Tribunal administratif N° 35027 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 août 2014 Ire chambre Audience publique du 23 septembre 2015 Recours formé par Monsieur …et consorts, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35027 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2014 par Maître Olivier Lang, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Kosovo) et de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur fils mineur …, né le … à Luxembourg, tous de nationalité kosovare et demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 17 juillet 2014 portant refus de leurs demandes de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 novembre 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier Lang et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives.
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Le 23 octobre 2008, Monsieur …et son épouse, Madame …, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères des demandes de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Leurs demandes furent refusées par une décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 12 janvier 2009, décision qui fut définitivement confirmée par un arrêt de la Cour administrative du 27 octobre 2009, inscrit sous le n° 25948C du rôle.
Le 16 juillet 2013, les époux …, accompagnés de leur fils mineur …, entretemps né au Luxembourg, furent rapatriés dans leur pays d’origine, le Kosovo.
En date du 7 janvier 2014, Monsieur …et son épouse, Madame …, agissant tant en leur nom personnel qu’au nom et pour le compte de leur fils mineur …, désignés ci-après par « les consorts …», déposèrent de nouvelles demandes de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006 auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes.
Les déclarations des consorts …sur leurs identités respectives et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.
En date du 14 janvier 2014, les époux … firent séparément l’objet d’un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leurs demandes de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Monsieur …et Madame … furent encore entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en date des 16 et 27 janvier 2014 sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leurs demandes de protection internationale.
Par décision du 18 mars 2014, notifiée par courrier recommandé envoyé le 20 mars 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts …que leurs demandes en obtention d’une protection internationale avaient fait l’objet d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006 et qu’elles avaient été rejetées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours.
Suite à un recours déposé au tribunal administratif en date du 7 avril 2014, le tribunal administratif, par un jugement du 5 juin 2014, inscrit sous le n°34315 du rôle, annula la décision précitée du 18 mars 2014 en ses trois volets et renvoya le dossier au ministre en prosécution de cause.
Par décision du 17 juillet 2014, notifiée par courrier recommandé envoyé le 21 juillet 2014, le ministre informa les consorts …que leurs demandes en obtention d’une protection internationale ont été rejetées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours. Cette décision est libellée comme suit :
« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 7 janvier 2014.
Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous aviez déposé des premières demandes de protection internationale au Luxembourg en date du 13 octobre 2008 qui ont été rejetées comme non fondées par une décision ministérielle en date du 12 janvier 2009. Vous aviez invoqué à la base de ces demandes que vous auriez quitté le Kosovo à cause de menaces proférées à votre encontre. Monsieur, en tant qu'Albanais, vous auriez été menacé par d'autres Albanais parce que vous seriez marié à une femme d'origine bosniaque.
Vous auriez été menacé par téléphone par des inconnus. Vous avez été définitivement déboutés de votre demande de protection internationale par arrêt de la Cour Administrative en date du 27 octobre 2009.
Par jugement du tribunal administratif du 27 avril 2011, votre recours du 6 juillet 2010 tendant à l'annulation du refus de séjour a été rejeté.
2 Madame, nécessitant une prise en charge médicale, vous avez ensuite bénéficié d'un sursis à l'éloignement. En date du 30 mai 2011, votre demande de prolongation du sursis à l'éloignement n'a plus été accordée. De même, quatre autres demandes de sursis à l'éloignement vous ont été refusées en date des 9 juin 2011, 12 juillet 2011, 19 septembre 2011 et 20 février 2012. En date du 15 juillet 2013, votre recours tendant à l'annulation des décisions des 30 mai, 9 juin, 12 juillet et 19 septembre 2011 a été rejeté. De même, en date du 31 juillet 2013, un recours tendant à l'annulation de la décision du 20 février 2012 a été rejeté.
En date du 16 juillet 2013, vous avez été rapatriés au Kosovo.
En date du 7 janvier 2014, donc 6 mois après votre retour au Kosovo, vous présentez une nouvelle demande de protection internationale qui fut rejetée en date du 18 mars 2014 comme non-fondée par décision ministérielle. Le Tribunal administratif annula cette décision en date du 5 juin 2014 et renvoya l'affaire devant le Ministre de l'Immigration et de l'Asile en prosécution de cause.
Quant à vos déclarations auprès du Service de Police Judiciaire En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 7 janvier 2014. Il ressort dudit rapport que vous avez été signalé en Allemagne en 2013 pour entrée illégale. Vous auriez à nouveau quitté le Kosovo le 22 décembre 2013 pour venir au Luxembourg.
Vous présentez des cartes d'identité kosovares établies le 29 juillet 2013.
Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous auriez à nouveau quitté le Kosovo à cause de problèmes liés à votre mariage mixte. Début août 2013, vous auriez été menacé et agressé par quatre personnes albanaises que vous connaîtriez de vue et qui vous auraient reproché d'avoir marié une femme bosniaque. Vous dites que vous auriez perdu conscience et que vous auriez été blessé. A l'hôpital, les médecins n'auraient pas voulu vous soigner. Vous auriez ensuite voulu déclarer cette agression à la police, mais vous expliquez qu'aucun policier n'aurait voulu s'occuper de vous. En plus, un policier vous aurait expliqué que même si vos agresseurs seraient arrêtés, ils seraient libérés endéans 24 heures. Une semaine plus tard, votre frère aurait trouvé une boîte contenant votre photo marquée d'un « X » sur son chemin de travail. Vous n'auriez raconté cela à personne et vous vous seriez enfermé chez vous par la suite.
Un mois et demi après votre retour au Kosovo, des problèmes se seraient créés entre votre mère et votre épouse à qui elle aurait reproché qu'elle serait responsable de vos problèmes vu qu'elle serait bosniaque. Une dispute aurait ensuite éclatée entre vous et votre famille et vous auriez été jeté de la maison par vos parents. Votre épouse se serait alors installée chez ses parents. Le 11 octobre 2013, elle aurait été approchée dans la rue par deux personnes albanaises qui l'auraient menacée de mort et qui lui auraient pointé un couteau contre son ventre. Vous auriez porté plainte le même jour et vous précisez que la police aurait écrit un rapport. Dans ce contexte, vous expliquez que les policiers auraient fait une faute et qu'ils auraient faussement indiqué le nom de …comme étant l'agresseur de votre épouse. Ce dernier aurait été convoqué deux ou trois semaines plus tard et vous signalez que la famille … vous aurait par la suite envoyé une personne qui vous aurait signalé que vous lui devriez « du sang selon la loi du Kanun ». Vous dites que le père de … voudrait vous tuer parce que « 3 c'est comme si son fils est mort en prison par ma faute. Être en prison ou être mort est la même chose pour ce père » (p. 7/11).
Vous n'auriez cependant pas signalé ces menaces à la police à cause de la corruption et parce qu'on ne pourrait « rien » faire avec la police kosovare. Fin octobre 2013, vous auriez recherché l'aide du « président des droits de l'homme », le dénommé … et de la commune, mais vous dites qu'on vous aurait renvoyé avec vos problèmes chez la police. Vous auriez alors compris que vous ne seriez pas sûr au Kosovo, d'autant plus qu'il y aurait eu cinq morts au cours des cinq mois de votre séjour au Kosovo.
Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Vous expliquez que vous auriez vécu « enfermé à la maison » après votre retour au Kosovo et que vous auriez constamment eu peur. Vous n'auriez pas déclaré l'agression contre votre époux à la police par peur de représailles. Concernant l'agression dont vous auriez été victime, vous expliquez que vous auriez été giflée et crachée dessus. Vous précisez que vous ne seriez pas au courant de tous les problèmes de votre époux parce que vous auriez été hospitalisée dans un centre psychiatrique. Vous auriez été chassée de la maison de vos beaux-parents parce que votre belle-mère et belle-sœur ne vous auraient jamais aimée.
Vous avez remis plusieurs documents pour étayer vos dires:
1) Un « rapport du spécialiste » de l'unité psychiatrique de l'hôpital de Pejë daté du 3 octobre 2013. Madame, il constate que vos problèmes de santé auraient commencé il y a plusieurs années à cause de votre mariage sans le consentement des parents. Votre état se serait empiré « ces derniers jours » à cause du conflit familial.
2) La déclaration que vous avez déposée auprès de la police en date du 11 octobre 2013 après avoir été agressée par deux personnes albanaises.
3) Un rapport de police du 11 octobre 2013 dans lequel est repris votre récit concernant l'agression. A noter que l'officier en charge, …, aurait soupçonné, sur base de vos descriptions, le dénommé …d'être un des agresseurs.
4) Une accusation pénale du Tribunal de première instance de Pejë datée du 13 novembre 2013 qui constate qu'une enquête aurait été entamée mais que les deux agresseurs en question n'auraient pas encore été retrouvés. Vous auriez été invitée au poste de police afin d'identifier vos agresseurs dans un album de photos, mais vous ne les auriez pas reconnus.
Force est de constater qu'hormis le rapport médical, vous avez uniquement remis des copies de ces documents et non les originaux. Leur authenticité ne saurait donc pas être vérifiée.
Vous avez également remis ladite photo marquée d'un « X» ainsi qu'une douille que votre frère aurait trouvée « devant la porte ». Vous expliquez que votre frère vous l'aurait envoyé du Kosovo.
Enfin, Madame, Monsieur, il ressort des rapports d'entretien qu'il n'y a plus d'autres faits à invoquer au sujet de vos demandes de protection internationale et aux déclarations faites dans ce contexte.
Analyse ministérielle en matière de Protection internationale 4 En application de la loi précitée du 5 mai 2006, vos demandes de protection internationale sont évaluées par rapport aux conditions d'obtention du statut de réfugié et de celles d'obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
Soulignons dans ce contexte que l'examen et l'évaluation de votre situation personnelle ne se limitent pas à la pertinence des faits allégués, mais qu'il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité de vos déclarations.
1. Quant à la Convention de Genève Il y a d'abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n'est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d'origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu'elle laisse supposer une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des Réfugiés.
Rappelons à cet égard que l'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 c) de la loi modifiée du 5 mai 2006, que ces actes sont d'une gravité suffisante au sens de l'article 31(1) de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 28 de la loi susmentionnée.
Selon l'article 1A paragraphe 2 de ladite Convention, le terme de réfugié s'applique à toute personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, qui se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels évènements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.
En l'espèce, il ressort à suffisance de votre dossier administratif que les raisons qui vous ont amenées à quitter votre pays d'origine n'ont pas été motivées par un des critères de fond définis par lesdites Convention et loi.
En effet, les actes invoqués (menaces et agressions) que vous déclarez avoir subis de la part de personnes albanaises non autrement identifiées, constituent des délits relevant du droit commun, punissables selon la loi kosovare et qui ne répondent à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la loi modifiée du 5 mai 2006.
En outre, en application de l'article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection au cas de l'espèce, il ne ressort pas des rapports d'entretien que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection à l'encontre de ces personnes albanaises.
En effet, il ressort de vos dires que vous auriez porté plainte après l'agression dont vous, Madame, auriez été victime et il ressort de l'accusation pénale versée qu'une enquête aurait été entamée. En plus, Madame, vous auriez été amenée au poste de police afin d'aider les policiers à identifier vos agresseurs. Par ailleurs, il ne ressort pas clairement de vos entretiens si vous avez finalement déclaré l'agression dont vous, Monsieur, auriez été victime.
Monsieur, vous expliquez qu'aucun policier n'aurait voulu s'occuper de vous, alors que vous, 5 Madame, signalez ne pas avoir déclaré cette agression à la police par peur de représailles.
En tous cas, vous n'auriez pas non plus signalé les menaces que vous auriez reçues de la part de la famille … et vous n'auriez pas remis ladite photo ou la douille à la police, alors que cela aurait pu l'aider dans son enquête. Or, on ne saurait déduire un défaut de protection à partir de tous ces constats puisque la police aurait donc activement essayé d'identifier vos agresseurs et qu'il vous aurait été possible de rechercher de l'aide. De plus, votre peur de représailles ou vos allégations de corruption envers la police kosovare ne sauraient pas justifier votre inaction.
En tous cas, force est de constater que la police kosovare est multiethnique et, malgré le fait qu'elle est régionalement pas représentée à un niveau optimal dû au nombre restreint d'effectifs, elle se prévaut d'une bonne réputation: « The police is widely perceived as the most trusted 'rule of law' institution in Kosovo. (…) The police has become more proactive in creating and maintaining partnerships with all communities. The basis for this approach is the community policing strategy and action plan for 2012-2016 and the municipal community safety councils. Most municipal community safety councils have been set up. Some need to enhance their activities. ». De même, il ressort des informations en nos mains que: « Efforts by the Kosovo police to develop partnerships with communities, based on the community policing strategy and action plan for 2012-2016, as well as the establishment of municipal community safety councils in most municipalities, accompanied a decrease in the total number of reported crimes. There was also a decline in the total number of reported incidents potentially affecting the Kosovo non-majority communities, compared with the previous reporting period. ».
A noter que: « The representation of ethnic communities in the Kosovo Police is regulated by the Constitution of the Republic of Kosovo and the Law on the Kosovo Police, as well as by secondary legislation and procedures. According to the Constitution of the Republic of Kosovo "the Police shall be professional and reflect the ethnic diversity of the population of the Republic of Kosovo." (…) In 2013, the KP is considered a "champion" among Kosovo institutions in regard to Serb ethnic minority representation. According to its own statistics, the KP has continued to follow excellent practice on ethnic representation, especially regarding the Serbian community. More precisely, by the end of 2013, around 11.49% of KP staff were Serbs, including both uniformed and civilian staff ».
Concernant la municipalité de … (dont vous dites être originaires), on peut préciser que: « The Kosovo police station in … municipality has 162 officers in the main police station and in ifs two (2) sub-stations in … and …. Out of 162 police officers 45 are from the Kosovo Serb, Kosovo Bosniak, Kosovo Egyptian and Kosovo Gorani communities, white 21 officers are female. As for the international military presence, Italian KFOR covers the area ».
Ainsi, force est de constater que non seulement la police est bien présente dans votre municipalité, mais elle est tout à fait en mesure de vous procurer la protection nécessaire.
Si néanmoins vous seriez d'avis ne pas pouvoir compter sur l'aide de la police, il y a lieu de signaler que vous auriez pu faire part de vos doléances auprès de l'Inspectorat de Police: « As defined in the Rules of Procedure 2005/54, the Police Inspectorate of Kosovo is established as an executive body of the Ministry of Internal Affairs. The Police Inspectorate of Kosovo consists of the executive manager and inspection officers, who are civilian officials and completely independent of the Kosovo Police Service. These officials are mandated with range of competencies for entry into and inspection of the police stations and departments, to interview police officers of all categories, to collect data on manners of tasks 6 accomplishment, investigate disciplinary complaints and, if necessary, to seize the police documents. (…) The Police Inspectorate of Kosovo is an independent mechanism for monitoring police and it has two main functions: Inspection of the manner in which the tasks are accomplished by KPS in a defined range of management functions in the context of appropriateness, effectiveness and application of the applicable laws, as well as to conduct review of all the complaints for misconduct of the KPS police officers regardless of their ranks. ».
En plus, il y a lieu de constater, qu'il existe à côté de la police, d'autres institutions présentes sur le territoire kosovar auxquelles vous auriez pu vous joindre pour faire valoir vos droits. Ainsi, I'EULEX et l'OSCE au Kosovo ont au centre de leur mandat la protection des minorités. Vous auriez donc certainement eu la possibilité de rechercher leur soutien contre les injustices dont vous dites avoir été victime. Notons que l'Union Européenne: « (…) attend d'EULEX qu'elle agisse conformément au mandat que lui a confié l'Union en vue d'encourager le développement stable du Kosovo et de garantir l'État de droit pour toutes les communautés du Kosovo; souligne à cet égard qu'EULEX sert les intérêts de toutes les minorités ethniques du Kosovo puisqu'elle traite, entre autres, les plaintes pour discrimination, harcèlement et violence à caractère ethnique, ainsi que les nombreuses questions de propriété qui demeurent pendantes. ». De même, l'OSCE est bien présente à Gnjilane et il aurait certainement été possible de vous adresser à cette institution et de leur faire part de vos doléances: « The OSCE regional centre Gjilan/Gnjilane covers 11 municipalities including Partes/Partesh and has field teams working in ail of them. ».
Force est en tout cas de constater, Monsieur, que vous seriez apparemment menacé depuis 2000, mais que vous n'auriez été giflé qu'une seule fois en 2007. De plus, tout comme des menaces, une gifle est exempte d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme acte de persécution au-delà du caractère non éligible des auteurs de persécutions suivant les dispositions du point c) de l'article 28 ensemble le paragraphe 2 de l'article 29 de la loi modifiée du 5 mai 2006. Considérant que si dès lors, en quelque sorte en sourdine, un sentiment latent de tensions et de malaise a certainement pu exister dans vos chefs, celui-ci ne répond cependant pas aux exigences posées par la loi, ni quant aux auteurs admissibles , ni quant à la gravité des actes pour pouvoir valoir utilement comme actes de persécution donnant accès au statut de réfugié.
Il convient en dernier lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée. Or, tel n'est manifestement pas le cas en l'espèce.
Quant à vos allégations de corruption envers la police kosovare, force est de constater que le dernier rapport régulier de la Commission Européenne d'octobre 2013 souligne que: « The anti-corruption legislative framework is largely in place. (…) During the reporting period, the special anti-corruption department of the Kosovo police has launched six investigations in cooperation with EULEX. They covered criminal acts such as abuse of official duty, giving and receiving bribes, and fraud. The Anti-Corruption Agency has continued to coordinate implementation of the strategy, of the laws on declaration of assets 7 by public officials and on prevention of conflict of interest, The Agency has sufficient capacity to perform its current tasks. Cooperation between the Agency and the prosecution has improved. The prosecution now provides systematic feedback to the Agency on the follow-up of cases. The Prosecutorial Council also set up a network of prosecutors coordinating corruption in six basic prosecution offices and in the Pristina office. There has been an increase in criminal cases against persons in high-level positions both at municipal and central levels. Continued efforts are necessary to ensure the accountability of highranking officials and politicians.
Concernant le présumé conflit de vengeance qui aurait éclaté avec la famille …, il y a tout d'abord lieu de noter que vous n'auriez à aucun moment cité le nom … aux autorités, qui auraient conclu elles-mêmes qu'il pourrait être l'auteur de l'agression. De ce point de vue, il est surprenant que son père vous ait déclaré cette « dette du sang » alors que vous auriez pu lui expliquer que vous ne seriez pas responsable de la convocation de son fils, fait repris dans le rapport de police du 11 octobre 2013 que vous avez remis. Par ailleurs, d'après vos dires, … aurait uniquement été convoqué au poste de police, il n'est nullement établi qu'il serait incarcéré. Ainsi, il n'est pas logique que son père vous ait déclaré la vengeance parce que : « (…) c'est comme si son fils est mort en prison par ma faute. Être en prison ou être mort est la même chose pour ce père » (p. 7/11).
Il faut ensuite soulever le fait que vous n'auriez à aucun moment essayé de trouver une solution ou de rechercher une aide. On peut noter que, malgré le fait que des problèmes de vengeance existent encore au Kosovo, cette pratique n'est pas très répandue et des efforts ont été faits en vue d'éradiquer cette pratique:
« Des sources signalent qu'au début des années 1990, Anton Çetta, professeur d'albanais à l'université de Pristina, a mené un mouvement de réconciliation à grande échelle pour mettre fin aux vendettas au Kosovo. Les estimations du nombre de réconciliations obtenues à cette époque varient : l’IMIR souligne que des centaines de familles impliquées dans 1 200 vendettas se sont réconciliées; l'Internationale des résistant(e)s à la guerre (IRG) affirme quant à elle qu'il y a eu environ 2 000 cérémonies de réconciliation. Environ 500 militants sont allés partout au Kosovo pour convaincre les familles participant à une vendetta de faire la paix. L'une des motivations clés pour la réconciliation à l'époque aurait été le besoin des Kosovars albanais de s'unir dans la lutte contre le gouvernement de la Serbie (…) Un conciliateur souligne que les vendettas ne sont [traduction] « pas un phénomène aussi répandu que par le passé ». Le 20 août 2009, lors d'un entretien téléphonique avec la Direction des recherches, un représentant du Réseau du journalisme d'enquête des Balkans (Balkan Investigative Reporting Network — BIRN) de Pristina a affirmé que le nombre de vendettas a diminué depuis le mouvement de réconciliation d'Anton Çetta (…) le représentant du PNUD évalue qu'il y a eu en moyenne trois cas par année de meurtres hautement médiatisés liés à des vendettas au Kosovo entre 2004 et 2009. Le représentant du BIRN a affirmé que les gens cherchent de plus en plus à obtenir justice par l'entremise des tribunaux plutôt que par les vendettas (…) Les représentants du PNUD et du BIRN ont affirmé qu'il y a certaines ONG au Kosovo qui aident les familles à résoudre les vendettas. Le représentant du BIRN a nommé le Conseil pour la protection des droits de la personne et des libertés (Council for Protection of Human Rights and Liberties), alors que le représentant du PNUD a nommé Partnership Together. Selon le représentant du BIRN, l'institut de l'université de Pristina où Anton Çetta a travaillé œuvre également à la résolution des vendettas, de même qu'un certain nombre d'aînés qui agissent à titre de conciliateurs. »1°. Toutefois, notons que vous ne sauriez pas valablement établir une soi-disant dette de sang selon la « loi Kanun » d'une part 8 parce que vous basez ceci que sur des suppositions non fondées, d'autre part il y a lieu de souligner que le fonctionnement de cette « loi Kanun » est strictement réglée par le codex de Leké Dukagjini et que vous ne faites aucunement état d'un déroulement tel que prévu par cette soi-disant loi.
Quoi qu'il en soit, Madame, Monsieur, même à supposer une telle histoire de vengeance établie en l'espèce, quid non, il convient de souligner qu'il s'agit de délits de droit commun, aucun arrière-fond politique, racial ou ethnique n'existe. Il a d'ailleurs été jugé par le Tribunal administratif que :
« Quant aux menaces de vengeance émanant de la famille du dénommé … dont les demandeurs font état, force est au tribunal de constater que les demandeurs restent en défaut de fournir des précisions qui permettraient de donner à ces menaces une qualific ation autre que celle d'infractions de droit commun, lesquelles menaces sont dès lors à considérer comme des problèmes interpersonnels et d'ordre privé qui ne peuvent de ce fait être rattachés à l'un des critères de persécution prévus à l'article 2 c) de la loi du 5 mai 2006 ou par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951. » (TA ; n°30.681 du rôle ; 12 juin 2012).
Monsieur, vous expliquez ensuite que les médecins n'auraient pas voulu vous soigner après que vous auriez été agressé. Dans ce contexte, il s'agit d'abord de noter que vous auriez reçu une piqûre et d'autres soins par une infirmière et il ne saurait être exclu que vos blessures n'aient pas sollicité l'intervention d'un médecin. Vous auriez d'ailleurs quitté l'hôpital après avoir reçu ces soins, laissant supposer que votre état n'aurait pas nécessité une hospitalisation. En tout état de cause, il ressort des informations en nos mains que: « The system of health care should be accessible to all citizens and all Communities of Kosovo. ».
En effet: « (…) equal health care for all citizens by ensuring the standards during fulfilling the needs at all levels of health care as well as ensuring health care without discrimination regardless: gender, nation, race, color, language, religion, political preferences, social status, the property status, the level of physical or mental abilities, family status, or age differences. » Quoi qu'il en soit, Monsieur, vous êtes d'ethnie albanaise, ethnie majoritaire au Kosovo, et il ne saurait être invoqué que vous risqueriez de subir des préjudices sur base de votre ethnie.
Enfin, concernant le conflit familial dont vous faites état, il y a lieu de soulever que des motifs strictement familiaux ne sauraient fonder une demande de protection internationale parce qu'ils ne tombent sous aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la loi modifiée du 5 mai 2006. Par ailleurs, le seul fait que vous auriez été jetés de la maison parentale parce votre mère et sœur, Monsieur, n'auraient pas aimé votre épouse, ne revêt pas un degré de gravité tel qu'il puisse être assimilé à une persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève.
Vous faites également état de vos problèmes à obtenir des documents auprès des autorités kosovares, ainsi que des amendes que vous auriez reçues suite à des infractions liées au code de la route. En ce contexte, vous parlez de discrimination de la part des autorités envers la minorité bochniaque. Tout d'abord, il convient de noter que vous auriez toujours reçu les documents sollicités et qu'un délai d'attente de trois jours n'est pas de nature à constituer un délai inacceptable. Concernant les amendes que vous auriez dû payer, il s'agit de préciser que celles-ci sont basées sur des infractions du code de la route. Même si vous êtes d'avis que les policiers vous auraient dressé des contraventions à cause de votre appartenance ethnique, vous restez en défaut de corroborer de telles accusations. ll faut donc 9 conclure qu'il n'y a pas eu d'abus de pouvoir de la part des policiers et qu'on ne saura pas non plus parler de politique discriminatoire des autorités kosovares envers les minorités ethniques. En effet, le Haut-commissaire pour les minorités nationales s'est félicité des progrès réalisés par le Kosovo en vue de protéger les droits et libertés des minorités: « (…) communities in Kosovo have their rights guaranteed by the Constitution and the laws of the country which are in full compliance with the highest international standards. Institutions of Kosovo are dedicated to help the community that resides in the north of the country in order for them to integrate into the institutional life of the country and benefit from the integration in the same manner as have other communities benefited. (…) Mr. Vollebaek on the other side expressed the readiness of OSCE for continuous support for the institutions of Kosovo related to the integration of all communities into society and improvement of the conditions of their lives. », Vous signalez ensuite ne pas pouvoir circuler librement au Kosovo. Or, il ressort des informations en nos mains que: « Generally, the Kosovo Bosniak community enjoys freedom of movement and has managed, unlike many other communities in Kosovo, to live peacefully alongside both the Kosovo Albanian and Kosovo Serb communities. As Muslims who speak Bosnian, i.e. Slavic language quite similar to Serbian and Croatian, the Kosovo Bosniak community has generally enjoyed ties with the Kosovo Serb community (e.g. linguistic reasons), as well as with the Kosovo Albanian community (e.g. religious reasons). (…) The Kosovo Bosniak community has enjoyed traditionally close ties with the Kosovo Albanian community as well as with the Kosovo Serb community, allowing them a relatively privileged position in the ethnic dynamics of Kosovo ».
Enfin, en ce qui concerne vos critiques que vous exprimez, Madame, Monsieur, à l'égard du (traitement medical de Madame, il convient en un premier temps de citer le rapport du Humanitarian Law Center (HLC) de Pristina, selon lequel: « Health services provided by hospitals and clinics, are under the control of the Kosovo Government are used by all ethnic communities except Serbs, who use health services in the parallel health centres controlled by the Government of Serbia. Besides Serbs, members of other ethnic communities, such as Roma and Gorani, also use Serbian healthcare centres. They do so because, if they have healthcare insurance, the services at a Serbian healthcare institution are free of charge.
In contrast, in Albanian healthcare institutions patients have to pay additional fees for healthcare services even if they have medical insurance. (…) Serbs from Gnjilane and the village of Srpski BabueBabushi i Serbve sometimes in case of emergency go to hospitals in Gjilan/Gnjilane or Ferizaj/ Urosevac. They claim that they were properly treated there and that they spoke with doctors in their own mother tongue ».
Ainsi, il est tout à fait prévu par loi kosovare que les patients sont censés prendre en charge une partie des frais liés aux traitements médicaux dans des hôpitaux kosovares. On ne saura par conséquent pas parler de politique discriminatoire envers votre personne. En ce qui concerne le refus de l'hôpital de Pristina d'opérer votre épouse, il s'agit donc de dresser un constat similaire, puisqu'il vous aurait fait savoir que vous ne seriez pas en mesure de payer pour cette opération. Vous dites également que cet hôpital aurait refusé d'opérer votre épouse parce que de telles opérations ne seraient pas pratiquées à Pristina. Or, si tel était le cas, on ne peut en déduire un traitement discriminatoire. En effet, le fait de refuser un patient parce que l'hôpital ne serait pas spécialisé ou équipé pour pratiquer une telle opération ne saura être perçu comme acte discriminatoire.
Force est en tout cas de constater que vos allégations d'être discriminés au Kosovo à cause de votre appartenance ethnique, Madame, voire à cause de votre mariage mixte, ne 10 sont basées sur aucun fait évident ou incident concret. En outre, Madame, il n'est nullement établi que l'association de soutien aux invalides ne vous aurait pas donné de chaise roulante parce que vous seriez bochniaque. Pour conclure, on peut citer le dernier rapport de la Commission Européenne au sujet des progrès réalisés par le Kosovo: « Kosovo has delivered on important policy reforms. In April, the Commission and the High Representative of the Union for Foreign Affairs and Security Policy confirmed that Kosovo had met the short-term priorities on the rule of law, public administration, protection of minorities and trade as identified in the feasibility study of October last year. In April, the Commission also issued its recommendation to the Council to sign and conclude a framework agreement allowing Kosovo to participate in European Union programmes. ».
Relevons en outre qu'en vertu de l'article 30 (1) de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, le ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.
Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.
Selon les lignes directrices de I'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.
En l'espèce, il ressort de vos dires, Monsieur, que vous ne pourriez pas vous installer dans une autre région du Kosovo parce que ce serait partout pareil : « La police et les juges sont tous corrompus » (p. 9/11). Madame, vous expliquez que vous auriez partout été menacée avant que vous auriez pour la première fois quitté le Kosovo en direction du Luxembourg. Or, il ne se dégage pas de ces seuls constats une impossibilité de profiter d'une fuite interne. Vos constats généralisés concernant la corruption au Kosovo ainsi que les menaces que vous auriez reçues avant 2008, ne sauraient justifier une telle impossibilité.
Ainsi, il n'est pas établi en l'espèce que vous n'auriez pas pu recourir vous-même à une réinstallation à l'intérieur de l'Albanie.
Compte tenu des constatations qui précèdent concernant les conditions générales dans cette partie du pays et votre situation personnelle, force est de retenir que les critères du paragraphe 2 de article 30 de la loi modifiée du 5 mai 2006 sont clairement remplis.
En conclusion, les faits que vous alléguez ne peuvent, à eux seuls, établir dans votre chef une crainte fondée d'être persécutés dans votre pays d'origine du fait de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social ou de vos convictions politiques ainsi que le prévoit l'article ter, section 1, § 2 de la Convention de Genève ainsi que les articles 31 et 32 de la loi précitée du 5 mai 2006.
De tout ce qui précède, les conditions permettant l'octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies.
2. Quant à la Protection subsidiaire 11 L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d'application de l'article 37 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006, à savoir qu'ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) de l'article 37 de ladite loi, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 28 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d'acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
En l'espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez vos demandes de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de vos demandes de reconnaissance du statut du réfugié. En effet, vous indiquez que vous auriez reçu des menaces et que vous auriez été agressés à deux reprises à cause de votre mariage mixte. En plus, vous seriez mêlés dans un supposé conflit de vengeance et vous faites état d'un conflit familial.
Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que vos récits ne contiennent pas de motifs sérieux et avérés permettant de croire que vous courez un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 37 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection. En effet, les faits invoqués à l'appui de vos demandes, ne nous permettent pas d'établir que a) vous craignez de vous voir infliger la peine de mort ou de vous faire exécuter, b) vous risquez de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, c) vous êtes susceptibles de faire l'objet de menaces graves et individuelles contre votre vie en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international.
De tout ce qui précède, les conditions permettant la reconnaissance du statut conféré par la protection subsidiaire ne sont pas remplies.
Vos demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l'article 19§1 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Kosovo, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner.
(…) ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 août 2014, les consorts …ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 17 juillet 2014 portant refus de leurs demandes de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
Quant aux faits invoqués, les consorts …renvoient à leurs déclarations telles qu’elles sont actées dans leurs rapports d’audition respectifs.
Ils rappellent qu’ils avaient déposé une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 23 octobre 2008 rejetée définitivement par un arrêt de la Cour administrative du 27 octobre 2009. Les consorts …font ensuite valoir que, suite à leur retour au Kosovo le 16 juillet 2013, ils auraient à nouveau été victimes d’évènements qui auraient fait naître dans leur chef de nouvelles craintes de persécution, de sorte qu’ils se seraient résolus à quitter leur pays d’origine une nouvelle fois pour déposer une nouvelle demande de protection internationale en date du 8 janvier 2014.
A titre liminaire, les consorts …estiment que le ministre se serait basé sur des considérations de fait erronées ne les concernant pas, en relevant, dans sa décision, qu’ils auraient fait état d’amendes du fait d’infractions au code de la route respectivement de difficultés à obtenir une chaise roulante.
En ce qui concerne la crédibilité de leur récit, les consorts …soulignent que cette dernière ne serait pas directement mise en doute par le ministre qui aurait néanmoins constaté que les pièces versées, hormis le rapport médical, ne seraient pas des pièces originales. Ils font valoir que les documents du tribunal de Pec seraient des copies certifiées conformes du fait de l’apposition d’un tampon officiel de la juridiction.
1) Quant au recours dirigé contre la décision de refus des demandes de protection internationale.
Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs font valoir, quant à la situation générale pertinente concernant leur pays d’origine, que cette dernière serait extrêmement tendue et dont les victimes seraient les minorités ethniques. Ils citent à cet effet un rapport de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 7 janvier 2013 qui relèverait que les incidents liés à la sécurité des personnes retournées chez elles auraient repris de l’ampleur dans certaines zones, alimentant le sentiment général que les retours ne sont pas les bienvenus. Les demandeurs se réfèrent encore à des extraits du rapport « World Report 2013 » de l’organisation Human Rights Watch, du rapport « Freedom in the world 2013-
Kosovo » de l’organisation Freedom House du 22 août 2012, ainsi que du rapport du 24 mai 2012 intitulé « 2011-Human Rights Reports-Kosovo » du United States Department of State, dénotant que de nombreux incidents interethniques ne seraient pas traités convenablement, que de nombreuses attaques d’Albanais sur des non-Albanais ne seraient pas poursuivies, qu’il n’y aurait pas d’amélioration significative de la situation des droits de l’Homme et que la minorité serbe devrait toujours faire face à des discriminations à différents niveaux.
Les demandeurs soulignent encore que les négociations de candidature du Kosovo à l’entrée dans l’Union européenne n’avanceraient pas et que les Européens fermeraient les yeux devant les graves problèmes du Kosovo comme « l’élimination physique des non-
Albanais ».
Par ailleurs, la ville de Pec aurait récemment été le théâtre d’une série de meurtres qui aurait eu pour conséquence que le ministre de l’Intérieur aurait dû s’expliquer devant le « comité des affaires intérieures ».
Les demandeurs donnent également à considérer que la loi du Kanun, qui connaîtrait actuellement une évolution anarchique, pervertie et incontrôlable, serait également appliquée au Kosovo dans la région de Pec.
En droit et quant aux motifs de persécution, les demandeurs estiment que le ministre aurait à tort décidé que les faits qu’ils ont invoqués ne seraient pas motivés par un des critères de fond définis par la Convention de Genève sur le statut des réfugiés ou par la loi du 5 mai2006, alors qu’il n’aurait pris en compte que les faits déjà survenus et non ceux qui risquent encore de se réaliser. Les demandeurs s’appuient sur les considérations du jugement précité du 5 juin 2014 qui aurait retenu que l’appartenance de Madame … à la minorité ethnique des Bochniaques du Kosovo constituerait l’origine des persécutions passées et futures dont ils feraient état. Les consorts …ajoutent qu’ils seraient également en danger de mort du fait de leur appartenance au « groupe social des Kosovars susceptibles de se voir appliquer la loi du Kanun », en raison de la mise en œuvre délirante du Kanun par les membres de la famille …, dont le fils aurait été déshonoré pour avoir été erronément soupçonné par la police d’avoir été un des agresseurs de Madame …. L’application du critère de groupe social à des familles victimes de situations de vendetta aurait été confirmée par une étude de l’UHNCR du 17 mars 2006.
Les auteurs des persécutions étant des personnes privées, les demandeurs font valoir que les autorités de leur pays d’origine ne seraient pas disposées, respectivement capables de leur offrir une protection adéquate contre ces persécutions du fait qu’il serait quasi unanimement reconnu que le fonctionnement du système judiciaire au sens large serait calamiteux au Kosovo en raison de dysfonctionnements des tribunaux et de la corruption au sein de la police. Dans ce contexte, les demandeurs se réfèrent à des extraits du rapport précité du United States Department of States du 24 mai 2012 relatifs à l’existence du phénomène de la corruption au sein de la police et du gouvernement, ainsi qu’à l’ineffectivité du système judiciaire. Ce constat serait aussi épinglé par le rapport précité de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe du 7 janvier 2013 qui déplorerait la lenteur de la justice et le fait que cette dernière continuerait à pâtir de l’ingérence politique, d’un manque d’effectivité et de transparence, ainsi que de la non application de la loi. Le rapport précité de l’organisation Human Rights Watch soulignerait également qu’il n’y aurait pas d’amélioration signifiante dans la protection des droits de l’Homme au Kosovo. Il serait dans ce contexte peu pertinent de savoir si la police kosovare est multiethnique, alors que, selon l’UNHCR, en matière de protection, il pèserait une obligation de résultat sur tout Etat vis-à-vis de ses ressortissants. Il serait de notoriété publique que la police kosovare ne serait pas à même de faire face à la violence dans leur pays d’origine et notamment dans le cadre des conflits interethniques. Ils soulignent que, dans leur situation personnelle, l’enquête de la police aurait été totalement inefficace, ayant pour conséquence, du fait de l’obstination erronée de l’enquête à l’encontre d’un membre de la famille …, de les exposer à la vengeance de la famille de ce dernier. Les demandeurs expliquent encore que le porte-parole de l’OSCE au Kosovo aurait déclaré qu’il n’existerait pas d’institution s’attaquant au problème des vendettas, alors que, dans le cadre de deux précédentes affaires, il aurait été constaté que l’Etat kosovar n’aurait pas réagi de manière adéquate en ne prenant pas au sérieux les menaces proférées en application de la loi du Kanun, la police n’étant pas en mesure de protéger une victime en tout temps, n’intervenant généralement qu’une fois que des actes violences aient été commis.
Les consorts …soulignent encore que l’Inspectorat de la Police serait critiqué du fait de son manque d’indépendance vis-à-vis du gouvernement sous l’autorité duquel il est placé par la loi et vis-à-vis de la police au bon-vouloir de laquelle il serait soumis pour mener des enquêtes. Il lui serait également reproché des problèmes structurels du fait d’un manque de personnel et d’efficacité du fait notamment que ses pouvoirs seraient limités à émettre des recommandations.
Les demandeurs se réfèrent encore au rapport précité de l’organisation Human Rights Watch qui dresserait le constat de l’échec d’EULEX pour gérer les violences interethniques. Il résulterait également d’un rapport de la Cour des Comptes de l’Union européenne que l’impact des actions de l’Union européenne au Kosovo resterait faible, alors que les faiblessesfondamentales du système judiciaire persisteraient du fait de l’ingérence politique et du manque de transparence au niveau judiciaire.
Les demandeurs font ensuite plaider qu’en application de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006, il existerait une présomption qu’ils continueraient, en cas de retour au Kosovo, à ressentir des craintes de persécution du fait des persécutions d’ores-et-déjà subies, sans qu’il n’y ait de raisons de croire que les menaces de mort ou de viol ne se réaliseront pas.
Ils contestent encore la possibilité de fuite interne, soulignant que le ministre aurait failli à son obligation d’établir concrètement, en fonction de leur situation personnelle, où et comment une telle fuite interne serait envisageable. Ils ajoutent que du fait qu’ils sont ressortissants du Kosovo, l’Albanie ne saurait être considérée comme une partie du territoire national kosovar, ni comme un pays tiers sûr au sens de l’article 16 de la loi du 5 mai 2006.
A titre subsidiaire, les demandeurs estiment que, sur base des mêmes faits, ils devraient bénéficier du statut de la protection subsidiaire au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.
Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours qui ne serait fondé en aucun de ses moyens.
A titre liminaire, il échet de constater que la décision déférée contient effectivement des passages qui n’ont pas trait aux déclarations telles qu’elles ont été actées dans les rapports d’audition respectifs, de sorte qu’il est fait droit à la demande des consorts …de faire abstraction des faits relatifs à des gifles essuyées par « Monsieur », ainsi que ceux relatifs à des problèmes à obtenir des documents officiels, à la liberté de circulation et aux difficultés de traitement médical de « Madame ».
Aux termes de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourne (…) ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de 15 l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En ce qui concerne les agressions subies par Monsieur …et son épouse, ainsi que les problèmes familiaux, force est de relever que ces faits tombent effectivement dans le champ d’application de l’article 2 d) précité de la loi du 5 mai 2006, alors qu’ils sont tous motivés par l’appartenance à l’ethnie bochniaque de Madame … et surtout par le fait que les époux … constituent un couple mixte kosovar-bochniaque.
Si l’agression à main armée de Monsieur …, s’étant soldée par un coup sur la tête lui faisant perdre connaissance et lui ayant causé des saignements du nez et un œil au beurre noir, suivie quelques jours plus tard de la réception d’une douille et de sa photo marquée d’une croix, n’est pas dénuée de toute gravité ensemble avec la menace au couteau, dans le même contexte, dirigée contre Madame … et son fils, force est cependant de retenir qu’il n’est pas établi que les autorités kosovares n’auraient pas pu, respectivement voulu leur accorder une protection y relative.
En effet, même si le demandeur affirme avoir été découragé, dans un premier temps, par la police de porter plainte du fait de l’agression à main armée dont il a été victime, il n’est pas établi que la police lui aurait refusé d’accepter un dépôt de plainte y relative de sa part s’il avait insisté à le faire, surtout après qu’il a reçu une douille et sa photo marquée d’une croix, et ce, d’autant plus qu’il ressort du récit acté dans les rapports d’auditions, ainsi que des pièces versées en cause que Madame … a valablement pu porter plainte suite à l’agression qu’elle et son fils ont subie et que la police a fait certains efforts pour identifier les coupables en se déplaçant notamment sur les lieux de l’agression pour trouver une éventuelle caméra de surveillance, respectivement des témoins, ainsi qu’en rappelant Madame … plusieurs fois au bureau pour identifier ses agresseurs à l’aide des fichiers internes de la police. Si la police, après avoir interrogé un dénommé …qu’elle a cru identifier sur base des descriptions données par Madame …, a finalement informé le tribunal de première instance de Pec en date du 13 novembre 2013 que les auteurs des faits restent inconnus, le même courrier fait néanmoins état de la demande du procureur d’Etat de poursuivre la procédure. Ainsi, le fait que des auteurs d’une infraction n’aient pas pu être identifiés pour être traduits en justice n’équivaut pas ipso facto à une absence de protection.
En effet, la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau dedissuasion. Des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Faute pour les demandeurs d’avoir déposé une plainte contre les auteurs de la menace de dette de sang, ils restent en défaut de prouver l’absence de protection de la part des autorités de leur pays. Il appartient en effet aux demandeurs, avant de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par leurs propres autorités et institutions nationales. L’abstention pure et simple par Monsieur …d’insister pour porter plainte suite aux menaces de mort qui lui ont été adressées à la suite de son agression, alors que, d’après les conclusions de la partie étatique, ainsi que de plusieurs éléments objectifs du dossier relevés ci-avant, une telle protection est tout à fait envisageable, met les demandeurs dans l’impossibilité d’établir qu’ils n’auraient pas pu bénéficier d’une quelconque protection, respectivement qu’ils auraient été personnellement victimes d’un des dysfonctionnements relevés par les sources internationales dont ils ont fait état dans leur requête introductive d’instance.
Quant au conflit des demandeurs avec la famille de Monsieur …qui reproche à Madame … d’être à l’origine des problèmes de Monsieur …, il ne résulte pas des déclarations respectives des demandeurs que les altercations verbales, ainsi que le bannissement des demandeurs de la maison familiale de Monsieur …soient suffisamment graves au regard des exigences légales de l’article 31 précité de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne la menace de dette de sang dirigée directement contre Monsieur …en personne, un tel fait constitue une infraction de droit commun qui n’est pas susceptible de rentrer dans un des critères de l’article 2 d) précité de la loi du 5 mai 2006, alors que la motivation d’un tel acte réside exclusivement dans le fait que la police a interrogé une personne dénommée … … dans le cadre de l’agression subie par Madame …, et non dans le fait, comme le prétendent les demandeurs, que Monsieur …appartiendrait au « groupe social des Kosovars susceptibles de se voir appliquer la loi du Kanun », un tel groupe ne possédant pas de critère commun caractéristique suffisamment distinctif.
Il résulte de ces considérations que les faits invoqués par les demandeurs ne sont pas de nature à les faire bénéficier d’une protection au sens de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que c’est à juste titre que le ministre a refusé d’octroyer aux demandeurs le statut de réfugié.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et 18 individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Quant à ce volet du recours, les demandeurs se fondent sur les mêmes faits que ceux invoqués à l’appui de leurs demandes principales de reconnaissance du statut de réfugié.
Les demandeurs n’ayant pas fait état d’un risque de subir des tortures, une exécution ou la peine de mort, ni d’être exposés à des menaces graves et individuelles contre leur vie ou leur personne du fait d’un conflit armé interne, il s’agit de vérifier si les faits invoqués peuvent être considérés comme des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.
Or, force est au tribunal de relever qu’il ne saurait se départir, dans le cadre de la présente analyse, des conclusions reprises ci-avant au sujet de la possibilité d’obtenir une protection contre les actes de persécution invoqués, alors que, même si les agressions physiques, ainsi que les menaces de mort dont les demandeurs ont été victimes, peuvent être qualifiés dans leur ensemble de traitements inhumains et dégradants, il n’est pas non plus établi, dans le cadre du présent volet du recours, et sur base des considérations précédentes, qu’une protection de la part des autorités kosovares aurait été refusée, sinon impossible, étant encore relevé que si le conflit familial n’a pas été jugé suffisamment grave au regard des conditions d’octroi d’un statut de réfugié, ce même fait ne saurait pas non plus, par sa nature, être considéré comme un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006.
Quant à la situation de vendetta dont Monsieur …se plaint, force est de constater que mis à part l’information autour d’un café par une tierce personne que la famille … réclamerait son sang, les demandeurs n’ont pas fait état d’autres incidents y relatifs, respectivement de tentatives de vengeance de la part de la famille …. Eu égard au fait qu’il n’est pas non plus rapporté que la personne, issue de la famille … et qui aurait injustement été suspectée par lapolice d’avoir agressé Madame …, aurait effectivement dû subir une arrestation respectivement une condamnation en relation avec ladite agression - les demandeurs se limitant à faire état d’un interrogatoire et versant un document du tribunal de première instance de Pec du 13 novembre 2013 confirmant qu’il n’a pas été possible d’identifier les personnes coupables - le tribunal est amené à considérer que le risque d’atteintes graves de ce chef n’est pas suffisamment établi, étant, par ailleurs, relevé que les demandeurs se sont volontairement abstenus d’avertir les forces de l’ordre de la menace y afférente, de sorte qu’il n’est pas établi que les autorités auraient refusé toute mesure de protection à leur égard, respectivement que ces dernières n’auraient pas été à même de leur garantir une quelconque protection y relative.
C’est partant également à bon droit que le ministre a refusé d’accorder aux demandeurs la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé en ses deux volets.
2. Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».
A cet égard, les demandeurs exposent que dans la mesure où ils auraient fait valoir une crainte justifiée de persécution sinon d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.
Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté les demandes de protection internationale sous analyse, de sorte qu’a priori, il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006.
En ordre subsidiaire, ils concluent à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait de façon autonome tant l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration que l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après « la CEDH ». Les demandeurs estiment en effet que le champ d’application de ces dispositions serait plus large que celui de l’article 2 de la loi du 5 mai 2006. Ils considèrent que le degré du risque de faire l’objet de mauvais traitements exigé pour obtenir la reconnaissance d’une protection internationale serait beaucoup plus élevé que celui requis pour interdire l’éloignement de l’étranger vers le pays dans lequel ce risque existe et que l’on ne saurait automatiquement conclure qu’un demandeur de protection internationale débouté ne puisse pas valablement faire état d’un risque de traitements inhumains ou dégradants dans son pays d’origine qui interdirait son éloignement vers ce pays. L’ordre de quitter le territoire ne seraitpas une conséquence légale du refus de protection internationale alors qu’il existerait des critères bien particuliers qui interdiraient l’éloignement d’un étranger vers un pays où il risquerait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, qui seraient étrangers à ceux selon lesquels un statut de protection internationale peut être accordé. Les demandeurs estiment avoir établi la réalité du risque pesant sur eux et qui interdirait leur éloignement vers le Kosovo, et ce, grâce au faisceau d’indices qui serait constitué par toutes les violences morales et physiques dont ils auraient d’ores et déjà été victimes. Les demandeurs soutiennent encore que la situation de détresse dans laquelle ils seraient plongés en cas de retour au Kosovo, mêlée au sentiment d’angoisse de subir des mauvais traitements, serait constitutive d’un traitement inhumain et dégradant. Ils soutiennent encore que l’article 3 de la CEDH, combiné à l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008, poserait un principe absolu d’interdiction de refoulement vers un pays où la personne concernée risque de faire l’objet de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2 de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Quant à l’incidence de l’article 3 de la CEDH, si ledit article proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la Convention, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la Convention d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une telle mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat de destination. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existe un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour au Kosovo, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’existence, dans le chef desdemandeurs, d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités de leur pays et qu’ils ne sauraient prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement pas se départir à ce niveau -ci de son analyse de cette conclusion.
Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH, lequel n’est en l’espèce pas atteint compte tenu des possibilités de protection existantes, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs au Kosovo soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH.
Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 17 juillet 2014 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;
au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;
donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Carlo Schockweiler, premier vice-président, Olivier Poos, juge, Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique du 23 septembre 2015 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.
s.Marc Warken s.Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23/09/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 22