Tribunal administratif Numéros 35532 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 novembre 2014 Ire chambre Audience publique du 25 novembre 2015 Recours formés par Madame …, … contre deux décisions du ministre du Développement durable et des Infrastructures en matière de permis de conduire
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35532 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2014 par Maître Jean-Jacques Schonckert, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, prise en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure …, née le … à Luxembourg, demeurant toutes les deux à L-…, tendant à l’annulation d’un acte du ministre du Développement durable et des Infrastructures du 22 juillet 2014 et d’un acte du même ministre du 27 août 2014 ayant demandé à Madame … de faire parvenir à la commission médicale les résultats d’analyses des cheveux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 février 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les actes attaqués ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean-Jacques Schonckert et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives.
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Le 25 avril 2013, Madame… fut l’objet d’un contrôle de police lors duquel elle avoua avoir consommé du cannabis.
Par un rapport n°2013/19431/341/SL du 17 juin 2013, le commissariat de police CPI-SP Echternach informa le ministre du Développement durable et des Infrastructures, dénommé ci-après « le ministre », qu’en raison de la consommation régulière de stupéfiants d’…, cette dernière constituerait un danger pour elle-même ainsi que pour les autres usagers de la route.
En date du 22 mai 2014, Madame … introduisit auprès du ministère du Développement durable et des Infrastructures, service des permis de conduire, une demande en obtention d’un permis de conduire de la catégorie AM.
Par courrier du 30 mai 2014, Madame … fut priée par le ministère d’envoyer dans les trois semaines au médecin-président de la Commission médicale les résultats d’analyses toxicologiques des cheveux tout en précisant que « la présente est à considérer comme étape préliminaire en vue d’une éventuelle mesure administrative pouvant affecter votre permis de conduire à prendre sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 (…). ».
Par courrier du 22 juillet 2014, ledit ministère rappela son courrier du 30 mai 2014.
Par courrier du 11 août 2014, Madame … demanda les motifs à la base de cette demande.
En date du 13 août 2014, le ministère transmit une copie du dossier administratif à Madame ….
Par courrier du 25 août 2014, le litismandataire de Madame …, respectivement de Madame …, demanda au ministre d’admettre Madame … « aux épreuves du permis de conduire sans passer par une quelconque mesure préalable ».
En date du 27 août 2014, le ministre informa le litismandataire de Madame …, respectivement de Madame … qu’ « avant de pouvoir faire droit à la demande de Madame …, la Commission médicale prévue à l’article 90 de l’arrêté grand-ducal modifiée du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, est obligée, à l’instar de ce qui est repris à l’article 77 de l’arrêté grand-
ducal modifié du 23 novembre 1955 (…) d’émettre un avis motivé » et qu’ « afin de pouvoir aviser correctement le dossier de Madame …, la Commission médicale se base sur le résultat des rapports d’expertise fournis par des médecins-experts spécialement chargés (…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2014 et inscrite sous le numéro 35532 du rôle, Madame …, prise en sa qualité de représentante légale de sa fille mineure…, a fait introduire un recours contentieux tendant à l’annulation de la « décision » du ministre du 22 juillet 2014 et de la « décision » de refus du même ministre du 27 août 2014 suite à un recours gracieux.
Après avoir exposé les faits, Madame … reproche aux décisions attaquées de ne reposer sur aucune base légale, en ce que la loi n’exigerait pas la production préalable d’un examen toxicologique à défaut d’éléments probants dans le dossier.
Elle précise qu’en l’espèce ni le dossier lui communiqué initialement, ni celui communiqué à son litismandataire ne contiendrait un élément objectif autorisant le ministre à refuser à Madame … de se présenter aux épreuves en vue de la délivrance d’un permis de conduire.
A titre subsidiaire, Madame … conclut à un détournement, sinon à un abus de pouvoir « alors qu’il n’appartient pas au Ministère des Transports de faire la chasse – même pas au consommateur de drogues, ni aux délinquants de drogues – cette compétence ne lui appartenant pas ». Elle fait valoir à ce titre que le ministre voudrait par « ce biais remplacer la politique « drogues » du gouvernement se dirigeant vers une dépénalisation pour punir les jeunes en les privant de la possibilité de se soumettre aux épreuves du permis de conduire ».
Le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour ne pas avoir été formé à l’encontre d’une décision administrative individuelle susceptible de faire grief. Il précise dans ce contexte que le courrier du 22 juillet 2014 ainsi que le courrier confirmatif du 27 août 2014 seraient des actes intermédiaires pris dans le cadre de l’instruction de la demande de Madame … et ne contiendraient aucun élément décisionnel.
La recevabilité d'un recours en annulation contre un acte émanant d'une autorité administrative est conditionnée par l'exigence que l'acte attaqué constitue, dans l'intention de l'autorité qui l'émet, une véritable décision, à qualifier d'acte de nature à faire grief, c'est-à-dire un acte susceptible de produire par lui -même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame. Si le caractère décisoire de l'acte attaqué est une condition nécessaire à la recevabilité du recours contentieux, il n'est pas pour autant une condition suffisante.
Pour être susceptible de faire l'objet d'un recours, la décision critiquée doit encore être de nature à faire grief.
Echappent ainsi au recours contentieux les actes préparatoires qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d'élaboration de celle-ci. Tel est notamment le cas des avis émis par des organes consultatifs préalablement à une décision administrative, lesquels ne constituent pas des actes finaux dans la procédure, mais ne sont que de simples mesures d'instruction destinées à recueillir des éléments d'information, afin de mettre l'auteur de la décision en mesure de prendre celle-ci. Ces actes préparatoires ne peuvent donc, en eux-
mêmes, faire l'objet d'un recours. Toutefois leur irrégularité propre et les vices dont ils peuvent être affectés, peuvent être analysés dans le cadre du recours dirigé contre la décision administrative. Ces actes préparatoires sont censés faire partie intégrante de la décision administrative dès que celle-ci y fait expressément référence et un recours intenté contre la décision s'étend nécessairement à l’acte préparatoire qui en constitue le complément indispensable.1 L’article 2 de la loi du 14 février 1955 concernant la réglementation de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après dénommée « la loi du 14 février 1955 », prévoit que « Le ministre ayant les Transports dans ses attributions, désigné ci-après « le ministre », délivre les permis de conduire civils ; il peut refuser leur octroi, restreindre leur validité, les suspendre et les retirer, refuser leur restitution, leur renouvellement ou leur transcription et même refuser l’admission aux épreuves si l’intéressé :
1) Présente des signes manifestes d’alcoolisme ou d’autres intoxications ;
2) N’offre pas, compte tenu des faits d’inhabileté ou de maladresse suffisamment concluants constatés à sa charge, les garanties nécessaires à la sécurité routière ;
3) Est dépourvu du sens des responsabilités requis, dans l’intérêt de la sécurité routière, pour la conduite d’un véhicule ;
4) Souffre d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire ; (…) » 1 Voir trib adm 26 février 2013, n° 30464 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Actes administratifs, n° 35 et les autres références y citées L’article 77 de l’arrêté grand-ducal modifié du 23 novembre 1955 portant règlement de la circulation sur toutes les voies publiques, ci-après dénommé « l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 », affirme qu’ « En vue de l’obtention ou du renouvellement d’un permis de conduire, l’intéressé doit se soumettre à un examen médical destiné à établir s’il ne souffre pas d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver ses aptitudes ou capacités de conduire et s’il ne présente pas de signes d’alcoolisme ou d’autre intoxications. Sur avis de la commission médicale prévue à l’article 90, le titulaire d’un permis de conduire peut de même être obligé par le ministre des Transports à se soumettre à un examen médical, s’il existe des doutes sur ses aptitudes ou capacités de conduire.
(…) 8. Alcool, drogues et médicaments Le permis de conduire n’est pas délivré ou renouvelé si l’intéressé se trouve en état de dépendance vis-à-vis de substances psychotropes.
Si l’intéressé est un alcoolique chronique ou s’il consomme régulièrement des drogues pharmaceutiques ou des médicaments susceptibles d’entraver les aptitudes ou capacités de conduire, le permis de conduire n’est délivré ou renouvelé que sur avis motivé de la commission médicale (…). » Aux termes de l’article 90, paragraphe 1er de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955: « 1. Les mesures administratives à prendre à l’égard de requérants ou de titulaires de permis de conduire sous les conditions prévues sous 1), 2), 3), 5) et 6) de l’article 2 modifié de la loi du 14 février 1955 précitée exigent au préalable une enquête administrative effectuée par la police grand-ducale à la demande du ministre ayant les Transports dans ses attributions ainsi qu’un avis motivé de la commission spéciale des permis de conduire.
Cette commission est instituée par le ministre des Transports ; elle est composée pour chaque affaire de trois membres et elle a pour mission d’instruire le dossier, d’entendre l’intéressé dans ses explications et moyens de défense, de dresser un procès-verbal et d’émettre un avis motivé pris à la majorité des voix. (…) ».
L’article 90, paragraphe 2 de l’arrêté grand-ducal du 23 novembre 1955 dispose qu’ : « Afin d’examiner les personnes souffrant d’infirmités ou de troubles susceptibles d’entraver leurs aptitudes ou capacités de conduire un véhicule automoteur ou un «cyclo-moteur», il est institué une commission médicale dont les membres sont nommés par le ministre des Transports.
Avant de pouvoir restreindre l’emploi ou la validité des permis de conduire, refuser leur octroi, leur renouvellement ou leur transcription, les suspendre ou les retirer, le ministre des Transports adresse quinze jours au moins avant la séance de la commission une convocation par lettre recommandée à l’intéressé, l’invitant à s’y présenter soit seul, soit assisté par un médecin de son choix. Si l’intéressé ne comparaît pas devant la commission médicale malgré deux convocations par lettre recommandée, la procédure est faite par défaut.
(…) La commission se prononce sur les inaptitudes ou incapacités permanentes ou temporaires d’ordre physique ou psychomental des personnes visées à l’alinéa qui précède en se basant sur le résultat de son examen médical ainsi que sur les rapports d’expertise fournis par des médecins-experts spécialement chargés ou sur des certificats médicaux versés par les personnes examinées.
Les frais d’expertise sont à charge des personnes intéressées.
Le ministre des Transports prend sa décision sur le vu de l’avis de la commission médicale ».
Il résulte des dispositions précitées que les résultats de l’analyse toxicologique des cheveux demandée par courrier du ministre du 30 mai 2014 et du 22 juillet 2014 sont nécessaires afin que la commission médicale puisse rendre son avis sur base duquel le ministre pourra prendre une décision finale.
Pour valoir décision administrative, un acte doit constituer la décision définitive dans la procédure engagée et non pas une simple mesure d’instruction destinée à permettre à l’autorité compétente de recueillir les éléments d’information en vue de sa décision ultérieure.
La demande de résultats d’analyses toxicologiques des cheveux constitue un préalable à l’avis obligatoire de la commission médicale sur base duquel est prise la décision du ministre de délivrer un permis de conduire et n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux étant donné qu’elle ne constitue pas un acte final de la procédure et qu’elle n’est pas de nature à faire grief de manière autonome et distinctement d’une éventuelle décision ministérielle de refus de délivrance de permis de conduire, d’autant plus que le courrier du 22 juillet 2014 mentionne expressément que « La présente est à considérer comme étape préliminaire en vue d’une éventuelle mesure administrative pouvant affecter votre permis de conduire à prendre sur base de l’article 2 de la loi modifiée du 14 février 1955 (…) ». Il en est de même du courrier du 27 août 2014 qui ne fait que confirmer le courrier du 22 juillet 2014 tout en soulignant l’importance des résultats toxicologiques pour la commission médicale chargée d’émettre un avis motivé.
Il s’ensuit que le recours dirigé contre les deux actes du 22 juillet 2014 respectivement 27 août 2014 est irrecevable.
Par ces motifs ;
le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
déclare le recours irrecevable ;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 25 novembre 2015 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25/11/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 6