Tribunal administratif N° 35607 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 décembre 2014 2e chambre Audience publique du 29 octobre 2015 Recours formé par Monsieur ….., …., contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35607 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2014 par Maître Nour E. Hellal, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ….., déclarant être né le …. à ….
(Tunisie) et être de nationalité tunisienne, retenu au Centre de rétention au Findel au moment du dépôt du recours, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 octobre 2014 portant interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 février 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine Konsbruck en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 octobre 2015.
Au cours de l’année 2010, Monsieur ….. sollicita une autorisation de séjour en vue d’un regroupement familial avec une ressortissante luxembourgeoise dénommée ….. par l’intermédiaire de l’ambassade de Belgique à Tunis, demande qui fut rejetée par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 13 août 2010 au motif qu’il ne serait ni le conjoint, ni le partenaire de cette dernière.
En date du 24 octobre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, désigné ci-après par « le ministre », fut informé par le Procureur d’Etat que Monsieur ….. avait été mis en liberté après une détention préventive.
Le même jour, le ministre prit un arrêté de retour sans délai et de refus d’entrée sur le territoire de 3 ans, ainsi qu’un arrêté ordonnant le placement en rétention de Monsieur ….., le premier arrêté étant motivé comme suit :
« Vu les articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un passeport en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;
Attendu que l’intéressé n’est ni en possession d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois ni d’une autorisation de travail ;
Que par conséquent il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ; (…) » L’arrêté portant interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 3 ans fut notifié à Monsieur ….. le 24 octobre 2014.
Par arrêté 18 novembre 2014, le ministre décida de proroger pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question la mesure de placement en rétention de Monsieur …… Le recours introduit contre la prédite décision de prorogation de son placement en rétention fut définitivement rejeté par un arrêt du 23 décembre 2014 de la Cour administrative, inscrit sous le numéro 35606C du rôle.
Par courrier du 24 novembre 2014, Monsieur ….. sollicita, par le biais de son litismandataire, du ministre d’envisager une solution prenant en compte le fait qu’il serait le père d’une fille de nationalité luxembourgeoise nommée …. , née le …..
Cette demande, qualifiée par le ministre de demande tendant notamment à la levée de l’interdiction d’entrée sur le territoire susmentionnée, fut rejeté par le ministre par une décision du 4 décembre 2014.
Par requête déposée le 17 décembre 2014 au greffe du tribunal administratif, Monsieur ….. a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, auquel le tribunal est seul tenu, à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 24 octobre 2014, en ce qu’elle lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de 3 ans.
Etant donné que la décision déférée du 24 octobre 2014 est basé sur l'article 112 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », qui renvoie, quant aux voies de recours applicables aux décisions de retour du ministre assorties d’une interdiction d’entrer sur le territoire, à l’article 113 de la même loi qui prévoit un recours en annulation, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en annulation qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir qu’il aurait fait l’objet d’une détention préventive pour avoir été arrêté en possession d’une carte d’identité falsifiée, document qu’il se serait procuré pour pouvoir travailler au Luxembourg et y percevoir une rémunération, afin de pouvoir rester auprès de son enfant qui y vivrait avec sa mère. Jusqu’en 2007, le demandeur aurait bénéficié d’une autorisation de séjour en France pour avoir été marié avec une ressortissante française, titre auquel il aurait cependant renoncé, suite à son divorce, pour pouvoir entamer, en 2007, les démarches administratives au Luxembourg afin d’y rejoindre la mère de son enfant. Suite à une mésentente avec sa belle-famille, cette procédure aurait été arrêtée à l’initiative de la mère de son enfant qui lui refuserait par ailleurs tout contact avec ce dernier, l’obligeant à saisir le tribunal des tutelles pour solliciter « (…) la mise en commun de l’institution de l’autorité parentale, [ainsi qu’] un droit de visite et d’hébergement (…) » et dont la prochaine audience aurait été fixée au 25 mars 2015.
En droit, le demandeur invoque en premier lieu un moyen relatif à la légalité externe de la décision déférée en faisant état d’un défaut de motivation de cette dernière. En effet, le demandeur critique le ministre de ne pas avoir examiné sa situation individuelle et familiale.
Le délégué du gouvernement affirme que la décision déférée serait motivée tant en fait qu’en droit.
En ce qui concerne l’indication de la motivation à la base d’une décision administrative, le tribunal précise que s’il est vrai qu’en vertu de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux, seules les décisions visées à l’alinéa 2 de cet article doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Or, le cas d’espèce ne tombe dans aucune des hypothèses ainsi énumérées, de sorte qu’une violation de l’article 6 alinéa 2 précité ne saurait être retenue. En ce qui concerne l’exigence imposée par l’article 112 de la loi du 29 août 2008 en vertu duquel le ministre doit prendre en considération les circonstances propres à chaque cas d’espèce, force est au tribunal de constater que le prédit article ne comporte pas d’obligation formelle d’indication des motifs à la base d’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire, mais porte sur l’obligation ministérielle d’analyser la situation concrète de la personne devant faire l’objet d’une telle mesure. Il s’ensuit que le moyen sous examen doit être rejeté pour ne pas être fondé, étant encore relevé à titre superfétatoire qu’en ce qui concerne l’indication des motifs se trouvant à la base de la décision sous examen, celle-ci énumère, suivant le libellé de la décision ci-avant citée in extenso, un certain nombre de motifs tant en fait qu’en droit sur lesquels le ministre s’est basé en prenant la décision litigieuse – la partie étatique ayant complétée ladite motivation en cours d’instance en détaillant la situation familiale du demandeur – de sorte que le reproche tiré d’un défaut d’indication de motifs doit être rejeté.
Quant au fond, le demandeur conclut tout d’abord à l’annulation de la décision déférée du 24 octobre 2014 sur le fondement de l’article 112 de la loi du 29 août 2008 au motif qu’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans ne pourrait être prononcée à son égard que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Il conteste à ce sujet se trouver dans une situation de violation de l’ordre public.
La partie étatique n’a pas pris position par rapport à ce moyen d’annulation.
En vertu de l’article 112 (1) de la loi du 29 août 2008 : « (1) Les décisions de retour peuvent être assorties d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée maximale de cinq ans prononcée soit simultanément à la décision de retour, soit par décision séparée postérieure.
Le ministre prend en considération les circonstances propres à chaque cas. Le délai de l’interdiction d’entrée sur le territoire peut être supérieur à cinq ans si l’étranger constitue une menace grave pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. » Force est au tribunal de constater que le moyen tiré d’une violation de l’article 112 (1) de la loi du 29 août 2008, en ce que le demandeur ne constituerait pas une menace pour l’ordre public, est à rejeter en l’espèce, étant donné que la prise en considération de raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, en matière d’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois est limitée aux seuls cas où le ministre souhaite prononcer une telle mesure pour une durée supérieure à cinq ans, hypothèse non vérifiée en l’espèce, dans la mesure où le demandeur n’a fait l’objet que d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de trois ans.
Le demandeur estime encore que la décision ministérielle déférée du 24 octobre 2014 serait illégale et serait une mesure disproportionnée pour contrevenir à des normes hiérarchiquement supérieures à la loi du 29 août 2008 articulées autour du respect du droit à une vie privée et familiale et des droits de l’enfant, à savoir l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), ainsi que l’article 3.1. de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), consacrant l’intérêt supérieur de l’enfant, dans la mesure où celle-ci l’empêcherait de connaître et d’entretenir une relation familiale avec son enfant. Le demandeur invoque finalement une violation des articles 12 et 14 de la CEDH.
C’est, tout d’abord, à juste titre que la partie étatique conclut au rejet des moyens fondés sur les articles 12 et 14 de la CEDH – l’article 12 consacrant le droit au mariage et l’article 14 prohibant la discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus dans la CEDH fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation – étant donné que le demandeur se limite, d’une part, à citer les prédits articles sans fournir un quelconque développement factuel, voire juridique y relatif, de sorte que ces moyens doivent être considérés comme ayant été simplement suggérés sans voir été effectivement soutenus, étant encore précisé qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence du demandeur et d’instruire lui-même le dossier et, d’autre part, à faire état de sa volonté de nouer un contact avec son enfant et non pas avec la mère de ce dernier, de sorte que l’article 12 de la CEDH n’est pas applicable en l’espèce, le tribunal ne décelant, par ailleurs, aucune discrimination fondée sur un des critères de l’article 14 de la CEDH en ce qui concerne l’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois litigieuse.
En ce qui concerne le moyen fondé sur les articles 8 de la CEDH et 3.1. de la CIDE, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de cette première disposition « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-
être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » et qu’aux termes du prédit article 3.1. de la CIDE « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. ».
L’article 8 de la CEDH est applicable en cas d’une décision ministérielle prononçant une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une certaine durée dans la mesure où même si le ministre dispose en vertu des dispositions nationales de la faculté d’interdire à une personne de séjourner pendant une certaine durée sur le territoire national, et s’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la CEDH ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la CEDH.
Dans ce contexte, il convient encore de relever, d’une part, que l’étendue de l’obligation des Etats contractants d’admettre des non-nationaux sur leur territoire dépend de la situation concrète des intéressés mise en balance avec le droit des Etats de contrôler l’immigration, et, d’autre part, que l’article 8 de la CEDH ne confère pas directement aux étrangers un droit de séjour dans un pays précis, mais que, pour pouvoir utilement invoquer ladite disposition, il faut que le demandeur puisse faire état de l’existence d’une vie privée et familiale effective et stable que la décision ministérielle d’interdiction d’entrée sur le territoire perturberait de façon disproportionnée.
Force est au tribunal de constater que le demandeur se limite à invoquer sa volonté d’établir une vie familiale au Luxembourg avec son enfant, en mettant en avant la procédure pendante devant le tribunal de la jeunesse et des tutelles en vue de « (…) la mise en commun de l’institution de l’autorité parentale, [ainsi que de l’attribution d’]un droit de visite et d’hébergement ». Le tribunal de céans doit cependant constater que le demandeur ne peut pas valablement faire valoir la moindre vie familiale préexistante avec son enfant âgée de plus de 7 ans au moment de la prise de la décision déférée litigieuse, étant donné qu’il se dégage du dossier administratif, et plus particulièrement, d’une part, d’un courrier de la mère de l’enfant du demandeur du 29 octobre 2007 que ce dernier aurait été violent et menaçant à son égard, Madame Zinelli implorant les autorités administratives luxembourgeoises d’empêcher le demandeur de venir au Luxembourg, et, d’autre part, de l’arrêt précité de la Cour administrative du 23 décembre 2014, inscrit sous le numéro 35606C du rôle, que le tribunal de la jeunesse et des tutelles de Luxembourg, par jugement du 8 octobre 2014, a déjà décidé qu’il n’y avait pas lieu d’accorder pour le moment à Monsieur ….. un droit de visite à l’égard de son enfant Zahra, tout en fixant l’affaire pour continuation des débats à l’audience du 25 mars 2015.
Il suit partant de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’au regard de l’absence de preuves d’une vie familiale réelle et effective sur le territoire luxembourgeois au jour de la prise de la décision déférée, le ministre a valablement pu interdire au demandeur l’entrée au Luxembourg pour une durée de trois ans, sans violer les dispositions précitées de la CEDH, respectivement de la CIDE.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre l’arrêté du 24 octobre 2014 portant interdiction d’entrer sur le territoire luxembourgeois pour une durée de trois ans ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par :
Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique du 29 octobre 2015 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.
s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29.10.2015 Le greffier du tribunal administratif 6