Tribunal administratif N° 35174 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 septembre 2014 1re chambre Audience publique du 28 octobre 2015 Recours formé par les époux …et …, …, contre deux décisions du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en matière de police des étrangers
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Vu la requête inscrite sous le numéro 35174 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 11 septembre 2014 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …. (Tunisie), de nationalité italienne, et de son épouse Madame …, née le … (Italie), de nationalité italienne, demeurant ensemble à L-…, tendant à l’annulation de deux décisions du ministre de l'Immigration et de l'Asile du 5 août 2014 leur ayant retiré le droit de séjour et leur ayant ordonné de quitter le territoire endéans un mois ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 novembre 2014 ;
Vu le mémoire en réplique du 29 décembre 2014 déposé au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI au nom des demandeurs ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 janvier 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 octobre 2015.
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Monsieur …, né le … (Tunisie), de nationalité italienne, introduisit en date du 1er juillet 2011 une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en qualité de travailleur salarié auprès de l’administration communale de la Ville de Luxembourg.
Par courrier du 8 juin 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration informa Monsieur … qu’il envisageait de révoquer son droit de séjour en application de l’article 24 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-
après dénommée la « loi du 29 août 2008 », aux motifs qu’il ne remplissait pas les conditions prévues par l’article 6 (1) point 1. de la loi du 29 août 2008 et qu’il pouvait être considéré comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale, alors qu’il touchait le revenu minimum garanti (RMG) depuis décembre 2011 et il invita Monsieur … à présenter ses observations y relativement.
Monsieur … s’étant prévalu le 20 juin 2012 d’un contrat de travail à durée indéterminée et ayant présenté le 29 juin 2012 un courrier de l’Agence pour le développement de l’Emploi (ADEM) selon lequel il serait inscrit en tant que demandeur d’emploi, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration a suspendu par courrier du 1er mars 2013 la procédure de retrait du droit de séjour jusqu’au mois d’avril 2013.
Par courrier du 5 juillet 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration l’informa que la procédure de retrait de son droit de séjour est arrêtée.
Monsieur … ayant introduit en date du 26 novembre 2013 une demande d’attestation de séjour permanent d’un citoyen de l’Union auprès de l’administration communale de Wiltz, celle-
ci fut refusée par le ministre de l’Immigration et de l’Asile entretemps en charge du dossier, ci-
après désignée par « le ministre ».
Par courrier du 11 février 2014, le ministre informa Monsieur … qu’il envisageait de révoquer son droit de séjour en application des articles 24 (2) et 25 (1) de la loi du 29 août 2008, aux motifs qu’il ne remplissait pas les conditions prévues par l’article 6 (1) point 1. de la loi du 29 août 2008 et qu’il pouvait être considéré comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale et il invita Monsieur … à présenter ses observations y relativement, ledit courrier étant libellé comme suit :
«Par la présente, je me permets de revenir au dossier sous rubrique.
Je constate que l’attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union n° 0001 11 03018 vous a été délivrée en date du 01 juillet 2011 en qualité de travailleur salarié par l’administration communale de la Ville de Luxembourg.
Une vérification a cependant donné que vous ne remplissez plus les conditions prévues par l’article 6, paragraphe (1), point 1 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration étant donné que votre dernier jour de travail effectif a été le 05 avril 2013 et que vous ne conservez pas votre statut de travailleur aux termes de l’article 7 de la même loi.
En outre, vous êtes bénéficiaire du revenu minimum garanti depuis le 1er décembre 2011, de sorte que vous pouvez être considéré comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale aux termes de l’article 24, paragraphe (4) de la même loi.
Ainsi, vous avez perçu jusqu’ici des prestations sociales non contributives de la part du Fonds national de solidarité à hauteur de 48.477,87 euros.
Par voie de conséquence, j’envisage dès lors de retirer votre droit de séjour conformément aux articles 24, paragraphe (2) et 25, paragraphe (1) de la même loi.
Conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, je vous saurais gré dès lors de me communiquer vos observations et toutes pièces à l’appui jugées utiles endéans un délai d’un mois après la notification de la présente.
Au cas où vous ne présenteriez pas d’observations dans le délai indiqué ou bien des observations estimées non pertinentes, je me verrai obligé de procéder au retrait de votre droit de séjour sans autre formalité.
[…] ».
Par décision du 27 février 2014, le ministre refusa à Monsieur … sa demande d’attestation de séjour permanent d’un citoyen de l’Union.
Monsieur … fit parvenir en date du 13 février 2014 au ministre une décision de l’ADEM, Service des Salariés Handicapés, du 18 mars 2013 lui reconnaissant la qualité de salarié handicapé, ainsi qu’une attestation du 11 avril 2013 attestant qu’il serait inscrit en tant que demandeur d’emploi auprès du Service des Salariés Handicapés. Il se prévalut encore le 4 mars 2014, de deux contrats de mission, le premier contrat conclu pour la période du 27 et 28 février 2014 et le deuxième pour la journée du 3 mars 2014.
Par courrier de l’Association de Soutien aux Travailleurs Immigrés du 5 mars 2014, Monsieur … fit introduire un « recours gracieux » dans lequel il exposa souffrir de « problèmes de santé qui lui ont causé des difficultés au travail », tout en rappelant que la commission médicale lui aurait reconnu la qualité de travailleur handicapé en date du 13 mars 2013 et qu’il serait inscrit en tant que demandeur d’emploi auprès du Service des Salariés Handicapés, de sorte à être disponible sur le marché du travail et à démontrer une réelle volonté de travailler et joint à ce courrier un nouveau contrat de mission pour la période du 5 au 6 mars 2014.
En date du 5 août 2014, le ministre prit la décision de retrait annoncée, libellée comme suit :
« Par la présente, je me permets de revenir au dossier sous rubrique et notamment à mon courrier du 11 février 2014 ainsi qu’aux missives nous parvenues de votre part les 13 février, 4 mars et 6 mars 2014.
Après vérification, il s’avère cependant que votre situation reste inchangée et que vous ne remplissez toujours pas les conditions prévues par l’article 6, paragraphe (1), point 1 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
En effet, votre salaire déclaré pour les mois de février et mars 2014 s’élève à 101,27 euros respectivement à 151,90 euros pour trois jours de travail, ce qui laisse conclure que votre activité professionnelle est à considérer comme une activité purement marginale et accessoire.
Finalement, vous êtes bénéficiaire du revenu minimum garanti ainsi que du revenu pour personnes gravement handicapées depuis le 1er décembre 2011 respectivement depuis le 1er juin 2013, de sorte que vous pouvez être considéré comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale aux termes de l’article 24, paragraphe (4) de la même loi. Ainsi, vous avez perçu des prestations sociales non contributives de la part du Fonds national de solidarité à hauteur de 64.968,15 euros.
Conformément aux articles 24, paragraphe (2) et 25, paragraphe (1) de la même loi votre droit de séjour est retiré et vous êtes obligé de quitter le territoire dans un délai d’un mois vers le pays dont vous avez la nationalité, l’Italie, ou vers tout autre pays où vous avez le droit à la libre circulation.
[…] ».
Quant à son épouse, Madame …, née le 11 février 1971 à Milan (Italie), de nationalité italienne, elle introduisit en date du 21 juin 2012 une déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union européenne en qualité de membre de famille auprès de l’administration communale de Wiltz.
En date du 11 février 2014, le ministre informa Madame … qu’il envisageait de révoquer son droit de séjour en application des articles 24 (2) et 25 (1) de la loi du 29 août 2008, aux motifs que son époux ne remplissait pas les conditions prévues par l’article 6 de la loi du 29 août 2008 et qu’elle pouvait être considérée comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale et il invita Madame … à présenter ses observations y relativement, ledit courrier étant libellé comme suit :
« Par la présente, je me permets de revenir au dossier sous rubrique.
Je constate que l’attestation d’enregistrement d’un citoyen de l’Union n° 0911 12 00095 vous a été délivrée en date du 21 juin 2012 en qualité de membre de famille par l’administration communale de Wiltz.
Une vérification a cependant donné que votre époux ne remplit pas les conditions prévues par l’article 6 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration étant donné qu’il ne dispose pas de ressources suffisantes pour lui-même et les membres de sa famille afin d’éviter de devenir une charge pour le système d’assistance sociales.
En effet, je constate que depuis le mois de décembre 2011 votre ménage est bénéficiaire du revenu minimum garanti de sorte que vous êtes à considérer comme une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale.
Par voie de conséquence, j’envisage dès lors de retirer votre droit de séjour conformément aux articles 24, paragraphe (2) et 25, paragraphe (1) de la même loi.
Conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, je vous saurais gré dès lors de me communiquer vos observations et toutes pièces à l’appui jugées utiles endéans un délai d’un mois après la notification de la présente.
Au cas où vous ne présenteriez pas d’observations dans le délai indiqué ou bien des observations estimées non pertinentes, je me verrai obligé de procéder au retrait de votre droit de séjour sans autre formalité.
[…] ».
Le même jour que la décision de révocation de son époux, à savoir le 5 août 2014, le ministre prit encore une décision de retrait à l’encontre de Madame …, libellée comme suit :
« Par la présente, je me permets de revenir au dossier sous rubrique.
Je constate que votre époux, le citoyen de l’Union que vous avez rejoint en tant que membre de la famille en date du 21 juin 2012, ne remplit plus les conditions prévues par l’article 6, paragraphe (1), point 1 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. De même, il ne remplit aucune autre condition prévue pour un séjour de plus de trois mois par l’article 6 de la même loi.
En outre, votre ménage est bénéficiaire du revenu minimum garanti depuis le 1er décembre 2011, de sorte que vous pouvez être considéré comme étant une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale aux termes de l’article 24, paragraphe (4) de la loi précitée.
Conformément aux articles 24, paragraphe (2) et 25, paragraphe (1) de la même loi votre droit de séjour est retiré et vous êtes obligée de quitter le territoire dans un délai d’un mois vers le pays dont vous avez la nationalité, l’Italie, ou vers tout autre pays où vous avez le droit à la libre circulation.
[…] » Le 3 septembre 2014, Monsieur … fit parvenir au ministre un contrat de travail à durée déterminée pour la période du 1er août 2014 au 8 août 2014.
Le ministre confirma ses décisions en date du 16 septembre 2014 dans les termes suivants :
« Par la présente, j’ai l’honneur de revenir au dossier sous rubrique et plus précisément à votre courrier nous parvenu le 3 septembre 2014.
Après réexamen du dossier, je suis au regret de vous informer que je maintiens ma décision du 5 août 2014 en absence d’éléments pertinents nouveaux. En effet, j’estime que le contrat de travail à durée déterminée à raison de 5 heures par semaine peut être considéré comme représentant une activité marginale et accessoire ne vous permettant pas de remplir les conditions prévues par l’article 6, de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.
[…] » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 septembre 2014, inscrite sous le numéro 35174 du rôle, Monsieur … et son épouse Madame … ont introduit un recours en annulation contre les décisions ministérielles initiales de retrait du 5 août 2014.
Dans la mesure où ni la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de refus respectivement retrait de séjour, seul un recours en annulation a pu être valablement introduit, ledit recours en annulation étant par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, Monsieur … expose qu’il serait arrivé au Luxembourg le 20 juin 2011 et qu’il aurait exercé une activité salariée sur le territoire luxembourgeois en tant que ressortissant d’un Etat membre de l’Union européenne dès le lendemain. Il considère que son activité salariale ne saurait être considérée comme marginale et renvoie au certificat d’affiliation émis par le Centre Commun de la Sécurité Sociale. Il aurait donc dès son arrivée rempli les conditions pour être qualifié de travailleur salarié et aurait eu une activité correspondant à celle énumérée à l’article 3 de la loi du 29 août 2008 sous son point d).
S’il est certes vrai que son activité salariée se serait fortement réduite depuis l’année 2012, ce serait uniquement en raison de ses problèmes de santé, ces derniers l’ayant finalement amené à déposer une demande en reconnaissance du statut de salarié handicapé en date du 14 décembre 2012. Cette qualité lui aurait par ailleurs été reconnue et une incapacité de travail d’au moins 30% aurait été reconnue en son chef.
Il reproche au ministre de ne pas avoir dégagé des faits d’espèce la conséquence légale selon laquelle sa situation devrait être regardée comme entrant dans les prévisions de l’article 10, paragraphe 1er, de la loi du 29 août 2008 et plus spécifiquement sous le point 2, selon lequel un droit de séjour permanent au Luxembourg pourrait être reconnu avant l’écoulement d’une période de séjour ininterrompue de cinq ans si les périodes d’absence de travail sont indépendantes de la volonté du demandeur pour cause de maladie et d’accident et que ces périodes sont à considérer comme accomplies au Luxembourg, tout en indiquant que ces conditions seraient indépendantes d’une condition de ressources suffisantes dans le chef du ressortissant de l’Union européenne afin de ne pas devenir une charge déraisonnable pour le système d’assurance maladie. Il considère ensuite qu’il remplirait les conditions de l’article 6 de la loi du 29 août 2008 puisqu’il exercerait en tant que travailleur une activité salariée ou une activité indépendante.
Enfin, il soulève que la décision de retrait serait contraire aux dispositions de l’article 24, point 3 et 29 de la loi du 29 août 2008 dans la mesure où le ministre n’aurait pas respecté l’esprit des prédites dispositions alors qu’il aurait depuis plusieurs années construit un projet de vie au Luxembourg et qu’un retour en Italie serait de nature à lui causer un préjudice puisque son suivi médical serait assuré au Luxembourg.
Madame …, pour sa part, relève que puisque son époux remplirait les conditions visées au point 1 du paragraphe 1er de l’article 6 de la loi du 29 août 2008, à savoir qu’il serait à qualifier de travailleur salarié, une absence de revenus suffisants ne saurait lui être reprochée, ni le fait qu’elle constituerait une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale.
Finalement, les demandeurs reprochent au ministre un excès de pouvoir puisque les décisions de retrait déférées seraient manifestement disproportionnées dans la mesure où leur situation serait la conséquence d’un handicap et que Monsieur … serait inscrit en tant que demandeur d’emploi auprès de l’ADEM, ce qui démontrerait sa volonté de s’adonner à une activité physique compatible avec son état de santé, de sorte qu’il aurait appartenu au ministre de rechercher un juste équilibre entre, d’une part, leur droit à la libre circulation dans l’espace communautaire et, d’autre part, les impératifs liés à la règlementation de l’immigration.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que les décisions portant retrait du droit de séjour seraient justifiées en fait et en droit, de sorte que les demandeurs seraient à débouter de leur recours.
Force est au tribunal de constater que les demandeurs, après avoir relaté les rétroactes et les faits gisant à la base de leur recours, centrent leur recours principalement autour de l’handicap de Monsieur …, lequel constituerait un obstacle à sa reprise du travail.
Il convient de constater que la décision déférée vise notamment pour base légale l’article 25 de la loi du 29 août 2008 précitée, pris en son premier alinéa, qui précise que, « (1) En cas de non-respect des conditions visées à l’article 24, paragraphes (1) et (2) ou en cas d’a bus de droit ou de fraude, le citoyen de l’Union et les membres de sa famille peuvent faire l’objet d’une décision de refus de séjour, d’un refus de délivrance ou de renouvellement d’une carte de séjour ou d’un retrait de celle-ci et, le cas échéant d’une décision d’éloignement », l’article 24 précisant pour sa part que « Le citoyen de l’Union et les membres de sa famille ont un droit de séjour tel que prévu aux articles 5 et 13 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale. (2) Ils ont un droit de séjour d’une durée supérieure à trois mois tant qu’ils remplissent les conditions prévues aux articles 6, paragraphe (1) et 7 ou aux articles 14 et 16 à 18 », c’est-à-dire tant qu’ils remplissent les conditions initiales spécifiques les ayant autorisés à séjourner sur le territoire.
Enfin, l’article 6 de la loi du 29 août 2008 dispose en ses paragraphes 1er et second :
« (1) Le citoyen de l’Union a le droit de séjourner sur le territoire pour une durée de plus de trois mois s’il satisfait à l’une des conditions suivantes :
1) il exerce en tant que travailleur une activité salariée ou une activité indépendante ;
2) il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés à l’article 12, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale, ainsi que d’une assurance maladie ; (…) ».
Il convient ensuite de rappeler à cet égard qu’il est de principe que la légalité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en annulation, en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, puisque le juge, lorsqu’il contrôle les décisions de l’administration, doit se placer au même moment et il ne peut tenir compte des circonstances de droit ou de fait postérieures à l’acte attaqué, puisque dans le contentieux de l’annulation, il ne peut pas substituer son appréciation à celle de l’autorité administrative1. La légalité d’un acte administratif se trouve donc en principe cristallisée au moment où cet acte est pris et le juge se place exactement dans les mêmes conditions où se trouvait l’administration2 :
c’est la logique du procès fait à un acte.
Aussi, la vérification de la matérialité des faits s’effectue, en principe, d’après les pièces et éléments du dossier administratif3 - ce dernier comprenant non seulement les documents administratifs, mais encore les renseignements fournis par l’administré, ses explications, tantôt appuyées de preuves diverses, tantôt non contestées par l’administration4 - respectivement en fonction des éléments dont l’autorité a connaissance ou aurait dû avoir connaissance au moment où elle statue : en revanche il ne saurait être reproché à l’autorité administrative de ne pas avoir tenu compte d’éléments qui ne lui ont pas été présentés en temps utile5.
Quant à la décision ayant trait à la révocation du droit de séjour de Monsieur … et plus précisément quant aux développements du demandeur selon lesquels il devrait pouvoir bénéficier d’un droit de séjour permanent aux termes de l’article 10 de la loi du 29 août 2008 lequel dispose que « Par dérogation à l’article 9, paragraphe (1), ont un droit de séjour permanent au Luxembourg avant l’écoulement d’une période de séjour ininterrompu de cinq ans : […] 2. Le travailleur salarié ou indépendant qui cesse son activité à la suite d’une incapacité permanente de travail, s’il séjourne au pays sans interruption depuis plus de deux ans ;[…] », force est tout d’abord au tribunal de constater que la demande d’attestation d’un séjour permanent d’un citoyen de l’Union de Monsieur … du 26 novembre 2013 a donné lieu à une décision de refus de la part du ministre en date du 27 février 2014. Or, étant donné que cette 1 Conseil du Contentieux des étrangers belge, 28 mai 2010, n° 44.164.
2 Jean-Marie Auby et Roland Drago, Traité des recours en matière administrative, Litec, 1992, n° 205.
3 Fernand Schockweiler, Le contentieux administratif et la procédure administrative non contentieuse en droit luxembourgeois, 1996, n° 276.
4 Alex Bonn, L’examen du fait par le Conseil d’Etat, étude de jurisprudence luxembourgeoise, Le Conseil d’Etat du Grand-Duché de Luxembourg, livre jubilaire, p.552.
5 Voir trib. adm. 11 juin 2012, n° 29126, www.ja.etat.lu.
décision aurait pu faire l’objet d’une voie de recours spécifique en temps utile, ce qui n’appert en l’état actuel du dossier pas avoir été fait, cette décision de refus d’attestation d’un séjour permanent du 27 février 2014 a acquis autorité de chose décidée. Dans la mesure où le ministre a dans sa décision du 5 août 2014, seule décision déférée par le demandeur dans le présent recours, spécifiquement visé l’attestation du demandeur en qualité de travailleur salarié, pour ensuite conclure qu’il ne remplirait plus les conditions inscrites à l’article 6 (1) 1. de la loi du 29 août 2008, en ce qu’il ne serait plus à qualifier de travailleur salarié, il y a lieu de retenir que l’objet de la décision litigieuse et partant l’objet du présent recours sont limités à la révocation du droit de séjour de Monsieur … en sa qualité de travailleur salarié conformément à l’article 6 (1) 1. de la loi du 29 août 2008. Le tribunal n’est dès lors pas saisi de la question du séjour permanent dont le demandeur serait éventuellement susceptible de bénéficier sur le fondement de l’article 10 de la loi du 29 août 2008, cette demande ayant en effet fait l’objet d’une décision de refus d’attestation d’un séjour permanent en date du 27 février 2014 ayant acquis autorité de chose décidée, de sorte que les développements concernant un tel refus auraient dû être présentés par le demandeur dans le cadre d’un recours contre la décision du 27 février 2014, le tribunal ne pouvant pas les prendre en compte dans le cadre du présent recours, puisque le demandeur n’est pas habilité à déférer au tribunal par voie incidente une décision coulée en autorité de chose décidée.
Le demandeur tombe par contre dans le champ d’application de l’article 6 (1) 1. précité de la loi du 29 août 2008, article qui fixe les conditions à remplir par tous les citoyens de l’Union européenne qui ne disposent pas d’un droit de séjour permanent et qui souhaitent séjourner pendant plus de trois mois au Luxembourg. Comme retenu ci-avant, ledit article prévoit notamment comme condition que le citoyen de l’Union européenne exerce effectivement une activité salariée dans le cadre d’un contrat de travail.
Comme relevé ci-dessus le demandeur se prévaut actuellement essentiellement de son statut de salarié handicapé : toutefois contrairement aux développements du demandeur, celui-ci ne saurait être considéré comme travailleur salarié du seul fait qu’il aurait été empêché de travailler pour des raisons extérieures à sa volonté et qu’il désirerait retrouver du travail ou que celui-ci bénéficierait de la qualité de salarié handicapé, le statut de travailleur salarié se définissant en effet, conformément à l’article 6 (1), point 1, de la loi du 29 août 2008 précitée, par le fait que l’étranger concerné « exerce en tant que travailleur une activité salariée », tandis que l’article 3 de la loi du 29 août 2008 définit le travailleur sous son point d) comme étant « toute personne exerçant des activités salariées ou indépendantes réelles et effectives, à l’exclusion d’activités tellement réduites qu’elles se présentent comme purement marginales et accessoires, sont assimilés aux travailleurs, pour l’application de la présente loi, les apprentis et les stagiaires rémunérés », l’activité salariée étant encore définie sous le point e) du même article comme étant « toute activité économique rémunérée exercée pour le compte d’une autre personne et sous la direction de celle-ci », de sorte à exiger un exercice effectif d’une activité salariée - même réduite en fonction de l’incapacité permanente partielle ou adaptée à l’handicap du salarié - dans le cadre d’un contrat de travail, et non pas une qualité virtuelle ou potestative.6 Si la loi du 29 août 2008 prévoit certes, notamment en son article 7, différents cas de figure dans lesquels un citoyen de l’Union européenne peut conserver la qualité de travailleur salarié après avoir exercé une activité salariée ou indépendante sur le territoire, notamment lorsqu’il est frappé par une incapacité de travail temporaire résultant d’une maladie, force est toutefois de constater que le demandeur ne prétend pas au bénéfice d’une telle exception, son litismandataire n’ayant formulé aucun moyen afférent : or il n’appartient pas au tribunal de 6 Voir, trib. adm. 26 juin 2014, n°33163, www.ja.etat.lu suppléer à la carence de la partie demanderesse et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de ses conclusions.
Or, en l’espèce, il résulte de la fiche signalétique du demandeur qu’il n’a travaillé que quelques 68 jours depuis sa déclaration d’enregistrement d’un citoyen de l’Union Européenne en qualité de travailleur salarié en date du 1er juillet 2011, de sorte que son activité peut être considérée comme purement marginale et accessoire et a fortiori, le demandeur ne saurait être qualifié de travailleur salarié à la date de la prise de la décision litigieuse.
Quant à la mise en balance des montants des salaires et pensions touchés, d’un côté, et les montants provenant de l’assistance sociale versée, de l’autre, mise en balance requise le cas échéant en présence du moyen du demandeur déniant en substance le fait qu’il constituerait une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale, il convient de prime abord de relever que la disposition légale afférente découle de l’article 1 b) de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, lequel soumet le droit de tout citoyen de l’Union de séjourner sur le territoire d’un autre Etat membre pour une durée de plus de trois mois notamment à la condition qu’il dispose, pour lui et pour les membres de sa famille, de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil au cours de son séjour, et d’une assurance maladie complète dans l’Etat membre d’accueil, disposition qui a été transposée en droit luxembourgeois par l’article 6 (1) de la loi du 29 août 2008, le but de la disposition étant en effet précisément « d’éviter que les personnes exerçant leur droit de séjour ne deviennent une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’Etat membre d’accueil pendant une première période de séjour7 ».
S’il résulte à ce sujet de la décision ministérielle litigieuse que le demandeur a touché des prestations sociales non contributives de la part du Fonds national de solidarité à hauteur de 64.968,15 euros, montant non contesté par le demandeur, il ne résulte pas de ses développements quel montant représenterait de son côté sa contribution à la société, le demandeur n’indiquant pas quel montant global il aurait touché pour ses 68 jours d’activité salariée, ni, dans quelle mesure un tel montant contrebalancerait les sommes importantes perçues au titre du système d’assistance sociale.
Il s’ensuit que le demandeur, en l’état actuel d’instruction de son dossier, ne saurait en tout état de cause remettre en cause le constat du ministre, d’une part, qu’il ne remplit pas les conditions prévues par l’article 6, paragraphe (1), point 1 de la loi modifiée du 29 août 2008, en ce sens qu’il n’est pas à considérer comme travailleur salarié et, d’autre part, qu’il constitue une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée à l’encontre de Monsieur ….
S’agissant de la décision ayant trait à la révocation du droit de séjour de Madame …, le tribunal est amené à relever que l’article 14 (1) de la loi du 29 août 2008 dispose que « (…) Les membres de la famille définis à l’article 12 qui sont eux-mêmes citoyens de l’Union, bénéficient d’un droit de séjour tel que prévu à l’article 6, s’ils accompagnent ou rejoignent 7 Considérant 10, directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004.
un citoyen de l’Union. Ce droit de séjour s’étend également aux membres de la famille qui sont des ressortissants de pays tiers s’ils accompagnent ou rejoignent un citoyen de l’Union, qui lui-même satisfait aux conditions énoncées à l’article 6, paragraphe (1), points 1 ou 2 .
(…) ». Il s’ensuit que les membres de la famille du citoyen de l’Union européenne qui ont eux-
mêmes la qualité de citoyen de l’Union européenne bénéficient d’un droit de séjour de plus de trois mois s’ils accompagnent ou rejoignent un citoyen de l’Union euopéenne, étant précisé que la notion de « membre de la famille » englobe, aux termes de l’article 12 a) de la loi du 28 août 2008, le conjoint, tel que c’est le cas de Madame …, épouse de Monsieur … au moment de la prise de la décision déférée.
En l’espèce, Madame … disposait ainsi d’un droit de séjour d’une durée supérieure à trois mois pour avoir, en tant qu’épouse d’un citoyen de l’Union européenne ayant elle-même la qualité de citoyen de l’Union, en sa qualité de ressortissante italienne, rejoint son époux sur le territoire luxembourgeois le 21 juin 2012.
Or, dans la mesure où le droit de séjour de Madame … ne constitue qu’un droit dérivé de celui de son époux et que le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a révoqué le droit de séjour de Monsieur … en qualité de travailleur salarié, il a également valablement pu révoquer le droit de séjour de l’épouse de Monsieur …, à savoir Madame ….
Au regard de ces éléments, le ministre pouvait à bon droit, sans commettre un quelconque excès de pouvoir, retenir que les demandeurs ne disposent pas de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale, les demandeurs ayant vécu durant la plus grande partie de leur séjour au Luxembourg et jusqu’à la prise de la décision litigieuse du système d’assistance sociale luxembourgeois, étant précisé que le bien-fondé de cette conclusion du ministre n’a pas autrement été remis en cause par les demandeurs, ceux-ci fondant leur argumentation essentiellement sur l’affirmation que Monsieur … aurait conservé la qualité de travailleur salarié.
En ce qui concerne les développements du demandeur selon lesquels la décision ministérielle litigieuse devrait être annulée pour excès de pouvoir dans la mesure où les décisions seraient disproportionnées, le demandeur estimant avoir démontré sa volonté de travailler et bénéficiant du statut de salarié handicapé de sorte que le ministre aurait dû mettre en balance, d’une part, leur droit à la libre circulation dans l’espace communautaire et, d’autre part, les impératifs liés à la règlementation de l’immigration, ces développements sont à rejeter dans leur intégralité étant donné que le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre leur a retiré leur droit de séjour auquel ils auraient pu prétendre en tant que citoyens de l’Union européenne. En effet s’agissant du moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité, le tribunal est amené à relever que, saisi d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée. Le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation.
Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité.8 En l’espèce, il est constant en cause, d’une part, que le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration avait une première fois envisagé de révoquer le droit de séjour de Monsieur … tel qu’indiqué dans son courrier 8 juin 2012. Suite aux courriers du demandeur des 20 juin et 29 juin 2012, le ministre compétent a néanmoins d’abord suspendu et ensuite arrêté la procédure de retrait du droit de séjour en prenant en compte les nouveaux éléments lui transmis. Le ministre a ensuite indiqué en date du 11 février 2014 avoir de nouveau l’intention de révoquer le droit de séjour en invitant l’intéressé à faire part de ses observations. En connaissance de son état de santé, le ministre a ensuite pris la décision de retrait du 5 août 2014 en indiquant que malgré son « revenu pour personnes gravement handicapées », il n’exercerait qu’« une activité marginale et accessoire » et suite à la communication de pièces supplémentaires il a pris à nouveau une décision en date du 16 septembre 2014, tout en indiquant qu’« après réexamen du dossier » et en l’absence d’éléments nouveaux, il maintenait sa décision du 5 août 2014. Dans ces circonstances, il ne saurait être reproché au ministre de ne pas avoir tenu compte de la situation concrète et évolutive du demandeur. Dans la mesure où il ressort des développements qui précèdent qu’au jour de la prise de la décision litigieuse, Monsieur …ne remplissait pas les conditions objectives auxquelles l’article 6 (1) 1. de la loi du 29 août 2008 soumet le droit pour un citoyen de l’Union européenne de séjourner sur le territoire luxembourgeois pour une durée supérieure à trois mois en qualité de travailleur salarié, le tribunal est amené à retenir que le ministre a pu retirer le droit de séjour du demandeur en qualité de travailleur salarié sans violer le principe de proportionnalité. La même solution est à retenir en ce qui concerne le retrait du droit de séjour de la demanderesse en sa qualité de membre de famille d’un citoyen de l’Union européenne.
Au vu de tout ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 28 octobre 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.
8 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2012, V° Recours en annulation, n° 34 et les autres références y citées.
Hoffmann Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 28 octobre 2015 Le greffier du tribunal administratif 12