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14/12/2015 | LUXEMBOURG | N°35242

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 décembre 2015, 35242


Tribunal administratif N° 35242 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 septembre 2014 1re chambre Audience publique du 14 décembre 2015 Recours formé par la société anonyme … S.A., …, contre des décisions du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette en matière de permis de construire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35242 du rôle et déposée le 30 septembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme d

e droit luxembourgeois … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée a...

Tribunal administratif N° 35242 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 septembre 2014 1re chambre Audience publique du 14 décembre 2015 Recours formé par la société anonyme … S.A., …, contre des décisions du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette en matière de permis de construire

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35242 du rôle et déposée le 30 septembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Laurent NIEDNER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme de droit luxembourgeois … S.A., établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le no …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de différentes décisions, ainsi qualifiées, émanant du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, rejetant toutes sa demande en obtention d’une autorisation de construire du 4 juin 2013, sinon sa demande du 19 décembre 2013, à savoir :

1) la décision de refus implicite résultant du silence gardé pendant plu s de trois mois par le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette à la suite de la demande d’autorisation de construire du 4 juin 2013 relative à la construction de bureaux et d’un hangar, le tout entouré d’une surface asphaltée et de plantations, au-lieu-dit « Um Monkeler » sur le territoire de la Ville d’Esch-sur-Alzette, sur une parcelle inscrite au cadastre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, section B de Lallange, au lieu-dit « unter dem Foersterbusch », sous le n° 596/3519, place, 1 ha 70 a et 30 ca ;

2) la décision de refus implicite de refus résultant du silence gardé pendant plus de trois mois par le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette à la suite de la remise de plans supplémentaires le 19 décembre 2013, interprétée par le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-

Alzette comme constituant une nouvelle demande de permis de construire ;

3) la décision implicite de refus résultant du silence gardé par le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette pendant plus de trois mois à la suite de la réception d’un courrier du mandataire de la société … S.A. du 16 avril 2014, à supposer que le tribunal analyse ce courrier comme constituant une demande nouvelle ;

4) la décision implicite de refus résultant du silence gardé par le bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette après cette date du 16 avril 2014, à supposer que la demande de la société … S.A. ne doive être considérée que comme complète à partir de cette date ;

5) le courrier du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette du 14 juillet 2014, ainsi que le courrier du même bourgmestre du 12 août 2014, « pour le cas où il serait considéré que ces courriers renferment des décisions attaquables de refus d’accorder une autorisation de construire » ;

1Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Véronique REYTER, en remplacement de l’huissier de justice Jean-Claude STEFFEN, demeurant à Esch-sur-Alzette, du 6 octobre 2014, portant signification de ladite requête à l’administration communale de la Ville d’Esch-

sur-Alzette, représentée par son collège des bourgmestre et échevins ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif en date du 18 novembre 2014 par Maître Steve HELMINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette ;

Vu le mémoire en réponse, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2014 par Maître Steve HELMINGER au nom de l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 janvier 2015 par Maître Laurent NIEDNER au nom de la société … S.A.;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Laurent NIEDNER, et Maître Steve HELMINGER, en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 6 décembre 2015.

___________________________________________________________________________

La société anonyme de droit luxembourgeois … S.A., ci-après « la société … », expose être propriétaire d’un terrain sis au lieu-dit « Um Monkeler » sur le territoire de la ville d’Esch-sur-Alzette, sur une parcelle inscrite au cadastre de la ville d’Esch- sur-Alzette, section B de Lallange, au lieu-dit « unter dem Foersterbusch », sous le no 596/3519, place, 1 ha 70 a et 30 ca, et classé à la partie graphique du Plan d’Aménagement Général de la Ville d’Esch-sur-Alzette (ci-après « le PAG ») en zone d’industrie légère et d’artisanat.

La société … fit introduire en date du 4 juin 2013 auprès du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, ci-après « le bourgmestre », une demande en obtention d’une autorisation de construire d’un dépôt et d’une partie administrative sur le site en question, à savoir concrètement d’un immeuble en « L », comprenant une partie sur 3 niveaux destinée à abriter des bureaux, vestiaires et pièces administratives, ainsi qu’une partie sur un seul niveau destinée à accueillir le parc automobile de la société.

Il résulte des explications de la société demanderesse que lors d’un entretien avec l’architecte de la Ville d’Esch-sur-Alzette, celui-ci aurait affirmé que l’administration communale souhaiterait voir figurer sur les plans un plus grand nombre de places de stationnement, une coupe des divers réseaux de distribution, ainsi que l’indication des altitudes de six points de la cour asphaltée entourant le bâtiment projeté.

Par courrier du 19 décembre 2013, la société … adressa au bourgmestre des plans modifiés, relatifs dorénavant à « l’autorisation pour la construction d’un bureau administratif, d’un hangar de stockage et d’un atelier mécanique pour entretien camions et camionnettes ».

Le 4 mars 2014, le bourgmestre accusa réception de la « nouvelle demande de permis 2de bâtir reçue le 23 décembre 2013 concernant la construction d’un bureau administratif, d’un hangar de stockage et d’un atelier mécanique », tout en affirmant que celle-ci ne pourrait « dans l’état actuel du dossier, aboutir à une décision », de sorte à exiger que la demanderesse complète sa demande en fournissant les informations et pièces suivantes :

« Des raisons pour lesquelles l’installation de recyclage de concassage/criblage ne fait plus partie de votre projet d’ensemble alors qu’il figure dans l’arrêté d’autorisation ministériel du 11 février 2014 ;

Des plans du hall de confinement du concasseur le cas échéant ;

Des détails du décanteur, des silos, convoyeurs à bandes et, en général toutes les installations et équipements nécessaires, situés sur le terrain inscrit au cadastre de la commune d’Esch-sur-Alzette, Section B de Lallange numéro cadastral 596/3519, installations et équipements nécessaires à l’exploitation de la centrale d’asphalte projetée sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de Schifflange Section de Schifflange numéro cadastral 4596/9618 ;

Des détails des plantations de taille appropriée clôturant le site D’un plan d’implantation indiquant correctement les inscriptions cadastrales, les surfaces des divers éléments, leur destination et les limites du terrain ».

Entretemps, l’avocat de la demanderesse s’était adressé par courrier du 5 mars 2014 au bourgmestre pour protester contre les demandes supplémentaires formulées par le service d’urbanisme de la Ville d’Esch-sur-Alzette et pour exiger l’octroi sans autres retards de l’autorisation sollicitée.

Par courrier du 16 avril 2014, l’avocat de la société … s’adressa à nouveau au bourgmestre pour souligner que la demande de sa mandante ne daterait pas du 23 décembre 2013, mais du 13 juin 2013, et pour prendre position par rapport aux demandes complémentaires telles que figurant dans le courrier précité du bourgmestre du 4 mars 2014.

Le 14 juillet 2014, le bourgmestre adressa à la société … un courrier rédigé comme suit :

« Votre demande pour la construction de divers bâtiments, dépôts et bureaux … arrive à son terme. J’étais en mesure de prendre une décision quand, malheureusement j’ai été informée que diverses constructions ont été réalisées, après le 5 juin 2014, sans autorisations préalables de ma part et sans que ces installations ou bâtiment soient indiqués comme tels sur les plans nouvellement introduits.

Dès lors, sans même prendre en considération l’illégalité des constructions, je souhaite avoir des explications quant à cette situation avant de prendre une décision définitive.

Je ne manquerai pas de prendre une décision dès que j’aurai pris connaissance de vos explications.

La présente n’est pas à considérer comme décision administrative donnant droit à recours. (…) » 3 Par un courrier de son avocat du 23 juillet 2014, la société … souligna en substance ne pas envisager de modification par rapport aux plans remis et, estimant le dossier complet, exigea l’octroi de l’autorisation de construire sollicitée.

Suite à ce courrier, le bourgmestre adressa à son tour en date du 12 août 2014 un courrier à l’avocat de la demanderesse, libellé comme suit :

« En mains votre courrier du 23 juillet courant donnant suite à mon courrier du 14 juillet courant.

D’après votre mandante, il s’agit de constructions, installations ou aménagements provisoires qui ont été entamées, construites et mises en fonction pour les besoins de l’exploitation de la centrale d’asphalte.

Que ces constructions, installations ou aménagements soient provisoires ne les soustrait pas aux dispositions réglementaires en vigueur. Ainsi la propriété sur laquelle ces constructions, installations ou aménagements sont établis est située dans un secteur d’industrie légère et d’artisanat soumis aux dispositions de l’article 2.6 du plan d’aménagement général dont copie en annexe.

Dès lors, si votre mandante estime ne pas devoir modifier ses plans ou compléter sa demande par des plans et détails des constructions, installations ou aménagements déjà réalisés ou encore à réaliser, je dois constater qu’une partie des informations nécessaires à la bonne compréhension et plus loin, prise de décisions sont manquantes, alors qu’il ne m’informe pas de l’envergure, de la géométrie, de l’implantation, ni des affectations auxquelles ils sont voués.

Par ailleurs, tout demandeur peut solliciter et obtenir, le cas échéant, une autorisation de construire pour une installation dont la construction a d’ores et déjà été entamée de manière illégale. Encore faut-il que celle-ci soit néanmoins conforme aux dispositions réglementaires en vigueur en la matière, ce qui n’est pas le cas. En effet, l’article 2.6 précise que la distance des constructions sur les limites de propriété sera égale ou supérieure à la moitié de la hauteur, avec un minimum de six mètres sur un alignement de voie publique, un minimum de quatre mètres sur les autres limites ».

Le 10 septembre 2014, l’avocat de la société … répliqua comme suit :

« J’ai bien reçu votre courrier du 12 août 2014.

Ce courrier appelle de ma part les observations suivantes :

1) Un conteneur ou un mur à gabions provisoires ne représentent pas une construction au sens de la réglementation sur l’aménagement du territoire. La notion de construction suppose que les éléments en cause aient un caractère durable et permanent (voir, par exemple, le jugement du tribunal administratif du 23 janvier 2012, no de rôle 27656). Aussi, aucune autorisation de construire n’est-

elle requise pour la mise en place des éléments visés au troisième alinéa de votre courrier. D’autre part, même dans le cas contraire, l’absence de demande à cet 4égard ne permettrait pas de retarder l’autorisation de construire demandée pour d’autres éléments.

2) Vous signalez dans votre courrier du 14 juillet 2014 que vous étiez sur le point de prendre une décision, ce qui laisse entendre qu’à ce moment vous disposiez de toutes les pièces et informations pertinentes. Le caractère complet du dossier a d’ailleurs été confirmé oralement par vos services. Aussi, l’affirmation dans votre courrier du 12 août 2014, qu’« une partie des informations nécessaires à la bonne compréhension et plus loin, prise de décision sont manquantes, alors qu’il [le demandeur] n’informe pas de l’envergure, de la géométrie, de l’implantation ni des affectations» ne manque pas d’étonner. Il en est ainsi à plus forte raison que dans mon courrier du 16 avril 2014, j’indiquais rester à votre disposition pour tous renseignements complémentaires et que, peu après, dans un courrier du 30 avril 2014, je demandais de bien vouloir « accorder à mon client une entrevue à une date très rapprochée afin d’éliminer les obstacles qui, éventuellement, à ce stade, s’opposent encore à vos yeux à la délivrance de l’autorisation ». Cette demande est réitérée par la présente.

3) Votre courrier du 12 août fait référence à un précédent courrier de votre part du 4 mars 2014, dont vous citez un extrait. Or, par mon courrier du 16 avril 2014 je vous ai communiqué les éléments d’information visés. Comme désormais ces informations paraissent insuffisantes, je vous prie d’indiquer avec précision quels sont, selon vous, les éléments qui font encore défaut.

4) Dans mon courrier du 16 avril 2014, j’écrivais: « Pour le cas où vous estimeriez ne pas pouvoir autoriser en l’état actuel l’ensemble des éléments pour lesquels une autorisation de construire est demandée, je vous prie d’accorder déjà l’autorisation pour les éléments qui ne suscitent pas d’objection de votre part ».

Face à cette demande, il n y a pas eu de réaction de votre part.

Eu égard à ce qui précède et vu la circonstance que la demande d’autorisation de construire remonte à juin 2013, l’attitude de la ville d’Esch dans cette affaire me paraît clairement faire violence à un certain nombre de règles de bonne administration que je ne manquerai pas de faire valoir devant les instances judiciaires compétentes si la ville d ’Esch devait persister dans son attitude ».

A défaut de réponse fournie par la Ville d’Esch-sur-Alzette, la société … a fait introduire le 30 septembre 2015 un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des différentes décisions, ainsi qualifiées, telles que listées ci-avant, émanant du bourgmestre de la Ville d’Esch-sur-Alzette, rejetant toutes sa demande en obtention d’une autorisation de construire du 4 juin 2013, sinon sa demande du 19 décembre 2013.

Quant à la recevabilité Aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en matière d’urbanisme, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

En ce qui concerne la recevabilité du recours subsidiaire en annulation, force est au tribunal de constater que la société … lui a déféré cinq situations distinctes susceptibles de 5constituer des décisions implicites de refus, et ce en fonction d’éventuelles appréciations du tribunal, la demanderesse n’ayant pas hiérarchisé ces différentes hypothèses conformément à un quelconque ordre de subsidiarité, ni présenté d’argumentation juridique tenant compte des différentes demandes présentées par elle et des demandes de pièces et d’informations complémentaires lui opposées par l’administration communale, et ce sur la toile de fond de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, les différentes décisions implicites ayant au contraire été déférées « en vrac » au tribunal, de sorte à lui laisser le soin, en dehors de toute argumentation, d’analyser chaque situation pour en déduire, le cas échéant, une décision implicite de refus.

A cet égard, il convient de souligner que l’article 1er de la loi du 21 juin 1999 exige la désignation précise de la décision contre laquelle le recours est dirigé, de sorte à exclure une indication vague et imprécise, formulée de surcroît à titre alternatif et concernant le cas échéant des décisions relatives à des situations de fait et de droit différentes. En effet, si une désignation imprécise n’engendre pas forcément l’irrecevabilité de la demande, encore faut-il que des éléments précis permettent de dégager sans méprise possible la ou les décisions que l’auteur de la requête avait l’intention de déférer au tribunal1, étant encore plus particulièrement souligné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

D’un autre côté, le tribunal relève également que l’administration communale ne s’est pas non plus prononcée sur la recevabilité du recours en annulation, si ce n’est, d’une part, de se rapporter à la sagesse du tribunal, et, d’autre part, d’admettre, in globo, l’existence d’une attitude de refus dans son chef, sans pour autant indiquer la date ou l’acte qui matérialiserait plus spécifiquement ce refus.

S’agissant d’un dossier globalement non instruit de ce point de vue, le tribunal procèdera dès lors à l’analyse des différentes hypothèses lui déférées en fonction de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996, précitée, aux termes duquel « dans les affaires contentieuses qui ne peuvent être introduites devant le tribunal administratif que sous forme de recours contre une décision administrative, lorsqu’un délai de trois mois s’est écoulé sans qu’il soit intervenu aucune décision, les parties intéressées peuvent considérer leur demande comme rejetée et se pourvoir devant le tribunal administratif ».

L’article 4 (1) est clair dans la mesure où il prévoit une présomption de rejet de la demande introduite à partir du moment où aucune décision n’est intervenue dans le délai de trois mois, qui court en principe à partir du moment de l’introduction de la demande.

Seul un acte de nature à produire des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de la personne qui a introduit la demande, susceptible d’un recours contentieux, est de nature à renverser la présomption de rejet prévue par l’article 4 (1) précité.

Il appartient donc de prime abord au tribunal de vérifier si, au cours du délai de trois mois, dont le point de départ se situe au 4 juin 2013, date de la demande initiale adressée au bourgmestre, et qui a expiré en date du 4 septembre 2013, une telle décision, négative ou positive, a été émise par l’autorité communale compétente, à savoir le bourgmestre.

1 Trib. adm. 1er février 2010, n° 25684, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 375.

6A cet égard, il est constant en cause que le bourgmestre n’a pas pris position explicitement par rapport à cette demande endéans le délai de 3 mois ; toutefois, il résulte des explications de la société … qu’elle aurait, après l’expiration de ce délai, eu un entretien avec le service de l’urbanisme de la Ville d’Esch-sur-Alzette, lequel aurait demandé une modification des plans. Il est encore constant en cause que la société … a remis en date du 19 décembre 2013 les plans modifiés au bourgmestre, le courrier d’accompagnement se référant à une « première demande » du 13 juin 2013.

Si, d’une manière générale l’existence de pourparlers avec l’administration n’est pas de nature à interrompre le délai contentieux2, de même que le fait que l’autorité compétente attende des informations d’autres administrations ne saurait faire échec aux dispositions de l’article 4 (1) de la loi du 7 novembre 1996, qui prévoient la faculté, pour l’administré, de considérer le silence perdurant de l’administration pendant plus de trois mois comme valant décision implicite de refus, et de déférer cette décision implicite au tribunal, alors que s’agissant d’une présomption légale contre laquelle aucune preuve n’est admise et dont l’invocation est laissée par le législateur à la discrétion de l’administré, de sorte que le tribunal doit en tenir compte une fois que l’administré a manifesté son intention d’user de la faculté lui offerte par le législateur3, il convient également de relever qu’il appartient à l’administré de formuler sa demande de manière suffisamment précise et complète afin de réaliser une information effective de l’administration, à défaut de quoi l’autorité saisie n’est pas tenue d’arrêter une décision. En effet, si l’administration est certes tenue d’une obligation de collaboration avec l’administré, notamment en invitant l’administré à préciser ou à compléter la demande en vue de lui permettre d’y statuer utilement, il appartient également et réciproquement à l’administré de collaborer avec l’administration et de mettre celle-ci en mesure de prendre une décision par rapport à la demande lui soumise, notamment en répondant en temps utile à ses demandes d’informations. Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché à l’administration de ne pas avoir statué sur une demande insuffisamment complétée par l’administré, une telle demande n’étant pas de nature à faire courir le délai prévu à l’article 4 (1) de la loi du 7 novembre 19964, à condition évidemment que les demandes visant à compléter le dossier soient justifiées, faute de quoi une autorité pourrait, par des demandes injustifiées et répétées, faire obstacle au droit conféré au contribuable de saisir le tribunal administratif en cas de silence afin de sortir du blocage dans lequel il se trouve du fait du silence de l’administration.

En l’espèce, encore que l’administration communale n’ait pas activement contacté l’administré afin que celui-ci complète son dossier, il résulte néanmoins des explications fournies en cause qu’elle a informé la société … de son souhait de voir le dossier complété notamment par une coupe des divers réseaux de distribution, ainsi que par l’indication des altitudes de six points de la cour asphaltée entourant le bâtiment projeté, éléments dont la pertinence n’a pas été remise en cause par la société demanderesse, et ce tant au niveau pré-

contentieux qu’au niveau contentieux, la société … s’y étant au contraire conformée.

Dès lors, la demande initiale du 4 juin 2013 doit être considérée comme complétée par l’envoi des plans modifiés le 19 décembre 2013, de sorte que le délai de 3 mois prévu à 2 Trib. adm. 20 mars 2006, n° 20327.

3 Trib. adm. 3 octobre 2005, n° 20283, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 221, et autres références y citées.

4 Trib. adm. 9 novmbre 2005, n° 19940, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 222.

7l’article 4 (1) de la loi du 7 novembre 1996 a commencé à courir à partir de la réception de ces plans par l’administration communale.

Le tribunal relève encore à cet égard que si aucune disposition légale ou réglementaire n’impose certes actuellement au bourgmestre de statuer en matière de permis de construire dans un délai préfixe, l’administré peut toutefois considérer, comme relevé ci-avant, que sa demande a fait l’objet d’un refus implicite trois mois après l’introduction de la demande, et il dispose comme possibilité de mettre un terme à l’inaction de l’administration suite au silence gardé sur la demande consistant dans un recours contre la décision implicite de refus, l’inaction du bourgmestre pouvant de surcroît être sanctionnée dans le cadre d’une action en responsabilité civile5, étant encore souligné que la décision à prendre sur une demande en autorisation de bâtir ne constitue pas une faculté pour le bourgmestre, mais une obligation.

Le 4 mars 2014, soit endéans le délai de 3 mois précité, le bourgmestre a à nouveau exigé des informations et pièces complémentaires.

Le 16 avril 2014, la société … a pris position par rapport à cette demande complémentaire, en lui déniant toute pertinence, si ce n’est en ce qui concerne le plan d’implantation exigé, lequel fut transmis au bourgmestre par le même courrier, ce dernier comportant en effet notamment en annexe en deux exemplaires un « plan d’implantation avec inscriptions cadastrales, surface des divers éléments, leur destination et limites de terrain ».

Le tribunal constate en effet, de concert avec la société …, qu’hormis le plan d’implantation comportant les inscriptions cadastrales correctes, les renseignements complémentaires exigés étaient étrangers à la demande en obtention d’une autorisation de construire ; la société … a dès lors valablement pu considérer sa demande comme définitivement complète dès la transmission de ces plans, analyse confirmée par le bourgmestre dans son courrier du 14 juillet 2014, informant la société demanderesse qu’il était en mesure de prendre une décision.

Si dans ce même courrier, le bourgmestre a certes fait état de nouveaux éléments, à savoir l’édification sans autorisation de diverses constructions par la société demanderesse, force est au tribunal de souligner qu’une autorisation de construire consiste en substance en la constatation officielle par l’autorité compétente - en l’espèce le bourgmestre - de la conformité d’un projet de construction déterminé aux dispositions réglementaires (plan d’aménagement et règlement sur les bâtisses) applicables6, sans qu’il ne puisse tenir compte d’autres éléments, étrangers à la demande et à la règlementation urbanistique applicable.

Or, il appert que les renseignements sollicités par le bourgmestre, visant des installations ou bâtiments autres que ceux-visés par la demande, ne sont pas en lien direct avec la demande telle que lui soumise, circonstance qui lui fut d’ailleurs signalée par l’avocat de la société demanderesse par courrier du 23 juillet 2014.

Aucune décision n’étant intervenue suite au complément du 16 avril 2014, la société demanderesse a pu considérer être confrontée à un refus implicite à partir du 16 juillet 2014 ;

le recours introduit en date du 30 septembre 2014 est dès lors recevable en ce qu’il est dirigé 5 Trib. adm. 12 décembre 2011, n° 27543, Pas. adm. 2015, V° Urbanisme, n° 581.

6 Voir trib. adm. 2 février 2004, n° 14800 et 16729, confirmé par arrêt du 23 septembre 2004, n° 17704C ; trib.

adm. 15 décembre 2004, n° 17971 du rôle, confirmé par arrêt du 9 juin 2005, n° 19200C, Pas. adm. 2015, V° Urbanisme, n° 605.

8contre une décision implicite de refus du bourgmestre résultant de son silence maintenu pendant plus de trois mois après la réception de ce courrier daté du 16 avril 2014 ; le recours ayant en effet été introduit dans les formes et délais de la loi.

Quant au fond Après avoir rappelé les antécédents de ce dossier, la société … soulève le défaut de motivation et la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, au motif que du fait de l’absence de motivation formelle d’une décision de refus implicite, celle-ci devrait encourir la nullité, sans possibilité pour l’autorité concernée d’y remédier en fournissant des motifs en cours d’instance.

Elle argue ensuite d’une violation de l’article 14-1 de la loi du 22 octobre 2008 portant notamment sur le droit d’emphytéose et le droit d’usufruit, ainsi que des articles 544 et 552 du Code civil, de l’article 16 de la Constitution, de l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ainsi que du plan d’aménagement général de la Ville d’Esch-sur-Alzette, notamment de l’article 2.6 de la partie écrite de ce dernier, et de l’article 52.2. du règlement sur les bâtisses de la Ville d’Esch-sur-

Alzette, en expliquant que la parcelle devant accueillir la construction litigieuse serait située dans la zone d’industrie légère et d’artisanat, destinée à accueillir « des manufactures, ateliers, usines, magasins dépôts, et, en général, tous les établissements d’industrie légère et d’artisanat dont les conditions d’exploitation ne constituent pas de gêne pour le voisinage au point de vue de la sécurité, de la salubrité et de l’hygiène ainsi que du bruit », de sorte que les constructions projetées seraient admises dans la zone en question et qu’en refusant d’accorder la, respectivement les autorisations sollicitées, le bourgmestre aurait enfreint les textes ci-

dessus indiqués.

La société … expose ensuite que si dans sa version initiale de juin 2013, la demande de permis de construire comportait un hall servant à abriter et isoler un concasseur pour la préparation de matières premières utilisées pour la production d’asphalte sur la parcelle contiguë faisant partie du territoire de la commune de Schifflange, elle aurait par la suite renoncé à cet élément de sa demande, tout en affirmant qu’en tout état de cause le concasseur prévu au départ dans le hall n’aurait engendré que des émissions de bruit et de poussière minimales et aurait été mobile, à savoir sur roues, et admis à la circulation sur les voies publiques, de sorte à ne pas constituer une construction requérant un permis de construire.

La société demanderesse soulève de surcroît une autre violation de l’article 2.6 du PAG par le refus déféré, en ce sens que si le bourgmestre, dans son courrier du 12 août 2014 invoque un non-respect des marges de reculement par rapport aux limites de propriété, un tel reproche ne serait toutefois pas justifié, alors que la prescription en question renverrait à la limite de propriété, mais non à celle de la parcelle cadastrale, la société demanderesse estimant dès lors que la critique du bourgmestre viserait des conteneurs provisoires abritant les locaux pour les travailleurs de la centrale d’enrobage érigée sur la parcelle cadastrale voisine, lesquels seraient placés à la limite des parcelles cadastrales, sans que cette situation ne soit contraire à l’article 2.6 du PAG.

Enfin, la société … reproche au bourgmestre un détournement de pouvoir, en affirmant que le bourgmestre lui refuserait l’autorisation de bâtir litigieuse, parce qu’il serait opposé au projet de construction d’une installation de production d’asphalte sur la parcelle voisine se 9trouvant sur le territoire de la commune de Schifflange, le fait que les questions posées par le bourgmestre dans ses courriers porteraient sur l’exploitation de la centrale d’asphalte projetée, alors que toutefois la demande d’autorisation ne contenait aucune référence en ce sens, en attestant.

L’administration communale, de son côté, explique d’abord que la demande initiale de la société … portait sur un bâtiment regroupant une partie administrative, un hangar et un atelier. Toutefois, le dossier « commodo » relatif aux autorisations ministérielles en matière d’établissements classés aurait renseigné d’autres installations faisant partie de la fabrique d’asphalte prévue sur le territoire de la Ville d’Esch-sur-Alzette, installations que le présent dossier de demande ne renseignerait pas.

Si la société … expose actuellement que soit elle n’aurait pas besoin de ces installations, soit qu’il s’agirait d’installations mobiles, le dossier « commodo » renseignerait le contraire, sinon pour le moins qu’il s’agirait d’installations sous toit fermé.

Dès lors, l’administration communale estime qu’au vu de ces contradictions flagrantes, il serait évident que le bourgmestre n’aurait pu délivrer son autorisation de construire en connaissance de cause, condition cependant sine qua non pour pouvoir délivrer une autorisation de construire.

Elle donne encore à considérer qu’à cette circonstance s’ajouterait le fait que la société … aurait déjà réalisé de nombreux travaux sur le site sans disposer d’autorisation afférente ; il s’agirait notamment d’importants travaux de remblai qui auraient pour résultat d’élever le niveau du terrain de 2 mètres, ainsi que de la mise en place de containers servant de vestiaire, de bureaux et autres dans l’intérêt de l’exploitation de la fabrique ; partant, le bourgmestre n’aurait pu délivrer une autorisation de construire pour ne pas avoir été mis en mesure de savoir en définitive ce qui sera construit sur ce site.

L’administration communale se réfère encore à l’article 2.6 du PAG ainsi qu’à l’article 2.1 de son règlement sur les bâtisses pour soutenir que les plans soumis au bourgmestre pour autorisation renseigneraient une hauteur à l’acrotère de 10,95 mètres calculée à partir du pied de l’immeuble. Or, comme le terrain devant accueillir l’immeuble en question aurait fait l’objet d’importants remblais non autorisés ayant fait relever le niveau du terrain originaire d’approximativement 2 mètres et que les plans soumis au bourgmestre pour autorisation ne renseigneraient ni ces remblais et ni non plus la hauteur des immeubles à ériger par rapport au niveau de référence, à savoir le niveau de l’axe de la voie desservante, le bourgmestre aurait été mis dans l’impossibilité de vérifier si les reculs imposés à l’article 2.6 du PAG seraient respectés, l’administration communale relevant de surcroît que le bourgmestre ne saurait légalement autoriser une construction à ériger sur un remblai non autorisé mais soumis à autorisation.

Enfin, elle fait plaider que le dossier « commodo » renseignerait la présence d’un nombre très limité de 8 personnes au maximum sur le site ; toutefois, lors des plaidoiries relatives aux recours intentés par la Ville d’Esch-sur-Alzette contre les autorisations ministérielles en matière d’établissements classés, la société … aurait fait plaider qu’elle n’avait pas à indiquer les personnes ne travaillant pas de façon permanente sur le site, tels par exemple les chauffeurs de camion, pour plaider encore que l’immeuble sous discussion ne serait non plus à prendre en considération pour ne pas être existant encore, de sorte que la société … aurait ainsi pu « échapper » à des mesures le cas échéant plus restrictives à imposer 10par le ministre ayant le Travail et l’Emploi dans ses attributions, si le ministre avait eu connaissance du fait qu’un immeuble administratif accueillant des personnes autres que celles travaillant pour l’exploitation de la fabrique serait également érigé sur le même site, circonstance occultée par le dossier « commodo ».

L’administration communale en conclut qu’au vu de ces considérations le bourgmestre n’aurait pas pu, pour des considérations de sécurité et de contrariété aux autorisations en matière d’établissements classées, autoriser un immeuble administratif sur ce site.

La société … rétorque que si effectivement le hangar et l’atelier, pour lesquels une autorisation de construire a été sollicitée, ne faisaient pas l’objet d’une autorisation commodo-

incommodo, ni le dossier de demande, ni les autorisations commodo n’auraient toutefois à prendre en compte des édifices dont la construction n’aurait pas encore été entamée et pour lesquels aucune autorisation n’aurait encore été accordée. Par ailleurs, si des dossiers de demande en vue des autorisations commodo-incommodo ou ces autorisations elles-mêmes pourraient être amenés à prendre en considération des constructions susceptibles d’être implantées à l’avenir dans le voisinage de l’établissement sujet à autorisation, une telle question serait étrangère au domaine des autorisations de construire et aux compétences exercées par le bourgmestre en cette matière.

Elle donne ensuite à considérer que les précisions fournies par elle en vue d’obtenir une autorisation de construire ne laisseraient plus de doute quant aux constructions pour lesquelles l’autorisation serait demandée, ce que le bourgmestre aurait d’ailleurs reconnu dans son courrier du 14 juillet 2014 dans lequel il affirme être en mesure de prendre une décision.

Enfin, elle relève que contrairement aux allégations de l’administration communale, le bourgmestre serait en mesure de vérifier l’élévation de l’implantation de l’immeuble, puisque le 19 décembre 2013, des plans comportant ces précisions avaient été remis à l’administration.

Quant à la question du recul, il résulterait des indications figurant sur les plans remis le 19 décembre 2013, plus particulièrement sur le plan 111503-vC qu’au vu du niveau d’implantation de l’immeuble par rapport à celui de la voie publique, les prescriptions quant au recul seraient respectées.

Il appartient d’abord au tribunal de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de sa légalité intrinsèque, le tribunal n’étant en particulier pas lié par l’ordre dans lequel les moyens lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

La société … entend ainsi, comme indiqué ci-dessus, de prime abord se prévaloir d’une violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 et plus particulièrement du défaut de motivation, inhérent à un refus implicite.

Ce moyen est toutefois à rejeter, alors qu’il résulte d’une jurisprudence établie suite à un arrêt de la Cour administrative du 20 octobre 2009, n° 25783C du rôle, précisément relativement à un refus implicite, qu’il appartient au juge administratif, non pas de sanctionner une décision le cas échéant non motivée, mais plutôt de permettre à l’administration de produire ou de compléter les motifs postérieurement et même pour la première fois pendant la phase contentieuse, tel qu’en l’espèce, où l’administration communale a précisé tant les bases réglementaires de son refus que les motifs en fait justifiant ladite décision, la question du 11bien-fondé de ces bases et motivations relevant de l’examen de la légalité intrinsèque du refus.

Le tribunal relève par ailleurs qu’encore que la société demanderesse se retrouve en l’espèce confrontée à un refus implicite par application de l’article 4 (1) de la loi du 7 novembre 1996, les motifs de ce refus se retrouvent toutefois matérialisés à travers les différents courriers lui adressés par le bourgmestre se résument en substance en l’absence alléguée d’une information globale complète et en la présence de constructions illégales.

Le moyen afférent est partant à rejeter.

En ce qui concerne la violation alléguée de diverses dispositions tant constitutionnelles que légales et règlementaires, à savoir l’article 14-1 de la loi du 22 octobre 2008 portant notamment sur le droit d’emphytéose et le droit d’usufruit, les articles 544 et 552 du Code civil, de l’article 16 de la Constitution, l’article 37 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, ainsi que le PAG et « notamment » l’article 2.6, et l’article 52.2. du règlement sur les bâtisses communal, le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à de tels moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, puisque l’exposé d’un moyen de droit requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-

ci aurait été violée par l’acte attaqué.

En l’espèce toutefois, la société demanderesse reste en défaut de préciser dans quelle mesure ces dispositions, ayant tantôt trait au droit de superficie, tantôt au droit de propriété, tantôt au cadre légal de l’autorisation de bâtir, auraient été concrètement violées par le refus lui opposé par le bourgmestre.

Or, les moyens simplement suggérés, sans être soutenus effectivement, ne sont pas à prendre en considération par le tribunal, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.

Dès lors, l’analyse du tribunal se limitera à la seule argumentation concrète de la société demanderesse telle qu’articulée autour de l’article 2.6. du PAG et de l’article 52.2 du règlement sur les bâtisses, ainsi que l’article 2.1 du règlement sur les bâtisses, seule disposition, en-dehors de l’article 2.6. du PAG, concrètement visée par l’administration communale.

L’article 2.6. du PAG, intitulé « Secteurs d’industrie légère et d’artisanat », se lit comme suit : « Ces secteurs ne peuvent recevoir que des manufactures, ateliers, usines, magasins dépôts, et, en général, tous les établissements d’industrie légère et d’artisanat dont les conditions d’exploitation ne constituent pas de gêne pour le voisinage au point de vue de la sécurité, de la salubrité et de l’hygiène ainsi que du bruit.

Tout aménagement et toute construction à l’intérieur de ces secteurs sont soumis à des règles spéciales garantissant le respect des conditions ci-dessous énoncées.

Des règlements et plans définissent les aménagements de verdure (Grünordnungsplan) et indiquent les surfaces réservées à des plantations nouvelles ainsi que des surfaces comportant des structures naturelles à protéger.

12 Si des travaux de terrassement à grandes surfaces, menaçant de provoquer des répercussions négatives sur les structures naturelles (eau, sol, végétation, …), s’avèrent nécessaires, des dispositions de compensation efficaces seront à prévoir.

La construction d’habitations à l’intérieur de ces secteurs est limitée à celles nécessaires au bon fonctionnement des exploitations autorisées.

La distance des constructions sur les limites de propriété sera égale ou supérieure à la moitié de leur hauteur, avec un minimum de six mètres sur un alignement de voie publique, un minimum de quatre mètres sur les autres limites.

Une surface égale à au moins un cinquième de la superficie de la parcelle devra être réservée à la plantation et entretenue comme telle. Ces surfaces de plantations se trouveront de préférence dans les marges de reculement qui ne pourront, en aucun cas, être utilisées comme dépôts de matériaux, ni comme places de stationnement.

En dehors des surfaces de plantation et des emplacements de stationnement, une partie suffisante de la parcelle devra rester réservée à l’évolution et aux manœuvres des véhicules ».

Il résulte à cet égard tant des explications produites par l’administration communale au niveau pré-contentieux, et en particulier dans le courrier du bourgmestre du 12 août 2014, que de celles développées au niveau contentieux, que cette disposition n’est pas invoquée par le bourgmestre pour mettre en cause, de manière générale, la compatibilité de l’immeuble projeté avec l’affectation du secteur d’industrie légère et d’artisanat, mais, d’une part, en ce qui concerne le recul respecté par des constructions prétendument érigées illégalement - en l’espèce diverses installations et baraquements mis en place postérieurement au 5 juin 2014 -

et, d’autre part, en ce qui concerne le recul respecté par l’immeuble projeté.

En ce qui concerne le premier point, il appartient au tribunal de rappeler que des considérations relatives à d’autres éventuelles constructions, étrangères à l’immeuble faisant l’objet de la demande, ne sauraient servir de prétexte au bourgmestre pour refuser l’examen de la demande lui soumise, respectivement l’autorisation sollicitée, la finalité première d’une autorisation de construire consistant à certifier qu’un projet déterminé est conforme aux règles d’urbanisme applicables. Ainsi, la conformité de la demande d’autorisation par rapport aux dispositions légales ou réglementaires existantes entraîne en principe dans le chef de l’administration l’obligation de délivrer le permis sollicité, sous peine de commettre un abus respectivement un excès de pouvoir7.

Le fait que la société … ait érigé sur le même site d’autres constructions sans autorisation est indifférent du point de vue de la légalité de l’immeuble soumis à autorisation ;

le cas échéant, il appartient au bourgmestre d’agir à l’encontre des constructions érigées illégalement avec les moyens appropriés, à savoir soit par le biais d’une action pénale, soit par le biais d’une action civile, mais non de faire obstacle sous ce prétexte à la demande lui soumise.

7 Voir en ce sens : Ph. VANDEN BORRE, « Les permis de bâtir, de lotir, les certificats d’urbanisme et les sanctions », in : Le droit de la construction et de l’urbanisme, Ed.du jeune Barreau, Bruxelles, 1976, p.219, ainsi que récemment trib. adm. 24 novembre 2014, n° 33379.

13En ce qui concerne la seconde question, il est vrai que l’article 2.6 du PAG relie question de la distance des constructions sur les limites de propriété à la hauteur de ces mêmes constructions, ladite distance devant être égale à la moitié de leur hauteur, avec un minimum de six mètres sur un alignement de voie publique, un minimum de quatre mètres sur les autres limites.

Toutefois, force est de constater que l’administration communale, dans son mémoire en réponse, n’argue pas d’une violation concrète de cette distance, mais prétend ne pas disposer des informations nécessaires lui permettant d’en vérifier le respect, alors que les plans soumis au bourgmestre pour autorisation ne renseigneraient ni les remblais sur lesquels l’immeuble devrait être édifié, ni la hauteur des immeubles à ériger par rapport au niveau de référence, à savoir le niveau de l’axe de la voie desservante, l’administration communale invoquant à cet égard l’article 2.1. du règlement sur les bâtisses.

Cette argumentation est toutefois doublement à rejeter.

En effet, d’une part, il résulte des pièces versées en cause que la société demanderesse a remis en date du 19 décembre 2013 notamment un plan référencé 111503-vC précisant l’implantation et les reculs de l’immeuble projeté, ainsi que les cotes d’altitude du terrain, ainsi qu’un plan référencé 111502-vB, intitulé « Elévations », comportant l’indication précise des hauteurs du bâtiment projeté.

D’autre part, le tribunal relève que c’est à tort que l’administration communale entend invoquer l’article 2.1. du règlement sur les bâtisses, ladite disposition, intitulée « Hauteurs des corniches », ne précisant que le mode de calcul des corniches, mais non des constructions, question, qui à défaut de faire l’objet d’une disposition spécifique, doit être définie comme la différence entre le point le plus haut du bâtiment et le niveau du sol sur lequel il est édifié.

Le moyen opposé par l’administration communale à la société demanderesse et tiré d’une prétendue indétermination des reculs doit partant être rejeté comme non fondé.

En ce qui concerne le second argument de l’administration communale, tiré d’une prétendue incohérence entre le dossier tel que déposé dans le cadre de la demande en obtention d’une autorisation d’exploitation et le dossier relatif à la demande en autorisation de construire litigieuse, il est constant en cause, d’une part, que la seconde demande ne concerne que l’immeuble comportant une partie administrative et une partie hangar/dépôt, tandis que la demande en obtention d’une autorisation d’exploitation avait un autre objet à savoir l’autorisation d’exploiter une fabrique d’asphalte : là encore, le bourgmestre a étendu son examen à des éléments sur lesquels la demande lui soumise ne portait pas, de sorte que cet argument est également à écarter.

Enfin, en ce qui concerne le troisième argument, tiré de considérations de sécurité des travailleurs sur le site, le tribunal souligne que l’exercice, par le bourgmestre, de son pouvoir général de police ne saurait tenir directement en échec les dispositions urbanistiques dans ce sens qu’il pourrait se prévaloir d’un problème général de sécurité, de tranquillité ou autre, pour tenir en échec le principe même de l’implantation d’une construction conforme aux règles urbanistiques. L’autre limite réside dans l’exercice parallèle de certaines compétences par des autorités étatiques, en particulier par les ministres ayant dans leurs attributions 14respectivement l’environnement et le travail en matière d’établissements classés8. En effet, dans la mesure où la loi du 10 juin 1999 relative aux établissements classés tend à protéger la sécurité, la salubrité ou la commodité par rapport au public, au voisinage ou au personnel des établissements, la santé et la sécurité des travailleurs au travail ainsi que l’environnement humain et naturel et que le ministre ayant dans ses attributions le Travail est appelé à déterminer, plus particulièrement au vœu des dispositions de cette loi, les conditions d’aménagement et d’exploitation qui sont jugées nécessaires pour la protection de la sécurité du public et du voisinage en général, ainsi que de la sécurité, de l’hygiène et de la santé sur le lieu de travail, la salubrité et l’ergonomie, ceci en tenant compte des meilleures techniques disponibles dont l’applicabilité et la disponibilité n’entraînent pas des coûts excessifs, il y a lieu de constater que face à cette compétence spéciale en la matière dévolue au vœu du législateur au membre du Gouvernement ayant dans ses attributions le Travail, la possibilité pour le bourgmestre de fixer des conditions spécifiques pour la construction d’un immeuble lorsque le projet lui soumis présente une incompatibilité avec la sécurité du quartier, ne saurait être analysée en une obligation légale dans son chef9.

C’est dès lors par excès de pouvoir que le bourgmestre a entendu s’opposer au projet litigieux en se prévalant de considérations - d’ailleurs non établies - échappant à sa compétence.

Il en résulte que le refus du bourgmestre n’est légalement motivé à travers les éléments fournis en cause ni en fait, ni en droit, de sorte qu’il est à annuler.

La société … sollicite encore la condamnation de l’administration communale à une indemnité d’un montant de 5.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives Aux termes de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée « lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine ».

Cette disposition est reprise à l’identique de l’ancien article 131-1 du Code de procédure civile (actuellement article 240 du Nouveau Code de procédure civile), lequel se fonde exclusivement sur la notion d’équité, laquelle englobe non seulement la faute ou la négligence dans l’exercice des voies de droit - l’indemnité se rapprochant alors de dommages et intérêts, sanction d’une procédure abusive -, mais encore d’autres éléments d’appréciation, comme la situation de fortune respective des plaideurs10.

Ce dernier fondement, repris sans nuance par les rédacteurs de la loi modifiée du 21 juin 1999, ne saurait toutefois être tel quel pris en compte par le juge administratif, alors que celui-ci se trouve saisi, par définition, de litiges opposant des administrés à une autorité publique : en effet admettre en contentieux administratif la disparité des ressources comme critère d’attribution d’une indemnité de procédure entraînerait la condamnation automatique 8 Voir Cour adm. 20 mars 2014, n° 33658C, Pas. adm. 2015, V° Urbanisme 625.

9 Trib. adm. 4 novembre 2002, n° 14597 ; trib. adm. 15 décembre 2004, n° 17971, confirmé par arrêt du 9 juin 2005, n° 19200C, Pas. adm. 2015, V° Urbanisme 639.

10 M. Molitor, A star is born ! - L’article 131-1 du Code de procédure civile, Diagonales à travers le droit luxembourgeois, Conférence St. Yves, 1986, p. 131-136, p.30 15de l’autorité administrative, partie bénéficiant d’une situation économique plus avantageuse, lorsque celle-ci succombe dans un litige.

Quant au fondement tiré d’une faute, d’une négligence ou d’une omission de l’une des parties, il convient là encore de rappeler une des particularités du contentieux administratif, à savoir que le juge administratif n’est, d’une manière générale conformément à l’article 84 de la Constitution, pas compétent pour connaître de contestations qui ont pour objet des droits civils, et en particulier, pas compétent pour indemniser un quelconque préjudice tiré du fond du litige11, ces questions relevant du juge judiciaire.

L’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 précitée constitue de ce point de vue une entorse à cette répartition des compétences entre ordre administratif et ordre judiciaire, et doit dès lors faire l’objet d’une application restrictive, et ce d’autant plus que les honoraires d’avocat constituent des frais répétibles12, susceptibles de faire l’objet d’une demande en indemnisation devant les juridictions civiles.

Aussi, l’équité doit s’apprécier dans le cadre et les limites de la cause que le juge est appelé à toiser et non en fonction de considérations extérieures et étrangères au procès13 : la condamnation d’une partie à payer à l’autre une partie des sommes par elle exposées ne doit par conséquent s’apprécier qu’en fonction des éléments inhérents et en rapport avec le procès, les conséquences préjudiciables engendrées le cas échéant par l’acte administratif déféré au fond étant essentiellement de nature à se résoudre en dommages et intérêts, question relevant de l’ordre judiciaire.

C’est ainsi que les juridictions administratives, d’une manière générale, n’accordent d’indemnité de procédure à un administré qu’en présence d’une attitude fautive ou négligente de l’administration, laquelle, au-delà du simple fait d’avoir émis une décision ne satisfaisant pas l’administré, a contraint l’administré à engager une procédure contentieuse, notamment lorsque l’autorité administrative a contraint une partie à engager un procès au cours duquel ses prétentions ne sont contestées d’aucune manière14 ou lorsque l’inertie de l’administration d’exécuter un jugement a obligé l’administré à introduire un nouveau recours victorieux15. Il en est de même lorsque l’administration, par son mutisme, a forcé l’administré à poursuivre plusieurs instances contentieuses jusqu’à ce que l’administration révèle les motifs à la base de l’acte attaqué16, la Cour administrative ayant retenu à cet égard que l’indemnité de procédure constitue la sanction adéquate d’un défaut de motivation17, ou encore lorsque l’administration a changé d’attitude, de manière non prévisible, à l’égard de l’administré au niveau de sa sévérité dans l’application de la loi18.

Or, en l’espèce, force est au tribunal de constater que le bourgmestre a d’abord péché par une attitude passive, ne réagissant que suite à l’intervention de la demanderesse elle-

même, pour ensuite opposer des demandes répétées de renseignements majoritairement étrangers à la demande lui soumise et finalement se murer dans le silence. Le tribunal constate 11 Cour adm. 22 avril 1999, n° 10489C, Pas. adm. 2012, V° Procédure contentieuse, n° 950.

12 Cass. 9 février 2012, n° 5/12.

13 Voir doc. parl. n° 2885, Avis du Conseil d’Etat, 14 février 1985, p. 12.

14 Trib. adm. 23 septembre 1999, n° 10963, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 938.

15 Trib. adm. 13 mars 2003, n° 15063, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 939.

16 Cour adm. 1er juin 2006, n° 20813C, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 949.

17 Cour adm. 20 octobre 2009, n° 25783C.

18 Trib. adm. 7 janvier 1999, n° 24358, confirmé par arrêt du 14 juillet 2009, n° 25421C, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 878.

16encore que la société demanderesse a tenté, au travers des interventions répétées de son avocat, d’éviter l’introduction d’un recours contentieux, de sorte qu’en l’espèce, l’attitude récalcitrante de l’administration communale, respectivement du bourgmestre, s’expliquant sans doute par les recours infructueux introduits par la même administration communale à l’encontre des autorisations d’exploitation accordées à la société demanderesse, a contraint la société … finalement à introduire un recours devant le tribunal administratif.

Dès lors, compte tenu des éléments d’appréciation en possession du tribunal, des devoirs et du degré de difficulté de l’affaire, notamment au vu des moyens de l’administration communale rencontrant ceux de la demanderesse, ainsi que du montant réclamé, et au vu de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, il y a lieu d’évaluer ex æquo et bono l’indemnité à allouer à la demanderesse à un montant de 3.000 euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond le dit justifié;

partant annule la décision implicite de refus résultant du silence maintenu par le bourgmestre pendant plus de trois mois après la réception du courrier daté du 16 avril 2014 et renvoie l’affaire devant le bourgmestre en prosécution de cause ;

condamne l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette à une indemnité de procédure de 3.000 euros ;

condamne encore l’administration communale de la Ville d’Esch-sur-Alzette aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 décembre 2015 par :

Marc Sünnen, président, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

Schmit Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15/12/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 35242
Date de la décision : 14/12/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-12-14;35242 ?

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