Tribunal administratif Numéro 35653 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 décembre 2014 2e chambre Audience publique du 28 janvier 2016 Recours formé par Monsieur …, … contre le bulletin de l’impôt sur le revenu pour les années 2011, 2012, 2013 émis par le bureau d’imposition Echternach en matière d’impôt sur le revenu
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35653 du rôle et déposée le 30 décembre 2014 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, demeurant à L-…, ayant pour objet « - de dire que l’article 134 de la LIR est abusif et que son application de même ; - de dire que l’article 12 du traité de visant à la non double imposition s’applique pleinement, sans restriction ni détournement en aucune manière ; - de dire que le montant de la pension militaire de M. … n’a pas été intégré dans le calcul du montant imposable et de manière générale n’a pas à être pris en compte en aucune manière ; - d’ordonner le remboursement du trop perçus d’impôts au titre des années 2011, 2012 et 2013, - d’ordonner la continuation des mesures de non introduction pour les années à venir » ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 janvier 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 24 février 2015 par Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins critiqués;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, Monsieur … en ses explications et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en sa plaidoirie à l’audience publique du 29 juin 2015.
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Le 4 juin 2014, le bureau d’imposition Echternach de la section des personnes physiques de l’administration des Contributions directes émit à l’égard de Monsieur … le bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2011 accompagné d’une fiche établie sur base de l’article 134 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, dénommée ci-après « L.I.R. » relative à la détermination du taux d’impôt global.
Par une lettre du 14 juin 2014, Monsieur … introduisit une réclamation à l’encontre des bulletins « pour les années 2011, 2012 et 2013 et 2014 à venir » auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé « le directeur ».
Le bureau d’imposition émit également le 23 juillet 2014 à l’égard de Monsieur … les bulletins de l’impôt sur le revenu pour les années 2012 et 2013 accompagnés d’une fiche établie sur base de l’article 134 L.I.R. pour une imposition collective avec Madame ….
N’ayant pas reçu de réponse quant à sa réclamation, Monsieur … a introduit, par requête portant le numéro 35653 du rôle déposée le 30 décembre 2014 au greffe du tribunal administratif, un recours ayant pour objet « - de dire que l’article 134 de la LIR est abusif et que son application de même ; -de dire que l’article 12 du traité de visant à la non double imposition s’applique pleinement, sans restriction ni détournement en aucune manière ; - de dire que le montant de la pension militaire de M. … n’a pas été intégré dans le calcul du montant imposable et de manière générale n’a pas à être pris en compte en aucune manière ;
-d’ordonner le remboursement du trop perçus d’impôts au titre des années 2011, 2012 et 2013, -d’ordonner la continuation des mesures de non introduction pour les années à venir ».
Lorsque la demande introductive d’instance omet d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours admis par la loi.1 En l’espèce, au vu du libellé du dispositif de la demande introductive d’instance et compte tenu que Monsieur … n’est pas un professionnel du droit mais un simple contribuable, il y a lieu d’entendre que le recours tend à la réformation de la décision qui fait l’objet de la réclamation résultant du silence gardé à la suite de la prédite réclamation.
Aux termes de l’article 8 (3) 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives « lorsqu’une réclamation au sens du § 228 de la loi générale des impôts ou une demande en application du § 131 de cette loi a été introduite et qu’aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande, le réclamant ou le requérant peuvent considérer la réclamation ou la d emande comme rejetées et interjeter recours devant le tribunal administratif contre la décision qui fait l’objet de la réclamation ou, lorsqu’il s’agit d’une demande de remise ou en modération, contre la décision implicite de refus. Dans ce cas le délai prévu au point 4, ci-après ne court pas ».
Il résulte de la lecture combinée des dispositions du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO » et de l’article 8 (3) 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996 que le tribunal est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de l’impôt sur le revenu en l’absence d’une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un tel bulletin passé un délai de six mois à compter de l’introduction de ladite réclamation. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit à l’encontre des bulletins de l’impôt déférés.
Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité omisso medio de la requête introductive d’instance à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des années 2012 et 2013, émis en date du 23 juillet 2014, soit postérieurement à la réclamation introduite par Monsieur … en date du 17 juin 2014 auprès du directeur.
1 Trib. adm. 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n° 790 et les autres références y visées.
Monsieur … rétorque qu’il serait « légitime de déposer la réclamation en avance dès réception du projet d’imposition » et que « rien n’interdi[rait] d’introduire une réclamation en avance si l’effet est prévisible et contestable dès le départ ». Il indique encore qu’une deuxième réclamation aurait été introduite en date du 2 juillet 2014 suite à la communication d’un projet d’imposition ainsi qu’en date du 19 juillet 2014 par voie de courrier électronique.
Un recours devant le tribunal administratif n’est recevable que s’il est dirigé contre une véritable décision affectant les droits et intérêts du demandeur qui la conteste. Une demande tendant à provoquer une « décision de principe » et non dirigée contre un bulletin d’imposition d’une année déterminée est irrecevable2.
Il ressort des pièces et éléments soumis à l’examen du tribunal que si Monsieur … a certes réclamé par lettre adressée au directeur en date du 14 juin 2014 quant au bien-fondé de l’imposition se dégageant des bulletins de l’impôt sur les revenus « pour les années 2011, 2012 et 2013 et 2014 à venir », seul le bulletin de l’impôt sur les revenus pour l’année d’imposition 2011 avait été émis à la date de réclamation dès lors qu’il fut établi en date du 4 juin 2014, les autres documents critiqués étant un projet d’imposition pour les années 2012 et 2013 tandis qu’il n’existait aucun document émis par le bureau d’imposition pour l’année 2014. En l’absence de bulletin d’imposition sur le revenu pour les années 2012, 2013 et 2014 à la date de la réclamation initiale auprès du directeur, soit le 14 juin 2014, les autres réclamations n’ayant pour objet que des projets d’imposition, seul le recours à l’encontre du bulletin de l’impôt sur les revenus pour l’année 2011 est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours est irrecevable pour le surplus.
A l’appui de son recours, le demandeur expose être résident luxembourgeois depuis le mois de janvier 2008 et salarié auprès de l’entreprise … depuis le mois d’août 2007 en qualité d’…. Il explique être titulaire d’une pension militaire versée par l’Etat français depuis l’année 2011 en raison de son activité d’officier de marine au sein de l’armée française pendant vingt ans. Il donne à considérer que l’administration des Contributions directes aurait exigé la déclaration de ladite pension et son intégration dans les revenus des années 2011, 2012 et 2013. Il fait valoir que les revenus de l’année 2011 auraient fait l’objet d’un rappel avec intérêts.
En droit, il indique que la justification de l’imposition serait basée sur l’article 134 L.I.R. ce qui aurait eu pour conséquence une augmentation substantielle du montant de l’impôt dû. Or, il se prévaut de l’article 12 de la convention conclue entre le Luxembourg et la France tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune pour contester l’imposition sur base de l’article 134 L.I.R.. Il est d’avis que l’administration des Contributions directes aurait « pris parti d’ignorer complètement les termes de l’article 12 du traité, des recommandations de l’OCDE et de la CE et introduit une pseudo « capacité contributive » soit disant destinée à préserver la progressivité de l’impôt ». Il estime que ledit article empêcherait l’administration des Contributions directes de pouvoir imposer ses revenus qui auraient déjà été imposés par l’Etat débiteur. Il complète son argumentation par voie de mémoire en réplique en indiquant que l’impôt prélevé en France serait un impôt à taux fixe, libératoire et exclusif de tout autre moyen. Il explique encore que les pensions 2 Trib. adm. 1er juillet 1998, n° 10430 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n° 738 versées à titre privé ne seraient pas imposées à la source, contrairement aux pensions étatiques. Il affirme que ces dernières ne permettraient aucune activité salariée supplémentaire bien qu’elles fassent l’objet d’une retenue à la source en cas de résidence à l’étranger. Il admet que s’il venait à exercer une activité salariée en France ou à y percevoir d’autres revenus en y étant résident, il y serait imposé sur l’ensemble de ses revenus mais estime qu’il pourrait y bénéficier d’une déduction intégrale des pensions alimentaires versées à ses enfants alors qu’en l’espèce, elle serait plafonnée à 290 euros par mois et par enfant sans possibilité de déduire les frais d’inscription aux cours. Il conclut à l’existence « de facto [d’] iniquité et [d’une] discrimination par le seul fait de la résidence ».
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour manquer de fondement et estime que le bulletin de l’impôt sur le revenu déféré aurait fait une application correcte des règles de l’imposition.
Il est constant en cause que le demandeur est résident luxembourgeois depuis le mois de janvier 2008.
A ce titre, il est soumis à l’article 2 L.I.R. qui dispose qu’il a une obligation fiscale illimitée de sorte à devoir s’acquitter de l’impôt en raison de son revenu tant indigène qu’étranger. En l’espèce, sauf exemption, il est soumis à l’impôt sur les pensions et retraites payées au demandeur par l’Etat français.
L’article 99 de la Constitution dispose qu’« Aucun impôt au profit de l’Etat ne peut être établi que par une loi » alors que l’article 100 de la Constitution dispose quant à lui qu’« Il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts. Nulle exemption ou modération ne peut être établie que par une loi ».
La loi du 17 août 1959 porte approbation de la Convention entre la France et le Grand-
Duché de Luxembourg tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, signée à Paris le 1er avril 1958, laquelle fit l’objet d’avenants successifs, ci-après la « convention ».
Aux termes de l’article 12 de la convention, « Les rémunérations allouées par l’Etat, les départements, les communes ou autres personnes morales de droit public régulièrement constituées suivant la législation interne des Etat contractants, en vertu d’une prestation de service ou de travail actuelle ou antérieure, sous forme de traitements, pensions, salaires et autres appointements, sont imposables seulement dans l’Etat du débiteur (…) ».
Ainsi, selon ce principe, seul l’Etat du débiteur a le droit d’imposer les rémunérations allouées par l’Etat, les départements, les communes ou autres personnes morales de droit public régulièrement constituées suivant la législation interne d’un des deux Etat contractants, en vertu d’une prestation de service ou de travail actuelle ou antérieure, sous forme de traitements, pensions, salaires et autres appointements. En l’espèce, c’est l’administration des Contributions directes française qui prélève l’impôt sur la pension du demandeur par voie de retenue à la source.
Par ailleurs, l’article 19 de la convention dispose que : « §1. Les revenus qui, d’après les dispositions de la présente convention, ne sont imposables que dans l’un des deux Etats, ne peuvent pas être imposés dans l’autre Etat, même par voie de retenue à la source.
Néanmoins chacun des deux Etats conserve le droit de calculer au taux correspondant à l’ensemble du revenu du contribuable les impôts directs afférents aux éléments du revenu dont l’imposition lui est réservée (…) ».
Ainsi, sur base de cette disposition, l’administration des Contributions directes est autorisée à prendre en compte des revenus qui ne sont imposables que dans l’autre Etat, à savoir la France dans la fixation du taux de l’impôt sur le revenu grevant les autres éléments de revenus pour autant qu’une disposition de droit interne prévoie cette possibilité.
En droit interne, cette possibilité est prévue par l’article 134 L.I.R. qui consacre le principe de la clause de progressivité en les termes suivants : « lorsqu’un contribuable résident a des revenus exonérés par une convention internationale, ces revenus sont néanmoins incorporés au revenu imposable, mais l’impôt est réduit à concurrence de la fraction correspondant à ces revenus exonérés ».
Cet article prévoit ainsi un système général de l’imposition du revenu mondial du contribuable résident sous réserve de l’annulation de la part d’impôt correspondant aux revenus exonérés. Il constitue une mesure d’exécution pour l’application en droit interne de toute clause d’exonération de revenus sous réserve de progressivité prévue par une convention internationale tendant à la prévention de la double imposition internationale.3 Ainsi, c’est à juste titre que le délégué du gouvernement a conclu qu’il importe, dans une première étape, de procéder à une imposition fictive en prenant en compte l’ensemble des revenus indigènes et étrangers réalisés au cours d’une année d’imposition déterminée d’après les méthodes et règles ordinaires de détermination du revenu ajusté indigène afin, dans un deuxième temps, d’appliquer le taux d’imposition sur les revenus indigènes non exonérés. Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.
Le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours irrecevable sauf en ce qu’il est dirigé à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année 2011 ;
au fond le déclare non fondé, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, 3 Trib. adm. 19 juillet 2000, n° 11009 du rôle, Pas.adm. 2015, V° Impôts, n° 867 et les autres références y citées.
Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 28 janvier 2016 par le premier juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28/1/2016 Le Greffier du Tribunal administratif 6