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21/09/2015 | LUXEMBOURG | N°35235

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 septembre 2015, 35235


Tribunal administratif N° 35235 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2014 2e chambre Audience publique du 21 septembre 2015 Recours formé par la société à responsabilité limitée ….., …., contre deux décisions du directeur de l’administration des Douanes et Accises en matière de cautionnement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35235 du rôle et déposée en date du 29 septembre 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne-Sophi

e Greden, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 35235 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 septembre 2014 2e chambre Audience publique du 21 septembre 2015 Recours formé par la société à responsabilité limitée ….., …., contre deux décisions du directeur de l’administration des Douanes et Accises en matière de cautionnement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 35235 du rôle et déposée en date du 29 septembre 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne-Sophie Greden, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée ….. S.àr.l., établie et ayant son siège social à …., inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …. , représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du directeur de l’Administration des Douanes et Accises du 4 septembre 2014 portant rejet de son recours introduit le 22 août 2014 à l’encontre d’une décision de l’administration des Douanes et Accises du 14 août 2014 l’ayant invitée à fournir un cautionnement, ainsi que d’une décision confirmative du même directeur du 17 septembre 2014 ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 19 décembre 2014 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 16 janvier 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne-Sophie Greden pour compte de la société demanderesse ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 13 février 2015 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Anne-Sophie Greden et Madame le délégué du gouvernement Caroline Peffer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 1er juin 2015.

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Par décision du 14 août 2014, l’administration des Douanes et Accises invita la société à responsabilité limitée ….. S.àr.l., ci-après désignée par « la société ….. », à fournir un cautionnement à hauteur de 122.865,81 euros, cette décision étant libellée comme suit :

« (…) Par la présente, nous vous (….., ….., Sàrl inscrite au registre des agences en douane sous le numéro ….) soumettons l'avis de cautionnement dans l'affaire sous rubrique.

1Le présent avis porte sur le montant de …. € ; en toutes lettres : ….. . Les faits matériels qui s'y rapportent et le détail du calcul de celui-ci sont repris dans l'annexe jointe à la présente.

L'opération ….. poursuit l'objectif de s'assurer de la perception correcte des droits sur certaines marchandises en provenance de CHINE.

Le montant du cautionnement est fixé d'après les prix dits « fair prices ». Ces prix sont déterminés sur base d'une enquête de l'OLAF (Office européen de lutte antifraude (OLAF) qui fait partie de la Commission européenne) portant sur la valeur calculée des marchandises produites en Chine. Cette valeur est déterminée conformément à l'article 30 d) du règlement (CEE) n° 2913/92 du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire.

Vous disposez jusqu'au 2 septembre 2014 pour fournir ce cautionnement.

Le défaut de fournir un cautionnement dans l'affaire sous rubrique aura comme conséquence que la partie de votre cautionnement en matière douanière portant sur la présente […] sera immédiatement recouvert[e] auprès de votre caution ou banque garante.

Même s'il s'agit d'une fraude qui ne vous est pas imputable directement, le fait que vous représentez …… en Pologne (PL7010387091) pour les opérations d'importation, entraîne l'obligation de payer les droits à l'importation réellement dus.

La présente ne préjuge pas d'un recouvrement éventuel de la T.V.A. (taxe sur la valeur ajoutée) du chef de votre qualité de « représentant fiscal ». (…) ».

Par courrier de son mandataire du 22 août 2014, la société ….. introduisit devant le directeur de l’administration des Douanes et Accises, ci-après désigné par « le directeur », le recours prévu par l’article 243 du règlement (CEE) N° 2913/92 du Conseil du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire, ci-après désigné par « le code des douanes communautaire », à l’encontre de la décision, précitée, de l’administration des Douanes et Accises. Ledit recours fut rejeté par une décision directoriale du 4 septembre 2014, libellée comme suit :

« (…) Je prends acte du recours contre la décision prise par Monsieur …, receveur …. au bureau des douanes et accises à Luxembourg-Aéroport en date du 14 août 2014, référencé sous rubrique que vous m'avez transmis pour compte de votre mandant …..

Luxembourg S.àr.l.[.] Permettez-moi tout d'abord de vous faire savoir que les droits de douane dont question constituent une ressource propre de l'Union européenne et que l'Etat luxembourgeois, au point d'entrée, n'en est que le percepteur. Il s'ensuit que les règles relatives à la valeur des biens et celles à la détection d'une éventuelle sous-évaluation constituent bien des règles communautaires.

Quant à votre argumentation, je me permets d'avancer les points suivants :

1. Base de calcul du cautionnement 2Le prix effectivement payé ou à payer (valeur transactionnelle) pour les marchandises pour l'exportation à destination du territoire douanier de la Communauté est en principe la valeur en douane à prendre en considération.

Vous vous demandez « en quoi les prix des marchandises importées…ne seraient pas des 'fair prices' au sens du droit communautaire » et également pourquoi ce n'est que « la moitié des importations qui est incriminée par mon administration ».

Certains envois déclarés par votre mandant ont été identifiés comme étant sous-

évalués et ce en raison des critères de l'opération ….., lancée par l'Office de la Lutte Anti-

Fraude (ci-après OLAF), ayant pour objectif le ciblage de produits en provenance de Chine relevant plus particulièrement des chapitres 61 à 64 de la nomenclature combinée. Une valeur facture ne constitue qu'une présomption simple de véracité du prix à utiliser pour fixer le montant des droits de douane que le douanier, en cas de doute fondé, pourra se faire cautionner.

Les recherches de l'OLAF ont fait ressortir que ni la valeur transactionnelle des marchandises en question, ni « les valeurs transactionnelles de marchandises identiques ou similaires, vendues pour l'exportation à destination de la Communauté et exportées au même moment ou à peu près au même moment que les marchandises à évaluer » peuvent être prises en considération (Articles 29 et 30 du Règlement (CEE) No 2913/92 DU CONSEIL du 12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire (ci-après 'Code')). L'OLAF a fixé un prix de référence 'minimal' à appliquer pour toute importation tombant 'sous …..', prix basé sur le mode de détermination de la valeur calculée (Article 30 § 2 d du Code). Ce prix a été fixé par poids net, libellé en euros et mis à la disposition des administrations des douanes et accises. Les prix des marchandises visées par la présente se situent très nettement en dessous de ces prix de référence.

Afin de garantir la perception ultérieure des droits en cause, le receveur du bureau de Luxembourg-Aéroport vous a transmis sa décision de cautionnement en la matière.

2. Responsabilité d'un agent en douane Vous semblez vous être étonnée au fait que « …..n'est pas visée par cette décision administrative ». En vertu de l'article 201 § 3 du Code vous invoquez à juste titre que votre mandant en tant que déclarant est le débiteur et s'agissant d'une agence en douane en représentation indirecte, la personne, pour le compte de laquelle la déclaration en douane e st faite, est également [débitrice], dans ce cas précis …… …..étant représentée au Luxembourg par son représentant fiscal ….. Luxembourg II S.àrl. …., enregistrée en tant que tel sous le N° …..(Matricule …), cette dernière est évidemment visée par la décision administrative en question.

Vous n'ignorez cependant pas qu'au cas où un arrangement à l'amiable avec votre mandant ne pourrait être trouvé, l'affaire devrait être poursuivi[e] judiciairement. Ainsi « même si la fraude étant établie à charge du client, le juge met hors de cause l'agent en douane au niveau pénal, ce dernier reste cependant tenu au paiement des impôts, solidairement avec son client. » (Article 135 de la Loi générale sur les douanes et accises du 18 juillet 1977).

3Votre mandant étant débiteur, le receveur du bureau des douanes et accises Luxembourg-Aéroport est en droit d'exiger de votre mandant la constitution d'une garantie en vue d'assurer le paiement d'une dette douanière (article 189 §1 du Code). En vertu de l'article 190 §1 du Code «cette garantie est exigée à l'appréciation des autorités douanières, dans la mesure où le paiement, dans les délais prévus, d'une dette douanière née ou susceptible de naître n'est pas assuré de façon certaine.».

3. Audition de Madame …..

Il est vrai que l'audition en la matière a été faite avec la déclarante de votre mandant, fait qui ne pourrait mettre en cause la légalité formelle de la décision de cautionnement.

Après vérification auprès des services concernés, je me dois de constater que Madame ….. a été et est toujours une des personnes de contact de votre mandant avec les agents du bureau des douanes et accises Luxembourg-Aéroport.

4. Cargaisons 39 et 40 Monsieur le Receveur du bureau des douanes et accises de Luxembourg vient de me confirmer que les cautionnements de ces deux envois vous seront remboursés dès que le cautionnement de …. sera déposé.

5. Recouvrement auprès de votre caution ou banque garante La base du cautionnement en question est la sous-évaluation des valeurs en douane engendrant une perception insuffisante de droits d'entrée de …. EUR.

Invoque[r] une menace dans l'annonce du receveur de recouvrir auprès de votre caution, ici ….. à …., les droits de douane en cause me semble étrange, alors que le recouvrement, aux époques déterminées, des recettes, dont la perception lui a été confiée, est de sa responsabilité personnelle et pécuniaire. (Loi du 8 juin 1999 - Chapitre 8.3.-

Comptables publics — Articles 26, 28 § 1 et 29). Vous n'ignorez pas que l'acte de cautionnement No 1…. n'est pas réservé aux seules perceptions à opérer dans le cadre d'un paiement différé, mais a été créé «pour sûreté et recouvrement de tout ce dont le client : …..

SARL, … ou toute tierce personne pour laquelle elle s'est portée ou se porterait caution personnelle … est ou deviendrait redevable au bureau des douanes et accises Luxembourg -

Aéroport…, à quel qu'en soit le titulaire, tant en principal et additionnels que pour frais et accessoires y relatifs : 1) à titre de droits de douane …». Il ne s'agit donc nullement d'un «excès de pouvoir» de la part du receveur du bureau concerné.

Le délai fixé par le receveur trouve sa base légale à l'article 222 § 1 a) du Code soit «dix jours à compter de la communication au débiteur».

6. Article 244 du Code Au vu de ce qui précède, je suis au regret de vous informer que je ne suis pas disposé à surseoir à la décision du receveur du bureau des douanes et accises Luxembourg-Aéroport.

L'introduction d'un recours n'étant pas suspensive de l'exécution de la décision contestée je vous invite dès lors à fournir le cautionnement de …. EUR. Je vous accorde un ultime délai jusqu'au 15 septembre 2014. Passé ce délai le défaut de ce faire aura comme conséquence immédiate le recouvrement de la somme due auprès de votre caution.

4 7. Attestation OLAF Reste à relever que je viens d'être informé que l'OLAF produira un certificat confirmant que le prix appliqué est justifié. Dès que je serais en possession de ce certificat, je vous le ferai parvenir sans délai. (…) ».

Par courrier du 11 septembre 2014, le mandataire de la société ….. s’adressa au directeur en ces termes :

« (…) J’accuse bonne réception de votre lettre datée du 4 septembre en réponse au recours de ma partie du 22 août 2014.

Votre susdite lettre est datée du 4 septembre 2014. Or, je ne l’ai reçue que le 11 septembre par courrier ordinaire.

In fine de la page 3 « sub. 6, article 244 du code », vous nous réservez un délai jusqu’au 15 septembre 2014.

Si votre lettre était partie le 4, je l’aurai reçue le 5 et ma partie aurait donc eu un délai de 10 jours pour fournir le cautionnement.

Maintenant elle n’a plus que 3 jours, ce qui est inadmissible.

Dans ces conditions, je requiers un délai jusqu’au 25 septembre, sous réserve de tous autres droits en ce qui concerne le fond de l’affaire.

Sur ce point, je me dois d’ores et déjà cependant d’insister que vous n’avez pas motivé votre refus d’appliquer l’exception de l’article 244.

Je vous donne à considérer qu’un refus de demande doit être correctement motivé au regard des prescrits de la procédure administrative non contentieuse. (…) ».

Par décision du 17 septembre 2014, le directeur accorda à la société ….. une prolongation du délai pour fournir un cautionnement jusqu’au 25 septembre 2014, cette décision étant libellée comme suit :

« (…) Prenant référence à votre lettre du 14 août 2014 critiquant le délai accordé à votre mandante « ….. Luxembourg Sàrl » pour fournir le cautionnement à Monsieur …., ….

au bureau des douanes et accises à Luxembourg-Aéroport, je constate que l'échéance a été fixée au 15 septembre 2014.

Vous invoquez que ma lettre datée 4 septembre 2014 [ne] vous est parvenue qu'en date du 11 septembre 2014.

Or, après vérification auprès de mes services responsables, je vous confirme que ladite lettre a été expédiée le 5 septembre 2014.

Nonobstant ceci, je m'accorde à faire bénéficier votre mandante d'une prolongation dudit délai à savoir jusqu'au 25 septembre 2014.

5 En ce qui concerne l'application de l'article 244, je tiens à relever que la renonciation à la constitution d'une garantie est une faculté dont la mise en œuvre, au vu précisément de la situation de fait étayée dans mon courrier, ne me semble pas opportune en l'espèce. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 septembre 2014, la société ….. a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation des décisions directoriales, précitées, des 4 et 17 septembre 2014.

Le délégué du gouvernement soulève l’incompétence ratione materiae du tribunal administratif pour connaître du présent litige. En se prévalant des articles 95bis de la Constitution et 8 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », il soutient qu’en matière fiscale, les juridictions administratives ne disposeraient que d’une compétence d’attribution limitée aux contestations relatives à certains impôts, parmi lesquelles ne figureraient pas celles relatives à la perception de droits de douane, telles que celles faisant l’objet du présent litige, qui concernerait une demande de fourniture d’un cautionnement, soit une mesure conservatoire dans le but de garantir le paiement ultérieur de droits de douane. Or, des actes s’inscrivant dans le cadre du recouvrement d’un droit ou impôt ne relèveraient pas de la compétence des juridictions administratives.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse réfute le moyen d’incompétence ratione materiae des juridictions administratives ainsi soulevé par le délégué du gouvernement, en soutenant à cet égard, d’une part, que les droits de douane faisant l’objet du cautionnement litigieux ne seraient pas des impôts directs de l’État, au sens de l’article 8 (1) de la loi du 7 novembre 1996, en ce qu’ils ne seraient ni établis par, ni perçus pour ce dernier, mais qu’il s’agirait de droits d’origine communautaire perçus par l’Union européenne agissant à travers ses États membres et, d’autre part, qu’une décision intervenue en matière de droits de douane constituerait une décision administrative qui serait susceptible d’un recours devant les juridictions administratives à partir du moment où elle ferait grief à l’administré concerné.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que l’objet du recours consisterait à mettre en doute la validité et le montant du cautionnement dont la fourniture aurait été réclamée à la société ….. pour garantir la « (…) dette douanière éventuelle (…) », de sorte que ledit recours relèverait du droit fiscal « (…) pour ce qui est de l’impôt de l’Union [que constituerait] le droit de douane, à savoir le montant des droits de douane à l’importation, son assiette, c’est-à-dire la « valeur en douane », sa liquidation et éventuellement, à un stade ultérieur, le recouvrement du cautionnement bancaire. (…) ». Or, les droits de douane ne constitueraient pas des impôts directs, de sorte qu’ils échapperaient à la compétence des juridictions administratives. Dans ce contexte, le délégué du gouvernement donne à considérer que s’il est certes exact que les juridictions administratives seraient compétentes pour connaître de certaines contestations en matière douanière, telles que celles ayant trait à l’admission à un régime douanier donné, ceci ne serait pas le cas s’agissant des contestations ayant trait à l’établissement et à la perception d’un impôt dont la compétence reviendrait à l’administration des Douanes et Accises, comme notamment les droits de douane. En se prévalant d’un jugement du tribunal administratif du 16 novembre 2009, inscrit sous le numéro 25179 du rôle, ainsi que de l’arrêt confirmatif de la Cour administrative du 20 avril 2010, inscrit sous le numéro 26445C du rôle, il conclut que le présent litige relèverait de la compétence exclusive des juridictions judiciaires.

6 S’agissant de la question de la compétence ratione materiae du tribunal de céans pour connaître du recours introduit par la société demanderesse, il convient de se référer aux dispositions constitutionnelles pertinentes, à savoir les articles 84, 85 et 95bis de la Constitution.

En vertu de l'article 84, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux judiciaires.

Selon l'article 85, les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont également du ressort des tribunaux judiciaires, sauf les exceptions établies par la loi.

L'article 95bis, paragraphe 1er, première phrase, dispose que le contentieux administratif est du ressort du tribunal administratif et de la Cour administrative.

Pour concilier les trois dispositions constitutionnelles en question et attribuer à chacune pleine efficacité dans le domaine qu'elle régit, il y a lieu d'opérer une distinction entre les droits subjectifs et les droits objectifs.

Les articles 84 et 85 traitent exclusivement des droits subjectifs pour lesquels les juridictions judiciaires sont juges de droit commun, étant précisé que pour les contestations portant sur des droits civils, par essence subjectifs, elles ont juridiction exclusive, tandis que pour les droits politiques subjectifs, elles sont juges de droit commun, la possibilité étant cependant conférée au législateur d'en conférer la connaissance à d'autres juridictions. En revanche, le contentieux administratif au sens de l'article 95bis, alinéa 1er, première phrase, de la Constitution couvre le contentieux portant sur le droit administratif objectif, qu'il se matérialise sous forme d'actes réglementaires ou sous forme de décisions administratives individuelles qui, du seul fait de ne viser qu'une seule personne, n'en perdent pas pour autant leur caractère objectif.

Le juge administratif est donc juge de droit commun en matière de contentieux administratif objectif et il peut se voir attribuer, par le législateur, la connaissance du contentieux portant sur des droits politiques subjectifs sans être juge de droit commun en la matière.

Les obligations fiscales, qui font naître dans le chef des pouvoirs publics une créance individuelle à l'égard des contribuables, relèvent des droits politiques dont les contestations sont attribuées, en principe, sauf exception législative, aux juges judiciaires qui ont donc juridiction de droit commun en la matière. Cette conclusion s'impose tant en vertu de l'article 85 de la Constitution qu'en vertu de son article 95bis, paragraphe 1er deuxième phrase, qui dispose que le tribunal administratif et la Cour administrative connaissent du contentieux fiscal dans les cas et sous les conditions à déterminer par la loi.1 En d’autres termes, en matière fiscale, les juridictions administratives ne sont investies que d’une compétence d’attribution portant sur des contestations ayant trait à certains impôts déterminés par la loi. Il s’ensuit que la compétence du tribunal de céans pour connaître du contentieux fiscal est limitée aux seuls cas qui lui sont expressément dévolus par la loi.

1 Cour adm., 12 avril 2010, n° 26445C du rôle, Pas. adm. 2015, V° Compétence et l’autre référence y citée.

7En l’espèce, dans le mesure où les décisions déférées ont pour objet le rejet, par le directeur, d’un recours introduit par la partie demanderesse à l’encontre d’une décision de l’administration des Douanes et Accises l’ayant invitée, en sa qualité d’agent en douane ayant procédé au dédouanement de marchandises importées de Chine par une société tierce, à fournir un cautionnement afin de garantir le paiement ultérieur des droits de douane afférents, au motif que lesdites marchandises auraient été sous-évaluées, c’est-à-dire d’une décision portant obligation à l’égard de la société demanderesse de garantir le paiement d’une dette fiscale et s’inscrivant, par conséquent, dans le cadre de la perception d’impôts, le tribunal est amené à retenir que les contestations afférentes de la société ….. visant notamment la validité et l’étendue de l’obligation de garantie lui imposée par la décision, précitée, de l’administration des Douanes et Accises relèvent du contentieux fiscal, au sens de l’article 95bis de la Constitution.

La compétence des juridictions administratives en matière fiscale est déterminée par l’article 8 (1) de la loi du 7 novembre 1996 qui attribue au tribunal administratif la compétence de « (…) connaître des contestations relatives :

a) aux impôts directs de l’Etat, à l’exception des impôts dont l’établissement et la perception sont confiés à l’Administration de l’Enregistrement et de Domaines et à l’Administration des Douanes et Accises et b) aux impôts et taxes communaux, à l’exception des taxes rémunératoires. » Il se dégage de cette disposition légale que la compétence du tribunal administratif se limite, d’une part, aux impôts directs de l’Etat, à l’exception des impôts perçus par l’administration de l’Enregistrement et des Domaines et par l’administration des Douanes et Accises et, d’autre part, aux impôts et taxes communaux, à l’exception des taxes rémunératoires.

Le tribunal est d’abord amené à relever qu’il est constant en cause que les droits de douane que la partie demanderesse a été obligée de garantir par la fourniture d’un cautionnement, aux termes des décisions déférées, ne constituent pas des impôts ou des taxes communaux, de sorte que la compétence du tribunal de céans pour connaître du présent litige ne saurait être fondée sur l’article 8 (1) b) de la loi du 7 novembre 1996. S’agissant ensuite de la question de savoir si lesdits droits peuvent être qualifiés d’impôts directs, au sens de l’article 8 (1) a) de la même loi, le tribunal est amené à préciser que cette notion peut être définie comme visant les impôts établis et perçus nominativement d’après les facultés contributives personnelles du contribuable et qui sont supportés par celui qui en est légalement redevable 2, tandis que la notion d’ « impôts indirects » vise les impôts non établis nominativement qui, frappant certains actes ou opérations, tels que des importations ou des mutations, peuvent être répercutés par le payeur légal sur le consommateur dont les facultés contributives sont ainsi appréhendées à l’occasion des dépenses qu’il engage3. Or, dans la mesure où les droits de douane constituent des impôts qui ne sont pas établis nominativement et qui, frappant l’importation, respectivement l’exportation de marchandises, peuvent être répercutés par le payeur légal sur le prix de vente à supporter par les consommateurs, le tribunal est amené à retenir qu’ils doivent être qualifiés d’impôts indirects4. Dès lors, à défaut 2 En ce sens : G. Cornu (dir.), « Vocabulaire juridique », Paris, Quadrige/PUF, 2000, V° Impôts directs.

3 Ibid., V° Impôts indirects.

4 Sur la qualification des droits de douane d’impôts indirects, voir également : E. Cruvelier, « Impôts indirects », Rép. com., avril 2014, n° 1.

8de disposition spéciale contraire, le tribunal est amené à conclure que les contestations relatives à la perception de droits de douane – en ce compris les droits de douane perçus pour l’Union européenne par les autorités douanières luxembourgeoises –, dont celles ayant trait à la garantie de tels droits, telles que celles faisant l’objet du présent litige, ne figurent pas parmi les contestations en matière fiscale dévolues par le législateur aux juridictions administratives. C’est partant à tort que la société ….. affirme qu’une décision prise en matière de droits de douane relèverait de la compétence des juridictions administratives à partir du moment où il s’agirait d’une décision faisant grief à l’administré concerné.

Il suit des considérations qui précèdent que le tribunal n’est pas compétent ratione materiae pour connaître du présent litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

se déclare incompétent pour connaître du recours ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Paul Nourissier, juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique 21 septembre 2015 par le premier juge, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 septembre 2015 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 35235
Date de la décision : 21/09/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-09-21;35235 ?

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