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20/08/2015 | LUXEMBOURG | N°36642

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 août 2015, 36642


Tribunal administratif Numéro 36642 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2015 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 20 août 2015 Recours formé par Monsieur … …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36642 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2015 par Maître Hakima GO

UNI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M...

Tribunal administratif Numéro 36642 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 juillet 2015 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 20 août 2015 Recours formé par Monsieur … …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36642 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2015 par Maître Hakima GOUNI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … …, né le … à … (Egypte), de nationalité égyptienne, demeurant actuellement à L- …, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 juin 2015 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable sur base de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et des formes complémentaires de protection, ainsi qu’à l’annulation de la même décision « valant ordre de quitter le territoire » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hakima GOUNI et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 19 août 2015.

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Le 12 novembre 2009, Monsieur … … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur … fut entendu le 27 novembre et le 11 décembre 2009 par un agent du ministère des Affaires étrangères, Direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 4 juin 2013, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le 6 juin 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration informa Monsieur … de ce que sa demande de protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée pour cause d’un manque de crédibilité des motifs invoqués.

Par jugement du 24 avril 2014, inscrit sous le n° 33006 du rôle, le tribunal rejeta le recours contentieux afférent comme n’étant pas fondé, ce jugement ayant été confirmé en appel par un arrêt de la Cour administrative du 2 octobre 2014, inscrit sous le n° 34566C du rôle.

Par décision du 18 décembre 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, entretemps en charge du dossier, dénommé ci-après « le ministre », rejeta la demande de sursis à l’éloignement introduite en date du 21 octobre 2014 par Monsieur ….

Le 29 avril 2015, Monsieur … … introduisit une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006.

Monsieur … fut entendu en date des 18 et 22 mai 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 19 juin 2015, expédiée par envoi recommandé le 22 juin 2015, le ministre rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :

« J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentée auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 29 avril 2015.

Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous avez déposé une première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 12 novembre 2009 qui a été rejetée comme non fondée par une décision ministérielle en date du 4 juin 2013.

Monsieur, il résultait de vos déclarations que vous seriez de nationalité palestinienne et que votre famille aurait vécu à Gaza, dans une maison qui a été détruite par une frappe israélienne. Vous déclarez avoir perdu tous vos papiers lors de la destruction de votre maison. Ce serait aussi lors de cet incident que votre père aurait été tué. Vous dites ignorer où vos frères et soeurs se trouvent actuellement, vous n'auriez plus de nouvelles depuis que vous auriez quitté Gaza, mais vous croyez qu'ils auraient également quitté la région. Vo us auriez quitté la Palestine à cause des frappes israéliennes, de la guerre et de la destruction.

Vous déclarez vouloir la paix avec Israël et les Israéliens. Dû aux tentatives du Hamas de vous recruter, notamment après la mort de votre père, votre mère aurait tout fait pour que vous puissiez partir de la Palestine. Vous expliquez que le Hamas aurait voulu vous enrôler de force. Le Hamas vous aurait enlevé et placé dans un grand camp d'entraînement militaire situé dans des collines assez éloignées des habitations. Vous y auriez été frappé et privé d'eau potable parce que vous auriez refusé d'apprendre à manier les armes. Vous y seriez resté quarante-deux jours et vous auriez été ligoté une bonne partie du temps. Vous n'auriez pas pu rechercher la protection auprès de l'Etat d'Israël, malgré votre aversion contre le Hamas, car le Hamas aurait égorgé votre famille s'il l'avait appris. Votre père et votre frère auraient été tués pendant la guerre. Quand vous seriez parti, « il y aurait eu des frappes pendant 5 jours » (p. 1/10). Comme la Palestine aurait une frontière avec la Syrie, vous vous seriez enfuis en Syrie en accompagnant des connaissances. Vous seriez resté deux mois en Syrie avant de retourner au Gaza. Ensuite, vous auriez quitté le pays et vous seriez parti à la frontière où vous seriez monté à bord d'un camion.

Vous avez été définitivement débouté de votre première demande de protection internationale par arrêt de la Cour administrative du 2 octobre 2014 aux motifs qu': « (…) Il convient de relever que le tribunal a essentiellement dégagé dans le chef de l'appelant un défaut de crédibilité en retenant de façon circonstanciée à partir de l'ensemble des éléments lui soumis que tant la crédibilité de son récit que la réalité de son origine palestinienne étaient sujettes à caution. En ce qui concerne l'origine palestinienne de l'appelant, le tribunal s'est basé sur le test linguistique auquel l'appelant a été soumis le 15 septembre 2010 qui a exclu la Palestine comme pays d'origine et a conclu que son pays d'origine était « mit einiger Wahrscheinlichkeit » l'Algérie. Les pièces fournies par l'appelant afin de prouver son identité et son origine ne sont pas de nature à renverser ce constat, étant donné que l'expertise de l'Unité Centrale de Police à l'Aéroport (UCPA), Service SCA-SED, requise par le ministre, a révélé que le document de voyage pour les réfugiés palestiniens de la République arabe d'Egypte est un faux, au-delà de la question de l'identité de l'auteur de la confection de ce document. Enfin, il y a lieu d'insister sur le fait qu'une recherche dans la base de données Eurodac a révélé que les empreintes de l'appelant avaient déjà été prises en Grèce où il avait déposé le 9 mai 2008 une demande de protection internationale, ce qu'il persiste à contester malgré le fait que ses empreintes correspondent à celles qui ont été prises en Grèce. Le tribunal a encore relevé les connaissances lacunaires de l'appelant sur la ville de Gaza dont il affirme provenir, la bande de Gaza ou le Hamas, et notamment son leader et le résultat des dernières élections, ainsi que sur l'opération « Castlead » des forces israéliennes, alors qu'il n'arrivait pas à répondre de façon pertinente par rapport aux questions lui posées par l'agent ministériel à cet égard. Plus loin, le tribunal a également noté à partir des auditions diverses incohérences et divergences dans le récit d'asile de l'appelant, notamment en ce qui concerne la mort de son père et de son frère dans les frappes israéliennes et la suite chronologique de ces événements, ainsi que sa fuite en Syrie. Les premiers juges ont encore conclu que ni le faible niveau de scolarité allégué de l'appelant ni le fait qu'il ait prétendument vécu jusqu'à l'âge de 21 ans en Egypte ne peuvent à eux seuls expliquer les importantes lacunes retenues.

La Cour partage l'analyse ainsi faite par le tribunal des incohérences, contradictions et invraisemblances relevées dans les déclarations de l'appelant et fait sienne la conclusion en déduite par le tribunal que les motifs de refus énoncés dans la décision ministérielle du 4 juin 2013 n'ont pas été utilement combattus et qu'il y a lieu de retenir, au vu de l'origine palestinienne non établie et du caractère incohérent du récit de l'appelant, que celui-ci n'a pas fait état de manière crédible d'une persécution ou d'une crainte de persécution au sens de l'article 2, sub d) de la loi du 5 mai 2006 susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, cette conclusion s'imposant d'autant plus que l'appelant n'a pas non plus produit devant la Cour un quelconque argument convaincant qui permette d'expliquer ces incohérences. C'est partant à bon droit que les premiers juges ont rejeté la demande du statut de réfugié de l'actuel appelant pour défaut de crédibilité et l'appel est partant à rejeter sous ce volet comme non fondé. (…)».

Vous n'êtes par la suite pas retourné vers votre pays d'origine mais avez déposé une demande de sursis à l'éloignement pour raisons médicales en date du 21 octobre 2014. Cette demande vous a été refusée le 18 décembre 2014 et en date du 29 avril 2015, vous avez déposé une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 18 et 22 mai 2015 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande.

Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous auriez déposé une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg parce que vous auriez des problèmes dans votre pays d'origine à cause de votre orientation sexuelle. Vous expliquez que vous auriez menti lors de votre première demande de protection internationale parce que vous auriez eu peur d'être renvoyé en Egypte et qu'en plus, vous auriez été gêné de dire la vérité. A cela s'ajoute que vous risqueriez d'être emprisonné en Egypte parce que vous auriez quitté le pays clandestinement. Ainsi, en réalité, vous seriez de nationalité égyptienne et recherché par des personnes en Egypte à cause de votre homosexualité. Dorénavant, vous n'auriez plus peur et vous seriez donc prêt à avouer que vous auriez dû quitter l'Egypte parce que vous auriez eu une relation avec un autre homme.

Vous dites que vous seriez « poursuivi » et frappé par les habitants de votre village d'… depuis qu'ils seraient au courant de votre relation avec un autre homme. En plus, à partir de l'âge de quatorze ans et après avoir avoué votre homosexualité à votre famille, vous auriez été régulièrement frappé par votre frère et on vous aurait fait savoir que vous ne seriez plus un musulman et que vous seriez égorgé. Vous expliquez ensuite qu'à l'âge de quatorze ans, vous seriez parti vivre une année chez votre oncle avec qui vous auriez eu vos premières expériences sexuelles. Vous seriez ensuite retourné dans la maison parentale et ce serait à ce moment que vous auriez fait connaissance de votre petit ami. Vous dites que votre famille ne vous aurait alors plus parlé pendant quatre ans et que vous auriez une seule fois voulu dénoncer les agressions de votre frère avec l'aide d'un docteur. Cependant, votre famille aurait fait pression sur ce dernier afin d'éviter des problèmes à votre frère; « Ça ne se fait pas qu'on porte plainte contre son propre frère. C'est mal vu chez nous et le docteur a compris la situation » (p. 8 du rapport d'entretien). En plus, vous n'auriez pas voulu causer de mal à votre frère qui aurait uniquement voulu défendre l'honneur familiale. Vous n'auriez pas entrepris d'autres démarches pour déposer plainte parce que vous auriez été menacé et séquestré à la maison. Par contre, vous affirmez aussi que vous auriez régulièrement vu votre partenaire pendant ces années et que vous auriez été frappé dans la rue par d'autres villageois.

Vous ajoutez que vous seriez recherché par les autorités pour ne pas avoir répondu à votre appel au service militaire quand vous auriez arrêté de travailler à seize ans. Dans ce contexte, vous signalez avoir eu peur d'être « persécuté » dans l'armée à cause de votre orientation sexuelle. Vous expliquez par la suite, que les jeunes de seize ans se verraient constituer un « dossier» et «sur l'étude de ce dossier, on est inscrit dans le registre ou on est réformé » (p. 9 du rapport d'entretien), « le dossier est constitué et on attend la convocation.

La convocation arrive à partir de l'âge de 18, 19 ou 20 ans » (p. 9 du rapport d'entretien).

Par la suite, vous altérez ces déclarations en affirmant que vous auriez reçu une telle convocation à l'âge de seize ans à laquelle vous n'auriez cependant pas réagi. A dix-neuf ans, vous auriez reçu une deuxième convocation et vous vous seriez présenté pour la visite médicale. Par contre, le lendemain, vous n'auriez plus continué avec votre procédure de recrutement et vous auriez décidé de quitter le pays. En 2005, accompagné de votre partenaire, vous seriez alors parti vivre en Grèce, où vous auriez habité pendant quatre ans.

Etant donné que vous y auriez vécu dans la rue, vous auriez pris l'avion sous une fausse identité pour aller vivre à Paris avant de venir au Luxembourg. Votre partenaire, qui aurait vécu avec vous en Grèce et en France, serait parti en Italie, un pays vers lequel vous n'auriez pas eu envie de le suivre parce qu'il y aurait une grande communauté arabe.

Enfin, vous auriez également déposé une deuxième demande de protection internationale parce que « je vis ici depuis six ans. Je n'ai jamais causé ni eu de problèmes avec quiconque » (p. 4 du rapport d'entretien).

Monsieur, il s'agit de noter que l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que: « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d'une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d'une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu'ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. » Or, force est surtout de constater que vous n'avez pas été dans l'incapacité de faire état des problèmes susmentionnés dans le cadre votre première demande de protection internationale, y compris durant la phase contentieuse qui n'a pris fin qu'en date du 2 octobre 2014. En effet, il y a lieu de noter que le seul fait que vous auriez été gêné ou que vous auriez eu peur de faire part de votre homosexualité et de votre refus de passer le service militaire ne justifie pas votre mutisme à ces sujets et ce sur une période de cinq ans ! Monsieur, il est plus que frappant que pendant cinq ans, vous n'auriez pas trouvé le courage d'être honnête avec les autorités luxembourgeoises au sujet des motifs sous-tendant votre recherche d'une protection internationale; un courage que vous auriez toutefois retrouvé comme par hasard après la fin de procédure de votre première demande de protection internationale et le refus de votre demande d'un sursis à l'éloignement. Il y a manifestement lieu de relever, au regard de votre situation, que le dépôt d'une nouvelle demande de protection internationale a pour motif sous-jacent de tenter d'éviter un éloignement vers votre pays d'origine. D'autant plus que vous confirmez que vous auriez voulu déposer une nouvelle demande de protection internationale parce que vous vivriez depuis longtemps au Luxembourg sans poser de problèmes à quiconque.

Notons ensuite que même en supposant vos nouveaux problèmes comme établis, ces menaces ou agressions de la part de membres de famille ou de villageois constituent des faits d'ordre privé et donc de droit commun qui ne relèvent pas de la Convention de Genève. De tels problèmes ne constituent donc de toute façon pas des faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Par ailleurs, il y a encore une fois lieu de constater que votre crédibilité, tout comme l'authenticité de votre récit, sont sujettes à caution. En effet, hormis votre nationalité égyptienne établie, il y a lieu de sérieusement douter du reste de vos déclarations. Ainsi, vous signalez avoir reçu une convocation pour le service militaire à seize ans, pour expliquer par la suite que les convocations seraient envoyées quand les hommes seraient âgés entre dix-huit et vingt ans. Monsieur, il n'est pas crédible que vous, en tant que mineur de seize ans, au riez été convoqué à passer votre service militaire. De toute façon, il s'agit de constater que vous auriez à l'époque refusé de vous présenter à votre convocation sans pour autant faire état d'un problème quelconque avec les autorités qui en aurait suivi, alors que vous auriez vécu dans la maison parentale jusqu'à vos dix-neuf ans. Il s'ensuit que les craintes que vous exprimez en rapport avec le service militaire ne coïncident pas avec votre propre vécu et sont à considérer comme hypothétiques, voire, inventées. On peut en déduire que vos déclarations en rapport avec le service militaire ne constituent donc pas non plus des faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Enfin, concernant votre prétendue homosexualité, il s'agit là aussi d'exprimer des doutes manifestes. Ces doutes surgissent évidemment par le fait que vous auriez étonnement retrouvé le courage de parler de votre orientation sexuelle au moment où votre rapatriement s'annonçait. Dans ce contexte, il faudrait d'ailleurs aussi se demander pourquoi vous auriez eu peur pendant tout ce temps d'être rapatrié en Egypte, mais que tout à coup, cette peur d'un rapatriement vers votre pays d'origine ne vous empêche plus de faire part de vos prétendus motifs de fuite soit disant véridiques. A cela s'ajoute qu'il paraît du moins invraisemblable que d'un côté vous auriez été régulièrement agressé et menacé par des membres de famille et que d'un autre côté, vous affirmez que votre famille vous aurait rejeté et ne vous aurait plus parlé pendant quatre ans. De plus, il faut se demander pour quelle raison vous auriez préféré rester pendant toutes ces années dans la maison parentale et endurer ces maltraitances alors que vous auriez à tout moment eu la possibilité de partir ailleurs, tout comme vous l'auriez déjà une fois fait à l'âge de quatorze ans. Il n'est pas non plus logique que vous affirmez d'un côté avoir été séquestré à la maison pour justifier le fait que vous n'auriez jamais dénoncé les agressions durant toutes ces années, mais d'un autre côté avoir connu beaucoup de problèmes avec les autres villageois qui vous auraient frappé dans la rue. Il en est de même du fait que vous affirmez avoir régulièrement rencontré votre partenaire chez lui ou dans un établissement connu par la communauté homosexuelle de votre village, confirmant par-là que vous seriez donc régulièrement sorti de votre maison. Il y a également lieu de constater que votre famille, qui vous aurait fait savoir que vous seriez « égorgé », n'a jamais entrepris de telles tentatives durant ces cinq années, d'autant plus que vous auriez vécu durant au moins quatre années dans la maison parentale et qu'hormis votre sœur, tous les autres membres de votre famille ainsi que les autres villageois vous auraient rejeté.

Les doutes quant à votre deuxième version des motifs justifiant votre fuite de votre pays d'origine sont encore alourdis dans le contexte de votre parcours et séjour en Europe.

Ainsi, vous auriez d'abord vécu plusieurs années en Grèce sans y rechercher une protection quelconque, avant finalement d'en rechercher une en 2008, suivi d'un séjour en France où vous n'avez pas non plus recherché de protection internationale pour finalemen t arriver au Luxembourg où vous avez jugé opportun de vous faire passer pour un palestinien et de présenter une histoire créée de toute pièce plutôt que d'exprimer la prétendue vérité.

Monsieur, il paraît évident qu'une personne vraiment persécutée dans son pays d'origine n'attende pas plusieurs années avant de rechercher une protection internationale dans le pays sûr dans lequel elle s'est installée. Il s'agit dans ce contexte également de soulever que vous auriez quitté la Grèce pour l'Europe occidentale pour des seules considérations matérielles ou économiques. Enfin, il s'agit d'exprimer un certain étonnement pour le fait que vous auriez d'abord fui votre pays d'origine ensemble avec votre partenaire, que vous auriez vécu avec lui en Grèce durant quatre années et que vous auriez également séjourné ensemble en France, pour finalement se séparer parce que vous n'auriez pas voulu l'accompagner en Italie, dû à la communauté arabe existant dans ce pays. Etant donné que vous auriez vécu avec lui en France, un pays comptant une communauté arabe manifestement plus importante que l'Italie, vos remarques quant à ce sujet ne font pas de sens et ne font que renforcer le constat que vous ne seriez pas homosexuel et que vous n'auriez pas non plus fui votre pays d'origin e accompagné d'un prétendu petit ami.

Monsieur, force est en tout cas de constater, que les éléments que vous avancez dans le cadre de votre deuxième demande de protection internationale ne sont pas des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, étant donné que vous auriez évidemment pu les présenter au cours de la précédente procédure, c'est-à-dire au cours de ces cinq dernières années.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable. (…)».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 juillet 2015, Monsieur … … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 19 juin 2015 déclarant irrecevable sa demande de protection internationale sur base de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006.

Etant donné que l’article 23, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle critiquée, de sorte que le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de son recours et quant au fond, le demandeur déclare actuellement être né le … à … en Egypte et être de nationalité égyptienne. Il explique avoir quitté l’Egypte en 2005 pour se rendre en Grèce, où il aurait vécu illégalement pendant quatre ans jusqu’à son départ pour le Luxembourg en 2009.

Il affirme avoir caché par honte son homosexualité et avoir de ce fait menti à l’occasion de sa première demande de protection internationale par peur d’être rapatrié dans son véritable pays d’origine où son orientation sexuelle ne serait pas acceptée.

A l’appui de sa nouvelle demande de protection internationale, Monsieur … souligne qu’il aurait quitté l’Egypte en raison de son homosexualité, alors qu’il aurait vécu un véritable cauchemar une fois que les gens de son village en auraient été au courant. Alors que son compagnon aurait été menacé de mort, il aurait « seulement » été séquestré et battu par sa famille. Il lui aurait été impossible de porter plainte à la police alors que pour des raisons culturelles, il ne serait pas de mise de porter plainte contre sa propre famille, en l’occurrence contre son frère qui ferait office de chef de famille. Par ailleurs, une telle plainte aurait révélé son homosexualité aux autorités qui auraient risqué de l’emprisonner.

En droit, le demandeur estime, en premier lieu, que son récit est crédible et fait valoir qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir dans un premier temps caché son homosexualité en raison de la honte et de la peur qu’il ressentirait de ce fait. Il explique, articles de presse à l’appui, que la communauté des homosexuels en Egypte ferait régulièrement l’objet de rafles de la part des autorités et de violences de la part de la population du fait que l’homosexualité, même si elle n’est pas illégale, serait considérée comme débauche.

En ce qui concerne sa demande de protection internationale, le demandeur fait plaider que « la juridiction administrative, statuant en réformation, est appelée à vérifier la détermination de la qualité de réfugié faite par le Ministre des Affaires Etrangères en procédant à un réexamen du cas d’espèce en fait et en droit », et ce, notamment en application des articles 26 alinéa 3, 5, et 31 de la loi du 5 mai 2006, le ministre ayant, sur base d’un examen superficiel et insuffisant, estimé à tort que les faits allégués n’établissent pas dans son chef une crainte fondée de persécution dans le pays d’origine.

Il estime encore que les traitements subis démontreraient sans conteste une crainte fondée d’être persécuté en raison de son homosexualité dans un pays purement homophobe, sinon seraient à considérer comme des atteintes graves au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que le recours serait à rejeter.

Il échet dans un premier temps de rappeler que le tribunal est saisi d’un recours en annulation, dans le cadre duquel il est limité à vérifier si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et à contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés.

Il y a ensuite lieu de rappeler que l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 dispose que :

« (1) Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse (2) Le demandeur concerné devra indiquer les faits et produire les éléments de preuve à la base de sa nouvelle demande de protection internationale dans un délai de 15 jours à compter du moment où il a obtenu ses informations. Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire prévu au paragraphe (1) en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien ».

Il y a lieu de souligner que ce droit ne constitue en principe pas en quelque sorte une « troisième instance », mais une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.

Dans ce contexte, il échet de rappeler que le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est non seulement conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux, et, d’autre part, comporter des indications sérieuses d’une crainte fondée de persécution, mais que le demandeur doit également avoir été dans l’incapacité – sans faute de sa part – de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Force est d’abord de constater que dans le cadre de sa première demande de protection internationale le demandeur a prétendu être originaire de Gaza et avoir quitté les territoires palestiniens à cause la destruction de sa maison familiale par des frappes israéliennes et qu’après la mort de son père, le Hamas aurait voulu le recruter de force, faits qui ont été retenus comme non crédibles par le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, appréciation confirmée par les juridictions administratives saisies par le recours afférent.

Dans le cadre de la demande sous analyse, le demandeur concède avoir menti au moment de sa première demande de protection internationale et invoque actuellement avoir quitté l’Egypte en 2005 du fait d’y avoir eu des problèmes et subi des agressions en raison de son homosexualité, ainsi que pour éviter les conséquences d’un refus de sa part de répondre à une convocation pour le service militaire.

Force est ainsi de constater, de concert avec la partie étatique, que le demandeur est en aveu que les incidents en relation avec son orientation sexuelle, à supposer cette affirmation véridique, ont existé au jour de la première demande de protection internationale, de sorte qu’il aurait valablement pu les invoquer à ce moment-là déjà. Il en est de même en ce qui concerne son refus de répondre à une convocation pour le service militaire.

Il est encore à retenir que le demandeur n’était pas dans l’incapacité de faire état des problèmes liés à son homosexualité, mais qu’il a délibérément omis d’en informer tant le ministre lors de la phase précontentieuse, que le tribunal administratif et la Cour administrative lors de la procédure contentieuse.

Il s’ensuit que cet élément ne saurait justifier l’instruction d’une nouvelle demande de protection internationale, alors que le demandeur, en omettant de faire état des véritables motifs de sa demande de protection internationale, a enfreint l’obligation prévue par l’article 23 précité, laquelle ne constitue qu’une application de l’article 26 de la même loi, aux termes duquel il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale, à savoir, outre ses déclarations, « tous les documents dont le demandeur dispose concernant son âge, son passé, y compris ceux des parents à prendre en compte, son identité, sa ou ses nationalité(s), le ou les pays ainsi que le ou les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d’asile antérieures, son itinéraire, ses titres de voyage, ainsi que les raisons justifiant la demande de protection internationale », sans que cette conclusion puisse être énervée par l’excuse avancée de sa honte à parler de son homosexualité, respectivement de sa peur d’être rapatrié en Egypte, une telle gêne s’étant d’ailleurs soudainement dissipée au moment de devoir faire face aux conséquences de la fin de la procédure relative à sa première demande de protection internationale basée sur un récit mensonger.

Il se dégage dès lors de l’ensemble des considérations qui précèdent que le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni l’appréciation à la base de la décision litigieuse et donc son bien-fondé, de sorte que la nouvelle demande de protection internationale du demandeur a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi précitée du 5 mai 2006.

Il se dégage dès lors des considérations qui précèdent que le recours formé par le demandeur est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Quant à la demande tendant à l’annulation de l’ordre de quitter prétendument contenu dans la décision d’irrecevabilité déférée, force est au tribunal de constater que la décision déférée ne contient pas de tel ordre de quitter, de sorte que le recours en annulation y relatif est à déclarer irrecevable faute d’objet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare irrecevable le recours en annulation dirigé contre un ordre de quitter prétendument contenu dans la décision déférée du 19 juin 2015.

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 20 août 2015 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, juge, Olivier Poos, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20/8/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36642
Date de la décision : 20/08/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-08-20;36642 ?

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