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30/11/2015 | LUXEMBOURG | N°36167

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 novembre 2015, 36167


Tribunal administratif N° 36167 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 avril 2015 1re chambre Audience publique du 30 novembre 2015 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36167 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2015 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à

la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né...

Tribunal administratif N° 36167 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 avril 2015 1re chambre Audience publique du 30 novembre 2015 Recours formé par Monsieur … et consort, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36167 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2015 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Albanie) et de son épouse, Madame …, née le … (Albanie), tous deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 mars 2015 refusant de faire droit à leurs demandes en obtention d’une protection internationale comme n’étant pas fondées et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 12 juin 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley FREYERMUTH, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries à l’audience publique du 23 novembre 2015.

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En date du 24 mars 2014, Monsieur … et son épouse, Madame …, ci-après désignés par « les époux … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par la « loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations des époux … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 28 mars 2014, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 dit « règlement Dublin III », Madame … ayant pour sa part été entendue lors d’un entretien en date du 28 avril 2014.

Monsieur … fut ensuite entendu le 11 août 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale, l’audition de Madame … s’étant déroulée le 12 août 2014.

Par décision du 11 septembre 2014, notifiée aux intéressés par lettre recommandée envoyée le 15 septembre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa les époux … qu’il avait été statué sur le bien-

fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20 (1) sous a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées, tout en leur ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination de l’Albanie ou de tout autre pays dans lequel ils seraient autorisés à séjourner.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2014, les consorts … introduisirent un recours en annulation contre la décision ministérielle du 11 septembre 2014 ayant statué sur le bien-fondé de leurs demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation contre la même décision ministérielle du 11 septembre 2014 dans la mesure où elle a rejeté leurs demandes de protection internationale comme n’étant pas fondées, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Par jugement du 24 novembre 2014, n° 35220 du rôle, le tribunal administratif annula la décision ministérielle du 11 septembre 2014 de statuer sur le bien-fondé des demandes de protection internationale des époux … dans le cadre d’une procédure accélérée et renvoya l’affaire devant le ministre. Dans le même jugement, le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 11 septembre 2014 ayant refusé aux époux … l’octroi d’une protection internationale fut déclaré fondé et l’ordre de quitter le territoire contenu dans cette même décision fut annulé.

Par décision du 30 mars 2015, expédiée par courrier recommandé le lendemain, le ministre informa les époux … que leurs demandes de protection internationale avaient été refusées comme étant non fondées sur base cette fois-ci de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :

« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 24 mars 2014.

En date du 11 septembre 2014, vos demandes furent rejetées comme non-fondées par décision ministérielle dans le cadre d'une procédure accélérée. Le Tribunal administratif annula cette décision en date du 24 novembre 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 mars 2014.

Il ressort dudit rapport que vous êtes entrés en Union Européenne par l'Italie en date du 2 mars 2014.

Monsieur, vous présentez un passeport albanais et une carte d'identité albanaise, tous les deux établis le 5 janvier 2011; Madame vous présentez un passeport albanais établi le 25 février 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains les rapports d'entretien Dublin Ill du 28 mai 2014 (sic) et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 11 et 12 août 2014 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes.

Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez fait connaissance de votre épouse en 2011.

Pendant ce temps, elle aurait vécu chez sa famille qui l'aurait maltraitée et forcée à rester à la maison. En 2013, vous auriez commencé une relation amoureuse avec elle et en janvier 2014, vous auriez demandé sa main auprès de sa famille. Or, les membres de sa famille se seraient opposés à cette alliance, étant donné qu'ils auraient prévu un autre époux pour elle.

En date du 24 février 2014, vous auriez emmené votre épouse de chez elle et vous vous seriez cachés chez votre sœur. Le même jour, vous vous seriez mariés. Suite à ceci vous auriez toujours été menacé par la famille … mais par « l'intermédiaire des gens » (p. 2/8). Vous auriez décidé de contacter une association de réconciliation car la famille de votre épouse se sentait déshonorée et aurait par conséquent déclaré une dette de sang selon la loi du Kanun. Or, l'association n'aurait pas pu vous aider. Les membres de la famille …auraient juré de vous faire disparaître.

Vous n'auriez jamais déposé une plainte auprès de la police car deux oncles de votre épouse, ainsi que l'homme qu'elle aurait dû marier, seraient policiers de profession.

En date du 2 mars 2014 vous auriez quitté votre pays d'origine.

Madame, vous confirmez en partie les dires de votre époux. Vous précisez que vous auriez été maltraitée par votre famille à base journalière et ceci pendant un mois, après que vous auriez refusé d'épouser l'homme que vos oncles auraient choisi pour vous. Selon vous, votre époux aurait déjà contacté l'organisation de réconciliation avant que vous vous seriez mariés. Suite à leur visite, vous auriez à nouveau été maltraitée par les membres de votre famille.

Vous avez versé les documents suivants au Ministère :

Un acte de mariage non-traduit, daté au 24 février 2014.

Une attestation des « Peace Reconciliation Missionaries of Albania » datée au 28 février 2014.

Enfin, il ressort des rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.

Analyse ministérielle en matière de Protection internationale En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale sont évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.

1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.

Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.

Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craigne avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenés à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.

En effet, Madame, Monsieur, vous seriez menacés par les membres de la famille de Madame, parce que celle-ci aurait été contre votre alliance. Selon vos dires, vous auriez détruit l'honneur de la famille … et vous risqueriez d'être victimes d'un acte de vengeance selon la loi du Kanun. Pour étayer vos dires, vous versez une attestation de la mission de réconciliation des « Peace Reconciliation Missionaries of Albania ».

Or, il est dans un premier temps surprenant de noter que cette attestation est datée au 28 février 2014, précisant que: « Dans ces conditions, le citoyen … et son épouse subissent des menaces de la famille de la fille et sont ainsi obligés de quitter l'Albanie ayant peur pour leur vie. », ce qui établit les doutes que cette attestation ait été préparée dans le seul but de consolider vos demandes de protection internationale.

En effet, des documents de ce genre ne peuvent pas être considérés comme preuve d'une dette de sang étant donné qu'un grand nombre d'agences de réconciliation est impliqué dans l'émission de documents frauduleux: « Balkan Insight found that some NGOs that claim to work for blood feud reconciliation "routinely sell families documents and certificates saying they could become victims of a fatal vendetta if they do not receive asylum …," even in cases in which no feud or murder exists (Balkan Insight 27 Oct.

2011). The reporter, who went undercover looking to buy a false attestation letter about involvement in a blood feud, was initially offered a certificate by …, the general secretary of Mother Teresa's Missionaries for Peace, who created a fictitious story about a family targeting the journalist for revenge after an uncle, who was alleged to be a migrant worker in Greece, fatally shot a family member in response to a car accident (ibid.). … offered to sell such a certificate to the journalist for 250 Euros [343.338 Canadian dollars (CAD) (XE 29 Nov. 2011a)], while he claimed that, if the story had been "real," the price would have been 150 Euros (206.003 CAD (XE 29 Nov. 2011b)) (Balkan Insight 27 Oct. 2011). Moreover, … said that his organization had released approximately 220 similar certificates in August and September of 2011 (ibid.). However, according to the reporter, … backed out of issuing the certificate after the Albanian police began investigating his organization (ibid.). …, chair of the Shkodra-based "Nationwide Reconciliation Mission, 'Mother Teresa," also offered to sell the journalist a similar document about the same "imaginary crime" for 200 Euros » De plus: « Nach Angaben der französischen Asylbehörde ist laut dem albanischen Innen- und dem Justizministerium keine Organisation befugt, Bescheinigungen über das Vorhandensein einer Blutrachefehde auszustellen. Auch die Polizei stellt seit drei Jahren keine solchen Bescheinigungen mehr aus. Angaben in vorgelegten Bescheinigungen lassen sich nur noch durch direkte Nachfrage beim Generaldirektorat der albanischen Staatspolizei in Tirana verifizieren. Albanische Migranten nutzen dennoch sogenannte Blutrachebescheinigungen, um ihre Aussichten auf Schutzgewährung zu verbessern.

Diese sollen belegen, dass der Inhaber des Dokuments von Blutrache bedroht ist.

Blutrachedokumente werden in Albanien gegen eine „Gebühr" von 300 bis 1.000 Euro von verschiedenen NGOs ausgestellt, obwohl sie dazu nicht berechtigt sind. (…) ».

Par conséquent, peu de crédit ne saurait être donné à cette attestation en l'espèce.

* Force est par la suite de constater que les actes invoqués, tels que les menaces et les maltraitances, constituent des délits relevant du droit commun, punissables selon la loi albanaise et qui ne répondent à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la loi modifiée du 5 mai 2006.

Il y a ensuite lieu de relever que les membres de la famille …, ne sauraient être considérés comme agent de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. S'agissant d'actes émanant d'une personne privée, une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités politiques pour l'un des motifs énoncés par ladite Convention et dont l'existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d'asile.

En outre, en application de l'article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de la famille …. En effet, vous n'avez pas requis la protection des autorités de votre pays et par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités albanaises seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque.

Surtout en ce qui concerne des problèmes de vengeance, la police albanaise montre une détermination particulière à rayer ces pratiques. Ainsi, il ressort d'informations obtenues auprès du CEDOCA (centre de recherche et de documentation du Commissariat général aux réfugiés et apatrides – Belgique) que:

« Des formations spécifiques ont été données au personnel de la police sur la prévention, l'élucidation des meurtres en général et en particulier dans le cadre des représailles et de la vendetta. Une unité spécialisée de la police a également été créée.

(…) La police elle-même a signalé au rapporteur spécial des Nations Unies, que l'unité spécialisée de Shkoder menait des enquêtes sur les crimes et offrait une protection aux familles qui vivaient dans l'isolement. Toujours d'après la police, s'il y a une diminution du nombre de meurtres à cause de la vendetta, elle est due aux efforts de cette unité.

Entre-temps, l'unité spéciale a été réintégrée dans les services réguliers de police. (…) Les autorités ont rouvert divers dossiers de crimes et délits non résolus dans le cadre de vendettas et ce, pour mettre un terme à l'impunité. Ainsi, les autorités sont aussi intervenues dans une vendetta célèbre entre les familles Haklaj et Hoxha. En septembre 2006, le journal Shekulli annonçait que le parquet de Tropojë avait rouvert 150 dossiers.

Ces dossiers avaient tous un lien avec des crimes commis depuis 1997 à Tropojë, dans le cadre d'une vendetta entre les familles Haklaj et Hoxha. Il s'est avéré des statistiques de la police qu'au moins 16 personnes avaient perdu la vie, mais l'on estimait officieusement que le nombre total de morts pouvait concerner 150 personnes. Le parquet a déclaré que l'enquête sur les crimes non résolus pouvait être rouverte grâce à de nouvelles preuves.

En 2008 aussi, la police a rouvert des dossiers de vendetta des années précédentes et de nouvelles enquêtes ont été menées. Un dossier a été rouvert à l'encontre de 81 meurtriers. ».

Vous justifiez votre inaction en disant que les oncles de Madame, ainsi que l'homme qu'elle aurait dû épouser, seraient des policiers et qu'il vous aurait ainsi été impossible de demander une protection au commissariat local. Or, même en supposant ce fait établi, rien ne vous aurait empêché de vous adresser à un autre commissariat de police. Ajoutons dans ce contexte que vos craintes que les autres commissariats vous renverraient au commissariat local sont purement hypothétiques.

Soulignons par la suite que, même en supposant que vous n'auriez pas pu acquérir une protection à cause d'un abus de pouvoir des oncles de Madame, vous auriez également pu vous adresser à une institution supérieure pour faire valoir vos droits. « Dans un rapport présenté au Conseil de l'Europe, les autorités d'État de l'Albanie expliquent que les Albanais ont le droit de déposer une plainte contre un policier qui commet un abus ou un acte illégal auprès d'un commissariat, de la Direction régionale de la police, de la Direction générale de la police ou du ministère de l'Intérieur (Albanie 10 janv. 2011, 39). Selon le rapport, ces plaintes sont vérifiées et traitées au cours du mois suivant leur réception, et une réponse écrite est envoyée au plaignant (ibid.). Il existe également un secteur distinct au sein de la Direction des normes professionnelles de la Direction générale de la police appelé le (traduction) « " Secteur des plaintes et de la discipline" » (ibid.; ibid. s.d.). Le Secteur des plaintes et de la discipline prend des mesures disciplinaires contre les policiers qui ont enfreint les règles et les règlements (ibid. 10 janv. 2011, 39).

Dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches, un avocat de l'ONG Groupe albanais de défense des droits de la personne (Albanian Human Rights Group - AHRG) a affirmé que, pour déposer une plainte contre un policier, le plaignant doit se rendre directement au poste de police ou au Bureau du procureur, selon le type de plainte (11 sept. 2011). Il a déclaré qu'un agent de la police judiciaire a le devoir de recueillir la plainte d'un citoyen contre un policier et de déclencher une enquête (AHRG 11 sept. 2011). Il a ajouté que, s'il y a une preuve qu'un policier a commis une infraction criminelle, l'agent de la police judiciaire est tenu d'envoyer le dossier au procureur, qui, à son tour, doit poursuivre l'enquête et demander à la cour de suspendre ou d'arrêter le policier accusé (ibid.).

De même, un avocat d'un cabinet privé en Albanie a écrit dans une communication écrite envoyée à la Direction des recherches qu'une personne peut déposer une plainte contre un policier dans n'importe quel poste de police en Albanie ou, si le policier a commis un crime contre une personne ou un membre de sa famille, au Bureau du procureur (avocat 24 sept. 2011). Il a affirmé que la plainte peut être déposée verbalement ou par écrit (ibid.). Lorsque la plainte est formulée verbalement, un policier du Département des relations publiques enregistre la plainte par écrit et la lit ensuite au plaignant à des fins de vérification (ibid.). Il a ajouté que le rapport est examiné par le Service des affaires interne de la Police d'État, qui est responsable d'enquêter sur les policiers (ibid.). Selon l'avocat du AHRG, les plaintes les plus courantes portées contre des policiers concernent (traduction] « la violence contre des citoyens [ou] des mesures arbitraires » (11 sept. 2011). ».

En outre, vous auriez aussi pu vous adresser au Bureau de l'Ombudsman. En ce qui concerne la promotion et la mise en œuvre des droits de l'homme, le Bureau de l'Ombudsman (The People's Advocate) est la principale institution nationale. Il joue un rôle actif dans le suivi de la situation des droits de l'homme en Albanie et contribue à accroître la responsabilisation des institutions de l'Etat. Le médiateur est élu par le parlement à la majorité qualifiée. Les principaux domaines dans lesquels le médiateur est intervenu concernent les litiges de propriété, l'abus de la police, la longueur excessive des procédures judiciaires, la non-exécution des jugements en matière civile et licenciements abusifs. Il a également à plusieurs reprises exprimé une préoccupation particulière sur les conditions inadéquates dans les prisons, les centres de détention provisoire et les postes de police, de la corruption dans la magistrature et des conditions de vie difficiles de la minorité Rom.

« Des sources mentionnent que l'ombudsman traite les plaintes contre des policiers (UE 9 nov. 2010, 24; É.-U. 8 avr. 2011, sect. 1; Albanie sept. 2009, sect. IV;

avocat 24 sept. 2011), en particulier les cas en lien avec des arrestations et des détentions (É.-U. 8 avr. 2011, sect. 1d). Selon un rapport de l'ombudsman, des personnes ou des groupes de personnes peuvent déposer des plaintes, des requêtes ou des notifications à son bureau lorsqu'une organisation gouvernementale ou une autre autorité publique a violé leurs droits et libertés (Albanie sept. 2009, sect. VII). Le Bureau de l'ombudsman dispose d'une unité consacrée aux cas concernant la police, les services secrets, les prisons, les forces armées et l'appareil judiciaire (ibid., sect. IV). Les plaintes à l'ombudsman doivent être présentées par écrit et comprendre tout document ou preuve à l'appui, ainsi qu'une description des mesures légales qui ont déjà été prises pour tenter de résoudre l'affaire (ibid., sect. IX). Toutefois, l'ombudsman souligne que les citoyens peuvent signaler les affaires urgentes par téléphone et ensuite présenter une demande par écrit ou envoyer un courriel (ibid.).

L'ombudsman a le pouvoir de demander de l'information ou des documents relatifs au cas en question à l'entité administrative concernée, ainsi que celui de convoquer et de questionner toute personne ayant un lien avec le cas (ibid., sect. VII).

L'ombudsman envoie à l'entité concernée une brève description du problème et établit une échéance pour répondre (ibid., sect. IX). L'échéance est déterminée en partie par le caractère urgent du cas, mais elle ne dépasse pas 30 jours (ibid.). Selon les Country Reports 2010, environ 33 p. 100 des cas traités en 2010 ont été réglés en faveur des plaignants (É.-U. 8 avr. 2011, sect. 1d). (…) Des sources affirment que le Bureau de l'ombudsman est [traduction] « la principale institution nationale de défense des droits de la personne » en Albanie et que les abus de pouvoir des policiers constituent l'un des principaux problèmes pour lesquels l'ombudsman est intervenu (UE 9 nov. 2010, 24; É.-U. 8 avr. 2011, sect. 5). La Commission européenne, dans une évaluation de la demande d'adhésion de l'Albanie à l'Union européenne (UE), accorde au Bureau de l'ombudsman le mérite d'avoir [traduction] « amélioré la responsabilisation des institutions de l'État » (UE 9 nov. 2010, 24). Selon le rapport de l'UE, l'ombudsman a dénoncé publiquement les mauvaises conditions qui caractérisent les postes de police, les prisons et les maisons d'arrêt (ibid.).

Les Country Reports 2010 soulignent que même si l'ombudsman ne peut pas faire exécuter des décisions, dans de nombreux cas, le gouvernement a pris des mesures suivant ses recommandations (É.-U. 8 avr. 2011, sect. 5). L'avocat albanais a décrit l'ombudsman comme une solution (traduction] « efficace » pour régler les cas de plaintes contre la police (avocat 24 sept. 2011). ».

Finalement, il convient de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée. Or, tel n'est également pas le cas en l'espèce.

Force est de constater que vous ne faites état de quelconques problèmes au sens de la Convention de Genève et que vous n'auriez été menacé que par « l'intermédiaire des gens » (p. 2/8). Ainsi, indépendamment de l'absence d'un quelconque élément de preuve de vos déclarations, les craintes que vous exprimez s'analysent en l'expression d'un simple sentiment général d'insécurité, plutôt qu'en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Madame, quant à vos allégations de maltraitances de votre famille, il y a lieu de relever que l'Albanie a fait de[s] progrès en matière de prévention de violence domestique. « La loi sur les mesures contre la violence dans les relations familiales (Law on Measures Against Violence in Family Relations) de l'Albanie a été adoptée en 2006 et comprend une déclaration visant son entrée en vigueur le 1er juin 2007 (Albanie 2006, art. 26). Elle a pour objet de [traduction] « prévenir et de réduire la violence familiale sous toutes ses formes à l'aide des mesures légales appropriées » et de « garantir la protection des membres de la famille qui sont victimes de violence familiale par l'entremise de mesures légales, en portant une attention particulière aux besoins des enfants, des personnes âgées et des personnes handicapées » (ibid., art. 1). La loi permet aux victimes de violence familiale d'obtenir des ordonnances de protection, prévoit des unités spéciales en matière de violence familiale dans les services de police et souligne les responsabilités précises des ministères de l'Intérieur, de la Santé et de la Justice, ainsi que des autorités locales (ibid., art. 7, 13). Des modifications y ont été apportées le 30 septembre 2010 (AI 2011; CLCI 6 sept. 2011). Elles portent sur la mise sur pied d'un refuge pour victimes de violence familiale et d'un système de coordination des mesures prises par les autorités auxquelles sont déférés les cas (ibid.; AI 2011). ».

« Lorsqu'il y a [traduction] « blessure grave intentionnelle », le code pénal prévoit de 3 à 10 ans d'emprisonnement, alors que dans les cas de [traduction] « blessure légère intentionnelle », le code pénal prévoit une amende ou une peine d'emprisonnement maximale de 2 ans (ibid.). Selon AI, les auteurs de violence familiale ne sont poursuivis que lorsque la victime dépose une plainte, sauf si la violence entraîne des blessures graves ou la mort (2011). (…) La loi sur les mesures contre la violence dans les relations familiales (Law on Measures Against Violence in Family Relations) de l'Albanie a été adoptée en 2006 et comprend une déclaration visant son entrée en vigueur le 1er juin 2007 (Albanie 2006, art. 26). (…) La loi permet aux victimes de violence familiale d'obtenir des ordonnances de protection, prévoit des unités spéciales en matière de violence familiale dans les services de police et souligne les responsabilités précises des ministères de l'Intérieur, de la Santé et de la Justice, ainsi que des autorités locales (ibid., art. 7, 13). ».

De plus: « There are six women's shelters in Albania with approximately 200 shelter places available. The last shelter, operated by the State, was opened in 2011. Five of the shelters are run by independent women's NGOs and one is run by the State. All six shelters are open for women survivors of domestic violence with four of them also serving women survivors of trafficking. Two shelters, the Shelter for Abused Women and Girls in Tirana and the Other Vision Shelter in Elbasan are specialized in serving women survivors of violence and their children.

All the shelters accept children of the survivors, with most having age limits for boys. One shelter has a stay period of between four to six months, whereas the other shelters accommodate women for as long as it is necessary. The shelters are predominantly funded by foreign donations ».

Comme déjà susmentionné, vous n'auriez jamais recherché une protection des autorités de votre pays et par conséquent, il n'est pas démontré que les autorités albanaises seraient dans l'incapacité de vous fournir une protection quelconque.

En tout état de cause, vous ne faites plus état de maltraitances de la part de votre famille depuis que vous avez déménagé chez votre époux.

Relevons qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, vous dites que vous ne pourriez pas vous installer dans une autre partie de l'Albanie parce que vous craindriez d'être retrouvés par les membres de la famille …. Or, cette crainte est purement hypothétique. Des craintes hypothétiques n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et vous ne soulevez donc pas de raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Ajoutons à cet égard que les problèmes dont vous faites état n'ont qu'un caractère local, ce que vous indiquez clairement dans vos déclarations, et que la situation dans laquelle vous ont placé les mesures infligées n'a pas atteint une telle ampleur que vous ne pouviez vous y soustraire qu'en fuyant à l'étranger.

Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.

En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article 1er, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.

De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.

2. Quant à la Protection subsidiaire L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous seriez menacés par les membres de la famille …car vous vous seriez mariés contre leur volonté.

De plus, Madame, vous dites que votre famille vous aurait maltraitée pendant plusieurs années.

Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que votre récit ne contient pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes, ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.

En effet, il y a lieu de constater que vos problèmes ne se rapportent pas au risque de subir une peine de mort, l'exécution ou la torture. De plus, ils ne s'inscrivent pas dans le contexte d'un conflit armé interne ou international. Madame, bien que les maltraitances et menaces de mort que vous auriez subies de la part des membres de votre famille sont, prises dans leur globalité, susceptibles d'être considérées comme des traitements inhumains ou dégradants constitutifs d'atteintes graves, force est de relever que vous n'êtes plus exposée à l'influence et aux violences des membres de votre famille depuis votre fuite. En effet, lorsque vous auriez vécu chez votre belle-sœur entre le 20 février et 2 mars 2014, vous n'auriez plus eu de contact avec votre famille. De plus, comme déjà susmentionné, l'Albanie a fait de progrès en matière de prévention de violence domestique mais vous n'auriez jamais recherché la protection des autorités.

De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.

Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l'Albanie, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner. ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 avril 2015, les époux … ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 30 mars 2015 portant refus de leurs demandes en obtention d’une protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, contenu dans le même document.

1) Quant au recours visant la décision portant rejet des demandes de protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, un recours en réformation est valablement dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en réformation ayant été par ailleurs introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs se prévalent en premier lieu d’une violation de l’article 19 de la loi du 5 mai 2006, ainsi que de l’article 1er section A2 de la Convention de Genève en reprochant plus particulièrement au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits de l’espèce en ce que ce serait à tort qu’il aurait conclu que ces faits ne justifieraient pas dans leur chef une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social vulnérable, à savoir celui des « membres d’une famille impliqués dans une vendetta ».

Ils font à cet égard valoir qu’ils auraient quitté l’Albanie non pas pour des raisons de convenance personnelle ni pour des raisons économiques, mais parce qu’ils auraient constamment eu peur d’y être persécutés, ce qui y aurait rendu leur vie intolérable. Ils expliquent plus particulièrement que leur départ aurait été motivé par les menaces qui auraient pesé sur leurs vies et qui auraient été proférées par des personnes appartenant à la famille de la demanderesse, ainsi que par l’homme que le frère et les oncles de la demanderesse auraient voulu obliger cette dernière à épouser. En effet, après que les demandeurs auraient révélé leur relation amoureuse à la famille de la demanderesse, respectivement suite à la demande en mariage du demandeur, la demanderesse aurait été gravement maltraitée par sa famille et plus particulièrement par son frère et ses oncles.

Afin d’échapper à un mariage forcé et à des maltraitances, la demanderesse n'aurait dès lors pas eu d’autre choix que de s’enfuir avec le demandeur. En s’enfuyant, les demandeurs auraient toutefois déshonoré la famille de la demanderesse et celle de l’homme auquel elle aurait été promise, de sorte qu’ils auraient par le biais de leur fuite déclenché l’application de la loi du Kanun.

Les demandeurs insistent ensuite sur le fait qu’il aurait été inutile de requérir une protection policière dans leur pays d’origine, et ce, au motif que les oncles de la demanderesse, ainsi que l’homme qu’elle aurait dû épouser feraient partie de la police.

Afin de régler rapidement leurs problèmes et de calmer les esprits, ils auraient dès lors choisi de faire intervenir une association de réconciliation, dont l’intervention se serait toutefois soldée par un échec.

Le demandeur met plus particulièrement en avant que tous ses efforts pour trouver une solution et pour pouvoir vivre dans son pays d’origine en se réconciliant avec la famille de la demanderesse auraient été vains puisque ladite famille aurait décidé de les séparer par tous les moyens, quitte à les tuer tous les deux.

Les demandeurs estiment dès lors qu’au vu notamment de la fréquence des problèmes de vendetta en Albanie, ils n’auraient pas eu d’autre choix que de quitter leur pays d’origine et de demander une protection auprès des autorités luxembourgeoises, et ce, plus particulièrement compte tenu de l’incapacité, voire de l’absence de volonté des autorités albanaises à protéger les victimes de violences domestiques.

Les demandeurs sont en tout état de cause d’avis que les faits ainsi invoqués par eux rempliraient de par leur gravité les conditions posées par l’article 31 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006. Pour mettre plus particulièrement en avant le caractère grave et sérieux des maltraitances subies par la demanderesse, les consorts … s’appuient notamment sur un article de presse faisant état des violences domestiques dont seraient touchées beaucoup de femmes albanaises.

Les demandeurs estiment par ailleurs que les maltraitances que la demanderesse aurait subies, respectivement les actes de persécution que les demandeurs risqueraient tous les deux de subir pour avoir déclenché la loi du Kanun, constitueraient non seulement des violences physiques ou mentales au sens de l’article 31 (2) a) de la loi précitée, mais également des mesures administratives mises en œuvre de manière discriminatoire au sens de l’article 31 (2) b) de la prédite loi.

En se référant à un rapport de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié au Canada du 30 avril 2014, les demandeurs insistent ainsi sur le fait que le système juridique de l’Albanie s’appuierait depuis des siècles sur la loi ancestrale du Kanun qui régirait encore actuellement les comportements du peuple albanais et notamment les problèmes liés à la violence familiale. Or, les forces de l’ordre seraient assez réticentes pour se mêler des conflits issus du non-respect de la loi du Kanun au niveau local parce qu’elles risqueraient elles-mêmes d’en subir les conséquences.

Il résulterait par ailleurs d’un rapport intitulé « Le Kanun : entre traditions coutumières et modernisme » que la place de la femme dans la société albanaise serait hiérarchiquement inférieure à celle de l’homme, ce qui aurait comme conséquence que le gouvernement albanais n’aurait pas d’autre choix que de mettre en place des plans contre l’éradication de la discrimination envers les femmes et la promotion de l’égalité des hommes et des femmes. Or, de l’avis des demandeurs, cette mise en place poserait manifestement des problèmes en Albanie puisque ces plans d’action auraient déjà commencé en 2005. Le même rapport ferait encore état de ce que les victimes de vengeance n’auraient pas d’autre choix que de rester cloîtrées chez elles ou de quitter le pays, et ce, notamment au vu de la petite superficie de l’Albanie, les demandeurs expliquant à cet égard encore qu’avec les moyens de communication contemporains et les relations entretenues par les oncles de la demanderesse avec la police, dans leur cas précis, il ne serait pas très difficile de les retrouver.

Les demandeurs estiment dès lors qu’ils n’auraient pas eu d’autre choix que de s’enfuir pour échapper aux fiançailles forcées de la demanderesse avec un autre homme.

En effet, le déshonneur porté par la demanderesse à sa famille et à son fiancé serait impardonnable et aurait nécessairement engendré des représailles, respectivement une dette de sang contre lesquelles ni la police, ni une organisation non-gouvernementale n’aurait pu les protéger.

Pour ce qui est encore des doutes émis par le ministre quant à la véracité de l’attestation de l’organisation non gouvernementale « Mission de la paix et de réconciliation d’Albanie », les demandeurs se réfèrent à un document émanant de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada pour mettre en avant qu’au vu des problèmes, notamment de réputation, auxquels devraient faire face les organisations non-gouvernementales de réconciliation en cas d’émission d’attestations frauduleuses, il y aurait lieu d’admettre qu’une organisation qui émet un tel document, l’a fait de bonne foi. L’attestation invoquée par les demandeurs à l’appui de leurs demandes de protection internationale devrait dès lors être considérée comme étant de nature à témoigner de la réalité de la vendetta dont ils auraient été victimes.

En se référant finalement à la position de l’UNHCR sur les demandes de statut de réfugié dans le cadre de la Convention de Genève et en réitérant encore une fois les faits à la base de leurs demandes de protection internationale tels qu’ils ont été relatés lors de leurs auditions respectives et à l’appui de leur recours, les demandeurs insistent sur le fait qu’ils feraient état d’une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à une famille ou à un clan impliqué dans une vendetta. Ils estiment plus particulièrement avoir mis en évidence que leurs vies seraient gravement en danger en cas de retour en Albanie, les demandeurs ne craignant pas seulement que la vendetta se poursuive à leur encontre mais également à l’encontre de leurs futurs enfants.

Pour ce qui est du refus ministériel de leur octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire, les demandeurs, en s’appuyant sur les mêmes faits que ceux invoqués à la base de leurs demandes en obtention du statut de réfugié et en se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme rendue en matière de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ainsi qu’à un jugement du tribunal administratif rendu dans une affaire où les demandeurs de protection internationale avaient également fait état de problèmes liés à l’application de la loi du Kanun, estiment qu’il y aurait des motifs sérieux et avérés de croire que s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine, ils courraient un risque réel de subir des traitements inhumains ou dégradants. Ils répondraient dès lors aux conditions posées à l’article 37, points a) et b) de la loi du 5 mai 2006.

Les demandeurs sont encore d’avis que même si les menaces qui pèseraient sur leurs vies ne devaient pas se réaliser, le fait de devoir vivre dans la crainte permanente qu’elles se réalisent, constituerait dans leur chef de véritables traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et de son interprétation par la Cour européenne des droits de l’Homme. A cela s’ajouterait que les menaces et les violences physiques et psychologiques qu’ils auraient subies constitueraient des atteintes à leurs droits fondamentaux et notamment à leur droit de ne pas être soumis à des traitements dégradants au sens de l’article 3 précité et à leur droit de circuler librement, tel que consacré à l’article 2 du protocole additionnel n°4 à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Le délégué du gouvernement soutient quant à lui que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant «tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 :

«Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire. Particulièrement, si l’élément qui fait défaut touche à l’auteur des persécutions ou des atteintes graves, aucun des deux volets de la demande de protection internationale ne saurait aboutir, les articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006 s’appliquant tant à la demande d’asile qu’à celle de protection subsidiaire.

Or, indépendamment de la qualification des faits invoqués à l’appui des demandes de protection internationale et notamment de l’appartenance ou non des demandeurs à un « groupe social » au sens de la loi du 5 mai 2006 ou encore de la question de savoir si les actes invoqués sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécutions ou d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, force est au tribunal de relever que les auteurs des représailles craintes par les demandeurs sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. En effet, même si les demandeurs ont déclaré que les oncles de la demanderesse et l’homme auquel elle aurait été promise feraient partie de la police, ces personnes n’ont toutefois pas agi dans le cadre de leurs fonctions mais en tant que personnes privées.

Les demandeurs ne sauraient dès lors faire valoir un risque réel de subir des persécutions ou des atteintes graves que si les autorités albanaises ne veulent ou ne peuvent leur fournir une protection effective contre ces persécutions ou atteintes graves, en application de l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 ou si les demandeurs sont, du fait de leur crainte, en droit de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de leur pays d’origine. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou des atteintes graves. A cet égard, il y a lieu de rappeler les termes de l’article 29 de la même loi, relatif à la notion de protection : « (1) La protection peut être accordée par : a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire. (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ».

L’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. A cet égard, il y a lieu de rappeler qu’une protection peut être considérée comme suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou des atteintes graves et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policières et judiciaires les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et l’existence d’une persécution ou d’atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il y a encore lieu de rajouter qu’un demandeur de protection internationale doit avoir tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte et que dès qu’il est admis à bénéficier de la protection du pays dont il a la nationalité et qu’il n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’est pas en droit d’invoquer à son profit le bénéfice d’une protection internationale1.

En l’espèce, il ressort des termes de leurs auditions, ainsi que des explications de leur litismandataire que les problèmes des demandeurs auraient commencé en janvier 2014 après que Monsieur … aurait demandé la main de son épouse à la famille de cette dernière. En effet, suite à cette demande en mariage, la demanderesse aurait été grièvement maltraitée par des membres de sa famille, tandis que le demandeur aurait reçu des menaces de mort de la part de la famille de la demanderesse et de l’homme auquel elle avait été promise par ses oncles et son frère. Malgré les agissements dont les demandeurs déclarent avoir été victimes, ils ne se sont toutefois jamais adressés à la police pour dénoncer ces maltraitances et menaces. Or, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de maltraitances et de menaces de mort, communément la forme d’une plainte.

Ce constat est d’autant plus vrai qu’en ce qui concerne les maltraitances subies par la demanderesse de la part des membres de sa famille, il ressort de la décision ministérielle que l’Albanie a fait des progrès en matière de prévention des violences domestiques en adoptant en 2006 une loi sur les mesures contre la violence dans les relations familiales qui permet notamment aux victimes de violences familiales d’obtenir des ordonnances de protection et qui instaure des unités spéciales en matière de violence familiale dans les services de police. En 2010, cette loi a par ailleurs été modifiée afin de prévoir la mise en place de refuges pour les victimes de violences familiales et d’un système de coordination des mesures prises par les autorités auxquelles sont déférés ces cas de violences. Il ressort par ailleurs du rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada versé par les demandeurs que le Code criminel albanais a 1 Cour adm. 4 juillet 2013, n° 32282C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

été modifié en 2012 pour interdire toute forme de violence familiale en prévoyant notamment une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement. Par ailleurs, outre que l’Albanie a ratifié en 2013 la Convention européenne sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, il ressort encore du même rapport que les membres de la police suivent une formation continue sur la violence familiale afin de renforcer la capacité de la police à traiter ces cas de violence.

Le rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada précité fait également état de ce qu’en 2012, la police aurait arrêté 119 personnes pour violences familiales par rapport à seulement 63 personnes en 2011 et que cette augmentation serait justement attribuable aux modifications apportées au Code criminel.

Par ailleurs, le même rapport indique que globalement les personnes victimes de violences familiales se seraient déclarées satisfaites de l’intervention rapide des policiers même si certaines se seraient plaintes de ce que les policiers n’auraient pas été suffisamment polis ou qu’ils ne leur auraient pas apporté assez de soutien.

S’il ressort certes des éléments à la disposition du tribunal que le système de lutte contre les violences familiales présente encore certaines défaillances et lacunes, il n’en demeure pas moins qu’un tel système existe et qu’il ne semble pas être inefficace à un tel point que la demanderesse ait valablement pu renoncer à rechercher une protection auprès des autorités locales suite aux maltraitances lui infligées par des membres de sa famille.

Le tribunal relève encore à cet égard que si la demanderesse a certes déclaré lors de son audition qu’il ne lui aurait pas été possible de porter plainte parce qu’elle n’aurait pas eu le droit de sortir de chez elle, elle a toutefois réussi à s’enfuir en février 2014 pour aller se marier en cachette et allez vivre chez la sœur du demandeur jusqu’à son départ pour le Luxembourg le 2 mars 2014, de sorte qu’au plus tard à ce moment-là elle aurait eu la possibilité d’aller porter plainte.

Le tribunal ne peut par ailleurs pas non plus souscrire à la thèse des demandeurs selon laquelle une plainte à la police, que ce soit pour dénoncer les maltraitances subies par la demanderesse ou les menaces proférées à l’encontre des demandeurs, aurait présenté une utilité très limitée du fait que leurs agresseurs feraient partie de la police locale et qu’ils n’auraient de ce fait pu s’attendre à aucun soutien policier.

En effet, il y a tout d’abord lieu de relever que ni les demandeurs, ni leur litismandataire n’ont précisé quelles fonctions les oncles de la demanderesse et l’homme auquel elle aurait été promise exerceraient exactement au sein de la police locale.

Ensuite, et dans la mesure où les demandeurs ne se sont eux-mêmes jamais adressés à la police et qu’ils ne font état d’aucune expérience négative qu’ils auraient personnellement vécue avec les autorités policières albanaises, notamment en termes de corruption, le tribunal est amené à conclure qu’il s’agit en tout état de cause d’allégations sans fondement.

Par ailleurs, si les demandeurs avaient effectivement eu l’impression que les policiers locaux le cas échéant contactés refuseraient de leur accorder la protection requise, il leur aurait toujours été possible de porter leurs plaintes par-devant des policiers d’un autre bureau de police que celui dans lequel leurs agresseurs étaient affectés, ce qu’ils n’ont toutefois pas fait au motif qu’ils seraient d’avis que les policiers d’un autre commissariat n’auraient pas voulu traiter leur plainte. Or, dans la mesure où de l’aveu même des demandeurs ces derniers n’ont jamais tenté de s’adresser à des policiers d’un autre bureau, cette affirmation reste également à l’état de pure allégation. A cela s’ajoute que, tel que relevé ci-avant, la demanderesse aurait pu dénoncer les maltraitances dont elle a été victime directement auprès de l’une des unités spéciales mises en place en matière de violence familiale.

Il ressort encore des explications non contestées du ministre, sources internationales à l’appui, que si les doléances des demandeurs n’avaient pas été accueillies avec le sérieux nécessaire par les policiers locaux ou si ces derniers avaient refusé d’acter leurs plaintes, ils auraient pu dénoncer le comportement desdits policiers auprès d’une autorité supérieure. En effet, les ressortissants albanais ont le droit de déposer une plainte contre un policier qui commet un abus ou un acte illégal et ce auprès d’un commissariat, de la direction générale de la police, du ministère de l’Intérieur ou encore auprès de la direction des normes professionnelles de la direction générale de la police, notamment compétente pour traiter les réclamations à propos de la mauvaise conduite d’officiers de police, ce qu’ils n’ont toutefois pas fait. Il ressort encore des sources internationales citées par le ministre que les demandeurs auraient pu porter leurs doléances auprès du bureau de l’Ombudsman qui traite également les plaintes contre des policiers et qui dispose à cet effet d’une unité consacrée aux cas concernant la police.

Les demandeurs reprochent encore une incapacité générale des autorités policières locales à pouvoir leur assurer une protection adéquate contre les actes de vengeance de la famille de la demanderesse en mettant en avant, d’une part, et de manière tout à fait générale et succincte, la situation de corruption générale qui régnerait au sein des autorités policières albanaises et, d’autre part, et surtout, la prétendue réticence desdites autorités à se mêler des affaires de vendetta.

A cet égard, le tribunal relève à titre liminaire qu’il lui appartient de considérer non pas le ressenti subjectif de la population sur la protection qu’offrent les autorités albanaises, mais bien la réalité de cette protection, telle qu’elle est décrite dans les textes juridiques et les rapports internationaux pertinents.

Il ressort à cet égard des explications non contestées de la partie étatique que bien que les problèmes de corruption et d’abus de pouvoir au sein des autorités policières albanaises ne soient pas totalement endigués, la corruption est en nette baisse et que les autorités sont déterminées à éradiquer ce fléau notamment en réformant le pouvoir judiciaire, en accroissant la lutte contre la corruption et en prenant des mesures de lutte contre la discrimination. Il s’ensuit qu’en l’absence d’éléments pertinents à cet égard relatifs à la situation personnelle des demandeurs - qui, comme relevé ci-avant, n’ont pas vécu personnellement d’expériences négatives avec les autorités policières locales -, il est vain d’invoquer une situation générale de corruption pour discréditer la protection que peuvent apporter les autorités nationales aux victimes d’affaires de vengeance.

En outre, s’agissant du contexte particulier de la loi du Kanun, le tribunal administratif a déjà eu l’occasion de constater que le Code pénal albanais interdit strictement tout acte lié à une dette de sang, alors que la sanction encourue pour un homicide à titre de vengeance est une peine d’emprisonnement de 25 ans ou à vie et que celle pour une menace sérieuse de vengeance, est une amende ou peine de prison pouvant aller jusqu’à trois ans2. Si la pénalisation des actes de vengeance ne permet certes pas d’éradiquer complètement le phénomène de la pratique du Kanun, il s’agit là néanmoins d’une étape fondamentale en ce sens et qui démontre la détermination des autorités albanaises à lutter effectivement contre cette pratique.

La volonté des autorités albanaises à assurer une protection adéquate à la population, notamment en termes de vendetta, se trouve d’ailleurs confirmée par la décision ministérielle dont il ressort, sources internationales à l’appui, que les autorités albanaises ont déjà pris un certain nombre de mesures pour protéger leurs ressortissants contre les atteintes dont ils pourraient faire l’objet du fait de leur implication dans une vendetta. Ainsi, outre l’existence de lois sanctionnant les vendettas et les menaces de vengeance, des mesures concrètes ont également été mises en place au sein de la police albanaise pour lutter efficacement contre ce phénomène. En effet, d’après les informations délivrées par le Centre de recherche et de documentation du Commissariat général aux réfugiés et apatrides (« CEDOCA ») de Belgique, les membres de la police albanaise ont suivi des formations spéciales sur la prévention et l’élucidation des meurtres en général, ainsi que dans le cadre de représailles et de la vendetta en particulier. Une unité spécialisée de la police a par ailleurs été créée à Shkodër, ville dont les demandeurs sont originaires, pour mener des enquêtes sur les crimes et pour offrir une protection aux familles vivant dans l’isolement, le ministre ayant encore précisé que cette unité spéciale aurait entretemps été réintégrée dans les services réguliers de la police. Il ressort d’ailleurs encore de la décision ministérielle que les autorités albanaises auraient rouvert divers dossiers de crimes et délits non résolus dans le cadre de vendettas et ce afin de mettre un terme à l’impunité des actes de vengeance.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est en tout état de cause amené à retenir qu’alors même que le système judiciaire et policier en Albanie ne rencontre pas nécessairement l’intégralité des standards européens, il n’est certainement pas déficient au point qu’une partie puisse raisonnablement renoncer à le saisir au motif qu’il n’y a aucune chance de voir un résultat positif. Plus particulièrement les problèmes mis en avant par les demandeurs ne sont pas de nature à les avoir empêchés, concrètement, dans ce cas d’espèce, de rechercher la protection des autorités policières, respectivement, le cas échéant, de s’adresser à des instances supérieures afin d’obtenir l’assistance qui leur aurait été déniée au niveau du commissariat local.

En résumé, au regard des éléments à disposition du tribunal, il n’est pas établi que les demandeurs ne peuvent pas obtenir une protection suffisante dans leur pays d’origine.

Plus particulièrement au vu des explications et sources internationales fournies par le ministre et la partie étatique quant à la disponibilité d’un système judiciaire et policier, plus particulièrement dans le contexte de maltraitances familiales et d’affaires de 2 Voir notamment Trib. adm. 3 février 2014, n°32123 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

vengeance, et à défaut pour les demandeurs d’avoir suffisamment recherché la protection des autorités de leur pays, la seule affirmation qu’ils ne bénéficieraient d’aucune protection dans leur pays d’origine est insuffisante pour emporter le constat que les autorités albanaises seraient dans l’incapacité de leur fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’ils ne sauraient, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Au vu des conclusions qui précèdent, il n’y a pas lieu d’analyser plus en avant les développements de part et d’autre quant à la crédibilité du certificat établi le 18 avril 2015 par la « Mission de la Paix et de réconciliation d’Albanie » qui ne fait en effet en substance que confirmer l’existence d’une affaire de vengeance ainsi que la crainte des demandeurs de faire l’objet de représailles.

Si les demandeurs offrent certes encore de rapporter les preuves manquantes quant à l’existence ou non d’un danger dans leur chef en Albanie, respectivement quant à la capacité effective des autorités en place de leur fournir une protection par l’institution d’une mesure d’instruction complémentaire sous la forme d’une expertise, il convient cependant de rappeler qu’aux termes de l’article 351 du Nouveau code de procédure civile - applicable dans le cadre du présent litige, au motif que dans la mesure où le règlement de procédure applicable devant les juridictions administratives n'y déroge pas, les prescriptions du Nouveau code de procédure civile sont à suivre en la matière3 - une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver, une mesure d’instruction ne pouvant en aucun cas être ordonnée en vue de suppléer à la carence d’une partie dans l’administration de la preuve.

Il y a partant lieu de rejeter la demande en institution d’une mesure d’instruction complémentaire, telle que formulée par les demandeurs.

Il s’ensuit que les demandeurs n’ont pas fait état et n’ont pas établi des raisons de nature à justifier dans leur chef dans leur pays de provenance une crainte justifiée de persécution pour les motifs énumérés à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 et qu’ils n’ont pas non plus fait état ni établi qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondées les demandes tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet telles que présentées par les demandeurs.

En ce qui concerne finalement encore la demande du litismandataire des demandeurs de voir ordonner au ministre de communiquer l’intégralité du dossier administratif, le tribunal constate, outre qu’il ne ressort pas des éléments à sa disposition que le litismandataire des demandeurs aurait sollicité la communication du dossier 3 En ce sens : Trib. adm., 30 octobre 1997, n° 8936 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure contentieuse, n° 618 et les autres références y citées.

administratif en cours de phase précontentieuse et que cette communication lui aurait été refusée, que le dossier administratif a été déposé par la partie étatique au greffe du tribunal administratif ensemble avec le mémoire en réponse. Dans la mesure où le litismandataire des demandeurs a dès lors pu prendre connaissance dudit dossier administratif conformément au prescrit de l’article 8 (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives et qu’il n’a pas précisé dans quelle mesure le dossier administratif versé en cause n’aurait pas été complet, ladite demande doit en tout état de cause être rejetée pour ne pas être fondée.

2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, les demandeurs sollicitent l’annulation de l’ordre de quitter le territoire en invoquant le risque réel et sérieux qu’ils courraient de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 et de l’article 39 (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour forcé dans leur pays d’origine.

Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2 de la loi du 5 mai 2005 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs ne remplissent pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait en l’état actuel du dossier mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 30 mars 2015 portant rejet d’un statut de protection internationale aux époux … ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 30 mars 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 novembre 2015 par :

Marc Sünnen, président, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Schmit s. Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30.11.2015 Le greffier du tribunal administratif 25


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 36167
Date de la décision : 30/11/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-11-30;36167 ?

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