Tribunal administratif N° 35378 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 octobre 2014 Ire chambre Audience publique du 11 novembre 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35378 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2014 par Maître Arnaud Ranzenberger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Gambie), demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 août 2014 portant refus de lui accorder un sursis à l’éloignement telle que confirmée par une décision du 27 août 2014 rendue sur recours gracieux ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sandrine Francis, en remplacement de Maître Arnaud Ranzenberger, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives.
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Le 25 janvier 2010, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection.
Par décision du 2 avril 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration refusa de faire droit à cette demande et ordonna à Monsieur … de quitter le territoire dans un délai d’un mois. Cette décision fut confirmée par un jugement du tribunal administratif du 23 septembre 2013, inscrit sous le numéro 32456 du rôle, et par un arrêt de la Cour administrative du 20 mars 2014, inscrit sous le numéro 33453 C du rôle.
Par courrier de son mandataire de l’époque, Monsieur … sollicita, en date du 2 avril 2014, un sursis à l’éloignement en raison de son état de santé et notamment en raison du fait qu’il souffrirait de la maladie du diabète type 2 sous traitement médicamenteux.
Le 5 août 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », rejeta la demande de sursis à l’éloignement introduite au nom et pour compte de Monsieur …, aux motifs suivants :
« (…) J’ai l’honneur de me référer à votre courrier du 2 avril 2014 dans lequel vous sollicitez un sursis à l'éloignement pour le compte de votre mandant.
La présente pour vous informer que le médecin délégué du Service Médical de l'Immigration de la Direction de la Santé a été saisi en date du 8 avril 2014 et suivant son avis du 1er août 2014, reçu le 5 août 2014 un sursis à l'éloignement conformément aux articles 130 et 132 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration est refusé à votre mandant.
En effet, il ressort du prédit avis, dont vous trouvez une copie en annexe, que « (…) Vu l’examen clinique réalisé le 1er août 2014 par le médecin délégué ; Considérant que les pathologies du domaine endocrinologique et cardiologique dont souffre Monsieur … peuvent être considérées comme mineures ; Considérant que la prise en charge de Monsieur … peut être réalisée dans le pays d’origine (…) l’état de santé de Monsieur … ne nécessite pas une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, par conséquent Monsieur … ne remplit pas les conditions médicales pour bénéficier d'un sursis à l'éloignement ». (…) ».
Suite à un courrier du 14 août 2014 par lequel le mandataire de l’époque a fait parvenir au ministre un nouveau certificat médical du docteur M. L. du 8 août 2014, le ministre confirma sa décision de refus de reconnaître à Monsieur … un sursis à l’éloignement en date du 27 août 2014, au motif que ledit certificat du 8 août 2014 n’apporterait pas d’élément nouveau.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 octobre 2014, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle précitée du 5 août 2014, telle qu’elle a été confirmée par la décision du 27 août 2014 rendue sur recours gracieux.
Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond à l’égard d’une décision rendue en matière de sursis à l’éloignement, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision litigieuse.
Le recours en annulation est recevable pour avoir par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours, et en fait, le demandeur expose que son état de santé serait extrêmement grave et l’absence de soins appropriés mettrait sans aucun doute ses jours en danger. Il explique qu’il souffrirait de pathologies diverses, telles que le diabète, l’hypercholestérolémie, l’hypertension artérielle et la rhinite allergique, pour lesquelles il n’aurait pas accès aux soins nécessaires en Gambie, son pays d’origine.
En droit, le demandeur fait d’abord valoir qu’il ne présenterait aucun danger pour l’ordre public luxembourgeois.
Il estime ensuite qu’un renvoi dans son pays d’origine aurait sans aucun doute des conséquences physiques graves, étant donné que le docteur M. L. aurait souligné dans son certificat du 21 août 2014 qu’il suivrait un traitement médical lourd nécessitant un suivi régulier en milieu médical adéquat, tout en mettant en avant que, pour garantir le pronostic vital, un traitement adéquat devrait être à tout moment disponible. En mars 2014, le même médecin aurait affirmé que les différentes pathologies seraient des facteurs de risques cardiovasculaires multiples.
Le demandeur fait finalement plaider qu’il ne saurait bénéficier d’un traitement médical approprié dans son pays d’origine, en invoquant à ce titre plusieurs publications internationales.
Ainsi, il résulterait d’un tableau réalisé par Perspective Monde que la densité de médecins en Gambie se situerait à 0.04 pour 1000 habitants. Cette densité étant de 1.1 médecin par 10.000 habitants pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’accès aux soins serait compliqué en raison du nombre peu élevé de médecins en Gambie.
De même l’OMS aurait souligné que le nombre de personnes diabétiques en Gambie serait en augmentation, alors que ce chiffre se serait élevé à vingt-deux mille personnes en l’an 2000 pour augmenter à plus de soixante-et-un mille personnes en 2030.
Un article publié sur le site d’informations Internet All Africa aurait relevé que le diabète deviendrait, jusqu’en 2020, une des causes les plus fréquentes de mortalité en Gambie, alors que les institutions médicales se concentreraient principalement sur les maladies infectieuses et n’auraient pas suffisamment de moyens pour traiter l’hypertension et le diabète.
Ces constatations seraient encore confirmées par un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés qui, sur base d’un exemple concret, aurait mis en avant qu’en mars 2014, même le plus grand hôpital à Bajul n’aurait pas été en mesure de distribuer de l’insuline dont le prix de la dose hebdomadaire s’élèverait 750 Dalasi pour un revenu journalier minimum de 50 Dalasi.
Le demandeur en conclut que l’accès aux soins nécessaires à son état de santé « relève[rait] du miracle », et toute interruption de son traitement médical lui serait fatale, de sorte que le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation, sinon un excès de pouvoir, sinon un détournement de pouvoir, sinon une violation de la loi destinée à protéger les intérêts privés.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour manquer de fondement.
Aux termes de l’article 130 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, dénommée ci-après « la loi du 29 août 2008 » : « Sous réserve qu’il ne constitue pas une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, l’étranger ne peut être éloigné du territoire s’il établit au moyen de certificats médicaux que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité, et s’il rapporte la preuve qu’il ne peut effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné ».
Il ressort de cette disposition que pour pouvoir bénéficier d’un sursis à l’éloignement, l’étranger qui ne doit pas présenter une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique, doit remplir deux conditions cumulatives, à savoir, en premier lieu, établir que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut entraînerait pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et, ensuite, qu’il ne peut effectivement pas bénéficier d’un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays vers lequel il est susceptible d’être éloigné.
Si le fait de ne pas constituer une menace pour l’ordre public n’est pas contesté en cause, il échet de rappeler que, quant à la maladie susceptible d’être prise en compte aux termes de l’article 130, précité, il convient de se référer aux travaux préparatoires ayant abouti à la loi du 29 août 20081 qui renseignent au sujet de l’article 131 que : « Les personnes ne résidant pas ou plus légalement sur le territoire ne peuvent être éloignées, malgré une décision d’éloignement à leur égard, si elles sont atteintes d’une maladie grave qui nécessite impérativement une prise en charge médicale dont elles ne pourront bénéficier dans le pays vers lequel elles sont susceptibles d’être éloignées. La maladie qui est prise en compte est celle qui, sans traitement ou soins médicaux, entraîne des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la personne concernée, notamment celle qui peut causer la mort de la personne, réduire son espérance de vie ou entraîner un handicap grave. La question de savoir s’il existe un traitement approprié et suffisamment accessible dans le pays d’origine devra s’analyser au cas par cas, en tenant compte de la situation individuelle du demandeur ».
Il convient par ailleurs de rappeler que, s’il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif2, respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue.
En l’espèce, force est de relever que le ministre a pris la décision déférée, ainsi que la décision confirmative sur base tant de l’avis du médecin délégué du 1er août 2014 que sur les deux certificats médicaux du docteur M. L. des 31 mars respectivement 21 août 2014 versés à l’appui du recours.
Or, force est de constater qu’aucun de ces deux certificats ne permet de conclure que l’état de santé du demandeur soit tel que, sans traitement, il risquerait des conséquences d’une exceptionnelle gravité. En effet, le certificat du 31 mars 2014 se limite à relever que les pathologies du demandeur constituent des « facteurs de risques cardiovasculaires multiples », sans autre précision, tandis que le certificat du 21 août 2014, s’il précise certes que « pour le pronostic vital, la garantie doit exister qu’un traitement adéquat est à tout moment disponible », il ne spécifie pas en quelle mesure le pronostic vital serait atteint, de sorte à ne pas permettre de conclure ipso facto que sans traitement, l’état de santé du demandeur risquerait d’entraîner pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité suivant la définition reprise ci-avant.
Il s’ensuit que le ministre a valablement pu suivre l’avis du médecin délégué en ce qu’il a retenu que les pathologies du demandeur ne rentrent pas dans les prévisions de l’article 130 de la loi du 29 août 2008, sans commettre une erreur manifeste d’appréciation, ni de détournement respectivement d’excès de pouvoir.
Le demandeur restant par ailleurs en défaut de préciser quelle serait la loi destinée à 1 doc. parl. n° 5802, p. 86, sous ad article 131 2 F. Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.
protéger les intérêts privés qui serait violée, le recours est à déclarer non fondé en son ensemble.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 11 novembre 2015 par le premier vice président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11/11/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 5