Tribunal administratif N° 37136 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 novembre 2015 3e chambre Audience publique du 16 décembre 2015 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37136 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2015 par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom propre ainsi qu’au nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le … à … et …, né le … à …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 octobre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale du même jour et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 novembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en sa plaidoirie à l’audience publique du 9 décembre 2015.
En date du 26 mai 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … et …, ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur … et de Madame … sur leurs identités et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Le 5 juin 2015, Monsieur … et son épouse, Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale. Leurs déclarations furent actées dans un rapport dit « rapport d’entretien Dublin III ».
Monsieur … et son épouse, Madame …, furent encore entendus en date du 15 juillet, respectivement du 27 août 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
A cette occasion, Monsieur … déclara qu’au matin du 2 mai 2015, il aurait trouvé à la sortie de son domicile une enveloppe contenant une lettre l’accusant d’être un nationaliste votant pour des parties de droite et l’incitant à payer 40.000.- euros, et le menaçant qu’au cas où il ne payerait pas, il disparaîtrait. Il aurait déclaré l’incident à la police, mais celle-ci lui aurait répondu qu’il s’agirait vraisemblablement d’une blague. Le 4 mai 2015, il aurait trouvé une deuxième lettre de menace indiquant qu’en raison de sa plainte auprès de la police ses enfants paieront. Il aurait alors décidé de faire des passeports et de quitter le pays. Le même jour, sa fille aurait été victime d’une tentative d’enlèvement en se rendant à l’école. En effet, un jeune homme aurait tenté en vain de la tirer de force dans une voiture de sport noire.
Cependant, deux de ses voisins, témoins de la scène, seraient venus à l’aide de sa fille. Il attribue ses incidents à son appartenance au parti démocratique et indique par ailleurs qu’il aurait été maltraité et frappé lors des élections en 2013 quand il aurait porté une pancarte du parti démocratique. Enfin, sa femme n’aurait pas été appréciée comme elle serait indépendante et comme elle travaillerait.
Madame … confirma en substance les dires de son époux.
Par décision du 22 octobre 2015, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 23 octobre 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … ainsi que son épouse, Madame …, qu’il avait statué sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20, paragraphe (1) sous a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leur demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de l’Albanie ou de tout autre pays dans lequel ils sont autorisés à séjourner.
La décision du ministre est tout d’abord motivée par la considération que, selon les dispositions de l’article 1er, paragraphe (1) du règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 », la famille … proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens des dispositions de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, c’est-à-dire d’un pays dans lequel il n’existerait, généralement et de façon constante, pas de persécutions au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».
Le ministre releva par ailleurs que les raisons ayant amené la famille … à quitter leur pays d’origine n’auraient pas été motivées par un des critères de fond définis par la Convention de Genève et la loi du 5 mai 2006. Les menaces et l’agression de leur fille constitueraient en effet des délits de droits communs punissables selon la législation albanaise. Par ailleurs, un défaut de protection de la part des autorités albanaises ne ressortiraient pas des éléments lui soumis, comme, notamment, le demandeur aurait lui-même déclaré de ne s’être adressé qu’une seule fois à la police.
Le ministre retient par ailleurs que la famille … aurait pu profiter d’une fuite interne.
S’agissant de la protection subsidiaire, le ministre conclut que le récit de Monsieur … ainsi que de son épouse, Madame … ne comporterait aucun motif sérieux et avéré de croire qu’ils courent un risque réel de subir l’une des atteintes graves définies à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 novembre 2015, Monsieur … ainsi que son épouse, Madame … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 22 octobre 2015 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale, et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
1. Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 22 octobre 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir qu’ils courent un risque réel d’être victimes de menaces, sinon d’attentats à leur vie en cas de retour en Albanie.
Monsieur … aurait clairement déclaré qu’il se serait rendu à la police, mais que cette dernière aurait refusé de lui accorder un quelconque crédit et encore moins de lui venir en aide dans cette affaire. Ils donnent encore à considérer que leur fille mineure aurait fait l’objet en date du 4 mai 2015 d’une tentative d’enlèvement et qu’il apparaîtrait clairement de leur récit que ces faits seraient en relation avec l’appartenance de Monsieur … au parti démocratique. En effet, la famille … aurait une longue tradition politique remontant au moins jusqu’à son père … qui aurait obtenu le statut de réfugié politique alors qu’il aurait été persécuté pour ses idées politiques sous le régime communiste.
Plus précisément, quant à la capacité ou la volonté des autorités albanaises de leur accorder une protection, les demandeurs font valoir que la police aurait des liens avec leurs agresseurs dans la mesure où ces derniers auraient mentionné dans leur deuxième lettre de menace l’intervention de Monsieur … auprès de la police. Les demandeurs contestent par ailleurs qu’ils auraient pu bénéficier d’une fuite interne et concluent que leur demande de protection internationale aurait dû être analysée dans le cadre d’une procédure selon l’article 19 de la loi du 5 mai 2006.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 :
« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
[…] c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; […] ».
Il s’ensuit, qu’en vertu de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement en ce qui concerne le point c) de l’article 20, paragraphe (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de relever qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » Il est constant en cause que l’Albanie figure sur la liste des pays sûrs établie par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.
En l’espèce, il se dégage des éléments du dossier que les demandeurs ont la nationalité albanaise et qu’ils ont habité en Albanie avant de venir au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de statuer dans le cadre de la procédure accélérée.
Au vu du libellé des différents paragraphes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier le recours à une procédure accélérée, étant donné que l’article 21, paragraphe (2) de la même loi oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, de procéder, en tout état de cause, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de la demande de protection internationale, si le demandeur possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l'espèce, il ressort de la lecture de la décision litigieuse que le ministre a bien procédé à un examen de la situation individuelle des demandeurs avant de conclure qu'ils proviennent d’un pays qui, dans leur chef, est à qualifier de pays d'origine sûr, de sorte qu'il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20, paragraphe (4) de loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si les demandeurs lui soumettent, conformément à l’article 21, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de leur situation personnelle, de sorte à renverser la présomption établie à l’article 1er du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007.
Or, l'analyse de la situation décrite par les demandeurs lors de leurs auditions respectives ainsi qu’au cours de la présente instance ne permet pas au tribunal d'en dégager des éléments convaincants pour renverser cette présomption et pour pouvoir conclure en conséquence à l’illégalité de la décision ministérielle.
En effet, au regard de la présomption se dégageant du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, dont la légalité n’est pas remise en cause par les demandeurs, il aurait appartenu à ces derniers de démontrer concrètement pour quelles raisons ils n’ont pas accès à la protection de la part des autorités albanaises, des considérations générales sont insuffisantes à cet égard. Or, dans le cadre de leur recours, les demandeurs se limitent essentiellement à invoquer l’inaction de la police albanaise après l’unique intervention de Monsieur … auprès d’elle, les demandeurs étant en effet d’avis leurs agresseurs auraient des liens avec la police, étant donné qu’ils auraient été au courant de cette intervention, ce qui serait prouvé par le fait qu’ils auraient mentionné la plainte auprès de la police dans la deuxième lettre de menaces.
Cependant, le tribunal est amené à conclure, de concert avec la partie étatique, qu’une seule intervention auprès de la police locale, le cas échéant inefficace, n’est pas de nature à renverser la présomption établie par le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007. En effet, les demandeurs auraient dû, en cas de refus de protection de la part des autorités locales, se diriger à un niveau plus élevé de la hiérarchie policière pour dénoncer cette inaction et le cas échéant des relations suspectes entre leurs agresseurs et la police.
Le tribunal tient encore à relever à cet égard que c’est à bon droit que la partie étatique a fait état des progrès dans la législation albanaise qui donne aux citoyens albanais la possibilité de déposer une plainte contre les policiers, et également celle de s’adresser à l’Ombudsman.
Dès lors, le tribunal est amené à conclure que les demandeurs omettent de lui soumettre des éléments suffisamment précis pour conclure qu’en raison de leur situation particulière, ils n’ont pas accès à la protection des autorités albanaises.
Par conséquent, c’est à bon droit que le ministre a pu statuer sur la demande de protection internationale sous analyse dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20, paragraphe (1) c) de la loi du 5 mai 2006. Partant, le recours en annulation dirigé contre la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20, paragraphe (1) a) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.
2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 22 octobre 2015 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit contre la décision ministérielle déférée, qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi A l’appui de leur recours, les demandeurs reprochent au ministre de ne pas avoir pris en compte leur situation particulière à savoir la qualité de militant politique de Monsieur ….
D’autre part, ils donnent à considérer que les faits invoqués seraient liés entre eux et reliés au pouvoir politique et administratif en place dans leur pays d’origine. La preuve sur base de documents des faits invoqués à l’appui de leur demande de protection internationale ne serait d’ailleurs pas exigée par la législation afférente, de sorte qu’il ressortirait à suffisance de leur seules déclarations qu’ils ont droit au bénéfice de la protection internationale. En effet, les faits seraient personnels et graves.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut partant au rejet du recours.
Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».
Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves », et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ».
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».
Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection adéquate contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des éléments soumis à son appréciation, du risque d’être persécuté que le demandeur d’une protection internationale encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Contrairement à ce qui a été retenu par la partie étatique, les menaces qui ont été adressées aux demandeurs et la tentative d’enlèvement de leur fille, s’ils sont certes vraisemblablement également à qualifier de délits de droits communs selon la législation albanaise, ils tombent néanmoins dans le champ d’application de la Convention de Genève, dans la mesure où elles s’inscrivent sur une toile de fond politique.
Cependant, le tribunal est amené à conclure que les actes invoqués par les demandeurs, s’ils sont d’une certaine gravité, il ne ressort pas, tel que relevé ci-avant dans le cadre de l’analyse du recours en annulation dirigé contre la décision du ministre du 22 octobre 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que les autorités albanaises ne veulent ou ne peuvent pas accorder aux demandeurs une protection adéquate.
Partant, le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé pour autant qu’il est dirigé contre le refus ministériel déféré d’accorder aux demandeurs le statut d’asile.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leurs demandes de reconnaissance du statut de réfugié.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.
Comme il n’y a pas de conflit armé en Albanie et que les demandeurs n’allèguent pas risquer la peine de mort dans leur pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont ils font état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants ou encore s’ils risquent d’être exécutés en cas de retour dans leur pays d’origine.
Comme relevé ci-avant l’octroi du bénéfice de la protection subsidiaire est soumise à la condition que les demandeurs ne peuvent se prévaloir de la protection des autorités de leur pays d’origine, condition qui n’est, tel que relevé ci-avant, pas remplie en l’espèce.
Il s’ensuit qu’en l’absence d’autres éléments, c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré les demandes de protection internationale sous analyse comme non justifiées, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation la décision du ministre du 22 octobre 2015 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 22 octobre 2015 a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision portant rejet de leur accorder le bénéfice de la protection internationale et sur base du moyen qu’un retour les exposeraient à des atteintes graves et à un traitement inhumain, de sorte à violer l’article 3 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par la « la CEDH », et l’article14 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948.
Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2. r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté les demandes de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
Tel que retenu dans le cadre de l’analyse du recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle portant refus de la protection internationale, le tribunal est amené à retenir, par analogie, que les demandeurs ne risquent pas d’être soumis à des traitements protégés par les instruments internationaux invoqués par eux.
A défaut d’autres moyens soulevés par les demandeurs, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à leur égard.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation contre la décision ministérielle du 22 octobre 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation contre la décision ministérielle du 22 octobre 2015 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 22 octobre 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Thessy Kuborn, premier juge, et lu à l’audience publique du 16 décembre 2015 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18.12.2015 Le greffier du tribunal administratif 11