Tribunal administratif Numéro 36890 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 31 août 2015 1re chambre Audience publique du 23 septembre 2015 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)
___________________________________________________________________________
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36890 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 août 2015 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …. (Egypte), de nationalité égyptienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 juillet 2015 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et des formes complémentaires de protection ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 septembre 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WAGENER, en remplacement de Maître Frank WIES et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 septembre 2015.
___________________________________________________________________________
Le 23 juillet 2014, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 », sous l’identité de …, ayant déclaré être né le … au Koweït et être de nationalité koweïtienne.
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.
Le 29 juillet 2014, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013, dit « règlement Dublin III ».
Monsieur … fut ensuite entendu le 4 novembre 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 22 décembre 2014, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 2 janvier 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après « le ministre », informa Monsieur … de ce que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a), g) et h) de la loi du 5 mai 2006.
Par jugement du 16 mars 2015, inscrit sous le numéro 35735 du rôle, le tribunal déclara non fondé le recours contentieux dirigé contre la décision ministérielle précitée.
Le 21 avril 2015, Monsieur … introduisit une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006. Lors de recherches effectuées le même jour dans le système des visas par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, il apparut que le demandeur avait sollicité et obtenu à Alexandrie sous le nom de … un visa pour l’Espagne qui était valable du 16 mai au 25 mai 2014 et qu’il était en possession d’un passeport égyptien émis le 8 janvier 2013 et valable jusqu’au 7 janvier 2020.
Monsieur … fut ensuite entendu en date du 4 mai 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.
Par décision du 30 juillet 2015, expédiée par envoi recommandé le 31 juillet 2015, le ministre rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :
« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 21 avril 2015.
Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous avez déposé une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 juillet 2014 qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 22 décembre 2014.
Monsieur, il résultait de vos déclarations que vous seriez de nationalité koweïtienne et que vous auriez quitté le Koweït à l’âge de sept ans, après la guerre de 1990. Vous vous seriez installé en Egypte avec vos parents et ne seriez plus jamais retourné au Koweït. En 1992, vos parents auraient voulu retourner au Koweït, mais on les aurait prévenus à l’aéroport du Caire qu’ils seraient considérés comme « sans nationalité koweïtienne » même en retournant au Koweït. Ils auraient alors décidé de rester en Egypte. Vous dites que le gouvernement koweïtien refuserait de vous reconnaître comme Koweïtien et de vous rapatrier. La majorité des membres de votre famille aurait rencontré le même problème. Les personnes qui seraient considérées comme « Koweïtien sans nationalité », n’auraient aucun droit et tous les services, médicaux aussi bien qu’éducatifs, seraient payants pour eux et il leur serait interdit de quitter le territoire. Vous déclarez que vous vous seriez présenté à l’ambassade koweïtienne au Caire, muni de votre document d’identité. Vous y auriez demandé un document mentionnant votre nationalité « koweïtienne sans nationalité », mais les agents se seraient comportés envers vous de manière raciste et vous auraient dit qu’un tel document ne serait émis qu’aux personnes résidentes au Koweït. Vous auriez bien vécu en Egypte, mais le pays serait devenu instable après le départ de MOUBARAK en 2011. Vous auriez été en possession de deux appartements et vous auriez vécu du loyer que vous auriez perçu grâce au tourisme. Cependant, les touristes ne seraient plus venus à cause de la situation sécuritaire.
Vous avez été débouté de votre première demande de protection internationale par un jugement du Tribunal administratif du 16 mars 2015 aux motifs que : « (…) les faits ainsi mis en avant par le demandeur, il y a lieu de souligner qu’il est constant en cause que le demandeur soutient être originaire du Koweït et être de nationalité koweïtienne. Il n’y a dès lors pas lieu de prendre en considération les problèmes auxquels le demandeur affirme avoir été exposé en Egypte pour vérifier le bien-fondé de sa demande en obtention du statut de réfugié politique, alors que Monsieur … n’a pas la nationalité égyptienne. En effet, la question de savoir si un étranger craint avec raison d’être persécuté doit être examinée par rapport à son pays d’origine, à savoir le pays dont il a la nationalité tel que défini à l’article 2 m) de la loi du 5 mai 2006. Ainsi, et tant que l’intéressé n’éprouve aucune crainte vis-à-vis du pays dont il a la nationalité, il lui appartient d’abord de se prévaloir de la protection de ce pays.
En ce qui concerne les autres difficultés mises en avant par le demandeur ayant trait au Koweït, force est de constater que lors de son audition par l’agent compétent de la direction de l’Immigration Monsieur … n’a fait état d’aucun problème concret qu’il aurait rencontré dans son pays d’origine, mais s’est contenté de souligner d’une part que les responsables de l’Ambassade koweïtienne au Caire se seraient comportés « de manière raciste et ils n’ont rien voulu me remettre » et, d’autre part, qu’il se retrouverait « avec des racistes » en retournant au Koweït, le demandeur ayant précisé qu’en cas de retour il serait « interdit de travail », « privé de liberté » et considéré comme un étranger « sans aucun droit, sans rien » tout en ayant ajouté que « le gouvernement koweïtien ne veut plus reconnaître 20 pourcent de la population koweïtienne. Parmi ces 20 pourcent, il y a des personnes qui vivent avec une carte d’identité mentionnant « koweïtien sans nationalité ».
C’est une population qui n’a aucun droit et pour laquelle tous les services sont payants, que ce soit dans le domaine de la médecine ou de l’éducation (…) ». Sur la question de l’agent de la direction de l’Immigration de savoir si le demandeur avait des preuves quelconques que les autorités du Koweït refuseraient de le reconnaître en tant que Koweïtien, le demandeur a cependant répondu par la négative. De même, dans le cadre du recours sous analyse, le demandeur n’a fait état d’aucune persécution concrète qu’il aurait personnellement subie dans son pays d’origine, mais il a uniquement invoqué le destin de certains ressortissants koweïtiens déterminés qui se retrouveraient sans papiers et seraient de ce fait traités comme « des parias qui n’ont aucun droit ». A cet égard, il y a encore lieu de souligner qu’il résulte des explications de la partie étatique que d’après la loi koweïtienne, les enfants héritent de la nationalité de leur père. Dans la mesure où le demandeur a affirmé à plusieurs reprises lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration que son père disposait d’un passeport koweïtien et dès lors de la nationalité koweïtienne, il est dès lors peu probable que les autorités koweïtiennes refusent de lui reconnaître la nationalité koweïtienne. Force est dès lors de retenir que tant lors de son entretien auprès de la direction de l’Immigration, que lors de la procédure contentieuse, le demandeur est resté en défaut de faire état d’un seul acte de persécution dont il aurait personnellement été victime dans son pays d’origine. Les craintes invoquées par le demandeur ne sont en effet que des craintes purement hypothétiques, basées sur des ouï dires et sur ses recherches personnelles, le demandeur ayant en effet déclaré avoir trouvé les informations sur le sort des ressortissants du Koweït se retrouvant sans papiers sur internet et en discutant « avec des Koweïtiens jouissant de la nationalité koweïtienne et résidant en Egypte », le demandeur ayant encore ajouté « lors de ces discussions j’ai eu des informations plus approfondies sur le Koweït ». Or, de telles craintes purement hypothétiques qui ne sont basées sur aucun fait réel ou probable ne sauraient constituer des motifs visés par la Convention de Genève. Il s’ensuit qu’à défaut de motifs fondés sur un des critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, les faits invoqués par le demandeur sont à considérer comme dénués de pertinence dans le cadre de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.
Vous n'êtes par la suite pas retourné dans votre prétendu pays d'origine et avez déposé une nouvelle demande de protection internationale en date du 21 avril 2015.
Quant à vos déclarations auprès du Service de Police judiciaire En mains le rapport du Service de Police judiciaire du 21 avril 2015.
Il ressort dudit rapport qu’à Alexandrie, vous avez demandé et obtenu un visa pour l’Espagne valable du 16 au 25 mai 2013. D’après ce visa, vous étiez en possession d’un passeport égyptien émis le 8 janvier 2013 et valable jusqu’au 7 janvier 2020, vous êtes répertorié sous le nom d’… et vous êtes de nationalité égyptienne.
Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 4 mai 2015 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.
Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous auriez déposé une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg parce que « je suis un être humain et je veux vivre comme tel » (p. 2). Vous affirmez ne pas être en mesure de faire état de nouveaux faits ou éléments. Vous auriez toujours peur de devoir retourner au Koweït où vous seriez « étiqueté comme étant le fils …. » (p. 2). Vous risqueriez au moins l’emprisonnement, sinon la peine de mort en cas de retour au Koweït.
Vous avez par la suite été confronté par l’agent chargé de l’entretien au fait que l’analyse de vos empreintes digitales a confirmé que vous avez demandé et obtenu un visa pour l’Espagne avec un passeport égyptien, sous l’identité d’…, né le 31 octobre 1980 à Alexandrie/Egypte, de nationalité égyptienne.
Monsieur, vous affirmez que ces informations seraient correctes et que vous auriez menti au sujet de votre identité parce que vous ne pourriez pas retourner en Egypte, où vous seriez « catalogué » comme sympathisant des frères musulmans. Vous affirmez avoir commencé à mentir au sujet de votre identité à partir d’un contrôle en France. Vous auriez par la suite continué avec ce mensonge afin de gagner du temps et permettre à vos deux frères, se trouvant toujours en Egypte, de vous verser votre argent que vous voudriez investir en Europe.
Concernant votre « véritable » vécu en Egypte, vous signalez être un homme d’affaires et avoir possédé votre propre société en Egypte, nommée « …». Vous affirmez que depuis les temps du règne de BOUBARAK, vous seriez en bons termes avec les frères musulmans qui vivraient dans votre quartier. Ainsi, lorsque les frères musulmans seraient venus au pouvoir, vous auriez été proche avec des gens influents « au niveau du pouvoir » (p.
4), notamment les parlementaires …, actuellement incarcérés. Vous seriez donc connu à Alexandrie pour avoir entretenu des bonnes relations aussi bien avec les frères musulmans et les salafistes, qu’avec les fonctionnaires d’Etat. En janvier ou février 2013, constatant que la situation serait devenue « tendue », vous auriez voulu partir aux Etats-Unis mais votre demande de visa aurait été refusée. Des amis auraient néanmoins continué à insister à ce que vous partiez du fait que la situation deviendrait dangereuse pour les frères musulmans et que vous risqueriez par conséquent d’avoir des problèmes. En mars 2013, des amis fonctionnaires bien placés, tel le procureur … ou le juge …, ainsi que des amis travaillant pour la « sûreté » vous auraient fait comprendre que vous devriez quitter l’Egypte au plus vite, étant donné que « les frères musulmans étaient finis », que vous seriez considéré comme leur adhérent et qu’un coup d’Etat s’annoncerait. Vous expliquez par la suite que votre cousin, …., commandant d’un aéroport militaire, vous aurait appelé pour vous conseiller de quitter le pays. Dans ce contexte, vous précisez que vous ne voudriez pas non plus retourner en Egypte parce que vous ne voudriez pas nuire à sa carrière militaire. Vous auriez quitté l’Egypte le 16 mai 2013 à bord d’un avion en direction de l’Espagne. Vous expliquez ne pas avoir déposé une demande de protection internationale à Madrid parce que vous n’y seriez resté que deux heures avant de continuer votre voyage à Paris, où vous auriez vécu depuis deux ans. Vous n’auriez jamais déposé de demande de protection internationale en France, parce que cela signifierait « dormir dans la rue » (p. 6). En plus, un ami vous aurait déconseillé de déposer une demande pendant un séjour à Calais.
Vous ajoutez que votre frère vous aurait appelé le 30 juin 2013 pour vous avertir que les locaux de votre société auraient été démolis après l’arrivée au pouvoir du général al-
SISSI. Vous ne pourriez plus retourner en Egypte puisque vous n’auriez plus de travail, que votre société aurait été démolie et que vous ne sauriez pas comment récupérer votre argent.
En plus, en tant que frère musulman, vous seriez emprisonné en cas de retour et vous signalez que le service de renseignement serait au courant de votre rejet de la prise de pouvoir du général al-SISSI. Le jour de son coup d’Etat, des manifestants pro-SISSI seraient passés par votre rue et auraient saccagé les locaux de votre société.
Monsieur, il s’agit de noter que l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que : « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d'une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d'une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu'ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. » Or, force est en premier lieu de constater que les problèmes dont vous faites état ne constituent pas des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, étant donné que vous n’avez pas été dans l'incapacité de les faire valoir au cours de votre précédente demande de protection internationale. En effet, les problèmes relatés sont tous antérieurs à votre précédente demande, dont la phase contentieuse n’a abouti qu’en mars 2015. Ces faits ne sauraient être perçus comme des éléments nouveaux par le seul fait que vous ayez décidé de mentir aux sujets de votre identité et de votre vécu dans le cadre de votre première demande de protection internationale. Le seul fait que vous auriez eu peur d’un rapatriement ou que vous auriez voulu gagner du temps afin que vos frères vous versent votre argent, ne saurait évidemment pas justifier votre mutisme quant à votre véritable situation.
Dans ce contexte, il s’agit en plus de soulever que vous n’avez nullement eu l’intention de faire état de la prétendue vérité dans le cadre de votre deuxième demande. En effet, au début de l’entretien vous étiez lancé pour répéter le même mensonge et pour confirmer les déclarations faites au cours de votre première demande. Vous avez même confirmé qu’il n’existerait aucun élément nouveau vous ayant poussé à déposer une deuxième demande de protection internationale. Ce n’est qu’après avoir été confronté à votre demande de visa pour l’Espagne que vous vous êtes décidé à partager la prétendue vérité avec les autorités luxembourgeoises. Il va de soi qu’un tel comportement ne saurait que confirmer que les craintes dont vous faites état ne sauraient fonder une demande de protection internationale. La crédibilité de vos allégations est très largement entachée. D’autant plus que vous avez par le passé bénéficié d’un visa pour l’Espagne et que vous confirmez avoir vécu deux années en France sans pour autant y rechercher une forme quelconque de protection. En effet, on peut généralement admettre qu’une personne vraiment persécutée dans son pays d’origine, dépose une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré. Vos explications quant à ce sujet ne sauraient manifestement pas justifier votre inaction.
Force est en tout état de constater, que les éléments que vous avancez dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale ne sauraient être considérés comme des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.
Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.
Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable. (…)».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 août 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 30 juillet 2015 déclarant irrecevable sa demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.
Etant donné que l’article 23, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation qui est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.
A l’appui de son recours et en fait, le demandeur fait valoir que lors de son audition dans le cadre de sa deuxième demande de protection internationale, il aurait non seulement expliqué les raisons pour lesquelles il aurait fait des déclarations mensongères dans le cadre de sa première demande de protection internationale, mais il aurait également fait état des véritables raisons l’ayant poussé à quitter son pays d’origine. Ainsi, lorsque le président MOUBARAK aurait été au pouvoir en Egypte, le demandeur aurait entretenu de bonnes relations avec le mouvement des Frères musulmans et plus particulièrement avec certains membres actifs de cette organisation. Comme il aurait été propriétaire d’une société bénéficiant d’une grande surface commerciale, il aurait notamment autorisé les Frères musulmans à s’y rendre pour y sacrifier des bêtes. Le 16 mai 2013, le demandeur aurait fini par quitter l’Egypte et ce sur les conseils d’amis haut placés qui l’auraient prévenu en mars 2013 que la situation des Frères musulmans serait bientôt dangereuse et qu’il risquerait d’avoir des problèmes en raison de ses relations avec ledit mouvement. Le demandeur souligne ensuite que de nombreuses personnes seraient mortes lors de manifestations ayant eu lieu entre juin 2013 et la fin de l’année 2014 tout en rappelant qu’en juin 2014, l’ex-chef de l’armée égyptienne al-SISSI aurait été élu à la présidence de l’Egypte. En se référant encore à un rapport d’Amnesty International de 2014/2015, le demandeur souligne plus particulièrement que beaucoup de personnes ayant assisté auxdites manifestations, essentiellement des sympathisants des Frères musulmans, auraient été détenues, inculpées ou renvoyées devant les tribunaux, de sorte qu’il craindrait avec raison d’être incarcéré en cas de retour en Egypte du seul fait de sa qualité de partisan des Frères musulmans, cette crainte étant renforcée par la circonstance que ledit mouvement serait actuellement considéré en Egypte comme une organisation terroriste.
Le demandeur explique encore être resté plusieurs mois en France après avoir quitté l’Egypte et avoir eu l’intention d’y introduire une demande de protection internationale ce qu’il n’aurait toutefois finalement pas fait parce qu’un ami le lui aurait déconseillé. Ce serait sur conseil de ce même ami qu’il n’aurait pas donné sa véritable identité et inventé une histoire d’abord lors d’un contrôle de police en France et par la suite lors de l’introduction de sa première demande de protection internationale au Luxembourg.
En droit, le demandeur reproche au ministre une violation, sinon une mauvaise appréciation de la loi du 5 mai 2006. En effet, alors même qu’il admet avoir manifestement commis une erreur en cachant sa véritable identité et en mentant lors de l’introduction de sa première demande de protection internationale, de sorte à se priver lui-même de la possibilité de présenter les raisons réelles l’ayant poussé à quitter l’Egypte, il insiste plus particulièrement sur le fait qu’à l’appui de sa deuxième demande de protection internationale, il aurait fait valoir qu’en cas de retour en Egypte, il risquerait de subir des représailles de la part du gouvernement du fait de ses relations avec les Frères musulmans.
Le demandeur reproche à cet égard au ministre de se contenter dans la décision litigieuse de lui reprocher son comportement lors de sa première demande de protection internationale sans toutefois analyser sa situation sous l’angle de la protection internationale et plus particulièrement sous celui de l’article 2, m) de la loi du 5 mai 2006 et ce alors même qu’un retour en Egypte risquerait de mettre sa vie en danger. Finalement, en se basant sur divers rapports internationaux et un article de presse faisant état de la situation vécue par les Frères musulmans et leurs sympathisants en Egypte, le demandeur insiste sur le fait que le risque de subir des persécutions et des atteintes graves en Egypte en raison de sa sympathie et de son soutien aux Frères musulmans seraient des éléments nouveaux et des motifs réels et sérieux devant faire l’objet d’une analyse sous l’angle du statut de réfugié ou du moins sous celui de la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que le recours serait à rejeter.
Il échet dans un premier temps de rappeler que le tribunal est saisi d’un recours en annulation, dans le cadre duquel il est limité à vérifier si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et à contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.
Il y a ensuite lieu de rappeler que l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 dispose que :
« (1) Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse (2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de 15 jours à compter du moment où il a obtenu ses informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien ».
Il y a lieu de souligner que ce droit ne constitue en principe pas en quelque sorte une « troisième instance », mais une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.
Dans ce contexte, il échet de rappeler que le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est non seulement conditionné par la soumission d’éléments qui doivent, d’une part, être nouveaux, et, d’autre part, comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, mais que le demandeur doit également avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.
Force est d’abord de constater que dans le cadre de sa première demande de protection internationale le demandeur, qui s’est présenté sous une fausse identité, a prétendu être de nationalité koweïtienne et que suite à la guerre entre le Koweït et l’Irak, il aurait dû quitter à l’âge de sept ans le Koweït avec ses parents pour se réfugier en Egypte. Il a ensuite fait état de problèmes rencontrés tant en Egypte qu’au Koweït. Ainsi, en Egypte, les conditions de vie se seraient fortement dégradées depuis la révolution de janvier 2011, le demandeur s’étant plus particulièrement plaint du fait qu’en raison de la situation sécuritaire y régnant, il n’aurait plus été en mesure de gagner de l’argent avec son activité de tourisme. Or, pour ce qui est des problèmes rencontrés en Egypte, le tribunal administratif a retenu dans son jugement du 16 mars 2015 qu’il n’avait pas lieu de les prendre en considération pour vérifier le bien-fondé de sa demande de protection internationale alors que le demandeur avait déclaré avoir la nationalité koweïtienne et que sa demande devait dès lors être analysée par rapport aux faits vécus dans le pays dont il avait la nationalité, à savoir le Koweït. Pour ce qui est des craintes mises en avant par le demandeur par rapport au Koweït, il a plus particulièrement fait état de ce qu’en cas de retour dans ledit pays, il devrait craindre pour son intégrité physique et ce au motif que les autorités koweïtiennes ne reconnaîtraient pas la nationalité koweïtienne à certains de ses ressortissants, et notamment à sa propre famille, qui seraient de ce fait traités comme des parias. Or, tant le ministre que le tribunal administratif ont qualifié les craintes ainsi mises en avant par le demandeur comme étant purement hypothétiques pour n’avoir été basées sur aucun fait réel ou probable.
Dans le cadre de la demande sous analyse, le demandeur concède avoir menti au moment de sa première demande de protection internationale et invoque actuellement être de nationalité égyptienne et avoir quitté l’Egypte en mai 2013 en raison principalement de sa crainte d’y subir des persécutions en raison de sa qualité de partisan des Frères musulmans.
Force est ainsi de constater, de concert avec la partie étatique, que le demandeur est en aveu que ses craintes de persécutions en relation avec sa prétendue sympathie pour les Frères musulmans, à supposer cette affirmation véridique, ont existé au jour de la première demande de protection internationale, de sorte qu’il aurait valablement pu les invoquer à ce moment-là déjà.
Il est encore à retenir que le demandeur n’était pas dans l’incapacité de faire état des problèmes liés à ses relations avec les Frères musulmans, mais qu’il a délibérément omis d’en informer tant le ministre lors de la phase précontentieuse, que le tribunal administratif lors de la procédure contentieuse.
Il s’ensuit que cet élément ne saurait justifier l’instruction d’une nouvelle demande de protection internationale alors que le demandeur, en omettant de faire état des véritables motifs de sa demande de protection internationale, a enfreint l’obligation prévue par l’article 23 précité, laquelle ne constitue qu’une application de l’article 26 de la même loi, aux termes duquel il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale, à savoir, outre ses déclarations, « tous les documents dont le demandeur dispose concernant son âge, son passé, y compris ceux des parents à prendre en compte, son identité, sa ou ses nationalité(s), le ou les pays ainsi que le ou les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d’asile antérieures, son itinéraire, ses titres de voyage, ainsi que les raisons justifiant la demande de protection internationale », sans que cette conclusion puisse être énervée par l’excuse avancée de sa peur d’être rapatrié en Egypte, une telle peur s’étant d’ailleurs soudainement dissipée au moment de devoir faire face aux conséquences de la fin de la procédure relative à sa première demande de protection internationale basée sur un récit mensonger.
Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni l’appréciation à la base de la décision litigieuse et donc son bien-fondé, de sorte que la nouvelle demande de protection internationale du demandeur a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006.
Il se dégage dès lors des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 septembre 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 septembre 2015 Le greffier en chef 10