que les demandeurs de protection internationale ne puissent faire valoir leurs droits les plus élémentaires.

Au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à conclure que le ministre n’a pas pu acquérir la certitude que les conditions inscrites à l’article 16, paragraphes (3) et (4) précités de la loi du 5 mai 2006, et notamment la possibilité réelle pour le demandeur de pouvoir déposer une demande de protection internationale sous sa véritable identité qui sera examinée dans le respect des dispositions de la Convention de Genève, voire même la possibilité de bénéficier le cas échéant par la suite d’une protection effective sont données en l’espèce.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent et sans qu’il ne soit besoin de statuer plus en avant, il y a lieu de déclarer le recours sous analyse fondé et partant d’annuler la décision ministérielle du 17 décembre 2015 et de renvoyer le dossier devant le ministre en prosécution de cause.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

déclare le recours sous analyse sans objet en ce qu’il est dirigé contre la décision implicite de réadmission par les autorités hongroises, ainsi qualifiée, sous-jacente à la décision d’irrecevabilité du 17 décembre 2015 chargeant les autorités ministérielles de l’organisation matérielle de la réadmission de Monsieur … vers la Hongrie ;

reçoit en la forme le recours en annulation en ce qu’il est dirigé contre la décision d’irrecevabilité du 17 décembre 2015 ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, annule la décision ministérielle déférée et renvoie le dossier en prosécution de cause devant le ministre de l’Immigration et de l’Asile ;

condamne l’Etat aux frais.

Ainsi jugé par :

Claude Fellens, vice-président, Thessy Kuborn, premier juge, Géraldine Anelli, attachée de justice ;

10et lu à l’audience publique extraordinaire du 15 février 2016, à 17.00 heures, par le vice-

président, en présence du greffier Arny Schmit.

Arny Schmit Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 février 2016 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 37412
Date de la décision : 15/02/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2016-02-15;37412 ?

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