Tribunal administratif N° 36683 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juillet 2015 1re chambre Audience publique du 23 septembre 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 36683 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2015 par Maître Nicky STOFFEL, avocat à la Cour, assistée de Maître Bouchra FAHIME-AYADI, avocat à la Cour, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 juillet 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 21 juillet 2014 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 août 2015 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Catherine WAGENER, en remplacement de Maître Nicky STOFFEL et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 septembre 2015.
Le 15 janvier 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg conformément à l’article 8 de la loi précitée du 5 mai 2006.
1Le 20 janvier 2015, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 dit « règlement Dublin III ».
Monsieur … fut encore entendu en date du 25 mars et du 17 juin 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.
Par décision du 21 juillet 2015, expédiée par courrier recommandé le 22 juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 21 juillet 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.
En fait, le demandeur, qui est d’origine ethnique serbe, fait valoir que dès la fin du conflit il se serait trouvé confronté au Kosovo à de nombreuses difficultés en raison de son appartenance ethnique.
Ainsi, le demandeur explique qu’en 2001, des Albanais auraient ouvert le feu sur lui, qu’il n’aurait néanmoins pas été blessé et que la KFOR serait intervenue. Il indique ensuite que des Albanais auraient laissé brouter leurs vaches dans son champ de blé et que lorsqu’il aurait tenté de les chasser, ces derniers l’auraient insulté et lui auraient tiré dessus.
Le 17 mars 2004, les Albanais auraient chassé les Serbes de son village et il aurait dès lors été relogé par la KFOR. Il insiste sur le fait que des membres de la communauté albanaise l’insulteraient de façon récurrente et qu’il lui serait arrivé que des vendeurs refusent de le servir au marché. Il aurait par ailleurs des difficultés à trouver un emploi.
Il fait encore référence à un évènement lors duquel un Albanais se serait emparé de ferraille qui aurait été promise à son père. En raison de menaces proférées par cet Albanais, il aurait renoncé à agir contre celui-ci.
En 2009, il aurait été contraint d’aller vivre chez son frère à …, mais les Albanais n’auraient pas cessé de le menacer.
2En 2011 ou 2013, il se serait marié à …. Le bourgmestre de … lui aurait promis un emploi, mais n’aurait pas tenu sa parole, de sorte qu’il aurait effectué des travaux occasionnels afin de survivre.
Le demandeur fait ensuite état d’un voyage en bus lors duquel son épouse et lui-même auraient été insultés par des Albanais à la fin de l’année 2013 pour avoir parlé en langue serbe.
Il serait finalement retourné vivre chez et à charge de son frère et n’aurait par la suite plus eu de problèmes.
Il ne se sentirait néanmoins pas en sécurité au Kosovo ce qu’il l’aurait poussé à déposer sa demande d’asile au Luxembourg.
1) Quant au recours visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur… dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur fait valoir que les conditions d’application de l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 ne seraient pas remplies en l’espèce.
Les faits soulevés par lui seraient en effet pertinents au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, de sorte que le ministre n’aurait pas correctement évalué sa situation. Il explique encore qu’il aurait été obligé de quitter son pays d’origine ne s’y sentant plus en sécurité en raison de menaces et d’insultes de la part de la population albanaise du Kosovo, ces menaces ayant perduré malgré ses déménagements au sein du Kosovo. Il aurait ainsi été exposé à une persécution morale et psychologique.
Concernant le fait que le Kosovo figure sur la liste des pays d’origine sûrs, le demandeur estime que la situation sécuritaire serait loin d’être stable, en citant dans ce contexte des extraits d’un rapport d’Amnesty International de 2014-2015, selon lequel, d’une part, les dernières élections auraient conduit à une impasse politique, que la mission de police et de justice de l’Union européenne (EULEX) aurait été prolongée jusqu’en 2016, que les juges internationaux ne formeraient plus la majorité dans les compositions judiciaires traitant de crimes graves, que le Haut Représentant de l’Union européenne aurait annoncé une enquête suite à des allégations de corruption contre un juge de l’EULEX et qui, d’autre part, constaterait que les tensions interethniques auraient continué en particulier dans le nord du Kosovo par le biais d’attaques contre les Serbes du Kosovo qui se seraient intensifiées après le match de football entre l’Albanie et la Serbie en octobre 2014.
Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la 3demande de protection internationale de Monsieur… dans le cadre d’une procédure accélérée, dès lors que la situation du demandeur correspondrait aux hypothèses visées par le ministre au fondement de sa décision.
En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :
a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;
(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;
(…) ».
Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.
Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.
Plus particulièrement, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.
(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
4(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.
(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme un pays d’origine sûr :
a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;
c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après « le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 », le Kosovo a été reconnu comme étant un pays d’origine sûr.
Le tribunal se doit dans ce contexte de relever que dans un arrêt récent, la Cour administrative a rejeté un recours qui visait l’annulation de l’article 1er, paragraphe 1er, du règlement grand-ducal du 19 juin 2013 modifiant le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, par l'ajout de la République du Kosovo, en retenant que le Kosovo était toujours à considérer comme pays d'origine sûr au sens de l'article 21, paragraphe 4, de la loi du 5 mai 2006.
En effet, au vu des éléments d’information à sa disposition, la Cour est arrivée à la conclusion que « le Kosovo est un pays qui dispose d'une constitution démocratique et procède à la désignation de ses dirigeants en vertu d'élections libres et pluralistes, qui a intégré dans sa législation nationale les droits de l'homme et les libertés fondamentales garanties par la CEDH et d'autres instruments internationaux garantissant le respect de ces droits et libertés. Il s'est engagé dans la voie de réformes profondes de son système politique et judiciaire dans le sens d'une consolidation de l'Etat de droit conformément aux exigences du partenariat envisagé avec l'UE, assurant une sanction effective, par les autorités policières et judiciaires en place, des violations des droits de l'homme et des droits fondamentaux, en dépit de certaines difficultés persistantes dans l'affirmation de l'autorité de l'Etat et des particularités de la situation de différentes minorités qui éprouvent plus de difficultés à affirmer et à voir respecter leurs droits. Le principe de non -
refoulement prévu par la Convention de Genève a été repris dans la législation nationale et les différents rapports mis à la disposition de la Cour ne mentionnent pas de cas de refoulement contraires aux principes énoncés par ladite convention »1.
Au vu de ce qui précède, il y a dès lors lieu de conclure que c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure que le demandeur, qui a la nationalité kosovare et qui a habité au Kosovo avant de venir au Luxembourg, provient d’un pays d’origine sûr au sens de la loi.
1 Cour adm. 2 octobre 2014, n° 34778C du rôle.
5 Dès lors que l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-
ducal modifié du 21 décembre 2007 ne constitue toutefois qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.
En l’espèce, l’analyse de la situation personnelle décrite par le demandeur lors de ses auditions ne permet pas au tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation - appelé dès lors à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, de sorte à ne pas pouvoir tenir compte des faits nouveaux invoqués dans le seul recours en annulation sous analyse - de dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle.
En effet, il résulte des déclarations du demandeur devant la direction de l’Immigration qu’il a quitté son pays d’origine en raison d’insultes et de menaces récurrentes de la part d’individus inconnus de la population albanaise du Kosovo et en raison de discriminations ayant leur origine dans son appartenance à la minorité ethnique serbe du Kosovo.
Or, à défaut d’avoir au moins tenté de porter plainte contre les auteurs des insultes, des menaces et des discriminations dont le demandeur affirme avoir été victime auprès des autorités policières kosovares, il ne saurait leur reprocher une quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider, ce d’autant plus que le demandeur n’a en particulier pas fait état de ce que malgré sa volonté de déposer une plainte, un tel dépôt lui aurait été refusé par des policiers au Kosovo.
Force est à cet égard encore de relever qu’il ressort des explications du ministre, sources internationales à l’appui, que la police kosovare est multiethnique et se prévaut d’une bonne réputation.
En tout état de cause, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence d’insultes, de menaces et de discriminations, communément la forme d’une plainte.
Par ailleurs, si le demandeur devait avoir eu l’impression que sa plainte n’allait pas être accueillie avec le sérieux nécessaire par les policiers locaux, il lui aurait toujours été possible de se plaindre du comportement desdits policiers auprès d’une autorité supérieure ou de porter sa plainte par-devant d’autres policiers, appartenant par exemple à la communauté serbe, ce qu’il n’a toutefois pas non plus fait.
6Force est à cet égard encore de relever qu’il ressort d’un jugement du tribunal administratif du 17 décembre 2014, n°35402 du rôle2, qu’il existe au Kosovo un Inspectorat de Police qui a été établi indépendamment de la police kosovare et qui est compétent pour toute plainte envers les forces de l’ordre. Dans ce même jugement, le tribunal a encore retenu que, bien que la population kosovare se méfie toujours de la police kosovare, cet Inspectorat fonctionnerait bien et ferait des efforts pour enquêter le mieux possible. Par ailleurs, et toujours selon ce même jugement, de même que d’après les explications de la partie étatique au cours de la procédure contentieuse, le demandeur aurait également pu porter ses doléances devant l’Ombudsman s’il devait avoir eu le sentiment d’avoir été victime de discriminations policières, ce qu’il a toutefois omis de faire.
Au vu de ce qui précède, il aurait en tout état de cause appartenu au demandeur, avant de baisser tout simplement les bras et de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par ses propres autorités et institutions nationales, en ayant recours aux moyens à sa disposition pour bénéficier d’une protection des autorités compétentes et plus particulièrement en sollicitant officiellement l’aide de la police par le biais du dépôt d’une plainte, et non de s’abstenir de toute tentative en ce sens, de sorte qu’il ne saurait conclure à une absence de protection effective dans le chef des autorités kosovares.
Il y a encore lieu de rappeler que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.
Si le demandeur déclare certes encore avoir été régulièrement victime de discriminations de la part de certains membres de la population albanaise du Kosovo, discriminations qui seraient basées sur son origine serbe et qui se seraient surtout manifestées au quotidien notamment dans le cadre de ses relations avec les vendeurs au marché où il n’aurait quelquefois pas été servi, cette circonstance n’est pas de nature à dénier au Kosovo la qualité de pays d’origine sûr. En effet, il ne ressort pas du récit du demandeur que celui-ci aurait dénoncé ces agissements, qui ne présentent d’ailleurs pas non plus le degré de gravité requise s’agissant seulement de vexations, ou que malgré cette dénonciation, les autorités compétentes seraient restées inactives. Par ailleurs, il ressort d’un extrait d’un écrit du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge du 3 mai 2015, intitulé Landesreport Band 3, que les répressions en raison des appartenances ethniques de la population kosovare ont diminué et que les agressions sur les minorités seraient en baisse et ne constitueraient plus que des cas isolés. Par ailleurs, il ressort d’un jugement du tribunal administratif du 20 mai 2015, n°36079 du rôle3, qu’à côté de la police et de l’Ombudsman, il existe d’autres institutions présentes sur le territoire kosovar auxquelles le demandeur aurait pu s’adresser pour faire valoir ses droits, et plus particulièrement l’EULEX et l’OSCE dont l’une des missions centrales consiste dans la protection des minorités. Ainsi, l’EULEX est plus spécifiquement chargée de traiter entre autres les plaintes pour discrimination, harcèlement et 2 disponible sur www.ja.etat.lu 3 disponible sur www.ja.etat.lu 7violence à caractère ethnique.
Le demandeur n’a donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel la République du Kosovo est à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser quant à ces événements les conditions retenues à l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 et les développements afférents du demandeur.
2) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de ce volet du recours, le demandeur reproche au ministre d’avoir fait une interprétation erronée des faits à la base de sa demande de protection internationale. Il donne à considérer qu’il aurait fait état, non pas de délits sans gravité relevant du droit commun, mais de véritables actes de persécution d’ordre mental et psychologique, de sorte que sa demande de protection internationale serait fondée. Il ajoute encore qu’il craindrait avec raison de voir ces menaces et insultes se concrétiser en cas de retour dans son pays d’origine. Si les faits invoqués n’étaient pas de nature à lui faire reconnaître le statut de réfugié, le demandeur estime qu’il y aurait lieu de lui octroyer, sur base de ces mêmes faits, le statut conféré par la protection subsidiaire.
Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que celui-ci serait à débouter de son recours.
En vertu de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
A ce sujet, il y a lieu de rappeler que la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de 8subir les atteintes graves définies à l’article 37 et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays.
L’article 37 de la même loi énumère en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit interne ou international ».
Force est de tout d’abord de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.
Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale4. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut5.
L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.
Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays 4 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.
5 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.
9d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.
En effet, tel que relevé auparavant, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.
Le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation, concernant les insultes, menaces et discriminations de la part de membre de la communauté albanaise du Kosovo, vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer que le demandeur est originaire d’un pays d’origine sûr au sens de la loi, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande.
Actuellement, le tribunal, statuant par rapport au volet du rejet de la demande en obtention de la protection internationale en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale pris en son double volet, le demandeur n’ayant en effet fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de lui fournir concrètement une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.
En effet, si le demandeur met certes en exergue divers problèmes affectant la justice kosovare, ou encore la situation sécuritaire toujours difficile dans certaines régions du Kosovo, force est de constater que ces problèmes ne sont pas de nature à avoir empêché, concrèt ement, dans ce cas d’espèce, le demandeur à rechercher la protection des autorités policières, respectivement, le cas échéant, de s’adresser à des instances supérieures afin d’obtenir l’assistance qui lui aurait été déniée au niveau du commissariat local.
Par ailleurs, tel que développé par la partie étatique, le Kosovo peut se prévaloir d’un système policier et judiciaire a priori effectif, certes pas parfait notamment en raison de problèmes de sous-effectifs, mais néanmoins, du fait notamment de sa multiethnicité, suffisant pour protéger les victimes d’agressions ; plus particulièrement, alors même que le système judiciaire et policier au Kosovo ne rencontre pas nécessairement l’intégralité des standards 10européens, il n’est pas déficient au point qu’une partie puisse raisonnablement renoncer à le saisir au motif qu’il n’y a aucune chance de voir un résultat positif, de sorte que le demandeur aurait pu et dû requérir formellement l’aide des autorités policières de son pays en déposant formellement une plainte, ce qu’il n’a toutefois pas fait, et ce, sans raison valable.
Il résulte encore des déclarations du demandeur au cours de son entretien auprès de la direction auprès de la direction de l’Immigration que les motifs à la base de sa demande de protection internationale se résument encore au fait qu’il n’a pas réussi à trouver de travail dans son pays d’origine rendant sa condition de vie difficile au Kosovo et qu’il espérerait une meilleure condition de vie au Luxembourg. Or, il y a lieu de retenir que les problèmes économiques mis en avant par le demandeur, ne sauraient être qualifiés de persécutions au sens de la Convention de Genève, alors que Monsieur… n’a pas fait état que ces discriminations seraient basées sur sa race, sa religion, sa nationalité, ses opinions politiques ou son appartenance à un certain groupe social, notamment en termes d’accès à un emploi.
Par ailleurs, l’état de précarité tel que mis en avant, à lui seul, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006. En effet, l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 précité, se réfère à des traitements ou des sanctions « infligés », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’« atteintes graves » lorsqu’aucun auteur ne peut être tenu responsable.
Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, pris en son double volet, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée et que le recours en réformation est dès lors à rejeter comme étant non fondé.
3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire en conséquence du bien-fondé des arguments qu’il aurait développés à l’appui de son recours.
11 Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 21 juillet 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 21 juillet 2015 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 21 juillet 2015 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 23 septembre 2015 par :
Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, juge, Hélène Steichen, juge, en présence du greffier en chef Michèle Hoffmann.
s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23/9/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 12