Tribunal administratif N° 35675 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 janvier 2015 1re chambre Audience publique du 15 février 2016 Recours formé par l’établissement public … contre une décision du Conseil de la concurrence, en présence de Monsieur … et de la société à responsabilité limitée … S.à r.l.
en matière de droit de la concurrence
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35675 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 janvier 2015 par Maître Yann BADEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’établissement public …, établi à L-…, représenté par son conseil d’administration actuellement en fonction, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du Conseil de la concurrence du 8 octobre 2014, n° 2014-I-06 ;
Vu l’exploit de l’huissier de justice Yves TAPELLA, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 8 janvier 2015, portant signification du susdit recours au Conseil de la concurrence, ainsi qu’à Monsieur …, demeurant à L-… et à la société à responsabilité limitée … S.à r.l., inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le n° B 50440, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonction ;
Vu les conclusions, ainsi intitulées, déposées au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2015 par Monsieur Pierre RAUCHS pour le compte du Conseil de la concurrence ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er avril 2015 par Maître Yann BADEN pour le compte de l’établissement public … ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 avril 2015 par Maître Jean-Paul NOESEN pour le compte de Monsieur … ;
Vu le mémoire en réplique, ainsi qualifié, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 avril 2015 par Maître Yann BADEN pour le compte de l’établissement public … ;
Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 1er juin 2015 par Maître Jean-Paul NOESEN pour le compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Bruno VIER, en remplacement de Maître Yann BADEN, Monsieur Pierre RAUCHS et Maître Jean-Paul 1NOESEN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er février 2016
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Le 10 août 2011, Monsieur …, propriétaire de la société anonyme … s. a., actuellement en faillite, et faisant le commerce à titre personnel sous la marque …, introduisit auprès de l’Inspection de la concurrence une plainte à l’encontre du … (ci-après le « … ») et de l’Etablissement public … (ci-après la « … »), plainte suivie en date du 16 août 2011 d’une demande de mesures conservatoires.
Le 14 octobre 2011, l’Inspection de la concurrence adressa une demande de renseignements au … ainsi qu’à la ….
Par ordonnance du 17 avril 2012, le président du Conseil de la concurrence désigna un conseiller en vue de la continuation de l’enquête.
Par courrier du 10 juillet 2012, la société anonyme … s.a. intervint à son tour auprès du Conseil de la concurrence afin de dénoncer certaines pratiques commerciales prétendument discriminatoires de la part du ….
Le 19 novembre 2013, le conseiller désigné transmit aux parties concernées ainsi qu’au Conseil de la concurrence la communication des griefs, le … transmettant en retour en date du 21 février 2014 ses observations écrites y relatives.
Une audition des parties concernées eut lieu en application de l’article 26, 5e paragraphe de la loi du 23 octobre 2011 relative à la concurrence en date du 3 avril 2014, suivie encore d’un échange de correspondance entre le … et le Conseil de la concurrence.
Par décision du 8 octobre 2014, le Conseil de la concurrence commit un expert avec la mission d’analyser les revenus et les coûts se rapportant à différentes activités du …, décision dont le dispositif est libellé comme suit :
« Article 1er :
Le Conseil commet un expert avec la mission d’analyser les revenus et les coûts se rapportant à l’organisation de concerts par le … dans les salles de la « … », ainsi que les revenus et les coûts se rapportant à la location par le … des salles de la « … » à des organisateurs tiers. Ce rapport d’expertise devra porter sur les exercices 2011, 2012 et 2013 et mettre en évidence les éléments suivants :
a) les revenus et les coûts se rapportant à l’organisation de concerts par le … dans les salles de la « … » ;
i.
Identification de tous les revenus générés par les concerts et spectacles organisés par le … dans les salles de la … ;
ii.
y-compris les revenus générés par les services annexes tels que la vente de boissons etc. ;
iii.
ventilation de ces revenus selon le type de salle : grande salle, grande salle configuration « Box» (jusqu’à 3000 spectateurs), petite salle (jusqu’à 1200 spectateurs) ;
iv.
identification de tous les coûts associés à l’organisation de ces concerts ;
v.
y-compris les coûts relatifs aux services annexes fournis lors des concerts ;
2vi.
y-compris la part appropriée des coûts communs, déterminée selon les standards communément appliqués ;
vii.
ventilation de ces coûts selon le type de salle (voir point iii) ;
viii.
une comparaison des prix des tickets avec les prix appliqués par d’autres organisateurs au Luxembourg.
b) les revenus et les coûts se rapportant à la location par le … des salles de la « … » à des organisateurs tiers.
i) Identification de tous les revenus générés par la location des salles de la « … » ;
ii) y-compris les revenus que le … retire des services annexes tels que la vente de boissons etc. lors des concerts organisés par des organisateurs tiers ;
iii) ventilation de ces revenus selon le type de salle: grande salle, grande salle configuration « Box» (jusqu’à 3000 spectateurs), petite salle (jusqu’à 1200 spectateurs) ;
iv) identification de tous les coûts à la location des salles ;
v) y-compris les coûts relatifs aux services annexes fournis par le … lors des concerts organisés par des organisateurs externes ;
vi) y-compris la part appropriée des coûts communs, déterminée selon les standards communément appliqués ;
vii) ventilation de ces coûts selon le type de salle (voir point xi).
L’expert sera désigné sur base de l’article 8 de la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics et les frais y relatifs sont réservés.
Article 2 :
Le Conseil se réserve le droit d’imposer au … toutes mesures notamment correctives ou punitives telles que prévues par les articles 11 et 20 de la loi du 23 octobre 2011 au cas où le rapport d’expert conclurait à l’existence d’une infraction à l’article 5 de la loi du 23 octobre 2011 et à l’article 102 TFUE ».
Par requête inscrite sous le numéro 35675 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 7 janvier 2015, le … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la prédite décision du Conseil de la concurrence du 8 octobre 2014, ladite requête ayant été signifiée au Conseil de la concurrence, à Monsieur … ainsi qu’à la société anonyme … s.a..
Le … soulève à titre principal, à l’appui de son recours, l’incompétence du Conseil de la concurrence, tirée, d’une part, du fait que le Conseil de la concurrence, s’agissant d’une autorité administrative indépendante issue du même niveau de norme juridique hiérarchique que le …, serait incompétent pour sanctionner et/ou juger une entité de rang juridique identique, et, d’autre part, du fait que le … relèverait en tant qu’établissement public appelé à gérer des fonds publics du seul contrôle opéré par la Cour des comptes.
Il entend ensuite exciper de vices qualifiés « de forme » de la décision déférée, à savoir un défaut de base légale, en ce sens que la décision invoquerait le seul article 8 de la loi modifiée du 25 juin 2009 sur les marchés publics pour commettre un expert, disposition 3qui serait toutefois relative à la procédure restreinte sans publication d’avis en matière de marchés publics, de sorte que la base légale choisie par le Conseil de la concurrence pour la nomination d’un expert serait absente. Par ailleurs, à supposer que le Conseil de la concurrence ait entendu invoquer l’article 18 de la loi du 23 octobre 2011 relative à la concurrence pour procéder à la nomination d’un expert, le … relève qu’en rendant sa décision publique, le Conseil de la concurrence aurait fait une analyse erronée des règles de procédure applicables en phase d’instruction.
Le … estime encore que le défaut d’indication des voies de recours sur la décision déférée l’aurait privé des informations relatives à son droit de former un recours contre cette décision, le … mettant en exergue le fait que le Conseil de la concurrence aurait écarté sans le toiser son moyen d’exception d’incompétence, de sorte à avoir tranché une question juridique sur le fond.
Le … reproche ensuite en substance au Conseil de la concurrence d’avoir violé ses droits de la défense, au motif que la copie du courrier de la société anonyme … du 10 juillet 2012 n’aurait pas figuré parmi les documents lui communiqués ; dans le même ordre d’idées, il reproche à l’autorité de la concurrence d’avoir commis un expert, avec la mission d’obtenir des informations supplémentaires nécessaires à l’instruction du dossier, après avoir retenu sa compétence et après l’avoir accusé de se trouver en position dominante et de disposer gratuitement de la salle de concert ; il en déduit que le conseiller désigné ayant la charge de l’instruction du dossier aurait instruit le dossier uniquement à charge, tandis que la publication d’un acte d’instruction par le Conseil de la concurrence nommant expressément le … violerait le principe de la présomption d’innocence.
Le … conteste enfin en substance les accusations de position dominante, en relevant que malgré sa collaboration constante avec le Conseil de la concurrence au cours de la phase d’instruction, celui-ci aurait toujours une compréhension erronée de son modèle économique.
Il souligne encore que comme le Conseil de la concurrence ne possèderait pas ni de preuve ni d’affirmation claire et concrète étayant ses allégations d’abus de position dominante à son encontre, il aurait dû, au vu de l’état de l’avancement de l’instruction, conclure qu’il n’aurait pas enfreint pas les règles de libre concurrence pour ses activités de location de salle de concert ou d’organisation de concert, de sorte que la nomination d’un expert ne serait pas utile.
Le Conseil de la concurrence, de son côté, représenté par son président, soulève principalement l’irrecevabilité du recours, au motif que ce dernier ne serait pas dirigé contre une décision susceptible de recours, l’autorité de la concurrence soulignant n’avoir pas pris une décision finale mais s’être limitée à préparer une décision finale qui pourrait soit aboutir à des mesures correctives ou punitives, soit aboutir à une décision retenant qu’il n’y aurait plus lieu d’agir ; il s’agirait partant d’un acte préparatoire qui ne ferait que préparer la décision finale et qui constituerait une étape dans la procédure d’élaboration de celle-ci. Or, un tel acte administratif qui ne serait pas de nature à faire l’objet d’un recours contentieux, serait toutefois susceptible d’être invoqué et contesté utilement au niveau d’un recours dirigé contre la décision finale à prendre à l’aboutissement de la procédure d’élaboration de celle-ci, pour autant que cette décision soit susceptible de faire grief, alors qu’il ne serait pas à exclure qu’au vu du résultat de l’expertise, l’affaire serait le cas échéant susceptible de pouvoir être classée sans suites, les frais de l’expertise restant dans cette configuration à charge du Conseil de la concurrence.
4Le Conseil de la concurrence en déduit que le recours serait irrecevable, conclusion partagée à titre principal également par Monsieur ….
Quant à l’admissibilité des différents mémoires :
Le tribunal est appelé avant tout autre progrès en cause à toiser diverses questions de procédure, soit soulevées par les parties au litige, soit soulevées d’office par le tribunal conformément à l’article 30 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et librement débattues par les parties à l’audience fixée pour les plaidoiries ; à ces fins, le tribunal abordera les différentes questions chronologiquement en fonction de leurs apparitions procédurales respectives.
Il convient ainsi en premier lieu d’analyser l’admissibilité des conclusions déposées par le président du Conseil de la concurrence, question soulevée par le …, lequel, après avoir relevé que lesdites conclusions ont été signées par le président en fonction du Conseil de la concurrence, constate que le Conseil de la concurrence n’est représenté ni par un avocat à la Cour, ni par un délégué du gouvernement, le … estimant par ailleurs que le président du Conseil de la concurrence ne pourrait pas cumuler cette fonction avec celle de délégué du gouvernement. Or, la procédure de communication du recours contre une décision du Conseil de la concurrence devrait respecter les formes de la signification au défendeur et non du simple dépôt au greffe du tribunal administratif qui équivaut à la signification à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, de sorte que lesdites conclusions devraient être écartées.
Il convient à cet égard de relever que la capacité active d’ester en justice ne peut être reconnue qu’à une des personnes disposant de la personnalité juridique : or, le Conseil de la concurrence, créé initialement par la loi précitée du 17 mai 2004 en tant que simple organe de l’Etat n’ayant pas une existence juridique personnelle propre, ne saurait être admis à agir en justice en son nom personnel et pour son propre compte, fut-ce comme partie défenderesse dans le cadre d’un contentieux administratif en vue de la défense d’une décision qu’il a été amené à prendre1, et ce encore que la loi précitée du 17 mai 2004, et ensuite la loi 21 octobre 2011 relative à la concurrence, reconnaissent une large indépendance au Conseil de la concurrence : partant, il convient d’écarter les actes de procédure déposés en son nom.
Il convient à cet égard tout particulièrement de souligner qu’au regard du principe de l’unicité de l’Etat, l’Etat a la qualité de partie défenderesse dès qu’un organe étatique a pris la décision critiquée, ce qui entraîne une double conséquence. Ainsi, et, d’une part, l’Etat a en l’espèce seul qualité de partie défenderesse ; d’autre part, sur base des dispositions de l’article 4 (3) de la loi modifiée du 21 juin 1999, le dépôt de la requête vaut signification à l’Etat. Une signification au Conseil de la concurrence effectuée comme en l’espèce par le … est dès lors non seulement superflue au regard des dispositions claires dudit article 4 (3), mais engendre encore des frais non répétibles pour la partie qui les aurait exposés2.
Le tribunal constate qu’en l’espèce l’Etat, dont le Conseil de la concurrence, comme retenu ci-dessus, n’est qu’un organe, quoique valablement informé par une notification par voie du greffe du dépôt de la requête introductive d’instance du … n’est représenté ni par le biais du délégué du gouvernement, ni par un avocat, et n’a pas fait déposer de mémoire en 1 Cour adm. 13 novembre 2008, n° 24434C ; trib. adm. 30 avril 2008, n° 22864, 22957 et 23253 ainsi que Cour adm. 24 janvier 2008, n° 23178C, Pas. adm. 2015, V° Pratiques commerciales, n° 12.
2 Voir trib. adm. 22 avr il 2002, n° 14112; Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 341.
5réponse. Nonobstant ce fait, le tribunal statue néanmoins à l’égard de toutes les parties, en vertu de l’article 6 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.
Le constat de l’absence de représentation valable du Conseil de la concurrence respectivement de l’Etat n’est pas énervé par la référence faite par l’autorité de la concurrence à l’article 33 de la loi du 23 octobre 2011 précitée.
S’il est certes vrai que ladite disposition prévoit que « Pour l’application de la présente loi, le Conseil peut, devant les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, déposer des conclusions. Avec l’autorisation de la juridiction en question, le Conseil peut aussi présenter des observations orales. Il peut également produire des procès -
verbaux et des rapports d’enquête », elle n’a pas pour vocation de permettre au Conseil de la concurrence de se présenter devant les juridictions administratives en son nom personnel et pour son propre compte.
Ledit article 33 de la loi du 23 octobre 2011 tire en effet son origine de l’article 28 de l’ancienne loi du 17 mai 2004, lequel prévoyait une compétence identique dans le chef de la défunte Inspection de la concurrence, compétence justifiée comme suit dans les travaux parlementaires afférents : « A l’instar de l’article 15, § 1 du Règlement No 1/2003 qui prévoit les règles de coopération entre la Commission et les juridictions nationales, il est utile de préciser les règles de coopération pour permettre une coopération efficace entre l’autorité de concurrence nationale et les juges. L’article 28 est inspiré de l’article L 470-5 du Code de commerce français. En France, cet instrument de collaboration s’est avéré très utile pour assurer une bonne collaboration entre le juge et l’autorité de concurrence. Le juge qui sera amené à prononcer des dommages et intérêts sur base de décisions prononcées par le Conseil pourra ainsi solliciter, à l’instar de la Commission européenne, des informations concernant une affaire qui lui est soumise3 ».
Or, l’article 15, paragraphe 1er du règlement n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité, prévoit que « dans les procédures d’application de l’article 81 ou 82 du traité, les juridictions des États membres peuvent demander à la Commission de leur communiquer des informations en sa possession ou un avis au sujet de questions relatives à l’application des règles communautaires de concurrence. », tandis que l’article L.470-5 du Code de commerce français, disposition ayant servi d’inspiration principale au législateur luxembourgeois, précise que « Pour l’application des dispositions du présent livre [Livre IV : De la liberté des prix et de la concurrence], le ministre chargé de l’économie ou son représentant peut, devant les juridictions civiles ou pénales, déposer des conclusions et les développer oralement à l’audience. Il peut également produire les procès-verbaux et les rapports d’enquête ».
L’article L.470-5 du Code de commerce permet ainsi au ministre de l’Economie français, ayant compétence pour veiller au respect de l’ordre public économique lié à la liberté des prix et du libre jeu de la concurrence, d’intervenir dans le cadre d’un litige opposant deux partenaires commerciaux4, chaque fois que le litige est fondé sur l’article L.442-6 du Code de commerce, c’est-à-dire pour voir constater l’existence de conditions discriminatoires5.
3 Projet de loi n° 5229 relatif à la concurrence, commentaire des articles, ad. art .28.
4 Cour de cassation fr., chambre com., 4 décembre 2012, n° 11-21743.
5 Cour de cassation fr., chambre com., 7 juillet 2004, n° 03-11.3….
6 Il s’agit dès lors d’une possibilité pour l’autorité d’intervenir dans une instance pendante entre deux tierces parties, entre deux partenaires commerciaux, mais non d’une disposition autorisant une action principale de l’autorité de la concurrence6.
Si la disposition luxembourgeoise a étendu la portée du texte français original aux juridictions administratives, sans manifestement tenir compte du fait que le Conseil de la concurrence est d’ores et déjà représenté par le truchement de l’Etat dans toute instance administrative relative à une décision de l’autorité de la concurrence, une application textuelle de l’article en question reviendrait à admettre l’intervention du Conseil de la concurrence en sus de l’Etat, et ce par le biais de « conclusions » au statut juridique indéterminé et dont l’insertion dans les règles de procédure telles que prévues notamment par l’article 8 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives soulève de nombreuses interrogations, et ce abstraction de la question de la violation du principe de l’égalité des armes, puisque du fait d’une telle double représentation, le Conseil de la concurrence bénéficierait de la possibilité de déposer quatre mémoires en défense de sa décision.
Or, le juge est appelé à interpréter les textes, et, le cas échéant, à en écarter l’application textuelle dans la mesure où une telle application aboutirait à une situation absurde, contraire à toute logique, bref au bon sens même7.
Dès lors, et conformément à l’intention gisant à la base du texte original, appliqué ensemble avec l’article 15, paragraphe 1er du règlement n° 1/2003, il convient plutôt d’interpréter l’article 33 comme conférant éventuellement au Conseil de la concurrence la possibilité d’intervenir sans ministère d’avocat ou de délégué du gouvernement devant les juridictions administratives dans les seules instances où il n’est pas en cause, c’est-à-dire où les juridictions administratives ne sont pas saisies d’une décision administrative émanant du Conseil de la concurrence, par exemple en matière de marchés publics ou de régulation économique ; dans une telle hypothèse, il pourrait être admis, en quelque sorte en tant qu’amicus curiae, à présenter des observations écrites sous forme de « conclusions », voire, avec l’autorisation du tribunal ou de la Cour, à présenter des observations orales.
En revanche, lorsque comme en l’espèce le Conseil de la concurrence est directement concerné par l’instance, c’est-à-dire lorsqu’une décision prise par cette autorité est soumise aux juridictions administratives et y est d’ores et déjà défendue par l’Etat - le choix de la partie étatique de ne pas comparaître étant sans incidence -, il n’est pas habilité à prendre de telles conclusions supplémentaires.
Il convient dès lors d’écarter les conclusions déposées au greffe du tribunal administratif en date du 2 mars 2015 par Monsieur Pierre RAUCHS pour le compte du Conseil de la concurrence.
Il appartient ensuite au tribunal d’analyser la recevabilité de l’intervention volontaire de Monsieur …, matérialisée à travers le dépôt de deux mémoires, du point de vue de son intérêt à intervenir, et, le cas échéant, des conséquences de son intervention volontaire quant à son accès aux actes de procédure et aux pièces de l’instance principale, la question afférente 6 Elsa Bartoli, « Le ministère d’avocat obligatoire pour l’action du ministre chargé de l’économie », Chronique de droit de la concurrence n° 5, http://www.revuegeneraledudroit.eu/wp-content/uploads/aj20020416bartol1.pdf 7 Trib. adm. prés. 7 décembre 2004, n° 18887; Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 89.
7ayant été librement débattue par les parties à l’audience fixée pour les plaidoiries après avoir été soulevée d’office par le tribunal, l’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’une demande s’analysant en effet en question d’ordre public8.
Monsieur … justifie en substance son intervention volontaire en soulignant que non seulement il aurait initié par sa plainte la procédure actuelle, mais encore qu’il aurait été reconnu comme partie tout au long de la procédure, le … lui ayant d’ailleurs signifié son recours. Il affirme encore agir, d’une part, en tant que concurrent victime des agissements anti-concurrentiels du … et, d’autre part, au nom de l’ordre public économique lésé par le ….
Enfin, il estime ne pas être à proprement parler un tiers-intéressé, mais un défendeur en tant que plaignant « ab initio ».
Il convient de prime abord de relever qu’une partie ne saurait être considérée comme partie défenderesse que lorsqu’elle est l’auteur de la décision que le demandeur souhaite déférer à la juridiction administrative, toute autre partie, autre que le demandeur, étant un tiers-intéressé, susceptible d’intervenir volontairement ou de manière contrainte à l’instance.
L’intervention n’est réglée en contentieux administratif luxembourgeois par le législateur que de manière sommaire, l’article 20 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives - lequel ne constitue d’ailleurs qu’une retranscription de l’ancien article 22 de l’arrêté royal grand-ducal du 21 août 1866 portant règlement de procédure en matière de contentieux devant le Conseil d’Etat - se bornant à prévoir que « L’intervention est formée par une requête, conforme aux dispositions des articles 1er et 2, qui est notifiée aux parties, pour y répondre dans le délai fixé par le président du tribunal ou le président de la chambre appelée à connaître de l’affaire principale ; néanmoins, la décision de l’affaire principale qui serait instruite ne peut être retardée par une intervention. Lorsque l’intervention est faite après que tous les mémoires prévus par l’article 5 ont été échangés, les parties défenderesses sur intervention peuvent communiquer dans le mois, à peine de forclusion, un mémoire supplémentaire. L’intervention n’est plus recevable après que le juge-rapporteur a commencé son rapport en audience publique. » L’intervention est soumise à différentes contraintes, résultant tantôt explicitement du texte légal, tantôt implicitement.
Il convient à cet égard de souligner que, tel que cité ci-avant, l’intervention ne doit pas retarder la procédure : aussi, d’une manière générale, le délai dans lequel la demande en intervention doit être formulée court à partir de la signification de la requête introductive d’instance : il s’agit du délai prévu par l’article 5 de la loi du 21 juin 1999 en son alinéa 1er :
« Sans préjudice de la faculté, pour l’Etat, de se faire représenter par un délégué, le défendeur et le tiers intéressé sont tenus de constituer avocat et de fournir leur réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive » ; l’intervention est ainsi également soumise au respect de ce délai de rigueur9. Lorsque, pour une raison ou une autre, les tiers n’ont pas reçu notification ou signification du recours, l’intervention reste possible, mais, comme le stipule l’article 20 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précité, à la condition expresse que cette intervention ne retarde pas « la décision de l’affaire principale 8 Cour adm. 29 mai 2008, n° 23728C, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 4.
9 Cour d’arbitrage belge, 10 novembre 1999, n° 121/99, n° de rôle 1440, Moniteur belge, 19 janvier 2000.
8qui serait instruite », condition qui connaît à l’étranger une application stricte10.
Il convient ensuite de relever qu’une requête en intervention volontaire, lorsqu’elle intervient en défense d’un acte attaqué, peut seulement apporter des éclairages nouveaux sur ce litige, mais non en modifier la portée : dès lors, les moyens figurant éventuellement dans la requête en intervention mais non produits par le défendeur au principal, ne sont pas recevables11, l’intervenant ne pouvant en effet que venir renforcer la défense que l’auteur de l’acte oppose au recours.
En l’espèce, le tribunal constate que Monsieur …, à travers ses mémoires, tend à obtenir la réformation de la décision déférée, dans la mesure où il entend voir redresser une « erreur » dans la décision déférée en demandant à ce que son nom figure dans le dispositif de la décision afin que l’expertise à venir et la décision définitive lui soient opposables, Monsieur … préconisant encore dans le dispositif de son mémoire en réponse toute une série de mesures conservatoires et contraignantes à prendre à l’égard du …, mesures qu’il reproche au Conseil de la concurrence de ne pas avoir prises.
Or, comme retenu ci-avant, l’intervenant ne peut pas adopter une position juridique propre et devenir demandeur incident à l’encontre de l’acte litigieux, puisqu’une demande reconventionnelle proprement dite ne se conçoit pas dans le chef d’un tiers intéressé, à défaut d’être partie demanderesse ou défenderesse à l’instance. Analysée au titre de demande incidente, une telle demande serait à déclarer irrecevable, dans la mesure où le tiers intéressé, intervenant à l’instance, n’ayant pas lui-même exercé un recours à l’encontre de la décision déférée, ne saurait adopter une position juridique propre et devenir pour sa part demandeur12.
Enfin et surtout, l’intervenant volontaire doit avoir intérêt à la solution de l’affaire.
Concrètement, cela signifie qu’il doit, en cas d’intervention à l’appui du défendeur, avoir intérêt au rejet du recours. Si l’intérêt à intervenir est certes apprécié a priori de manière plus libérale que l’intérêt à agir - encore que l’intérêt de l’intervenant doive également être certain, actuel, direct et personnel, « même lorsqu’il s’agit d’une intervention volontaire et en défense de l’acte attaqué » 13 -, il n’en demeure pas moins que les qualité et intérêt de l’intervenant volontaire se mesurent en tout état de cause aux qualité et intérêt pour former tierce opposition, lesquels sont conditionnés par le préjudice pouvant résulter par lui du dispositif de la décision au principal, lequel peut seul faire l’objet d’une tierce opposition, une simple atteinte à des intérêts lésés, susceptible de trouver une satisfaction par d’autres voies, ne suffisant pas pour fournir un intérêt à agir au biais d’une tierce opposition14.
Il convient plus particulièrement de souligner que l’intérêt, que ce soit l’intérêt à agir ou celui à intervenir, se mesure par rapport au seul dispositif de la décision faisant l ’objet du litige au principal, seul élément de la décision susceptible d’entraîner de conséquences directes en procédant à une modification de l’ordonnancement juridique : le dispositif est donc des divers éléments de l’acte, le seul qui puisse faire grief et un recours ne peut être exercé contre un élément de l’acte autre que le dispositif : partant, un requérant ne peut se 10 R. Andersen, L’intervention devant le Conseil d’Etat, Liber Amicorum Michel Mahieu, p.355.
11 Voir notamment trib. adm. 26 juin 2013, n° 31418.
12 Trib adm. 17 décembre 2001, n° 12896 du rôle, Pas adm. 2015, Vo Procédure contentieuse, n° 308.
13 Conseil d’Etat belge, 1er février 2005, n° 139.995, et récemment trib. adm. 10 novembre 2014, n° 33903.
14 Trib. adm. 10 mai 2000, n° 11539, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 427, et autres références y citées.
9prévaloir, pour justifier son recours, de la seule motivation révélée par la décision15, l’intervenant volontaire devant en effet avoir intérêt à la solution de l’affaire16.
En ce qui concerne les interventions en défense, il convient encore de retenir que celles-ci sont, de manière générale, le fait soit de pouvoirs publics qui viennent assister l’auteur de l’acte déféré, soit de personnes de droit privé qui sont les bénéficiaires de l’acte déféré.
En l’espèce, toutefois, l’intervention sous analyse n’émane ni d’une autorité publique, agissant par exemple en vertu d’un pouvoir de tutelle, ni d’une personne de droit privé, bénéficiaire de la décision litigieuse, mais d’un tiers, non bénéficiaire de la décision attaquée et dont la situation factuelle ou juridique n’est pas directement affectée par cette dernière. A cet égard, le tribunal constate que Monsieur … expose avoir intérêt à intervenir dans l’optique particulière de contrecarrer les pratiques anticoncurrentielles du …, et, d’une manière plus générale, dans l’optique d’une concurrence plus saine dans le secteur d’activité concerné, Monsieur … se prévalant à cet égard de l’ordre public économique.
En ce qui concerne l’intérêt dérivé du maintien de règles de concurrence claires, force est de constater qu’il ne s’agit là pas d’un intérêt direct et personnel de l’intervenant, mais d’un intérêt se confondant avec l’intérêt général, dont le respect, dans cette matière, relève des seules compétences du Conseil de la concurrence, respectivement en cas d’infraction sujette à des sanctions pénales, de celles du ministère public. Aussi, si Monsieur … dispose certes d’un début d’intérêt moral à voir respecter la législation relative à la concurrence, il n’en reste pas moins que cet intérêt moral, dans la mesure où il existe, se confondrait avec l’intérêt général et ne saurait l’habiliter à intervenir à cette seule fin dans la procédure principale17, l’intérêt d’un tiers, qu’il s’agisse d’un pouvoir public ou d’une personne privée, à l’application correcte des lois et règlements ne constituant pas un intérêt direct justifiant l’intervention dans une affaire individuelle pendante devant le juge administratif18. En effet, conformément au principe « nul ne plaide par procureur », les citoyens ne sont pas recevables à se pourvoir dans l’intérêt de la collectivité à seule fin de faire respecter la règle de droit en général et de faire juger la loi violée ou la morale juridique méconnue : à moins d’admettre, en droit administratif, l’action populaire, ce qui n’est pas le cas en droit positif luxembourgeois actuel, une telle action ne saurait être sanctionnée par le juge administratif19.
Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que Monsieur … avait initié par sa plainte la procédure ayant finalement abouti à la décision déférée et qu’il avait été associé à la procédure administrative ; en effet, les règles éventuellement plus larges de participation d’un tiers intéressé à la procédure administrative pré-contentieuse sont sans incidence sur les règles strictes de procédure contentieuse et ne sont pas de nature à conférer ipso facto à une partie intérêt à intervenir, voire à agir devant les juridictions administratives. Il en est de même de la qualité de plaignant de Monsieur …, une telle qualité ne l’habilitant pas à intervenir en défense de la décision prise par le Conseil de la concurrence, pas plus qu’une plainte pénale n’habilite un plaignant à requérir aux côtés du ministère public.
15 Voir J. Falys, La recevabilité des recours en annulation des actes administratifs, Bruylant, Bruxelles, 1975, n° 78 et 79, et les arrêts du Conseil d’Etat belge y cités.
16 R. Andersen, op.cit., p.349 17 Voir par analogie, trib. adm. 8 décembre 2004, n° 18133, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 101.
18 Conseil d’Etat belge, 1er octobre 2003, n° 123.715 du rôle ; trib. adm. 24 juin 2015, n° 35847 et 10 novembre 2014, n° 33903.
19 Trib. adm. 18 mai 2015, n° 34275 ; trib. adm. 18 mai 2015, n° 34724.
10 L’intervention volontaire telle que formulée par Monsieur … est par conséquent à rejeter pour être irrecevable20 et les mémoires déposés pour son compte sont à écarter des débats.
Le tribunal constate ensuite que le … a déposé en réponse aux « conclusions » du Conseil de la concurrence un premier mémoire en réplique en date du 1er avril 2015, et suite au dépôt du mémoire en réponse de Monsieur …, un second mémoire en réplique en date du 30 avril 2015.
Le tribunal est partant appelé à examiner l’admissibilité des deux « mémoires en réplique » déposés par le mandataire du ….
Il convient en tout état de compte de relever qu’une réplique ne saurait exister qu’en présence de mémoires en réponse valablement déposés. Or, le tribunal venant d’écarter des débats tant les « conclusions » déposées par le Conseil de la concurrence que le mémoire en réponse déposé par Monsieur …, il convient en tout état de cause également de rejeter les mémoires en réplique.
Ensuite, et à titre superfétatoire, il convient de relever que l’article 5 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives dispose en effet que la question de la communication des mémoires dans les délais prévus par la loi est à considérer comme d’ordre public pour toucher à l’organisation juridictionnelle, le législateur ayant prévu les délais émargés sous peine de forclusion.
L’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999 prévoit en ses paragraphes 1er et 5 que :
« (1) Sans préjudice de la faculté, pour l’Etat, de se faire représenter par un délégué, le défendeur et le tiers intéressé sont tenus de constituer avocat et de fournir leur réponse dans le délai de trois mois à dater de la signification de la requête introductive. (…) (5) Le demandeur peut fournir une réplique dans le mois de la communication de la réponse; la partie défenderesse et le tiers intéressé sont admis à leur tour à dupliquer dans le mois ».
Au vœu de l’article 5 (1) précité, la fourniture du mémoire en réponse dans le délai de trois mois de la signification de la requête introductive inclut - implicitement, mais nécessairement - l’obligation cumulative de le déposer au greffe du tribunal et de le communiquer à la partie voire aux parties défenderesses dans ledit délai de trois mois21.
Dans l’hypothèse d’une pluralité de défendeurs, respectivement de parties tierces intéressées, il échet de retenir que le délai pour répliquer dans le chef de la partie demanderesse se situe dans le mois de la communication effective ou possible des réponses susceptibles d’être fournies compte tenu des significations du recours introductif aux parties défenderesses et tierces intéressées intervenues dans le cadre de la procédure en cours.
Comme cette cristallisation des délais est connue par la partie demanderesse dès la signification effectuée de la requête introductive d’instance aux défendeurs et tiers intéressés, aucun besoin n’est pour elle de déposer son mémoire en réplique dans le mois à partir du dépôt du premier mémoire en réponse, étant donné que la partie demanderesse, admise uniquement à répliquer à travers un seul mémoire, peut être amenée à déposer celui -ci, dans 20 Voir par analogie trib. adm. 24 juin 2015, n° 35847 et 10 novembre 2014, n° 33903.
21 Trib. adm. 23 octobre 2002, n° 14663 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 713 et autres références y citées.
11l’hypothèse où plusieurs réponses ont été fournies, plus d’un mois après que la première d’entre elle a été déposée22.
Dans la mesure où le recours introductif a été déposé au greffe du tribunal administratif en date du 7 janvier 2015 et signifié aux parties défenderesse et tierces intéressées en date du 8 janvier 2015 et comme aucune prorogation de délai n’a été demandée au président du tribunal, conformément à l’article 5 (7) de la prédite loi du 21 juin 1999, ni, par la force des choses, accordée par ce dernier, le dépôt des mémoires en réponse respectifs pour compte de l’Etat et du tiers-intéressé (sous réserve de la recevabilité de celui-ci) a pu intervenir pour le 8 avril 2015 au plus tard. Or, il convient de constater que le premier mémoire en réplique pour compte du … est intervenu dès le 1er avril 2015, et ceci antérieurement à la date du dépôt et de la notification du mémoire en réponse de Monsieur ….
Toutefois, l’article 5 (5) ne prescrit pas sous peine de rejet du mémoire en réplique que le demandeur doive impérativement attendre le dépôt de tous les mémoires en réponse des parties défenderesses et tierces intéressées avant de déposer son mémoire en réplique, ledit demandeur courant uniquement le risque de ne plus pouvoir fournir de réplique par rapport à un mémoire en réponse déposé postérieurement à sa réplique mais endéans le délai de trois mois tel que prescrit par l’article 5 (1) de la loi du 21 juin 1999, précitée.
Partant, le mémoire en réplique du 1er avril 2015 n’a pas violé les dispositions inscrites à l’article 5 de la loi précitée du 21 juin 1999, de sorte qu’il aurait été à prendre en considération. Cependant, comme il ne peut y avoir plus de deux requêtes de la part de chaque partie y compris la requête introductive, un troisième mémoire n’est partant pas à prendre en considération et n’entre pas en taxe, à défaut par le président du tribunal d’avoir autorisé la production de mémoires supplémentaires : il s’ensuit que le troisième mémoire du … intitulé « mémoire en réplique » et déposé le 30 avril 2015 aurait en tout état de cause été à écarter des débats, le même sort frappant le mémoire en duplique de Monsieur …, lequel ne constitue qu’une prise de position par rapport au mémoire en réplique du … précité.
Quant à la compétence du tribunal :
L’article 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste23.
L’acte émanant d’une autorité administrative, pour être sujet à un recours contentieux, doit dès lors constituer, dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame24.
Plus particulièrement n’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas 22 Trib. adm. 25 juillet 2001, n° 12820 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 723 et autres références y citées.
23 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, n° 46, p. 28.
24 Trib. adm., 18 juin 1998, n° 10617 et 10618, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 35, et autres références.
12destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision25, ces derniers échappant au recours contentieux pour ne faire que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci26.
Plus particulièrement, une décision préparatoire, ne peut faire de par sa nature même que l’objet d’un recours prématuré, l’administré qui relèverait des irrégularités dans un tel acte devant en effet attendre la décision définitive, attaquer celle-ci et invoquer, à l’appui de son recours, les irrégularités éventuelles de la mesure préparatoire. Encore faut-il certes qu’il s’agisse d’une mesure simplement préparatoire : en effet, l’acte préparatoire n’échappe à sa censure qu’autant qu’il laisse le pouvoir de décision libre de la suite à lui donner ; par contre, il est susceptible d’être directement querellé dès lors qu’il lie le pouvoir en déterminant ou en limitant la décision qu’il lui appartient de prendre27 : à cet égard, d’une manière générale, les actes qui ont pour seul but de prescrire des mesures d’instruction ou de les réaliser ne sont ainsi pas susceptibles d’être querellés28.
En l’espèce, la décision du 8 octobre 2014 du Conseil de la concurrence, dont le dispositif est retranscrit ci-dessus, a pour seule finalité d’instaurer une expertise s’inscrivant dans le contexte plus général des pouvoirs d’enquête confiés par la loi du 23 octobre 2011 au Conseil de la concurrence et plus particulièrement de l’article 18 de cette loi, autorisant le Conseil de la concurrence à désigner des experts, et ce antérieurement à la prise d’une décision telle que prévue aux articles 20 et suivants de la loi. Il en résulte que la portée et l’objet de cette décision ne sont pas encore fixés d’une quelconque façon, mais sont tributaires précisément des futurs résultats de l’expertise telle qu’ordonnée.
Par ailleurs, si la décision déférée a certes manifestement tranché implicitement la question de la compétence du Conseil de la concurrence, de sorte à comporter indiscutablement un élément décisionnel, cet acte n’est cependant pas à considérer comme acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation juridique ou patrimoniale du …, les effets tels que craints par le … ne trouvant leur origine non pas dans la reconnaissance de sa compétence par le Conseil de la concurrence, mais dans l’éventuelle future sanction d’un éventuel comportement anti-concurrentiel, sans que la décision implicite du Conseil de la concurrence de se reconnaître compétent en l’espèce puisse à elle seule être de nature à faire grief dans le chef du demandeur.
Le tribunal n’est partant pas compétent pour connaître du recours en annulation, dirigé contre la décision du Conseil de la concurrence d’instaurer une expertise dont les frais sont expressément réservés.
Monsieur … n’étant pas admis à intervenir au litige au principal, sa demande en condamnation du … à une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros est rejeter.
25 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658, confirmé sur ce point par arrêt du 19 février 1998, n° 10263C, Pas. adm.
2015, V° Actes administratifs, n° 52, et autres références.
26 Cour adm. 22 janvier 1998, n° 9647C, 9759C, 10080C, 10276C, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 51, et autres références 27 J. Falys, op.cit., p. 26.
28 J. Falys, op.cit.,p .27.
13Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
écarte des débats les conclusions telles que déposées pour compte du Conseil de la concurrence sous la signature de son président ;
déclare l’intervention volontaire de Monsieur … irrecevable pour défaut d’intérêt ;
partant écarte des débats les mémoires déposés pour compte de Monsieur … ;
écarte encore des débats les mémoires en réplique déposés pour compte du … ;
se déclare incompétent pour connaître du recours ;
rejette la demande tendant à la condamnation du … à une indemnité de procédure telle que formulée par Monsieur … ;
condamne chaque partie à supporter ses propres frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 février 2016 par :
Marc Sünnen, président, Annick Braun, premier juge, Alexandra Castegnaro, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.
Schmit Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 février 2016 Le greffier du tribunal administratif 14