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09/09/2015 | LUXEMBOURG | N°36598

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 septembre 2015, 36598


Tribunal administratif N° 36598 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 9 septembre 2015 Recours formé par Monsieur … …, alias … …, alias …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36598 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2015

par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxemb...

Tribunal administratif N° 36598 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 15 juillet 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 9 septembre 2015 Recours formé par Monsieur … …, alias … …, alias …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36598 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2015 par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, déclarant être né le … à … (Sierra-Leone) et être de nationalité sierra léonaise, alias … …, déclarant être né le … au Nigéria et être de nationalité nigériane, alias … …, déclarant être né le …, respectivement le …au Niger et être de nationalité nigérienne, alias , déclarant être né le … dans l’Etat d’Edo (Nigéria) et être de nationalité nigériane, demeurant actuellement à …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 juillet 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Guillou-Jacques en ses plaidoiries à l’audience publique de vacation du 9 septembre 2015.

Le 11 juillet 2014, Monsieur … …, alias … …, alias …ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Le 20 août 2014, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur son identité, sa situation familiale, ses séjours antérieurs dans d’autres pays, les documents de voyage en sa possession et l’itinéraire suivi pour arriver au Luxembourg.

Les 15 et 16 juin 2015, il fut entendu par un agent du même ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 2 juillet 2015, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 3 juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), points a), b), d), e), f) et g) de la loi du 5 mai 2006, et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Pour rejeter la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, le ministre releva que ce dernier aurait menti quant à son pays d’origine, en ce qu’il aurait déclaré, dans un premier temps, être de nationalité sierra léonaise pour ensuite admettre être de nationalité nigériane, après avoir été confronté au fait, d’une part, que son frère aurait indiqué sur son compte ouvert auprès du réseau social « Facebook » être né à Bénin City, au Nigéria, et, d’autre part, qu’une vidéo publiée sur le site internet « www.youtube.com » indiquerait qu’il serait un rappeur nigérian. En relevant que les autorités suisses auraient rapatrié Monsieur … au Nigéria en 2013, le ministre retint qu’il serait évident que l’intéressé serait de nationalité nigériane. Il en déduisit que la demande de protection internationale de Monsieur … reposerait sur une fraude délibérée qui serait de nature à démontrer sa volonté de dissimuler sa véritable identité afin d’influencer l’issue de ladite demande, ce qui serait de nature à remettre en cause la crédibilité de son récit dans son ensemble. Dans ce contexte, le ministre releva que la crédibilité du récit de Monsieur … serait encore ébranlée, d’une part, par la circonstance selon laquelle il aurait déclaré, dans un premier temps, ne pas avoir rencontré de problèmes particuliers au Nigéria, mis à part un manque de confort ayant pour conséquence qu’il ne serait pas heureux, pour ensuite évoquer spontanément un enlèvement dont il aurait été victime de la part de six personnes inconnues afin de contraindre ses parents à payer une rançon et, d’autre part, par le fait qu’il serait connu sous plusieurs identités en Suisse, en Autriche et en Allemagne.

Par ailleurs, le ministre précisa que seuls les événements ayant eu lieu dans le pays d’origine de Monsieur …, à savoir le Nigéria, seraient susceptibles d’être pris en compte dans le cadre de l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, à l’exclusion des faits se rapportant à la Sierra Leone. Or, les faits qui auraient amené Monsieur … à quitter son pays d’origine, à savoir, d’une part, le manque de confort et le mécontentement qu’il y aurait éprouvés et, d’autre part, l’enlèvement dont il aurait été victime, ne seraient pas motivés par l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953 et par le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 juillet 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommées « la Convention de Genève », ainsi que par la loi du 5 mai 2006. S’agissant plus particulièrement de l’enlèvement susmentionné, le ministre retint qu’il s’agirait d’un crime de droit commun, punissable selon la loi nigériane, en ce qu’il reposerait sur des motifs purement économiques, de sorte à ne pas être rattachable à l’un des critères susmentionnés. Le ministre en déduisit que les faits invoqués par Monsieur … à l’appui de sa demande de protection internationale ne seraient pas de nature à justifier l’octroi du statut de réfugié.

Finalement, il releva que les conditions d’octroi de la protection subsidiaire ne seraient pas remplies en l’espèce et enjoignit, en conséquence, à Monsieur … de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 2 juillet 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 2 juillet 2015 de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un tel recours a valablement pu être introduit contre la décision ministérielle déférée de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur fait valoir que le ministre aurait considéré à tort que ses déclarations ne soulèveraient que des faits sans pertinence et qu’il ne remplirait clairement pas les conditions pour prétendre au statut conféré par la protection internationale afin de justifier l’application d’une procédure accélérée au sens de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006. Par ailleurs, le ministre n’aurait pas valablement pu retenir qu’il n’aurait fourni aucune information permettant d’établir avec une certitude suffisante son identité, le demandeur déclarant encore contester l’incohérence de son récit, telle qu’invoquée par le ministre. En outre, il soutient qu’une crainte réelle de persécutions se dégagerait des menaces auxquelles il aurait été confronté à la suite de la prise d’otage dont il aurait été victime après avoir tenté de retourner dans son pays d’origine, de sorte qu’il remplirait les conditions d’octroi du statut de réfugié. Il invoque encore, sans que ce moyen ne soit autrement développé, un défaut de motivation, un excès de pouvoir ou une irrégularité informelle.

Le délégué du gouvernement fait valoir que le recours à la procédure accélérée, sur le fondement de l’article 20 (1) a), b), d), e), f) et g) de la loi du 5 mai 2006, aurait été justifié en l’espèce et il conclut au rejet du recours.

S’agissant d’abord du moyen tiré d’un défaut de motivation, s’il est certes exact qu’en vertu de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, le ministre doit statuer par une décision « motivée », force est cependant de constater, en l’espèce, que la motivation fournie dans la décision litigieuse, indépendamment de son bien-fondé, question qui sera examinée ci-après, est suffisante pour répondre aux exigences d’indication des motifs posées par la disposition précitée et plus particulièrement pour permettre au demandeur de se défendre utilement dans le cadre du présent recours. En effet, la décision déférée indique non seulement que les cas d’ouverture ayant justifié le recours à la procédure accélérée seraient ceux visés aux points a), b), d), e), f) et g) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, mais elle contient aussi les raisons ayant amené le ministre à s’en prévaloir, à savoir, premièrement, les mensonges et les incohérences qui affecteraient le récit du demandeur et qui seraient de nature à en ébranler la crédibilité, deuxièmement, la circonstance selon laquelle les faits invoqués à l’appui de la demande de protection internationale de Monsieur … seraient sans lien avec les critères de fond prévus par la Convention de Genève et par la loi du 5 mai 2006, troisièmement, le fait que préalablement au dépôt de sa demande de protection internationale au Luxembourg, le demandeur aurait déposé deux demandes de protection internationale en Suisse sous une identité différente et, quatrièmement, la circonstance selon laquelle le demandeur n’aurait fourni ni son passeport, ni un autre document d’identification quelconque. Il s’ensuit que le moyen sous analyse est à écarter pour ne pas être fondé.

Quant au bien-fondé de la décision déférée, le tribunal est amené à relever que l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 prévoit ce qui suit :

« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

(…) d) le demandeur a induit en erreur les autorités en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou documents concernant son identité ou sa nationalité qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable;

e) le demandeur a introduit une autre demande de protection internationale mentionnant d’autres données personnelles;

f) le demandeur n’a produit aucune information permettant d’établir, avec une certitude suffisante, son identité ou sa nationalité, ou s’il est probable que, de mauvaise foi, il a procédé à la destruction ou s’est défait de pièces d’identité ou de documents de voyage qui auraient aidé à établir son identité ou sa nationalité;

g) le demandeur a fait des déclarations incohérentes, contradictoires, improbables ou insuffisantes au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a), b), d), e), f) et g) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, soit si le demandeur a induit en erreur les autorités en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou documents concernant son identité ou sa nationalité qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable, soit s’il a introduit une autre demande de protection internationale mentionnant d’autres données personnelles, soit s’il n’a produit aucune information permettant d’établir, avec une certitude suffisante, son identité ou sa nationalité, ou s’il est probable que, de mauvaise foi, il a procédé à la destruction ou s’est défait de pièces d’identité ou de documents de voyage qui auraient aidé à établir son identité ou sa nationalité, soit s’il a fait des déclarations incohérentes, contradictoires, improbables ou insuffisantes au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point g) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, selon lequel le recours à la procédure accélérée est justifiée si le demandeur a fait des déclarations incohérentes, contradictoires, improbables ou insuffisantes au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, force est au tribunal de constater, de concert avec le ministre, qu’au cours de ses auditions, le demandeur a manifestement menti quant à sa nationalité, Monsieur … ayant déclaré, dans un premier temps, être de nationalité sierra léonaise et avoir quitté son pays d’origine en raison de pressions exercées sur sa personne par des membres du groupe terroriste « Redbulls » afin de le contraindre à rejoindre leurs rangs pour ensuite avouer être de nationalité nigériane, après avoir été confronté aux faits, d’une part, qu’il se dégagerait du compte de Monsieur … ouvert auprès du réseau social « Facebook » que ce dernier serait son frère et qu’il serait né à Bénin City au Nigéria – étant relevé que Monsieur … a refusé de fournir des précisions sur ses liens avec cette personne – et, d’autre part, qu’une vidéo publiée sur le site internet « www.youtube.com » indiquerait que le demandeur serait un rappeur nigérian. Le tribunal est amené à conclure que ce mensonge du demandeur, en ce qu’il porte tant sur son pays d’origine que sur ses liens familiaux, partant sur deux éléments revêtant une importance cruciale dans le cadre de l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, est de nature à ébranler la crédibilité de son récit en son ensemble. A cela s’ajoute qu’après avoir avoué être de nationalité nigériane, le demandeur a indiqué, sur question afférente de l’agent du ministère en charge de son audition, qu’il aurait quitté le Nigéria pour les raisons suivantes : « (…) Nigeria is full of difficulties. Everything is shit. (…) You cannot live th[ere] comfortably. Everywhere in Europe you can find Nigerian people because you don’t have any opportunity to live in Nigeria. Everyday people are killed. It is full of shit there. (…) »1 et que les problèmes qu’il aurait personnellement rencontrés seraient les suivants : « (…) the country is not comfortable for me. I’m not happy there. (…) »2. Or, force est au tribunal de constater que, par la suite, le demandeur a spontanément évoqué un enlèvement dont il aurait fait l’objet de la part de six personnes inconnues afin de contraindre ses parents à payer une rançon3. Le tribunal est amené à retenir, à l’instar du ministre, que le fait pour le demandeur, de n’avoir évoqué que des généralités en réponse à la question de l’agent du ministère portant sur les raisons l’ayant amené à quitter son pays d’origine et aux problèmes qu’il y aurait personnellement rencontrés, au lieu de faire immédiatement part de 1 Rapport d’audition de Monsieur Coper des 15 et 16 juin 2015, p. 7.

2 Ibid.

3 Rapport d’audition de Monsieur Coper des 15 et 16 juin 2015, p. 8.

l’enlèvement susmentionné est constitutif d’une incohérence manifeste de nature à enlever toute crédibilité aux déclarations afférentes du demandeur, compte tenu, d’une part, de la gravité intrinsèque de l’événement en question, à le supposer établi, et, d’autre part, de la circonstance selon laquelle ces déclarations font suite à la confrontation du demandeur avec son mensonge quant à sa nationalité. Dans ce contexte, le tribunal entend encore relever que le demandeur est connu sous quatre identités différentes et qu’il n’a fourni aucun document d’identité. Compte tenu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que la crédibilité du récit du demandeur est ébranlée en son ensemble, sans que cette conclusion ne soit énervée par les contestations non circonstanciées figurant dans la requête introductive d’instance. C’est dès lors à bon droit que le ministre a retenu que Monsieur … a fait des déclarations incohérentes, contradictoires, improbables ou insuffisantes au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, au sens de l’article 20 (1) g) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il a valablement pu décider de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Partant, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a), b), d), e) et f) de la loi du 5 mai 2006, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du ministre du 2 juillet 2015 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours au fond en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, un tel recours a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur conclut à l’insuffisance de la motivation à la base de la décision déférée. Dans ce contexte, il fait valoir que le ministre aurait dû prendre en compte la situation d’insécurité qui régnerait dans son pays d’origine, ainsi que son appartenance à la communauté « Edo ».

Par ailleurs, le demandeur soutient que ses déclarations relatives à sa situation personnelle et aux circonstances dans lesquelles il aurait fui son pays d’origine seraient à considérer comme étant pertinentes au regard de l’examen du bien-fondé de sa demande de protection internationale et il souligne qu’il aurait subi des menaces directes, graves et réelles au Nigéria. En citant les articles 26, alinéa 3, 5 et 31 de la loi du 5 mai 2006, il fait valoir que les conditions d’octroi de la protection internationale seraient remplies dans son chef. Par ailleurs, il reproche au ministre de ne pas avoir tiré les conclusions qui se seraient imposées du fait des persécutions, des menaces et des violences dont il aurait été victime ou dont il risquerait d’être victime en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur précisant que les autorités nigérianes seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection adéquate. Le demandeur conclut à la réformation de la décision déférée pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours.

S’agissant d’abord du moyen tiré d’un défaut de motivation, s’il est certes exact qu’en vertu de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, le ministre doit statuer par une décision « motivée », force est cependant au tribunal de constater, en l’espèce, que la motivation fournie dans la décision litigieuse, indépendamment de son bien-fondé, question qui sera examinée ci-après, est suffisante pour répondre aux exigences d’indication des motifs posées par la disposition précitée et plus particulièrement pour permettre au demandeur de se défendre utilement dans le cadre du présent recours. En effet, le ministre a clairement indiqué les raisons l’ayant amené à refuser la demande de protection internationale de Monsieur …, à savoir, premièrement, la circonstance selon laquelle la crédibilité de son récit serait ébranlée pour les motifs énoncés en détail aux pages 4 et 5 de la décision déférée et repris ci-avant par le tribunal, dans le cadre de l’exposé des faits et rétroactes de l’affaire, et, deuxièmement, la considération selon laquelle les faits invoqués à l’appui de ladite demande, d’une part, ne seraient pas rattachables à l’un des critères de fond définis par la Convention de Genève et par la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’ils ne sauraient établir l’existence, dans le chef de Monsieur …, d’une crainte fondée d’être persécuté et que ce dernier ne saurait, par conséquent, prétendre au statut de réfugié, et, d’autre part, ne permettraient pas d’établir que le demandeur encourrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans son pays d’origine, de sorte que l’octroi de la protection subsidiaire ne serait pas justifié en l’espèce. Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une insuffisance de motivation de la décision déférée n’est pas fondé.

Quant au bien-fondé de la décision déférée, le tribunal est amené à relever qu’en vertu de l'article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l'article 2 d) de ladite loi du 5 mai 2006 comme étant « tout ressortissant d'un pays tiers qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (…) ».

Par ailleurs, l’article 31 de la loi du 5 mai 2006 dispose « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l'homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d'une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des parties ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. » et aux termes de l’article 29 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) » Il suit des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. L’analyse du tribunal devra par conséquent porter en définitif sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Il y a encore lieu de préciser que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Or, le tribunal vient ci-avant de retenir que le récit du demandeur n’est pas crédible en son ensemble, de sorte qu’il ne saurait prétendre au statut de réfugié.

Dès lors, c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de Monsieur … en obtention du statut de réfugié.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque réel de subir des atteintes graves qu’ils encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine.

Le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur invoque les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, dans la mesure où le tribunal a retenu ci-avant que le récit du demandeur n’est pas crédible en son ensemble, ces mêmes déclarations ne sauraient établir l’existence, dans son chef, d’un risque réel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il ne saurait prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire.

Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 2 juillet 2015 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi modifiée du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire, au motif, d’un côté, qu’il aurait invoqué des motifs sérieux et suffisants de craintes de persécution et, de l’autre côté, qu’eu égard au principe de précaution, il serait en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y aurait lieu de craindre qu’elle courrait un risque réel de subir des atteintes graves au sens de la Convention de Genève et de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en annulation.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, et que par conséquent un retour dans son pays d’origine ne le soumet ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de précaution.

Partant, le moyen afférent laisse d’être fondé.

A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard, de sorte que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 2 juillet 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 juillet 2015 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 2 juillet 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Henri Campill, président, Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 9 septembre 2015 par le président, en présence du Anne-Marie Wiltzius.

s.Anne-Marie Wiltzius s.Henri Campill Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36598
Date de la décision : 09/09/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-09-09;36598 ?

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