Tribunal administratif N° 35394 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 octobre 2014 3e chambre Audience publique du 25 novembre 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’appel en garantie
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35394 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 octobre 2014 par Maître Elisabeth Machado, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 juillet 2014 portant rejet de sa réclamation du 15 juillet 2014 introduite à l’encontre d’un bulletin d’appel en garantie émis en date du 18 avril 2014 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 janvier 2015 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 février 2015 par Maître Elisabeth Machado pour compte de Monsieur … ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elisabeth Machado et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 octobre 2015.
En date du 18 avril 2014, le bureau d’imposition Sociétés … de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») en vertu du paragraphe 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l'encontre de Monsieur … en sa qualité d’administrateur de la société anonyme … S.A., dénommée ci-après « la société … », ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant de … euros, en principal et intérêts, au titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune dus par la société … pour les années d’imposition 2010 à 2014, respectivement 2010 à 2012 et 2010 à 2013.
Par courrier de son litismandataire daté au 15 juillet 2014, Monsieur … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après dénommé le « directeur », à l’encontre dudit bulletin d’appel en garantie.
Par décision du 30 juillet 2014, le directeur déclara non fondée la réclamation introduite par Monsieur … dans les termes suivants :
« Vu le requête introduite le 16 juillet 2014 par Me Elisabeth MACHADO, au nom du sieur …, L-…, pour réclamer contre le bulletin d'appel en garantie émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau Sociétés … en date du 18 avril 2014;
Vu le dossier fiscal;
Vu le § 119 alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO;
Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§238AO) dans les forme (§249AO) et délai (§245AO) de la loi ; qu'elle est partant recevable;
Considérant que le bureau d'imposition, après avoir constaté que le réclamant était tenu en sa qualité d'administrateur de la société anonyme …, actuellement en faillite, de payer sur les fonds administrés les impôts dont la société était redevable et qu'il avait négligé de remplir les obligations qui lui incombaient à cet égard aux termes du § 103 AO, l'a déclaré responsable du non paiement de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal et de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2010 à 2014 au montant total de … euros, dont … euros en principal et … euros pour intérêts de retard; qu'à cet égard l'omission de verser les sommes échues serait à considérer comme faute grave au sens du § 109 AO;
Considérant que le réclamant fait valoir qu'il n'aurait commis aucune négligence fautive et que toute la situation serait due à une erreur de politique financière de la banque …;
Considérant que le représentant est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO;
qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable ( CE 20.10.1981 no 6902 );
que dans la mesure où l'administrateur, par l'inexécution fautive de ces obligations, a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe constitué codébiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;
que la responsabilité de l'administrateur est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration;
Considérant que sa responsabilité, pour les actes par lui accomplis pendant la période de ses fonctions, survit à l'extinction de son pouvoir de représentation (§110 AO);
Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait, en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG), une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH 24 novembre 1961, BStBI.
1962.37 ; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493 ; cf. Becker-Riewald-Koch §2 StAnpG Anm. 5 Abs.
3) ;
que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe-
même de la mise en œuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;
Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef de l'administrateur d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109 alinéa 1 AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (CA du 22.02.2000, no 11694C);
Considérant qu'en l'espèce l'auteur de la décision a révélé les circonstances particulières susceptibles de justifier sa décision de poursuivre la réclamante et de mettre à sa charge l'intégralité des arriérés de la société au titre de l'impôt sur le revenu des collectivités et de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2010 à 2014;
qu'il développe clairement les raisons qui l'ont conduit à engager la responsabilité de l'administrateur et administrateur-délégué pour les années d'imposition litigieuses ;
Considérant qu'il se dégage d'une publication au Registre de Commerce et des Sociétés no 2407 du 2 octobre 2008 que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 20 août 2008, le réclamant a été nommé administrateur de la société …, sans qu'une démission n'ait été publiée par la suite;
qu'en cette qualité il avait le pouvoir d'engager la société par sa signature avec la signature conjointe d'un administrateur-délégué pendant la période du 20 août 2008 au … 2014, date du jugement de faillite de la société ;
Considérant que l'auteur de la décision a également motivé sa décision en ce qui concerne le montant pour lequel la responsabilité de la réclamante est engagée en vue des éléments qui précèdent ;
Considérant en effet qu'il résulte du dossier fiscal, que les actionnaires de la société …, à savoir, le dame …, le sieur … et le sieur …, ont prélevé la presque totalité des liquidités provenant de la vente des immeubles ayant appartenu à la société par l'intermédiaire de leurs comptes-
courants actionnaires respectifs, sans jamais les rembourser à la société, de sorte qu'au 31 décembre 2012, la créance totale à l'encontre des actionnaires s'élève à … euros;
que cette façon de procéder, à savoir le manque de liquidités provoqué par des prélèvements excessifs des actionnaires, avant même la liquidation en bonne et due forme de la société, et le défaut de paiement des montants dus à titre de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal et de l'impôt sur la fortune pour les années 2010 à 2014, d'un montant total de … euros, d'ailleurs dûment provisionnés, constitue une faute grave et une violation des obligations incombant au représentant légal de la société ;
Considérant que par ces agissements le réclamant a donc sciemment omis de verser l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal et de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2010 à 2014 au montant total en principal et intérêts de … euros et que partant il a empêché la perception de l'impôt légalement dû ;
Considérant qu'il s'ensuit que la responsabilité du réclamant en tant qu'administrateur de la société visée est incontestablement établie et la mise à charge de l'intégralité des arriérés de celle-ci au titre des impôts ci-avant énumérés est justifiée ;
Considérant par ailleurs, que de même qu'en matière de responsabilité du fait personnel (art.1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables, le représentant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre ;
PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme;
la rejette comme non fondée. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 octobre 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision directoriale précitée du 30 juillet 2014.
Conformément aux dispositions du § 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable. Or, conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8 (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités, un bulletin de l’impôt commercial communal et un bulletin de l’impôt sur la fortune.
Il s’ensuit qu’en l’espèce le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur … à l’encontre de la décision directoriale précitée, ayant statué sur les mérites d’une réclamation introduite contre le bulletin d’appel en garantie dont il a fait l’objet.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
A l’appui de son recours et s’agissant des faits et rétroactes de l’affaire, le demandeur expose que le … 2014, la société … aurait été assignée en faillite en raison d’une créance fiscale se composant plus particulièrement des impôts et des avances sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal ainsi que de l’impôt sur la fortune dus pour les années 2010 à 2014 et aurait été déclarée en état de faillite par un jugement du … 2014.
Le demandeur renvoie aux motifs invoqués à l’appui de sa réclamation et explique, par ailleurs, que l’existence de comptes courants associés débiteurs s’expliquerait en l’espèce par un mode de financement globalisé de la part de la banque …, qui aurait faussé la réalité comptable, puisqu’il mettrait à charge des nouveaux actionnaires le remboursement des comptes courants créditeurs des anciens actionnaires à hauteur d’un montant de … €, qui en réalité serait redû par la société …. En effet, au moment de l’acquisition par lui de 33 parts dans cette société le 1er octobre 2008, la situation de la société … se serait présentée comme suit : 66 % des actions auraient été détenues par la société …S.A. et 34 % auraient été détenus par Madame …. Par ailleurs, un terrain, le seul actif de la société, aurait été inscrit au bilan de la société pour un montant de … €, et celle-ci aurait eu une dette envers ses actionnaires d’un montant … € et n’aurait eu comme liquidité que la somme de … € sur un compte courant auprès de la banque ….
Le 1er octobre 2008, la société … S.A. aurait vendu ses parts à Monsieur … et à lui-même, à hauteur de 33 actions chacun, le prix de vente ayant été ventilé en ce sens qu’un montant de … € aurait été payé à titre de prix d’achat et le montant de … € aurait été affecté à titre de remboursement partiel du compte courant actionnaire créditeur.
Il explique qu’à l’occasion des négociations des opérations de financement avec la banque …, celle-ci aurait exigé un financement global des opérations impliquant de manière solidaire les trois actionnaires et aurait évalué le financement à … €, composé de … € à titre de valeur du terrain, … € à titre de compte courant actionnaire débiteur et … € à titre d’avance destinée au nantissement du crédit.
Afin de légitimer le mode de financement, respectivement le fait que le financement soit réalisé à travers la société …, la banque … aurait argumenté que les fonds empruntés serviraient en tout état de cause et en réalité à rembourser une dette de la société … vis-à -vis de ses anciens actionnaires, respectivement à financer le terrain et le projet immobilier appartenant à cette société, que le terrain, la véritable cause et garantie du financement, appartiendrait à la société … et que cette méthode de financement serait plus simple et la moins couteuse puisqu’elle permettrait de regrouper l’ensemble des opérations (achat d’actions, remboursement compte courant, financement du projet de construction) en un seul financement.
Il donne à considérer que l’avantage de la banque … aurait été celui de pouvoir procéder à une inscription hypothécaire sur le terrain appartenant à la société … pour l’ensemble du financement, de pouvoir obtenir un cautionnement solidaire et indivisible de la part des trois actionnaires pour l’intégralité de la somme de financement et celui de négocier un dépôt en garantie de … € de la part des nouveaux actionnaires.
Les actionnaires n’auraient ainsi eu d’autre choix que d’accepter ce mode de financement, sans toutefois réaliser que celui-ci aboutirait à une inscription - à tort - au débit de leur compte courant associé, qui aurait été faite dès 2008.
Le demandeur souligne qu’il résulterait des pièces versées en cause que ni lui-même, ni d’ailleurs les autres actionnaires, n’auraient procédé à un quelconque prélèvement ou encore aient bénéficié d’une quelconque contrepartie personnelle réelle et que les comptes de la société n’auraient jamais été mouvementés par les administrateurs et actionnaires.
Comme preuve de ses affirmations, le demandeur fait valoir que le montant de … €, seule liquidité de la société en 2008, persisterait toujours sur ce compte bancaire.
Il souligne que du fait de ce mode de financement les actionnaires auraient été empêchés de procéder à la cession de leurs actions, et, de plus, auraient dû procéder par voie de cession du terrain au nom de la société …, opération qui aurait abouti à un bénéfice purement comptable sans contrepartie réelle.
Le prix de vente aurait en réalité suffi à peine à couvrir l’emprunt auprès de la banque …, de sorte que ni la société … ni les actionnaires n’auraient réalisé le moindre bénéfice.
En droit, le demandeur invoque les moyens suivants :
-
Violation de l’obligation de motivation de la décision directoriale, le demandeur soutenant à cet égard que le directeur se serait contenté de baser sa décision sur une motivation stéréotypée et n’aurait notamment pas pris en compte l’expiration de son mandat d’administrateur et le défaut de démission, ni n’aurait-il pris position sur l’argumentation fondée sur l’absence d’un quelconque prélèvement en sa qualité d’actionnaire de fonds de la société, ni n’aurait-il expliqué, en présence de plusieurs administrateurs, les raisons de son choix d’engager la responsabilité du demandeur en particulier ;
-
Violation des §§ 103, 109 et 118 AO au motif que son mandat d’administrateur aurait expiré dès le 7 juin 2010 ;
-
Caractère non fondé de la décision directoriale en ce sens qu’aucune inexécution fautive de ses obligations en tant que représentant légal de la société … ne pourrait lui être reprochée, le demandeur mettant plus particulièrement en exergue que contrairement à l’appréciation du directeur, il n’aurait pas prélevé la moindre liquidité de la société.
Le délégué du gouvernement conclut à une exécution fautive de ses obligations par le demandeur en soutenant que la faute consisterait dans le fait de ne pas avoir accompli ou veillé à accomplir les obligations incombant à la société …, notamment en relation avec l’exécution des obligations fiscales de cette dernière, que le dommage consisterait dans une insuffisance de l’impôt payé par rapport à celui légalement dû et que le lien de causalité se caractérisait par le fait que l’insuffisance serait la conséquence du comportement fautif du représentant légal.
Le délégué du gouvernement invoque encore une jurisprudence de la Cour administrative du 9 avril 2013, n° 32272 C du rôle, dont il déduit que le fait pour un gérant d’une société de ne pas verser les retenues sur les salaires au trésor public constituerait un manquement fautif per se dans le chef du gérant, sans qu’il ne soit nécessaire de rapporter d’autres preuves à ce titre, pour conclure qu’en l’espèce, le bureau d’imposition ayant constaté que l’impôt sur le revenu des collectivités, l’impôt commercial communal et l’impôt sur la fortune pour les années 2010 à 2014 n’auraient pas été payés, aurait à bon droit pu émettre un bulletin d’appel en garantie à l’encontre du demandeur.
S’agissant de la responsabilité du demandeur, le délégué du gouvernement fait valoir que le § 7 de la loi d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », en abrégée « StAnpG », consacrerait une solidarité entre les représentants légaux d’une société en vue d’assurer le paiement d’une cote d’impôt déterminée.
Par rapport à l’affirmation du demandeur qu’il n’aurait plus été administrateur en raison de l’expiration de son mandat en 2010, le délégué du gouvernement fait valoir que dans la mesure où aucune autre assemblée générale ne s’est tenue au cours de l’année 2010, le demandeur aurait continué à garder la qualité d’administrateur après l’extinction de son mandat en renvoyant à cet égard à un jugement du tribunal administratif du 19 novembre 2014, n° 35224 du rôle.
S’agissant de la motivation de la décision du directeur, le délégué du gouvernement fait valoir que celle-ci contiendrait de manière circonstanciée les éléments de fait et de droit en renvoyant au même jugement du tribunal administratif du 19 novembre 2014 précité.
Quant au manquement fautif reproché au demandeur, le délégué du gouvernement souligne que le prix de vente de l’immeuble vendu se serait élevé à un montant de … € renseigné au décompte de vente produit par le demandeur, dont il se dégagerait par ailleurs qu’un montant de … € aurait été transféré au profit de la société … le 20 mai 2010. Or, cinq jours plus tard, seulement un solde créditeur de … € aurait subsisté, comme l’attesterait un extrait bancaire. Le délégué du gouvernement en conclut que presque la totalité des liquidités provenant de la vente de l’immeuble ayant appartenu à la société aurait ainsi été prélevé.
Dans son mémoire en réplique, la demanderesse insiste sur la considération qu’il aurait été stipulé que son mandat prendrait fin à l’issue de la prochaine assemblée générale que cette mention devrait empêcher un reconduction tacite, tout en soulignant qu’en vertu de l’article 51 de la loi modifiée du 10 août 2015 sur les sociétés commerciales serait de 6 ans. Elle souligne encore que le prix de vente de l’unique projet immobilier de la société …, financé d’abord par les associés, et ensuite par l’emprunt de la banque …, aurait uniquement servi à couvrir les dettes de la société, en renvoyant à cet égard au décompte du notaire ayant procédé à ladite vente. Il conteste que le solde de … € ait été prélevé par lui, tout en renvoyant à un extrait du grand livre qu’il aurait pu se procurer du curateur et du comptable dont ressortirait l’emploi de la somme en question. Il s’en dégagerait plus particulièrement que la somme litigieuse n’aurait même pas suffi pour couvrir les dettes échues, de sorte que le compte aurait même dû être alimenté par deux virements internes d’un montant de … €, respectivement … €. Il ajoute qu’à cette époque, les impôts actuellement réclamés n’auraient pas encore été échus de sorte qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir réglé d’autres dettes par préférence aux dettes fiscales. Il insiste par ailleurs sur le défaut par le curateur d’avoir relevé une quelconque faute ou négligence à charge des administrateurs, tout en donnant à considérer qu’un dividende pourrait être payé à l’administration des contributions directes dans le cadre de la faillite. Enfin, il s’empare d’un jugement du tribunal administratif du 19 novembre 2014, n° 35224 du rôle, ayant retenu qu’aucune faute caractérisée ne pourrait être retenue à charge d’un des autres administrateurs de la société ….
Quant au premier moyen tiré d’un défaut de motivation, force est de constater d’une manière générale que ni le § 228 AO, ni les §§ 299 et suivants AO, auxquels renvoie le § 228 AO, ni les dispositions générales relatives au régime des décisions (« Verfügungen ») contenues aux §§ 91 à 96 AO, ne prévoient une obligation générale, sous peine d’annulation, de motivation expresse d’une décision du directeur.1 Plus particulièrement, en ce qui concerne la présente matière, le tribunal est encore amené à retenir qui ni le § 2 ni le § 7 StAnpG ne contiennent une obligation de motivation dans le chef du bureau d’imposition ou encore du directeur, le premier prévoyant certes qu’une motivation spécifique doit sous-tendre la décision en question, sans toutefois imposer que celle-ci doit obligatoirement être indiquée dans cette décision.
Dès lors, l’obligation de motivation ne se conçoit en la présente matière qu’à travers le principe général du droit du respect des droits de la défense, en ce sens que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense.2 En l’espèce, le tribunal constate que la motivation à la base de l’appel en garantie résulte à suffisance de la décision du directeur, dont la motivation a encore été complétée par les explications fournies par le délégué du gouvernement au cours de la présente instance, tant en ce qui concerne l’existence d’un mandat dans le chef du demandeur, qu’en ce qui concerne la question d’un prélèvement par lui sur les fonds de la société, qu’en ce qui concerne le choix d’engager la responsabilité du demandeur en présence d’autres administrateurs, points plus spécifiquement critiqués par le demandeur et cela indépendamment du bien-fondé de la motivation ainsi fournie qui sera examinée ci-après.
Par rapport au moyen fondé sur un défaut de mandat d’administrateur, le tribunal relève de prime abord qu’en vertu du § 103 AO, qui dispose « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ;
insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen 1 Voir par analogie TA 15 novembre 2007, n°22500 du rôle, confirmé par la Cour administrative dans un arrêt du 20 mars 2008, n°23789C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n°710, et les autres références y citées.
2 Voir TA 10 novembre 2015, n° 34139 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu vertretenen Personen », un administrateur d’une société anonyme est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et notamment de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.
Il n’est en l’espèce pas contesté que le demandeur était, depuis le 20 août 2008, l’un des trois administrateurs de la société …, déclarée en état de faillite par jugement du … 2014. S’il est vrai, comme l’a relevé le demandeur, que suivant la septième résolution de l’assemblée générale extraordinaire du 20 août 2008, son mandat d’administrateur devait prendre fin à l’issue de l’assemblée générale annuelle qui aurait dû se tenir au cours de l’année 2010, il n’en demeure pas moins, comme l’a également relevé le demandeur, qu’aucune assemblée générale ne s’est tenue au cours de l’année 2010 ni à une autre date postérieure. Il échet partant d’en conclure que le demandeur avait gardé la qualité d’administrateur jusqu’au jour du prononcé de la faillite de la société …, ce qui est d’ailleurs confirmé par le fait que dans un courrier adressé en date du 19 décembre 2012 au préposé du bureau d’imposition, et figurant au dossier fiscal de la société …, le demandeur, à côté des deux autres administrateurs, Monsieur … et Madame …, a lui-même fait état de sa qualité d’administrateur de la société ….
En outre, il échet de relever que le nom du demandeur figurait toujours au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg, suivant un extrait du 8 avril 2014, figurant au dossier fiscal déposé dans l’affaire parallèle introduite par Madame …, autre administrateur de la société …, et inscrite sous le n° 35393 du rôle, tranchée par un jugement du 25 novembre 2015, au titre de l’un des administrateurs de la société …, il est vrai avec la précision que cette fonction ne durerait que jusqu’à l’assemblée générale qui se tiendra en l’année 2010.
Le tribunal conclut de l’ensemble des éléments qui précèdent que c’est à bon droit que le directeur, en confirmant en cela la décision prise par le préposé du bureau d’imposition, a retenu que le demandeur était, à la date du prononcé de la faillite de la société …, à considérer comme étant l’un des représentants légaux de ladite société et que jusqu’à la date en question, il continuait à exercer les fonctions d’administrateur de la société ….
Il s’ensuit que le moyen afférant est à rejeter comme n’étant pas fondé.
S’agissant ensuite des contestations du demandeur quant au bien-fondé de l’appel en garantie, force est de constater qu’aux termes du § 103 AO, « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen. » Dès lors, le représentant d’une société commerciale est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société et notamment celle de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.
Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du représentant d’une personne morale du fait du défaut de paiement des impôts dont est redevable cette personne morale, il y a lieu de se référer plus particulièrement aux dispositions du § 109 AO, qui dispose dans son alinéa (1) : « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind. » Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux de la société, en ce compris, conformément au § 108 AO, les dirigeants de fait ou dirigeants apparents, c’est-à -dire ceux qui se comportent, à l’égard des tiers, comme s’ils avaient le pouvoir de disposer : a contrario, les personnes non visées par ces dispositions ne sont pas soumises à cette responsabilité personnelle.
Il se dégage encore de ces dispositions légales que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du § 109, paragraphe (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.
Le § 7, paragraphe (3) StAnpG, disposant par ailleurs « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will.
Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », de sorte que le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.
En cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du § 7 StAnpG qui dispose que ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d'imposition n'est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d'entre eux. En toute hypothèse, il appartient au bureau d'imposition de baser sa décision sur des circonstances particulières qui ont déterminé son choix.
Quant à l’exercice du pouvoir d’appréciation par l’administration, le § 2 StAnpG dispose « (1) Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-
Entscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessens-Entscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ». Ainsi, l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.
En l’espèce, le bureau d’imposition a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité d’administrateur de la société …, disposant du pouvoir d’engager la société sous la signature conjointe de celle de l’administrateur-délégué, tel que cela ressort de l’extrait du registre du commerce et des sociétés précité.
Comme cela ressort des pièces et éléments du dossier, le bureau d’imposition a non seulement émis un bulletin d’appel en garantie à l’encontre du demandeur, mais également à l’encontre des deux autres administrateurs de la société …, dont l’administrateur-délégué.
Au regard de ces considérations, le choix en tant que tel du bureau d’imposition de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur, choix contesté implicitement par le demandeur à travers son argumentation fondée sur un défaut de motivation, n’est pas sujet à critique.
Quant à l’existence d’un comportement fautif dans le chef du demandeur, le bureau d’imposition, confirmé sur ce point également par le directeur dans la décision sous examen, a décidé de mettre en œuvre la responsabilité personnelle du demandeur en sa qualité d’administrateur de la société …, disposant du pouvoir d’engager l’entreprise ensemble avec l’administrateur-délégué, le bureau d’imposition ayant retenu plus particulièrement à charge du demandeur que celui-ci, de même que les autres administrateurs de la société …, « ont prélevé la presque totalité des liquidités provenant de la vente des immeubles ayant appartenu à la société […] par leurs compte-courants actionnaires respectifs sans jamais les rembourser à la société ».
Le bureau d’imposition a encore relevé que « cette façon de procéder, à savoir le manque de liquidités provoqué par des prélèvements excessifs des actionnaires, avant même la liquidation en bonne et due forme de la société, et le défaut de paiement des montants dus à titre de l’impôt sur le revenu des collectivités, de l’impôt commercial communal et de l’impôt sur la fortune pour les années 2010 à 2014 d’un montant total de … euros, d’ailleurs dûment provisionnés, constituent manifestement une faute grave de [ses] obligations en tant que représentant légal de la société ».
Comme relevé ci-avant, le demandeur fait plaider en substance que ce serait à tort que le bureau d’imposition lui a reproché le prélèvement du produit de la vente des immeubles ayant appartenu à la société …, en soutenant que la quasi intégralité de ce produit aurait servi au remboursement d’un prêt hypothécaire auprès de la Banque … et que le solde du prix de vente aurait été affecté au remboursement d’autres dettes, sans que les administrateurs n’aient procédé à des prélèvements personnels.
A cet égard, force est au tribunal de constater qu’il ressort des pièces versées en cause, et plus particulièrement du décompte du notaire ayant procédé à la vente immobilière litigieuse du 19 mai 2010 qu’un montant de … € a été crédité à la Banque …, par un virement dont le donneur d’ordre était le notaire chargé de la vente du 12 mai 2010, par laquelle la société … a vendu un immeuble lui appartenant dans la commune de … pour un prix total de … €, ledit ordre de virement précisant comme communication : « REMB PRÊT HYPO SS COND mainlevée no … S.A. ». Il ressort du même décompte qu’un solde de … € a été crédité sur un compte bancaire auprès de la banque …, dont est, de manière non contesté, titulaire la société ….
Dans son jugement du 19 novembre 2014, précité, le tribunal administratif, confirmé par la Cour administrative dans un arrêt du 19 mars 2015, n° 35586C du rôle, a, sur base de ces pièces et par rapport à l’appel en garantie émis à l’égard de l’un des autres administrateurs, retenu qu’il ne ressortait d’aucune pièce et d’aucun élément du dossier, et qu’il n’était d’ailleurs de ce fait pas établi par l’Etat, que le solde du produit de cette vente ait été distribué d’une manière ou d’une autre à l’un des administrateurs de la société …, tel que cela est reproché par la partie étatique aux administrateurs, et que dès lors aucune faute caractérisée à charge du demandeur dans cette affaire ne ressortait des pièces et éléments soumis au tribunal, puisque la seule faute alléguée par l’Etat et soulevée à l’appui de la motivation de sa décision, à savoir le prélèvement personnel du produit de la vente d’un immeuble de la société … par le biais du compte-courant associé, n’avait pas été établie.
Le tribunal est amené à retenir qu’au regard de cette conclusion générale tirée par le tribunal et la Cour, la même conclusion s’impose dans la présente affaire, les reproches à l’égard du demandeur étant les mêmes que ceux soulevés contre l’autre administrateur dans cette affaire et leurs pouvoirs dans la société ayant été les mêmes. Il est vrai que dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a apporté à titre d’argumentation complémentaire afin de démontrer l’existence d’un comportement fautif dans le chef des administrateurs, dont plus particulièrement le demandeur, la considération que suite au transfert du solde du prix de vente d’un montant de … € sur le compte de la société … le 20 mai 2010, à peine cinq jours plus tard, il ne serait resté qu’un solde créditeur de … €, en renvoyant à un extrait bancaire, pour en déduire un prélèvement par les administrateurs. Le tribunal est cependant amené à retenir que cette seule considération est, au regard des explications concordantes fournies par le demandeur, appuyées par des pièces qui n’ont pas autrement été contestées par la partie étatique, insuffisante pour retenir un prélèvement de sommes appartenant à la société … par le demandeur, étant relevé que l’extrait bancaire produit par la partie étatique ne mentionne pas le ou les bénéficiaires des paiements et transferts y renseignés, de sorte que cet extrait à lui seul, s’il documente que le solde du produit de vente a été épuisé très rapidement, constat qui est d’ailleurs concordant avec les explications fournies par le demandeur, ne permet pas de retenir que ce dernier ait prélevé ces sommes.
Or, en l’espèce, au vu des documents soumis à l’appréciation du tribunal et de la solution dégagée par la Cour administrative dans l’arrêt précité du 19 mars 2015, le tribunal est amené à conclure que le comportement reproché au demandeur et sous-tendant la motivation de la décision déférée n’est pas de nature à justifier celle-ci.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des développements qui précèdent que le recours est fondé, de sorte qu’il y a lieu de réformer la décision directoriale sous examen.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond le déclare justifié, partant, par réformation de la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 30 juillet 2014, dit qu’il y a lieu de faire droit à la réclamation du demandeur tendant à voir annuler le bulletin d’appel en garantie émis par le bureau d’imposition en date du 18 avril 2014 à son encontre et annule le bulletin d’appel en garantie en question ;
condamne l’Etat aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 25 novembre 2015, par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 novembre 2015 Le greffier du tribunal administratif 13