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10/11/2015 | LUXEMBOURG | N°34139

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 novembre 2015, 34139


Tribunal administratif N° 34139 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2014 3e chambre Audience publique du 10 novembre 2015 Recours formé par Monsieur …, … (France) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34139 du rôle et déposée le 3 mars 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Aziza Gomri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de

l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-…, tendant à l’ann...

Tribunal administratif N° 34139 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mars 2014 3e chambre Audience publique du 10 novembre 2015 Recours formé par Monsieur …, … (France) contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 34139 du rôle et déposée le 3 mars 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Aziza Gomri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à F-…, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 4 décembre 2013 portant rejet de sa réclamation du 11 juin 2010 introduite contre le bulletin d’appel en garantie émis par l’administration des Contributions directes, bureau d’imposition, Société Luxembourg 2, du 27 janvier 2010 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juin 2014 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2014 par Maître Aziza Gomri au nom et pour compte de Monsieur … ;

Vu l’avis du greffe du tribunal administratif du 10 juin 2015 portant fixation de délais pour le dépôt de mémoires supplémentaires ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juillet 2015 par Maître Aziza Gomri au nom et pour compte de Monsieur … ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Aziza Gomri et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 octobre 2015.

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Le 27 janvier 2010, le bureau d’imposition, Société Luxembourg 2 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur … un bulletin d’appel en garantie (Haftungsbescheid) en vertu du § 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégée « AO », en sa qualité d’administrateur-délégué de la société anonyme …, ci-après désignée par « la société …», ledit bulletin déclarant Monsieur … co-débiteur solidaire d’un montant total de … € en principal et intérêts au titre d’impôts des années 2002 à 2004 et 2009 incombant à la société …. Ledit bulletin est libellé comme suit :

« […] Il est dû à l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société anonyme … (…), immatriculée sous le dossier fiscal …, à titre des impôts spécifiés ci-après (I.R.C. =

impôt sur le revenu des collectivités ; R.R.C. = retenue d'impôt sur les revenus de capitaux ;

I.C.C. = impôt commercial communal ; I.F. = impôt sur la fortune) et des intérêts de retard y afférents (comptabilisés jusqu'à ce jour) :

Année 2001 I.R.C.

… euros principal Année 2001 I.R.C.

… euros intérêts Année 2001 R.R.C.

… euros principal Année 2001 R.R.C.

… euros intérêts Année 2001 I.C.C.

… euros principal Année 2001 I.C.C.

… euros intérêts Sous-total à reporter … euros Sous-total reporté … euros Année 2002 I.R.C.

… euros principal Année 2002 I.R.C.

… euros intérêts Année 2002 R.R.C.

… euros principal Année 2002 R.R.C.

… euros intérêts Année 2002 I.C.C.

… euros principal Année 2002 I.C.C.

… euros intérêts Année 2003 I.R.C.

… euros principal Année 2003 I.R.C.

… euros intérêts Année 2003 R.R.C.

… euros principal Année 2003 R.R.C.

… euros intérêts Année 2003 I.C.C.

… euros principal Année 2003 I.C.C.

… euros intérêts Année 2004 I.R.C.

… euros principal Année 2004 I.R.C.

… euros intérêts Année 2004 R.R.C.

… euros principal Année 2004 R.R.C.

… euros intérêts Année 2004 I.C.C.

… euros principal Année 2004 I.C.C.

… euros intérêts Année 2009 I.F.

… euros principal Total … euros Il résulte de la publication aux pages … du Mémorial C de l'année 2001 que vous avez été élu administrateur-délégué de la société anonyme … (…) à l'assemblée générale extraordinaire immédiatement subséquente à la constitution, le 2 février 2001, de cette collectivité. Vous avez été confirmé en tant que tel lors de l'assemblée générale ordinaire en date du 5 mars 2008 (publication à la page … du Mémorial C de l'année 2008). Durant toute l'existence de ladite entité juridique de droit luxembourgeois, et jusqu'à ce jour, vous avez donc été investi de la fonction d'administrateur-délégué au sein de son conseil d'administration (certes conjointement, à partir de l'assemblée générale ordinaire du 8 septembre 2003, avec le sieur … qui à cette occasion avait été désigné comme deuxième administrateur-délégué ; cf. page … du Mémorial C de l'année 2003).

En cette qualité d'administrateur-délégué (voire de premier administrateur-délégué), et pour avoir disposé du pouvoir d'engager la société anonyme … (…) aux moments des échéances respectives des impôts pré-énumérés, vous avez été en mesure et dans l'obligation d'entreprendre le nécessaire aux fins de régler les montants réclamés à l'organisme à caractère collectif en question.

Aperçu de divers éléments essentiels du dossier fiscal de la société anonyme … (…) et motivation inhérente à l'émission du présent bulletin d'appel en garantie (« Haftungsbescheid ») L'assiette de la s.a. … (…) pour les exercices 2001, 2002, 2003 et 2004 portait notamment, en sus des résultats courants déclarés, sur des distributions cachées de bénéfice (au sens de l'article 164, alinéa (3) de la loi concernant l'impôt sur le revenu / L.I.R.) à hauteur de … euros (= ….- Flux) pour l'année 2001, de … euros pour l'année 2002, de … euros pour l'année 2003 et de … euros pour l'année 2004.

Après observation de la procédure prévue par le paragraphe 205, alinéa (3) de la loi générale des impôts (AO) par le biais de courriers adressés à la s.a. … (…) le 17 juin 2009, les susvisés ajustements du revenu imposable I.R.C. et de la base d'assiette I.C.C. au titre de chacun des exercices 2001-2004 se trouvaient entérinés à travers la notification régulière, le 15 juillet 2009, de bulletins I.R.C. / I.C.C. rectificatifs conformément au paragraphe 222, alinéa (1), numéro 1 de la loi générale des impôts (AO), bulletins entretemps coulés en force de chose jugée à défaut d'avoir été valablement entrepris au contentieux endéans le délai légal prévu à cet effet, et ce compte tenu des constats et conclusions d'un rapport du Service de Police Judiciaire du Grand-Duché de Luxembourg (Section Entraide Judiciaire Internationale), réf. …, du 7 janvier 2009, lequel a été transmis le 19 mars 2009 à l'Administration des Contributions directes par les soins du Parquet du Tribunal d'Arrondissement de Luxembourg et en application du paragraphe 189 de la même loi générale des impôts (AO).

Abstraction faite d'une quote-part privée de 50 % prise en considération en rapport avec des notes de frais de voyages, de déplacements et de restaurants comptabilisées en 2004, les distributions cachées de bénéfices en cause, par ailleurs soumises à la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux (R.R.C.) au vœu de l'article 146, alinéa (1), numéro 1 et de l'article 148 de la loi concernant l'impôt sur le revenu (L.I.R.), étaient en relation avec une répétition, durant les années 2001-2004, de facturations off-shore sans la moindre réalité économique par le biais de … (Gibraltar), étant entendu que vous-même aviez figuré comme bénéficiaire économique aussi bien de cette dernière entité (dont vous étiez également le directeur) que de la s.a. … (…), cet état de fait se dégageant à suffisance de droit des termes du procès-verbal (« lu, approuvé et signé ») de votre audition du 2 mai 2008 (par deux agents du Service de Police Judiciaire).

Le rapport pré-évoqué du 7 janvier 2009 fait finalement état des conclusions suivantes :

« Il ressort clairement d'après les déclarations faites par …, ainsi que des documents en notre possession, que les prestations de services pour compte du « fournisseur … » sont des prestations fictives, donc sans réalité économique, comptabilisées afin de diminuer le résultat imposable de la société luxembourgeoise … SA.

La société … est une société de droit anglais qui a été créée dans le seul but de défiscaliser le chiffre d'affaires de la société … SA et n'avait pas d'autre utilité ou activité.

Les faits décrits ci-dessus sont susceptibles d'être qualifié(s) d'infractions :

 de faux et usage de faux en matière de bilans, escroquerie fiscale (art. 396, al. 5 Loi générale des impôts) sinon fraude fiscale intentionnelle (art. 396 (1) Loi générale des impôts),  d'abus de biens sociaux selon l'article 171-1 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales.

Ces faits devraient être dénoncés sur base de l'article 189 de l'AO à l'Administration des Contributions directes ainsi que l'Administration de l'Enregistrement et des Domaines pour que celles-ci puissent redresser la société … ou se porter partie civile. » Conformément aux termes du paragraphe 109, alinéa (1) de la loi générale des impôts (AO), un représentant légal d'une société, lorsque les droits du trésor ont été lésés, ne peut être tenu personnellement responsable que dans l'hypothèse vérifiée d'un agissement fautif (« schuldhafte Verletzung der … in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten ») dans son chef.

Eu égard à ce qui précède, force est de noter qu'il est établi, et même non contesté au vu de l'absence d'un quelconque recours contentieux valablement introduit à la suite de la notification, le 15 juillet 2009, des bulletins I.R.C., I.C.C. et R.R.C. susmentionnés, * que depuis la constitution de la s.a. … (…), vous avez assumé le rôle de représentant légal de cette collectivité ;

* que les déclarations fiscales déposées par la s.a. … (…) pour les exercices 2001-2004 ont dû être sujettes à des redressements substantiels en vertu du paragraphe 222, alinéa (1), numéro 1 de la loi générale des impôts (AO) ;

* qu'en tout état de cause, les ajouts ainsi opérés aux revenus imposables déclarés 2001-2004 de la s.a. … (…) se sont situés de loin au-delà des montants significatifs visés par le paragraphe 396, alinéa (5) de la loi générale des impôts (AO) ;

* qu'en votre qualité d'administrateur-délégué et de bénéficiaire économique de la s.a. … (…), vous avez activement contribué, par la voie des agissements esquissés ci-haut et avec la complicité de la Fiduciaire …, à réduire indûment et de façon considérable les bénéfices imposables véritablement réalisés par cet organisme géré par vos soins ;

* que partant, corroborée par une appréciation effective et explicite des circonstances particulières de l'espèce, la réalité en l'occurrence du caractère fautif de votre comportement personnel en tant que représentant légal de la s.a. … (…) ne saurait être utilement mise en doute (cf. par analogie le jugement du Tribunal Administratif du 12 novembre 2008, nos 24087 et 24088 du rôle, confirmé par l'arrêt de la Cour Administrative du 29 juillet 2009, no 25165C du rôle).

C'est ainsi que conformément aux dispositions combinées des paragraphes 103 et 109 de la loi générale des impôts (AO), vous avez été et vous restez personnellement tenu à l'accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société anonyme … (…), dont notamment le paiement des impôts dus par la société sur toile de fond d'un état déclaratif de ses revenus imposables non préalablement faussé par des facturations fictives et aucunement conformes aux faits réels.

Considérant qu'en vertu des paragraphes 103 et 109 de la loi générale des impôts (AO), vous étiez tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société anonyme … (…) ;

Considérant que l'inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive ;

Considérant que l'inexécution fautive de vos obligations, caractérisée par le refus à ce jour de verser les impôts réclamés à la société anonyme … (…) suite aux redressements fiscaux devenus inévitables en raison de vos agissements pré-qualifiés, à empêcher le receveur de l'Administration des contributions directes de percevoir les impôts pré-évoqués d'un montant total de … euros ;

Considérant que dans la mesure où, par la susdite inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception des prédits impôts légalement dus d'un montant de … euros, vous êtes constitué débiteur solidaire de ce montant conformément au paragraphe 109 de la loi générale des impôts (AO) ;

Considérant que le paragraphe 118 de la loi générale des impôts (AO) m'autorise à engager votre responsabilité ;

Considérant le fait qu'en votre qualité d'administrateur-délégué (conjointement à celle de bénéficiaire économique), il vous incombait et vous étiez en mesure de veiller à l'exécution du paiement des susmentionnées dettes fiscales de la société anonyme … (…) ;

j'engage votre seule responsabilité, de sorte que l'appel en garantie s'élève au montant de … euros. […] ».

Par un courrier de son mandataire du 11 juin 2010, Monsieur … fit introduire une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », contre le bulletin d’appel en garantie précité du 27 janvier 2010.

Par décision du 4 décembre 2013, le directeur reçut la réclamation en la forme et la rejeta comme non fondée. Cette décision est libellée comme suit :

« […] Vu la réclamation introduite le 11 juin 2010 par Me Aziza GOMRI, au nom du sieur …, F-…, contre le bulletin émis en vertu du § 118 de la loi générale des impôts (AO) par le bureau d'imposition Sociétés Luxembourg 2 en date du 27 janvier 2010 ;

Vu le dossier fiscal ;

Vu le § 119 alinéa 1er AO, ensemble les §§ 228 et 301 AO ;

Quant à la recevabilité Considérant que le délai de recours contre la décision litigieuse est de trois mois et court à partir de la notification, qui en l'espèce a été accomplie le 12 mars 2010, comme cela résulte de l'acte de signification effectué par Me Michel GARCIA, huissier de justice, F-78005 Versailles, à la requête du Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, conformément à la directive 2008/55/CE et au règlement no 1179/2008 du 28 novembre 2008 ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§238AO) dans les forme (§249AO) et délai (§245AO) de la loi ; qu'elle est partant recevable ;

Quant au fond Considérant que le bureau d'imposition, après avoir constaté que le réclamant était tenu en sa qualité d'administrateur-délégué de la société anonyme …, actuellement en faillite, de payer sur les fonds administrés les impôts dont la société était redevable et qu'il avait négligé de remplir les obligations qui lui incombait à cet égard aux termes du § 103 AO, l'a déclaré responsable du non-paiement de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal, de la retenue sur les revenus de capitaux ainsi que de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2001, 2002, 2003, 2004 et 2009 au montant total en principal et intérêts de … euros; qu'à cet égard l'omission de verser les sommes échues serait à considérer comme faute grave au sens du § 109 AO ;

Considérant que le réclamant conteste tout comportement fautif dans son chef, notamment qu'il y ait eu distribution cachée de bénéfice ;

Considérant que le représentant est responsable du paiement des dettes d'impôt de la personne morale qu'il représente dans les conditions prévues aux §§ 103 et 109 AO ;

qu'aux termes du § 103 AO il est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société, notamment de remettre les déclarations fiscales dans les délais légaux et de payer sur les fonds qu'il gère les impôts dont la société est redevable ( CE 20.10.1981 no 6902 ) ;

que dans la mesure où l'administrateur-délégué par l'inexécution fautive de ces obligations a empêché la perception de l'impôt légalement dû, il est, en principe constitué co-débiteur solidaire des arriérés d'impôt de la société, conformément au § 109 AO ;

que la responsabilité de l'administrateur-délégué est à qualifier de fautive du moment que les impôts échus, même avant son entrée en fonction, ne sont pas payés sur les fonds disponibles de la société à l'administration ;

Considérant que sa responsabilité, pour les actes par lui accomplis pendant la période de ses fonctions, survit à l'extinction de son pouvoir de représentation (§110 AO) ;

Considérant que sous l'empire du § 118 AO la poursuite du tiers responsable, à la différence de l'imposition du contribuable, est toujours discrétionnaire et exige de ce fait, en vertu du § 2 de la loi d'adaptation fiscale (StAnpG), une appréciation effective et explicite des circonstances qui justifient la décision en raison et en équité (BFH 19 février 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; jurisprudence constante pour RTS, notamment BFH 24 novembre 1961, BStBI.

1962.37; 3 février 1981, BStBI. 1981 II 493; cf. Becker-Riewald-Koch §2 StAnpG Anm. 5 Abs. 3);

que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire implique une motivation quant au principe-même de la mise en œuvre de la responsabilité d'un ou de plusieurs représentants, quant à la désignation du représentant dont la responsabilité est engagée et quant au quantum de sa responsabilité ;

Considérant qu'un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO dans le chef du représentant d'une société n'est pas suffisant pour engager sa responsabilité en application du § 109 alinéa 1 AO et pour voir émettre à son encontre un bulletin d'appel en garantie, le législateur ayant posé à cet égard l'exigence supplémentaire d'une inexécution fautive - « schuldhafte Verletzung » - des obligations du représentant de la société envers le fisc (CA du 22.02.2000, no 11694C) ;

Considérant qu'en l'espèce l'auteur de la décision a révélé les circonstances particulières susceptibles de justifier sa décision de poursuivre le réclamant et de mettre à sa charge l'intégralité des arriérés de la société au titre de l'impôt sur le revenu des collectivités, de l'impôt commercial communal, de la retenue sur les revenus de capitaux et de l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2001, 2002, 2003, 2004 et 2009 ;

qu'il développe clairement les raisons qui l'ont conduit à engager la responsabilité de l'administrateur-délégué, pour les années d'imposition litigieuses ;

Considérant qu'il se dégage d'une publication au Registre de Commerce et des Sociétés de l'année 2001, pages 36056-36059, que lors de l'assemblée générale extraordinaire du 2 février 2001, le réclamant a été nommé administrateur-délégué de la société …, sans qu'une démission n'ait été publiée par la suite ;

Qu'il résulte encore d'une publication au même Registre de l'année 2008, page 61738, que lors de l'assemblée générale ordinaire du 5 mars 2008, le réclamant a été confirmé dans sa fonction d'administrateur-délégué de ladite société ;

Considérant que l'auteur de la décision a également motivé sa décision en ce qui concerne le montant pour lequel la responsabilité du réclamant est engagée en vue des éléments qui précèdent ;

Considérant en effet qu'il ressort du dossier fiscal que, pour les années fiscales 2001, 2002, 2003 et 2004, l'assiette de la société anonyme … portait, entre autre, en sus des résultats courants déclarés, sur des distributions cachées de bénéfice, à hauteur de … euros pour 2001, de … euros pour 2002, de … euros pour 2003 et de … euros pour 2004 ;

Que lesdites distributions cachées de bénéfice, soumises à la retenue d'impôt sur les revenus de capitaux, sont en relation avec de multiples facturations off-shore sans aucune réalité économique, effectuées pendant les années 2001 à 2004 par l'intermédiaire de la société … (Gibraltar), dont le réclamant est, comme pour la société en cause, le bénéficiaire économique et le représentant légal, comme cela résulte d'ailleurs du procès-verbal établi par les agents de la Police Judiciaire en date du 2 mai 2008 ;

Considérant que par ces agissements le réclamant a donc sciemment omis de verser l'impôt sur le revenu des collectivités, l'impôt commercial communal, la retenue sur les revenus de capitaux et l'impôt sur la fortune dus par la société pour les années 2001, 2002, 2003, 2004 et 2009 au montant total en principal et intérêts de … euros et que partant il a empêché la perception de l'impôt légalement dû ;

Considérant qu'il s'ensuit que la responsabilité du réclamant en tant qu'administrateur-délégué de la société anonyme … est incontestablement établie et la mise à charge de l'intégralité des arriérés de la société au titre des impôts ci-avant énumérés est justifiée ;

Considérant par ailleurs, que de même qu'en matière de responsabilité du fait personnel (art.1382 du code civil), l'auteur du dommage ne peut pas s'exonérer en invoquant une prétendue faute d'un tiers, lequel n'entrera en ligne de compte qu'au stade du recours entre les coresponsables, le gérant responsable sur le fondement du § 109 AO ne peut s'opposer à une poursuite au motif qu'elle n'a pas été engagée contre l'autre ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme ;

la rejette comme non fondée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à l’annulation, sinon subsidiairement à la réformation de la décision précitée du directeur du 4 décembre 2013.

Conformément aux dispositions du § 119 AO, les personnes à l’encontre desquelles un bulletin d’appel en garantie a été émis bénéficient des mêmes voies de recours que celles ouvertes aux contribuables. Or, conformément aux dispositions combinées du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3) 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation contre un bulletin de l’impôt sur le revenu des collectivités, un bulletin de l’impôt commercial communal, ou encore un bulletin de l’impôt sur la fortune.

Il s’ensuit que le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours principal en annulation introduit par Monsieur ….

Il est en revanche compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que le directeur aurait manqué à son obligation d’apprécier effectivement et explicitement les circonstances susceptibles de fonder une mise en œuvre de sa responsabilité. En effet, la poursuite du tiers responsable ne serait pas de droit, mais résulterait d’une décision discrétionnaire du bureau d’imposition pour autant que celui-ci opère une appréciation effective et explicite des circonstances susceptibles, en raison et en équité, de fonder sa décision. Ainsi, il aurait appartenu au directeur d’expliciter dans la décision déférée les circonstances particulières ainsi que les raisons qui l’ont conduit à mettre en œuvre sa responsabilité. Or, la décision litigieuse se contenterait de renvoyer aux dispositions légales applicables en la matière et se limiterait à constater son manquement à des obligations fiscales sans pour autant qualifier un quelconque comportement fautif dans son chef tenant à des circonstances particulières de l’espèce.

S’il admet que l’administrateur d’une société anonyme est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à cette dernière et de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable, il soutient qu’il n’en demeurerait pas moins que le dirigeant d’une société ne pourrait être tenu personnellement responsable du non-paiement de ces impôts que dans les conditions prévues à l’article 109 et 103 AO. Cependant, le directeur aurait omis de se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles de justifier son degré fautif en tant que mandataire social de la société ….

Parallèlement, le directeur aurait omis de justifier son choix de le poursuivre, plutôt qu’un autre administrateur de la société ….

Sur base de ces considérations, le demandeur conclut à l’annulation de la décision déférée pour erreur de droit.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen afférent.

Force est de prime abord au tribunal de conclure que le moyen préexposé du demandeur vise en substance la motivation de la décision directoriale déférée en ce sens que celle-ci serait inexistante, voire insuffisante.

Or, à cet égard, force est de constater d’une manière générale que ni le § 228 AO, ni les §§ 299 et suivants AO, auxquels renvoie le § 228 AO, ni les dispositions générales relatives au régime des décisions (« Verfügungen ») contenues aux §§ 91 à 96 AO, ne prévoient une obligation générale, sous peine d’annulation, de motivation expresse d’une décision du directeur.1 Plus particulièrement, en ce qui concerne la présente matière, le tribunal est encore amené à retenir qui ni le § 2 ni le § 7 de la loi modifiée d’adaptation fiscale du 16 octobre 1934, appelée « Steueranpassungsgesetz », ci-après désignée par « StAnpG », ne contiennent une obligation de motivation dans le chef du bureau d’imposition ou encore du directeur, le premier prévoyant certes qu’une motivation spécifique doit sous-tendre la décision en question, sans toutefois imposer que celle-ci doit obligatoirement être indiquée dans cette décision.

Dès lors, l’obligation de motivation ne se conçoit en la présente matière qu’à travers le principe général du droit du respect des droits de la défense en ce sens que le contribuable doit être en mesure de connaître la motivation d’une décision au plus tard au cours de la procédure contentieuse devant les juridictions administratives afin de pouvoir utilement préparer sa défense.

Cependant, en l’espèce, force est au tribunal de constater que le bulletin d’appel en garantie du 27 janvier 2010, auquel renvoie le directeur dans sa décision du 4 décembre 2013, motive de façon exhaustive son choix de mettre en œuvre la responsabilité du demandeur, qu’il caractérise de manière détaillée l’inexécution fautive reprochée au demandeur et qu’il spécifie par ailleurs les montants réclamés. En outre, la motivation sous-tendant la décision directoriale déférée a été complétée par le délégué du gouvernement au cours de la présente instance contentieuse, de sorte que le tribunal est amené à retenir que le reproche d’un défaut de motivation respectivement d’une motivation insuffisante n’est pas fondé en l’espèce.

1 voir par analogie TA 15 novembre 2007, n°22500 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n°2010, c.CA 20 mars 2008, n°23789C du rôle et des références y citées Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.

Quant au fond, le demandeur conteste tout comportement fautif dans son chef. Il serait en effet constant en cause qu’il aurait non seulement toujours veillé à ce que les déclarations pour l’impôt de la société … soient établies de manière exacte et transmises aux autorités compétentes, mais aussi que les impôts redus seraient payés. La société … se serait d’ailleurs toujours acquittée, depuis sa constitution, des impôts dus au titre de son activité. Le demandeur en conclut qu’il n’aurait pas manqué à ses obligations fiscales découlant de sa fonction d’administrateur.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen.

Aux termes du § 103 AO, « Die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen und solcher Personen, die geschäftsunfähig oder in der Geschäftsfähigkeit beschränkt sind, haben alle Pflichten zu erfüllen, die denen Personen, die sie vertreten, obliegen ; insbesondere haben sie dafür zu sorgen, dass die Steuern aus den Mitteln die sie verwalten, entrichtet werden. Für Zwangsgeldstrafen und Sicherungsgelder die gegen sie erkannt, und für Kosten von Zwangsmitteln, die gegen sie festgesetzt werden, haften neben ihnen die von ihnen vertretenen Personen. » Dès lors, le représentant d’une société commerciale est tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société et notamment celle de payer sur les fonds qu’il gère les impôts dont la société est redevable.

Quant à la mise en œuvre de la responsabilité personnelle du représentant d’une personne morale du fait du non-paiement des impôts dont est redevable cette personne morale, il y a lieu de se référer plus particulièrement aux dispositions du § 109 AO, qui dispose dans son alinéa (1) : « Die Vertreter und die übrigen in den §§ 103 bis 108 bezeichneten Personen haften insoweit persönlich neben dem Steuerpflichtigen, als durch schuldhafte Verletzung der ihnen in den §§ 103 bis 108 auferlegten Pflichten Steueransprüche verkürzt oder Erstattung oder Vergütung zu Unrecht gewährt worden sind. » Ces dispositions légales mettent ainsi une obligation personnelle à charge des représentants légaux de la société, en ce compris, conformément au § 108 AO, les dirigeants de fait ou dirigeants apparents, c’est-à-dire ceux qui se comportent, à l’égard des tiers, comme s’ils avaient le pouvoir de disposer : a contrario, les personnes non visées par ces dispositions ne sont pas soumises à cette responsabilité personnelle.

Il se dégage encore de ces dispositions légales que le simple constat d’un manquement à une obligation fiscale découlant du § 103 AO précité n’est pas suffisant pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’une société en application du § 109, paragraphe (1) AO et pour voir émettre à leur encontre un bulletin d’appel en garantie, le législateur ayant en effet posé à cet égard l’exigence supplémentaire d’une inexécution fautive (« schuldhafte Verletzung ») des obligations du représentant de la société envers l’administration fiscale.

Le § 7, paragraphe (3) StAnpG, disposant par ailleurs « Jeder Gesamtschuldner schuldet die ganze Leistung. Dem Finanzamt steht es frei an welchen Gesamtschuldner es sich halten will. Es kann die geschuldete Leistung von jedem Gesamtschuldner ganz oder zu einem Teil fordern », de sorte que le pouvoir du bureau d’imposition d’engager une poursuite contre un tiers responsable, et, plus particulièrement, contre le représentant d’une société, ne relève pas d’une compétence liée, mais constitue un pouvoir d’appréciation dans son chef et ce à un double titre, d’abord en ce qui concerne l’appréciation du degré fautif du comportement de la personne visée, et, ensuite, en ce qui concerne le choix du ou des codébiteurs contre lesquels l’émission d’un bulletin d’appel en garantie est décidée, chaque fois compte tenu des circonstances particulières de l’espèce.

En cas de pluralité de responsables, la possibilité de poursuivre simultanément tous les responsables résulte implicitement du § 7 StAnpG qui dispose que ceux qui sont poursuivis en qualité de responsables sont tenus solidairement. Le bureau d'imposition n'est par contre pas obligé de poursuivre tous les co-responsables et peut limiter son recours contre un ou plusieurs d'entre eux. En toute hypothèse, il appartient au bureau d'imposition de baser sa décision sur des circonstances particulières qui ont déterminé son choix.

Quant à l’exercice du pouvoir d’appréciation par l’administration, le § 2 StAnpG dispose « (1) Entscheidungen, die die Behörden nach ihrem Ermessen zu treffen haben (Ermessens-Entscheidungen), müssen sich in den Grenzen halten, die das Gesetz dem Ermessen zieht. (2) Innerhalb dieser Grenzen sind Ermessens-Entscheidungen nach Billigkeit und Zweckmässigkeit zu treffen ». Ainsi, l’administration investie d’un pouvoir d’appréciation doit procéder selon des considérations d’équité et d’opportunité et partant se livrer à une appréciation effective et explicite des circonstances particulières susceptibles en raison et en équité de fonder sa décision.

En l’espèce, force est à cet égard au tribunal de constater que la décision déférée se base sur un rapport de la police grand-ducale, Service de police judiciaire, Section entraide judiciaire internationale du 7 janvier 2009, adressé au Parquet auprès du tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg qui retient qu’à travers un groupe de sociétés desquelles le demandeur a été le bénéficiaire économique, ce dernier a orchestré une structure d’évasion fiscale basée sur des factures fictives.

Or, le comportement intentionnel et délibéré d’un administrateur visant à occulter la réalité économique aux yeux de l’administration des contributions directes doit être considéré comme fautif au sens du §109 AO, la dissimulation de faits pertinents ou la déclaration de faits inexacts constituent en effet une « schuldhafte Verletzung ».2 Dans la mesure où le demandeur se limite à contester vaguement tout comportement fautif dans son chef au cours de la présente instance, sans apporter des éléments de preuve que les conclusions du rapport de police précité ne correspondent pas à la réalité des faits, le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Finalement, le demandeur présente plusieurs moyens visant la légalité de l’émission des bulletins rectificatifs émis sur base du § 222 AO.

Cependant, force est au tribunal de conclure, de concert avec la partie étatique, que dans le cadre de la présente instance le demandeur ne saurait remettre en cause la légalité, respectivement le bien-fondé, de ces bulletins rectificatifs dans la mesure où, à défaut d’avoir fait l’objet d’un recours contentieux devant les juridictions de l’ordre administratif, elles ont acquis autorité de chose décidée.

2 Voir TA 19 avril 2010, n°25874 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Impôts, n°358 Partant, les moyens visant les bulletins rectificatifs précités sont à rejeter pour ne pas être pertinents dans le cadre de la présente instance.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens, que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en annulation ;

reçoit le recours subsidiaire en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non fondé partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Thessy Kuborn, premier juge, et lu à l’audience publique du 10 novembre 2015, par le vice-président, en présence du greffier Goreti Pinto.

s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 novembre 2015 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 34139
Date de la décision : 10/11/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-11-10;34139 ?

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