Tribunal administratif Numéro 37013 du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 septembre 2015 3e chambre Audience publique extraordinaire du 7 octobre 2015 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120 L. 29.8.2008)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 37013 du rôle et déposée le 30 septembre 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Nicky Stoffel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à …(Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 septembre 2015 portant prorogation de la mesure de placement au Centre de rétention prise à son encontre pour une nouvelle durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 octobre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Vanessa Hayo, en remplacement de Maître Nicky Stoffel, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 7 octobre 2015.
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La demande de protection internationale, déposée en date du 13 juillet 2012 par Monsieur …, fut définitivement rejetée par jugement du tribunal administratif du 2 avril 2015 inscrit sous le numéro 35871 du rôle.
Le 30 mai 2015, Monsieur … fut appréhendé par la police grand-ducale à défaut de disposer de papiers d’identité valables. Le même jour, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … une décision de placement au Centre de rétention ainsi qu’une décision de retour.
La décision de placement en rétention est libellée en les termes suivants :
« Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu le rapport no 52045 du 30 mai 2015 du CI Luxembourg-Gare ;
1Vu ma décision de retour et décision d’interdiction du territoire du 22 mai 2015 ;
Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;
Attendu qu’au vu de la situation particulière de l’intéressé, il n’existe pas de mesure suffisante, mais moins coercitive qu’une mesure de placement alors que les conditions d’une assignation à domicile conformément à l’article 125 (1) ne sont pas remplies ;
Attendu que l’intéressé ne dispose pas d’adresse effective ;
Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;
Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».
Par requête déposée le 10 juin 2015 au greffe du tribunal administratif, Monsieur … introduisit un recours tendant à la réformation de la décision précitée du 30 mai 2015, recours dont il fut débouté par jugement du 18 juin 2015, inscrit sous le numéro 36405 du rôle, non frappé d’appel.
Par arrêtés ministériels des 24 juin, 27 juillet et 24 août 2015 la mesure de placement fut prorogée à chaque fois pour une nouvelle durée d’un mois.
Par jugement du tribunal administratif du 9 septembre 2015, inscrit sous le numéro 36908 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit à l’encontre de l’arrêté ministériel précité du 24 août 2015.
Par arrêté ministériel du 22 septembre 2015, notifié à l’intéressé le 28 septembre 2015, la mesure de placement fut prorogée pour une nouvelle durée d’un mois sur base des considérations et motifs suivants :
« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l’immigration ;
Vu la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;
Vu mes arrêtés des 30 mai, 24 juin, 27 juillet et 24 août 2015, notifiés le 30 mai, le 30 juin, le 30 juillet et le 28 août 2015, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;
Attendu que les motifs à la base de la mesure de placement du 30 mai 2015 subsistent dans le chef de l’intéressé ;
Considérant que toutes les diligences en vie de l’éloignement de l’intéressé ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;
Considérant que les autorités algériennes tardent à établir l’identité de l’intéressé ;
Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision de prorogation précitée du 22 septembre 2015.
Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention 2administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de son recours, le demandeur estime en premier lieu que la motivation invoquée par la partie étatique serait à écarter pour défaut de fondement. A cet égard, il donne à considérer qu’il ne serait pas de nationalité algérienne, de sorte que rien ne justifierait la saisine des autorités algériennes en vue de déterminer son pays d’origine. En effet, la saisine des autorités algériennes n’aurait donné aucun résultat jusqu’à présent.
D’autre part, le demandeur fait valoir que les diligences entreprises par la partie étatique seraient manifestement inefficaces, de sorte qu’il n’y aurait pas de chance raisonnable de croire que son éloignement puisse être mené à bien. En effet, le ministre mentionnerait sans ambiguïté que les autorités algériennes tarderaient à établir son identité.
Dès lors, comme il n’y aurait aucune avancée dans les démarches visant à établir son identité, il y aurait lieu de conclure à une défaillance administrative.
Finalement, le demandeur estime que sa rétention administrative serait arbitraire. En effet, il se trouverait privé de sa liberté de circulation quasiment dans les mêmes circonstances qu’un délinquant de droit commun, le demandeur estimant que la rétention serait comparable à l’incarcération d’une personne qui purge sa peine dans un centre pénitentiaire.
De ce fait, la mesure de placement serait inadaptée et une autre mesure aurait dû être recherchée, telle que l’assignation à domicile. Le demandeur en conclut que la mesure de placement litigieuse serait disproportionnée.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.
L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 dispose : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins qu’il ne soit assigné à résidence en application de l’article 125, paragraphe (1). Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] » En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. » L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois. Cette mesure peut 3être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.
Une décision de prorogation est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ». S’agissant en l’espèce d’une quatrième prolongation, il faut en outre que malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison, soit du manque de coopération de l’étranger soit de retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires.
Quant au moyen du demandeur que rien ne justifierait la saisine des autorités algériennes, le tribunal renvoie au jugement du tribunal administratif du 9 septembre 2015, n° 36908 du rôle, ayant retenu qu’après que les autorités tunisiennes ont informé les autorités luxembourgeoises que le demandeur ne serait pas connu en Tunisie, c’est à bon droit que ces dernières ont contacté les autorités algériennes. Dans la mesure où le moyen du demandeur n’est pas autrement étayé, le tribunal ne décèle aucune raison de s’écarter de la solution retenue par le tribunal administratif dans le jugement précité du 9 septembre 2015.
Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.
En ce qui concerne l’inefficacité alléguée des diligences entreprises par les autorités luxembourgeoises, le tribunal renvoie aux développements du jugement du 9 septembre 2015 ayant retenu que les diligences effectuées par les autorités luxembourgeoises jusque lors ont été suffisantes et retient qu’en raison des télécopies envoyées par les autorités luxembourgeoises aux autorités algériennes en dates des 21 septembre et 5 octobre 2015 qui ont eu pour objet de rappeler leur demande d’identification initiale, le dispositif d’éloignement est poursuivi avec toutes les diligences requises, étant rappelé que la quatrième prorogation est expressément prévue par le législateur à l’article 120, paragraphe (3) du 29 août 2008 si l’éloignement est retardé en attendant que les autorités d’un pays tiers établissent des documents de voyage.
Par voie de conséquence, le moyen afférent laisse d’être fondé.
Finalement, quant à l’allégation du demandeur que la rétention administrative litigieuse serait arbitraire, le tribunal est amené à retenir, de concert avec la partie étatique, et sur base des conclusions du tribunal administratif retenues dans le cadre du jugement du 9 septembre 2015, n° 36908 du rôle, que le demandeur ne soumet au tribunal aucun élément concret permettant de renverser la présomption du risque de fuite dans son chef au sens de l’article 111, paragraphe (3) sous c) de la loi du 29 août 2008 et que dès lors, ensemble avec la conclusion retenue ci-avant que les diligences effectuées concrètement en l’espèce sont suffisantes, que la rétention litigieuse n’est pas disproportionnée et que le ministre n’aurait pas dû assigner le demandeur à résidence.
Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.
4 Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non fondé, partant en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé par:
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Thessy Kuborn, premier juge.
et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 7 octobre 2015, à 17.00 heures par le vice-président en présence du greffier Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 octobre 2015 Le greffier du tribunal administratif 5