Tribunal administratif Numéro 37292 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 décembre 2015 3e chambre Audience publique extraordinaire du 24 décembre 2015 Recours formé par Monsieur ….., Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37292 du rôle et déposée le 16 décembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., né le …. à ….
(Monténégro), de nationalité monténégrine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 décembre 2015 ayant ordonné la prolongation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Marcel Marigo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Christiane Martin en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 9 novembre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », prit à l’encontre de Monsieur ….. un arrêté d’interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir le Monténégro, ou à destination de tout autre pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, après avoir constaté qu’il n’était pas en possession d’un passeport en cours de validité et qu’il n’était en possession ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail et qu’il existait un risque de fuite dans son chef.
En date du 9 novembre 2015, le ministre prit un arrêté de placement en rétention à l’égard de Monsieur ….., arrêté qui fut notifié à l’intéressé le lendemain. Ladite décision est fondée sur les motifs et considérations qui suivent :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu ma décision de retour comportant une interdiction de territoire du 9 novembre 2015 ;
Attendu que l'intéressé est démuni de tout document de voyage valable ;
Attendu qu'au vu de la situation particulière de l'intéressé, il n'existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu'une mesure de placement alors que les conditions d'une assignation à domicile conformément à l'article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ;(…) ».
Par un arrêté du 7 décembre 2015, notifié à l’intéressé le 10 décembre 2015, le ministre prorogea le placement en rétention pour une nouvelle durée d’un mois. Ledit arrêté est basé sur les motifs et considérations suivants :
« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mon arrêté du 9 novembre 2015, notifié en date du 10 novembre 2015, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 9 novembre 2015 subsistent dans le chef de l'intéressé ;
Considérant que les démarches en vue de l'éloignement ont été engagées ;
Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;
Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l'éloignement ;(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 16 décembre 2015, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 7 décembre 2015.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.
Le recours est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur donne à considérer que le placement en rétention constituerait une faculté pour le ministre, de sorte qu’un placement en rétention ne pourrait pas être systématique, mais devrait être conditionné par une extrême nécessité, qui toutefois ne serait pas donnée en l’espèce, et apprécié suivant la situation concrète de l’intéressé.
Le demandeur reproche ensuite au ministre un défaut de diligences, en ce qu’il n’aurait pas fait état des démarches concrètes qui auraient été entamées afin de l’éloigner du territoire luxembourgeois. Il estime partant qu’il y aurait une grave violation de son droit à la libre circulation, et ce en violation de la loi du 29 août 2008 et « de la Convention européenne des droits de l’Homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ».
Par ailleurs, il conteste l’existence d’un risque de fuite dans son chef et reproche au ministre de ne pas avoir vérifié les conditions d’une assignation à résidence, qui devrait être considérée comme une mesure proportionnée bénéficiant d’une priorité par rapport au placement en rétention. Il souligne qu’il n’aurait aucun intérêt à fuir et qu’il se soumettrait « à tout contrôle administratif nécessaire en l’espèce ».
Enfin, le demandeur soutient que son placement en rétention devrait être considéré comme une détention arbitraire puisqu’il serait comparable à l’incarcération d’une personne purgeant sa peine au Centre pénitentiaire. De ce fait, la mesure de placement serait inadaptée et une autre mesure telle qu’une assignation à résidence devrait être privilégiée. En l’espèce, le ministre aurait fait un usage disproportionné de la loi du 29 août 2008.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces moyens.
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. (…) ».
En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois. Cette mesure peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».
La décision déférée du 7 décembre 2015 énonce que les motifs à la base de la première mesure de placement du 9 novembre 2015 subsistent et que les démarches en vue de l’éloignement de l’intéressé sont en cours mais n’ont pas encore abouti.
Il convient de prime abord de retenir que la condition de « nécessité » invoquée par le demandeur pour conclure à un défaut de motivation, n’est en tant que telle pas inscrite dans la loi, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.
Pour le surplus, force est de relever qu’en date du 9 novembre 2015, le ministre a ordonné à Monsieur ….. de quitter le territoire national sans délai, tout en prononçant à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 3 ans, en retenant sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi du 29 août 2008 qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé.
Il échet encore de relever qu’un risque de fuite a valablement pu être présumé dans le chef du demandeur, en application des articles 111, paragraphe (3) c) et 34 de la loi du 29 août 2008, en considération de ce que Monsieur ….. n’est pas en possession d’un passeport ou visa en cours de validité.
Il lui appartient partant de fournir des éléments de nature à renverser cette présomption. Or, force est de constater que le demandeur n’a soumis au tribunal aucun élément permettant de renverser la présomption de risque de fuite. En l’occurrence, il n’a fourni au tribunal aucun élément de nature à conclure à l’existence de garanties de représentation effective, le demandeur ne disposant au contraire d’aucune adresse connue au pays.
Les contestations afférentes du demandeur sont dès lors rejetées.
Comme le tribunal vient de retenir que le risque de fuite est présumé dans le chef du demandeur et que celui-ci n’a fourni aucun élément susceptible de renverser cette présomption, le moyen fondé sur la possibilité d’une assignation à résidence est encore à rejeter.
En effet, si l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit que le ministre peut prendre une décision d’assignation à résidence à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire est reportée pour des motifs techniques, cette possibilité présuppose que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe 3 de la même loi. Il s’agit donc d’une simple prérogative pour le ministre et s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du demandeur, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes.
Or, l’existence des garanties de représentation effective propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) c) de la loi du 29 août 2008 n’est, tel que cela a été retenu ci-avant, pas vérifiée en l’espèce, de sorte que le moyen afférent, combiné à celui ayant trait à la mise en œuvre du principe de proportionnalité et celui fondé sur l’affirmation que son placement en rétention équivaudrait à une détention arbitraire, invoqués dans ce même contexte, est rejeté.
S’agissant de la question de savoir si le dispositif de l’éloignement est en cours et est entrepris avec toute la diligence nécessaire, il se dégage des éléments du dossier administratif soumis au tribunal qu’en date du 12 novembre 2015, les autorités luxembourgeoises avaient contacté les autorités monténégrines en vue d’organiser le transfert de Monsieur ….. vers le Monténégro et que les autorités monténégrines ont répondu par un courrier du 18 novembre 2015 par lequel elles ont marqué leur accord en vue de reprendre l’intéressé. Enfin, il ressort d’une note au dossier, datée au 17 décembre 2015, que « le retour forcé de Monsieur ….. est prévu pour le 7 janvier 2016 » suivant une information reçue de la part du service de police judiciaire de la police grand-ducale.
Au vu des éléments relevés ci-avant, le tribunal est partant amené à retenir que les contestations du demandeur quant aux diligences entreprises sont à rejeter comme étant non fondées.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Annick Braun, premier juge, Daniel Weber, juge.
et lu à l’audience publique extraordinaire du 24 décembre 2015 à 10.00 heures, par le premier vice-président, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 24.12.2015 Le greffier du tribunal administratif 5