Tribunal administratif N° 34767a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 26 juin 2014 3e chambre Audience publique du 21 octobre 2015 Recours formé par le …, en présence de Monsieur …, … (Allemagne) contre une décision de la commission spéciale des pensions du secteur communal en matière d’aptitude professionnelle et de mise à la retraite
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JUGEMENT
Revu la requête inscrite sous le numéro 34767 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2014 par Maître Jean Tonnar, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom du … , représentée par son Président actuellement en fonctions, Monsieur …, établi à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du 11 avril 2014 de la commission spéciale des pensions du secteur communal ayant déclaré Monsieur …, chauffeur d’autobus, hors d’état d’exercer ses fonctions d’origine, mais l’ayant déclaré propre à exercer une autre fonction correspondant à ses capacités au sein de son administration ;
Vu le jugement du tribunal administratif du 16 juin 2015, n° 34767 du rôle ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jean Tonnar en sa plaidoirie à l’audience publique du 7 octobre 2015.
En date du 15 janvier 2013, le bureau du …, ci-après désigné par « le … », saisit, en application de l’article 49, paragraphe 3, de la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux, ci-après désignée par « la loi du 24 décembre 1985 », la commission spéciale des pensions instituée par l’article 54bis de la même loi, ci-
après désignée par « la commission spéciale », du cas de Monsieur ….
Par décision du 11 avril 2014, la commission spéciale retint ce qui suit : « que … […] est hors d'état d'exercer ses fonctions d'origine, mais le déclare propre à exercer une autre fonction correspondant à ses capacités au sein de son administration ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juin 2014, le … fit introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision de la commission spéciale du 11 avril 2014.
Par un jugement du 16 juin 2015, le tribunal administratif se déclara compétent pour connaître du recours principal en réformation, le déclara recevable en la forma, dit qu’il n’y pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation et ordonna, avant tout autre progrès en cause, à la partie étatique de déposer le dossier administratif complet, comprenant plus particulièrement le rapport médical du 2 décembre 2012, le rapport médical du 2 décembre 2013 et la décision intermédiaire du 24 mai 2013 de la commission spéciale auxquels la décision de la commission spéciale déférée se réfère.
A cet égard, le tribunal relève de prime abord que même si l’article 54quinquies, dernier alinéa, de la loi du 24 décembre 1985, sur base duquel le tribunal administratif a retenu sa compétence pour connaître du recours principal en réformation, a été abrogé entretemps par l’article 93, 3° de la loi du 25 mars 2015 instituant un régime de pension spécial transitoire pour les fonctionnaires de l’Etat et des communes ainsi que pour les agents de la Société nationale des Chemins de Fer luxembourgeois, ci-après désignée par « la loi du 25 mars 2015 », entrée en vigueur le 1er octobre 2015, la compétence du tribunal reste régie par l’article 54quinquies précité, en vigueur au moment où la décision entreprise a été prise, étant donné qu’une disposition légale qui crée et organise des voies de recours contre une décision constitue une qualité inhérente à la décision elle-même et l’existence de cette voie de recours est régie, en l’absence de mesure transitoire, par la loi sous l’empire de laquelle a été rendue la décision attaquée.1 A l’appui de son recours, la partie demanderesse expose que Monsieur … est entré à son service le 1er septembre 2005 en tant que chauffeur d’autobus et résume pour le surplus la procédure ayant abouti à la décision déférée.
En droit, elle invoque une violation de l’article 49 (3) et du chapitre 14bis de la loi du 24 décembre 1985 et reproche à la commission spéciale des pensions de ne pas avoir retenu que Monsieur … est encore apte à occuper son poste d’origine, conformément à l’option lui laissée par l’article 54septies de la loi du 24 décembre 1985. Elle soutient que la commission spéciale aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en retenant que Monsieur … est hors d’état d’exercer ses fonctions d’origine et en le déclarant apte à exercer une autre fonction correspondant à ses capacités au sein de son administration, en faisant valoir que les médecins commis auraient seulement constaté que celui-ci se trouve dans une situation psychique fragile, sans pour autant expliquer en quoi les symptômes présentés par lui ne lui permettraient pas d’exercer ses fonctions de chauffeur de bus. Les médecins se contenteraient en effet d’indiquer, dans leur rapport du 23 avril 2013, que Monsieur … aurait un air triste et présenterait des signes d’anxiété et de sociophobie. Or, les problèmes d’ordre médical tels que décrits dans ledit rapport médical ne seraient pas suffisamment précis et ne permettraient pas de retenir une infirmité mettant Monsieur … hors d’état d’exercer ses fonctions d’origine.
A titre subsidiaire, la partie requérante demande la nomination d’un expert médical afin d’examiner si Monsieur … est sujet à des infirmités respectivement pathologies le mettant hors d’état d’exercer ses fonctions en qualité de chauffeur de bus.
A titre liminaire, le tribunal relève que la circonstance que l’Etat, dont émane la décision litigieuse puisqu’aucune disposition légale n’accorde à la commission spéciale des pension une personnalité juridique autonome, n’a pas déposé de mémoire dans la présente affaire pour défendre la décision déférée, n’implique pas ipso facto que le tribunal doit réformer celle-ci dans le sens voulu par la partie demanderesse, mais il lui appartient d’examiner la situation de fait et de droit au regard des disposition légales applicables en la présente matière.
1 Cf. Jurisclasseur procédure civile, fasc. 61, n+ 72 ; R.T.D.C. 1976, p. 182, Trib. adm. 7 mars 2005, n° 18553, Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n° 46 Force est de constater que la décision litigieuse est fondée sur un rapport du 2 décembre 2012 des Dr … et … et sur un rapport du 2 décembre 2013, étant précisé qu’il n’est pas clair s’il s’agit de deux rapports différents ou s’il s’agit d’un seul rapport et que la référence à un deuxième rapport de quasiment la même date relève d’une erreur matérielle. La commission spéciale a déduit des conclusions des médecins que Monsieur … est hors d’état d’exercer ses fonctions d’origine, mais est propre à exercer une autre fonction correspondant à ses capacités au sein de son administration. C’est cette conclusion factuelle qui est remise en question par la partie demanderesse.
Force est de constater qu’il se dégage du dossier administratif déposé au greffe du tribunal administratif à la suite du jugement du 16 juin 2015 qu’une décision intermédiaire avait été prise par la commission spéciale le 24 mai 2013, qui se fonde sur un rapport médical établi par les médecins de contrôle … et … le 23 avril 2013, dont la commission spéciale a déduit que son état de santé empêche Monsieur … d’exercer actuellement ses fonctions, mais a retenu que celui-ci espère pouvoir les reprendre après la fin de son traitement médical en cours et a de ce fait décidé de réexaminer l’affaire après un délai de 6 mois.
Il se dégage de ce rapport médical du 23 avril 2013, sous la rubrique « antécédents personnels », que Monsieur … a développé une dépression chronique avec abus d’alcool et que dans le passé, en l’occurrence en 2012, il a suivi une cure de désintoxication. Dans leur diagnostic les médecins ont précisé que Monsieur … souffre d’une « dépression chronique qui s’est aggravée ces dernières deux années, avec éthylisme excessif, ayant nécessité une hospitalisation à Ettelbruck ainsi qu’une cure à Useldange en 2012 », ont constaté une sociophobie, agoraphobie, hyperexcitabilité et des angoisses, pour en conclure que l’intéressé n’est pas capable d’exercer ses fonctions actuelles de chauffeur de bus, mais reste encore capable d’exercer d’autres fonctions, en l’occurrence qu’il est apte « de travailler dans l’entretien des bus ou bien au magasin ».
Si dans leur rapport du 23 avril 2013 les Dr … et … ont ainsi retenu que son état de santé empêche Monsieur … d’exercer actuellement ses fonctions, cette conclusion ne saurait être prise en compte pour justifier la décision entreprise du 11 avril 2014, étant donné que la commission des pensions a, dans sa décision du 24 mai 2013, décidé de réexaminer l’affaire après un délai des 6 mois vu que Monsieur … était en train de poursuivre un traitement médical, que, par la suite, les Dr … et … ont été chargés le 16 septembre 2013 à procéder à une expertise médicale et que, pour le surplus, la décision entreprise du 11 avril 2014 se réfère justement à un nouveau rapport des Dr … et … du 2 décembre 2013, respectivement un rapport du 2 décembre 2012.
Le tribunal relève que seul figure au dossier à sa disposition le rapport médical du 23 avril 2013 et que c’est sur ce seul rapport médical que portent les critiques de la partie demanderesse, alors que la décision entreprise est fondée sur un autre rapport qui a priori était destiné à prendre en compte l’évolution du dossier suite au rapport du 23 avril 2013.
En revanche, le rapport médical du 2 décembre 2012, référencé plus loin dans la décision comme étant daté du 2 décembre 2013, des docteurs … et … n’est pas à sa disposition et cela malgré le fait que dans son jugement du 16 juin 2015, le tribunal a insisté sur la considération qu’il est indispensable de disposer du rapport médical sur base duquel la décision entreprise a été prise et a de ce fait invité la partie étatique à déposer un dossier administratif complet, tout en mentionnant les pièces devant y figurer impérativement, et qu’à l’audience des plaidoiries du 30 septembre 2015, le représentant étatique a encore été invité à compléter le dossier administratif tel qu’il a été déposé suite au jugement du 16 juin 2015, par les rapports médicaux référencés dans la décision du 14 avril 2014, respectivement à fournir des explications à cet égard. Pourtant, aucune explication n’a été fournie par la partie étatique et aucune pièce n’a été déposée.
Dans la mesure où le tribunal ne dispose ainsi pas de toutes les pièces nécessaires afin de contrôler la conclusion factuelle de la commission spéciale dans sa décision du 11 avril 2014, qui est remise en cause par la partie demanderesse, à savoir que Monsieur … est hors d’état d’exercer ses fonctions d’origine mais est propre à exercer une autre fonction correspondant à ses capacités au sein de son administration, à défaut d’explication plausible lui soumise par la partie étatique à cet égard et à défaut de pouvoir se fonder exclusivement sur le seul rapport des médecins de contrôle à sa disposition, à savoir celui du 23 avril 2013, qui au regard de la décision intermédiaire prise par la commission spéciale des pensions n’est plus d’actualité, il est amené à admettre la demande subsidiaire formulée par la partie demanderesse en institution d’une expertise médicale et de nommer des experts avec la mission plus amplement définie au dispositif du présent jugement.
S’agissant de la demande tendant à voir ordonner l’effet suspensif du recours sur le fondement de l’article 35 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, en vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel. […] », cette demande est réservée comme étant prématurée, étant donné qu’à ce stade le tribunal n’a pas tranché le principal ou une partie du principal.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
vidant le jugement du 16 juin 2015 ;
avant tout autre progrès en cause, nomme comme expert Madame le Docteur …, avec la mission d’évaluer, dans un rapport écrit et motivé, si l’état de santé de Monsieur … est tel qu’il est en état d'exercer ses fonctions d'origine de chauffeur de bus, à plein temps ou, le cas échéant, à temps partiel et, dans la négative, si son état de santé lui permet d’exercer une autre fonction, à plein temps ou, le cas échéant, à temps partiel, correspondant à ses capacités au sein de son administration ;
invite l’expert à remettre son rapport pour le 15 janvier 2015 au plus tard et à solliciter un report de ce délai dans le cas où il n’arriverait pas à remettre son rapport dans le délai lui imparti ;
ordonne à la partie demanderesse de consigner la somme de 1.000 € (mille euro) à titre d’avance sur les frais et honoraires de l’expert à la caisse des consignations et d’en justifier au tribunal ;
invite l’expert, en cas de dépassement par les honoraires de la somme ainsi consignée, à en avertir le tribunal et d’en justifier les raisons ;
fixe l’affaire au rôle général ;
réserve les frais ;
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Thessy Kuborn, premier juge, et lu à l’audience publique du 21 octobre 2015 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 octobre 2015 Le greffier du tribunal administratif 5