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08/09/2015 | LUXEMBOURG | N°36575

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 08 septembre 2015, 36575


Tribunal administratif N° 36575 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 8 septembre 2015 Recours formé par Madame … …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36575 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2015 par Maître Louis Tinti, avocat Ã

  la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … …, ...

Tribunal administratif N° 36575 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 juillet 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 8 septembre 2015 Recours formé par Madame … …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36575 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2015 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … …, née le … à … (Kosovo), de nationalité kosovare, demeurant actuellement à …, tendant (1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 24 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, (2) à la réformation de la décision du même ministre du 24 juin 2015 portant refus de faire droit à sa demande tendant à l’obtention d’une protection subsidiaire et (3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2015 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 20 août 2015 par Maître Louis Tinti au nom et pour le compte de Madame … … ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nour H. Hellal en remplacement de Maître Louis Tinti et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience des plaidoiries du 2 septembre 2015.

En date du 3 février 2015, Madame … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Madame … … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le 11 février 2015, Madame … … fut entendue sur son trajet, sur d’autres demandes de protection internationale, sur la présence de membres de sa famille dans d’autres pays européens et sur l’obtention d’un visa ou d’autorisations de séjour, afin de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale. Ses déclarations furent actées dans un rapport dit « rapport d’entretien Dublin III ».

Madame … … fut encore entendue les 28 avril et 8 juin 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 24 juin 2015, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame … … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se fondant sur les dispositions de l’article 20, paragraphe (1) sous a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours à destination du Kosovo ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 juillet 2015, Madame … … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 24 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du ministre portant refus de faire droit à sa demande tendant à l’obtention d’une protection subsidiaire et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, ainsi qu’un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, les deux recours en annulation, ainsi que le recours en réformation ont valablement pu être dirigés contre les trois volets de la décision déférée du ministre du 24 juin 2015, les trois recours étant, par ailleurs, recevables pour avoir été introduits dans les formes et délai de la loi.

Quant aux faits, la demanderesse fait valoir qu’elle aurait quitté son pays d’origine en raison des menaces qu’elle aurait reçues de son ancien partenaire pour lesquelles elle n’aurait pas porté plainte mais dont elle aurait parlé à son oncle qui serait policier et qui aurait tenté de parler audit individu dans le but d’apaiser la situation. Elle fait encore état de ce que son conjoint aurait été menacé et agressé à deux reprises par son ancien partenaire. Elle affirme craindre pour sa vie en cas de retour dans son pays d’origine dans l’éventualité où son époux viendrait à apprendre sa liaison antérieure. Elle fait encore état de ce qu’elle aurait fait une fausse couche à cause de tous ces incidents.

A titre liminaire, il convient d’examiner les contestations de la demanderesse quant à la mise en cause par le ministre de la crédibilité de son récit. En toute hypothèse, elle affirme que ses déclarations faites au moment de l’entretien avec l’agent du ministère des Affaires étrangères et européennes seraient parfaitement crédibles et qu’elle n’aurait pas encore été assistée d’un avocat au moment de la rédaction de la fiche de motifs où il n’aurait pas été porté à sa connaissance que ses écrits seraient couverts par la confidentialité.

A l’instar du ministre, le délégué du gouvernement relève des incohérences dans le récit de Madame … … de nature à remettre en question la crédibilité de son récit.

Il échet de rappeler que l'article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006 dispose comme suit :

« Lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies:

a) le demandeur s'est réellement efforcé d'étayer sa demande;

b) tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l'absence d'autres éléments probants;

c) les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande;

d) le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu'il puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l'avoir fait; et e) la crédibilité générale du demandeur a pu être établie.» Force est au tribunal de constater que les incohérences relevées entre les indications de la demanderesse sur la fiche de motifs et ses déclarations lors de l’audition à la direction de l’Immigration ne sont pas de nature à ébranler la crédibilité générale de son récit, d’autant plus qu’elles portent essentiellement sur des indications factuelles secondaires, telles que notamment, la chronologie des incidents et l’existence de problèmes de santé comme motif additionnel de demande de protection internationale. Le tribunal est dès lors amené à considérer les déclarations de la demanderesse effectuées au ministère des affaires étrangères et européennes comme étant avérées, d’autant plus que le ministre n’a pas conclu à un rejet de sa demande de protection internationale au motif que son récit ne serait pas crédible, mais il a en revanche procédé à une analyse du fond de la demande, de sorte que le moyen relatif à un manque de crédibilité est à rejeter pour ne pas être fondé.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du 24 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée A l’appui de ce volet de la requête introductive d’instance, la demanderesse estime tout d’abord que ce serait à tort que le ministre aurait conclu qu’elle proviendrait d’un pays d’origine sûr étant donné que sur base des faits invoqués la conclusion s’imposerait qu’elle aurait soumis des raisons valables de penser que sa vie est en danger dans son pays d’origine « dès lors qu’il se dégage des éléments de la cause que faute de pouvoir déposer plainte au risque de devoir révéler l’exacte nature de sa relation avec son ex-compagnon, elle se trouve contrainte à subir de graves fautes de harcèlement de la part de son ex-compagnon ».

Par ailleurs, les faits de l’espèce, par leur nature et en raison de leur gravité, seraient pertinents au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. En effet, les diverses formes de persécutions, sinon d’atteintes graves dont elle aurait été victime pendant une longue période, entreraient parfaitement dans le champ d’application matériel de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Aux termes de l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 :

« Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) » Il s’ensuit, qu’en vertu de l’article 20, paragraphe (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi modifiée du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Le ministre s’est basé en premier lieu sur le point c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 afin de motiver sa décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, en affirmant que le Kosovo ferait partie des pays d’origine sûrs.

Aux termes de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006, un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal du 19 juin 2013, qui vient modifier le règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, la République du Kosovo a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr.

Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

La partie étatique estime qu’un pays est considéré comme sûr s’il veille au respect des principes de liberté, de la démocratie et de l’Etat de droit ainsi que des droits de l’Homme et libertés fondamentales. A titre complémentaire, l’Etat fait valoir qu’au Kosovo, à la fois l’existence d’un système judiciaire indépendant, la reconnaissance des libertés démocratiques de base, y compris des mécanismes de recours si ces droits et libertés sont violés ainsi que l’existence d’organisations de la société civile seraient garantis, de sorte que les conditions de l’article 21, paragraphe 4, de la loi du 5 mai 2006 se trouveraient remplies en l’occurrence.

La demanderesse estime qu’elle a soumis des raisons valables de penser que sa situation personnelle serait de telle nature que sa vie serait en danger dans son pays d’origine dès lors qu’il se dégagerait des éléments de la cause que faute de pouvoir déposer plainte au risque de devoir révéler la vraie nature de sa relation avec son ancien partenaire, elle se trouverait contrainte de subir de graves formes de harcèlement de sa part.

Il est constant en cause que la demanderesse n’a pas porté plainte contre son ancien compagnon. Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces et de violences, communément la forme d’une plainte. En l’espèce, la demanderesse n’excipe d’aucune raison valable pour justifier son inaction. Force est de relever que la demanderesse aurait toujours pu porter ses doléances devant les policiers d’un autre poste de police, respectivement devant une autorité supérieure, telle que l’Inspectorat de Police du Kosovo lequel est compétent pour accueillir toute plainte envers les forces de l’ordre pour se plaindre d’un traitement discriminatoire, respectivement d’un manque de zèle de la part des policiers locaux. Il s’ensuit que dans le cadre du présent recours en annulation, la demanderesse n’a pas rapporté la preuve que les autorités kosovares seraient dans l’impossibilité de lui fournir une protection appropriée.

La demanderesse n’a donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel le Kosovo est à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’elle est originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a, à bon droit, pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

Partant le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait besoin d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 24 juin 2015 portant refus d’une protection internationale A titre liminaire, Madame … … demande acte de ce qu’elle renonce à sa demande en obtention du statut de réfugié.

Il échet de lui en donner acte.

A l’appui de sa demande d’une protection subsidiaire, Madame … … fait valoir que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale permettraient de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine il risquerait de subir des traitement inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.

En ce qui concerne la définition des critères d’application de la protection subsidiaire, que le ministre n’aurait pas correctement appréciés, le demandeur invoque l’« Affaire grecque » par laquelle la Commission européenne aurait établi que les traitements considérés comme dégradants seraient ceux qui humilient gravement la personne aux yeux d’autrui ou l’incitent à agir contre sa volonté ou sa conscience. Dans l’affaire Irlande contre Royaume Uni, la Cour européenne des droits de l’homme, dénommée ci-après « la Cour EDH », aurait retenu qu’un traitement infligé devrait, pour pouvoir être qualifié de torture, causer de « forts graves et cruelles souffrances » au sens de l’article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH ». Dans une affaire Selmouni c/ France, la Cour EDH se serait réservée une certaine souplesse dans l’examen des actes illicites en fonction du niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours pour manquer de fondement.

Il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Comme il n’y a pas de conflit armé au Kosovo et que la demanderesse n’allègue pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans son pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont elle fait état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement sanctions inhumains ou dégradants.

En l’espèce, force est au tribunal de constater que les motifs invoqués par la demanderesse à la base de sa demande de protection internationale relèvent de problèmes d’ordre privé et concernent ses relations conjugales et extra-conjugales. Ainsi, les menaces dont elle a été victime et les agressions portées à son conjoint émanent toutes de son ancien partenaire animé par des intentions malveillantes à son égard en raison de la circonstance qu’elle aurait eu avec lui des relations interdites, antérieures à son actuel mariage. Son ancien partenaire l’a fait chanter et l’a manipulée tout en abusant d’elle sachant qu’elle ne le dénoncerait pas par crainte du déshonneur qui s’abattrait sur elle. Si les menaces dont la demanderesse a été victime ne revêtent pas un caractère de gravité marqué force est de constater qu’en revanche, les abus sexuels dont la demanderesse a été victime sont empreints d’un élément de gravité caractérisé.

Il n’en demeure pas moins que l’auteur des menaces et actes dont la demanderesse redoute de voir se réitérer émane d’une personne privée, sans lien avec l’Etat. La demanderesse ne saurait dès lors faire valoir un risque réel de subir des atteintes graves que si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective du demandeur contre ces atteintes graves ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas d’atteintes graves par des entités non étatiques, la crainte de subir des atteintes graves est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source des atteintes graves. A cet égard, il y a lieu de rappeler que l’article 28 de la loi modifiée du 5 mai 2006 reconnaît la possibilité pour des personnes subissant des atteintes graves de la part des acteurs non étatiques d’obtenir une protection internationale si l’Etat ne veut ou ne peut lui accorder une protection, tandis que l’article 29 (2) définit la protection comme suit : « Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Il y a lieu de rappeler qu’une protection peut être considérée comme suffisante si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant des atteintes graves et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée. Cela inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves sans cependant que cette exigence n’impose pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100%, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structure policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et une persécution ou des atteintes graves ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. 1 En l’espèce, l’absence de plainte de la part de la demanderesse à l’encontre de son ancien partenaire alors que son oncle serait policier et qu’il aurait tenté de ramener à la raison l’ancien partenaire de la demanderesse, ne constituent pas des démarches suffisantes pour lui permettre de pouvoir bénéficier d’une protection policière. A fortiori il n’est pas démontré que les autorités kosovares seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006. Ce constat n’est pas ébranlé par l’affirmation générale et non autrement étayée du litismandataire de la demanderesse suivant laquelle sa crainte découlerait du manquement de son pays d’origine à remplir ses obligations de protection de ses citoyens dès lors que si les rapports mentionnés font état de certains manquements au sein des forces de police kosovares, ceux-ci sont étrangers au cas d’espèce dans lequel il n’est pas démontré que les autorités policières sont dans l’incapacité de protéger la demanderesse.

Il s’ensuit que la demanderesse n’a pas fait état et n’a pas établi des raisons de nature à démontrer qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’elle encourrait, en cas de retour 1 Trib. adm. 13 juillet 2009, n°25558, Pas. adm. 2011, V° Etrangers, n°108 dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a refusé de lui accorder la protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation la décision du ministre du 24 juin 2015 portant ordre de quitter le territoire En l’espèce, la demanderesse sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire comme conséquence de la réformation de la décision portant rejet de lui accorder le bénéfice de la protection internationale.

Aux termes de l’article 20, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire». Il s’ensuit que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de séjour.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection subsidiare de Madame … …, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

A défaut d’autres moyens soulevés par le demandeur, le tribunal ne saurait mettre en cause la légalité de l’ordre de quitter le territoire pris à son égard.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre la décision ministérielle du 24 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Madame … … dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 24 juin 2015 portant refus d’une protection subsidiaire ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 24 juin 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

Anne Gosset, premier juge, Daniel Weber, juge Michèle Stoffel, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 8 septembre 2015 par le premier juge, en présence du greffier Anne-Marie Wiltzius.

s.Anne-Marie Wiltzius s.Anne Gosset Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 22 novembre 2016 Le greffier 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36575
Date de la décision : 08/09/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-09-08;36575 ?

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