Tribunal administratif Numéro 37421 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 janvier 2016 2e chambre Audience publique du 28 janvier 2016 Recours formé par Monsieur …, alias …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 10, L.05.05.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37421 du rôle et déposée 18 janvier 2016 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Nigéria) et être de nationalité nigériane, alias …, né le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 10 décembre 2015 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2016 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en sa plaidoirie à l’audience publique du 25 janvier 2016, à laquelle Maître Philippe Stroesser n’était ni présent, ni représenté, sans s’être fait excuser.
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Le 13 février 2015, Monsieur …, alias …, ci-après dénommé « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Il s’avéra toutefois à cette occasion, par comparaison des empreintes digitales, que l’intéressé s’appelle en réalité …, né le 2 septembre 1979 à Enugu (Nigéria), de nationalité nigériane, et qu’il est connu en Allemagne pour infractions à la législation sur les stupéfiants, ainsi qu’en France pour des infractions similaires et pour entrée irrégulière sur le territoire. Il s’avéra encore que le demandeur fait l’objet d’une interdiction de territoire de dix ans en France et qu’il dispose d’un visa italien délivré à Lagos.
Le 18 mars 2015, Monsieur … fut placé en détention préventive du chef d’infractions à la législation relative aux stupéfiants.
1Par décision du 31 mars 2015, notifiée à l’intéressé en mains propres le 2 avril 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’était pas compétent pour examiner sa demande de protection internationale, en se référant aux dispositions de l’article 15 de la loi du 5 mai 2006 et à celles de l’article 12 (4) du règlement (UE) n° 604/2013 du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, au motif que ce serait la République d’Italie qui serait responsable du traitement de sa demande d’asile, du fait qu’il y serait titulaire d’un visa valable du 30 juillet au 30 novembre 2014. Ledit arrêté fit encore état de ce que les autorités italiennes auraient accepté, en date du 30 mars 2015, de reprendre en charge l’examen de sa demande d’asile. Dans la même décision, le ministre annonça à Monsieur … que son transfert vers l’Italie serait organisé dans les meilleurs délais.
Par jugement du 1er juin 2015, inscrit sous le numéro 36244 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 31 mars 2015.
Par arrêté du 10 décembre 2015, notifié à l’intéressé en mains propres le lendemain, soit au jour de sa libération du Centre pénitentiaire de Luxembourg, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée maximale de trois mois sur base des considérations suivantes :
« (…) Vu l’article 28 (2) du règlement (UE) N°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
Vu l’article 10 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;
Vu l’article 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport N° SPJ/15/2015/42528.1/LU du 13 février 2015 établi par le Service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux ;
Attendu qu’au vu de la situation particulière [de l]’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un document de voyage valable ;
Considérant que l’intéressé a déposé une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 13 février 2015 ;
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qu’une demande de prise en charge en vertu de l’article 12§4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 a été adressée aux autorités italiennes en date du 26 mars 2015 ;
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que les autorités italiennes ont marqué leur accord de prise en charge en date du 30 mars 2015 ;
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qu’il est connu sous une différente identité en Italie ;
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que le transfert vers l’Italie n’a pas pu être effectué alors que l’intéressé se trouvait en détention ;
Considérant qu’un éloignement immédiat n’est pas possible ;
Considérant qu'il existe un risque de fuite non négligeable, alors que l'intéressé est susceptible de se soustraire à la mesure d’éloignement ;
2-
que la mesure de placement est nécessaire afin de ne pas compromettre le transfert de l’intéressé vers l’Italie ; (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2016, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 10 décembre 2015.
A l’audience publique des plaidoiries, le tribunal a invité les parties à prendre oralement position, d’une part, sur l’incidence de l’abrogation de la loi du 5 mai 2006 par la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », sur le présent recours, laquelle loi fut publiée au Mémorial A le 28 décembre 2015 et entra en vigueur 3 jours francs après sa publication, soit le 1er janvier 2016, à défaut de disposition spéciale quant à l’entrée en vigueur de ladite loi et, d’autre part, quant à la recevabilité dudit recours.
Le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice quant à ces questions, tandis que le litismandataire du demandeur, qui n’était ni présent, ni représenté à ladite audience publique, sans s’être fait excuser, n’a manifestement pas pu prendre position quant à ces questions.
Dans la mesure où, à travers l’article 83 de la loi du 18 décembre 2015, le législateur s’est limité à abroger purement et simplement la loi du 5 mai 2006 dans son intégralité, sans pour autant prévoir de mesures transitoires, se pose la question de la loi applicable au présent litige.
Quant à la recevabilité du recours introduit par Monsieur …, le tribunal relève que seule la loi en vigueur au jour où une décision critiquée a été prise est applicable pour apprécier la recevabilité d’un recours contentieux dirigé contre elle, étant donné que l’existence d’une voie de recours est une règle du fond du droit judiciaire, de sorte que les conditions dans lesquelles un recours contentieux peut être introduit devant une juridiction doivent être réglées suivant la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée, en l’absence de mesures transitoires1. Il s’ensuit qu’en l’espèce, la recevabilité du recours sous examen devra être analysée conformément aux dispositions de la loi du 5 mai 2006.
Etant donné que l’article 10 (4) de la loi du 5 mai 2006 institue, par renvoi à l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative prise sur le fondement de l’article 10 de la loi du 5 mai 2006, telle que la décision déférée, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.
L’article 10 (4), précité, de la loi du 5 mai 2006, par renvoi à l’article 123 (2) de la loi du 29 août 2008, prévoit que le recours contentieux à l’encontre d’une décision de placement en rétention prise sur le fondement dudit article 10 de la loi du 5 mai 2006 doit être introduit dans un délai d’un mois à partir de la notification de la décision en question.
1 Trib. adm. 5 mai 2010, n° 25919 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 288 et l’autre référence y citée.
3Dès lors, dans la mesure où la décision déférée a été notifiée à l’intéressé le 11 décembre 2015, le délai de recours à l’encontre de ladite décision a expiré en l’espèce le lundi, 11 janvier 2016, de sorte que le recours en réformation, introduit le 18 janvier 2016, soit après l’expiration du délai susmentionné, est à déclarer irrecevable pour être tardif.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare irrecevable le recours principal en réformation dirigé contre l’arrêté ministériel du 10 décembre 2015 ordonnant le placement au Centre de rétention de Monsieur …, alias … ;
dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Hélène Steichen, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 28 janvier 2016 par le premier juge en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 janvier 2016 Le greffier du tribunal administratif 4