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19/08/2015 | LUXEMBOURG | N°36521

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 août 2015, 36521


Tribunal administratif N° 36521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 19 août 2015 Recours formé par Madame …et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2015 par Maître Pierre

REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 36521 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er juillet 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 19 août 2015 Recours formé par Madame …et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36521 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2015 par Maître Pierre REUTER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Albanie), accompagnée de son enfant mineur …, né le … à … (Albanie), tous deux de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 15 juin 2015 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2015 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Pierre REUTER déposé au greffe du tribunal administratif le 5 août 2015 pour compte de la demanderesse ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Cigdem KUTLAR, en remplacement de Maître Pierre REUTER, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 12 août 2015.

Le 24 février 2015, Madame …, accompagnée de son enfant mineur …, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

En date du même jour, elle fut entendue par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 2 mars 2015, Madame …passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 dit « règlement Dublin III ».

Madame …fut également entendue les 2 et 23 avril 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 15 juin 2015, envoyée par lettre recommandée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Madame …qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006, laquelle avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2015, Madame …a introduit un recours tendant 1) à l’annulation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation de la décision du même ministre du 15 juin 2015 dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

En fait, la demanderesse explique qu’après son mariage avec Monsieur …, les deux auraient décidé de se rendre en Grèce où ils auraient vécu de 1999 jusqu’en 2010. En 2010, son époux aurait décidé de s’associer avec un ami grec et d’ouvrir une usine de plastique en Albanie.

Pour ce faire, il se serait définitivement installé en Albanie en janvier 2011, tandis que la demanderesse l’y aurait rejoint avec leur fille … en juin 2011, cette dernière ayant toutefois été envoyée à l’école grecque de … auprès de la sœur de la demanderesse afin de pouvoir continuer ses études sans difficultés linguistiques.

La demanderesse relate ensuite qu’elle aurait commencé à travailler elle-aussi dans l’entreprise de son mari jusqu’au jour où, en décembre 2012, elle aurait appris qu’elle était de nouveau enceinte. Comme son nouveau-né aurait eu des problèmes de santé, la demanderesse se serait entièrement consacrée à ce dernier et elle n’aurait reçu des nouvelles de l’entreprise que par l’intermédiaire de son mari. Tandis que, d’un côté, la demanderesse aurait dû faire face à des problèmes, sous forme de violences physiques et morales, avec son beau-père, dans la maison duquel elle aurait vécu, et ce du fait que ce dernier n’aurait pas accepté qu’elle ait donné naissance à un enfant handicapé, de l’autre côté, son époux lui aurait caché que son usine connaîtrait des difficultés financières grandissantes. La demanderesse explique à cet égard qu’en octobre 2014, deux hommes, apparemment des clients de son mari, se seraient présentés à son domicile pour parler avec ce dernier. Le 13 décembre 2014, l’époux de la demanderesse serait rentré à la maison défiguré tout en expliquant qu’il aurait été victime d’un accident dans l’usine.

Fin décembre 2014, deux hommes se seraient de nouveau présentés au domicile de la demanderesse et y auraient fait irruption tout en la poussant et en lui révélant qu’ils seraient à l’origine des blessures de son époux. Suite à cet incident, l’époux de la demanderesse lui aurait finalement avoué qu’afin d’acheter une machine et par facilité, il se serait endetté auprès de gens peu fréquentables en espérant pouvoir les rembourser grâce aux activités de l’entreprise. Comme les affaires n’auraient pas bien tourné, il lui aurait été impossible de rembourser ses créanciers à temps, de sorte que ces derniers auraient exigé le remboursement du prêt octroyé à un taux usuraire, ce qui aurait été impossible. Ce serait pour cette raison que les créanciers auraient fini par passer à l’action et qu’ils auraient jeté de l’acide au visage de l’époux de la demanderesse.

La demanderesse relate ensuite que fin janvier 2015, elle aurait dû se rendre de … à … pour la thérapie de son fils. En prenant la voiture avec son mari et son fils, la demanderesse se serait rapidement aperçu qu’ils auraient été suivis par une voiture qui se serait arrêtée devant l’hôpital juste derrière leur voiture. Même si à leur sortie de l’hôpital la voiture avait disparu, la demanderesse et son mari auraient décidé qu’elle et son fils devaient être mis à l’abri en quittant l’Albanie, afin d’éviter que les créanciers de son mari ne s’attaquent à eux pour atteindre son époux. La fille aînée de la demanderesse serait quant à elle restée en Albanie afin de terminer l’année scolaire, tandis que son mari y serait resté pour essayer d’éponger sa dette.

1) Quant au recours visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours concernant ce volet de la décision, la demanderesse estime que ce serait à tort que le ministre aurait retenu qu’elle ne présenterait que des éléments sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale. Elle est en effet d’avis que les questions qu’elle aurait soulevées lors de ses auditions seraient pertinentes en ce qu’elles seraient susceptibles d’entrer dans le champ d’application de la loi du 5 mai 2006 concernant les critères de qualification de la protection internationale et notamment celle de la protection subsidiaire. Plus particulièrement, elle estime que du fait qu’elle aurait relaté que son fils aurait été directement victime de menaces directes de mort et d’atteintes physiques graves, cet élément serait parfaitement pertinent au regard de l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006. Elle souligne également avoir expliqué qu’elle et sa famille ne seraient pas disposés à se prévaloir de la protection de leur pays d’origine en raison des menaces de la part d’un groupe mafieux et des craintes fondées que ces menaces auraient fait naître dans leur chef. Il s’en suivrait que les éléments présentés par la demanderesse lui permettraient à elle, et surtout à son fils, de prétendre à la protection subsidiaire et que ce serait dès lors à tort que le ministre aurait affirmé qu’elle ne remplirait pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire. La demanderesse ajoute encore qu’à aucun moment le ministre n’aurait expliqué les raisons pour lesquelles il aurait estimé que les éléments fournis par elle ne seraient pas pertinents, de sorte que la décision ministérielle devrait être sanctionnée pour défaut de motivation alors qu’il serait impossible de savoir sur quels faits le ministre se baserait pour trancher de la sorte.

Quant à la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur le fondement de l’article 20, (1), c) de la loi du 5 mai 2006, la demanderesse fait valoir que les agresseurs de son époux lui auraient formellement interdit de s’adresser à la police. A cela s’ajouterait que ses mouvements auraient été limités et ses sorties rares, de sorte qu’elle n’aurait véritablement pu s’adresser qu’à son mari.

Or, devant les craintes de ce dernier de s’adresser à la police, elle n’aurait pas pu braver l’interdit fixé par les agresseurs et mettre sa famille encore plus en danger, ce d’autant plus qu’elle aurait craint des représailles d’une intensité encore plus grave que celles dont son mari aurait déjà été victime. La demanderesse donne encore à considérer qu’au vu du fonctionnement des autorités étatiques et policières albanaises et surtout de la corruption y régnant, elle aurait su que sa famille ne pourrait compter sur aucune protection de leur part.

En se fondant encore sur l’article 21 (4) de la loi du 5 mai 2006, la demanderesse fait valoir que ses développements ultérieurs concernant l’état et le fonctionnement du système judiciaire albanais démontreraient d’une manière plus générale que les exigences des points a) et c) dudit article 21 (4) ne seraient pas remplies en ce qui concerne l’Albanie. Par ailleurs, au vu de la situation particulière de la demanderesse et de son fils, il y aurait lieu de considérer que l’Albanie ne serait pas un pays d’origine sûr pour eux.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale de la demanderesse dans le cadre d’une procédure accélérée et conclut au rejet du recours.

Il y a lieu de rappeler que le tribunal saisi d’un recours en annulation vérifie si les motifs sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir, ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés et dans ce cadre, il lui appartient d’abord de vérifier la légalité extrinsèque de l’acte lui déféré, en ce compris la procédure ayant abouti à la décision litigieuse, avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque.

En ce qui concerne tout d’abord le prétendu défaut de motivation de la décision ministérielle déférée, force est de relever que la demanderesse se contente de faire état d’un défaut de motivation sans invoquer une quelconque base légale à l’appui de ce moyen.

A admettre que la demanderesse ait entendu baser ce moyen sur l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, il y lieu de rappeler que si en vertu dudit article, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et que certaines catégories de décisions, dont celles refusant de faire droit à une demande, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, il suffit que ces indications soient sommaires. Quant à l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, qui requiert que le ministre statue sur la demande de protection internationale par une décision motivée, cette disposition n’indique pas le degré de précision à laquelle cette motivation doit correspondre, de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’une motivation sommaire est suffisante, pour autant que plus particulièrement le destinataire de la décision comprenne les motifs à la base de la décision de refus.

En l’espèce, il y a d’abord lieu de relever que la décision ministérielle elle-même indique clairement les motifs à sa base, en les développant sur un total de 8 pages, complétée encore par les explications apportées par la partie étatique au cours de la procédure contentieuse. Ensuite, force est de constater que le ministre a motivé les raisons qui l’ont amené à retenir que les faits invoqués par la demanderesse ne sont pas pertinents ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer si elle remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié. En effet, il ressort, d’une part, de la décision ministérielle litigieuse que le ministre a estimé que « l’agression que votre mari aurait subie, les menaces que ses créanciers auraient proférées l’égard de votre fils, ainsi que les « pressions » ou agressions perpétrées par votre beau-père, constituent de délits de droit commun, punissables en vertu de la législation albanaise et ne répondant à aucun des critères prévus par la Convention de Genève et la loi modifiée du 5 mai 2006 », de sorte à ne pas être pertinents dans le cadre de l’analyse de la demande tendant à l’obtention du statut réfugié. Le ministre est arrivé au même constat en ce qui concerne l’état de santé du fils de la demanderesse puisqu’il a retenu que « des raisons médicales ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié », le ministre ayant encore conclu, en relation avec les dettes de l’époux de la demanderesse que « des motifs économiques [sous-tendant sa] demande de protection internationale […] ne rentrent pas dans le champ d’application de la Convention de Genève et ne sauraient fonder une demande en obtention du statut de réfugié ». Pour ce qui est du statut conféré par la protection subsidiaire, le ministre a retenu, en se référant aux même faits que ceux analysés in extenso dans le cadre du volet de la demande ayant trait au statut de réfugié que la demanderesse ne ferait « pas état d’un jugement ou d’un risque de jugement [la] condamnant à la peine de mort » et qu’elle ne ferait « également pas état de risque réel de subir des actes de torture ou des traitements ou sanctions inhumaines ou dégradants ou de risques réels émanant d’une violence aveugle résultant d’un conflit armé interne ou international », de sorte à dénier également toute pertinence aux faits invoqués par la demanderesse dans le cadre de de sa demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire. Au vu de ce qui précède et à défaut par la demanderesse de développer plus amplement le moyen suivant lequel la décision déférée pècherait par un défaut de motivation, le tribunal est amené à retenir que la motivation à la base de la décision de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée fournie en l’espèce est conforme aux exigences de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006. Il s’ensuit que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne la légalité intrinsèque de la décision entreprise, il y a lieu de relever qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « (1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants:

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale;

(…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ;

(…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Plus particulièrement, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est considéré comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi précitée du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, mais que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine sûr soit par l’Union européenne soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécutions au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international de droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ses droits et libertés. » En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant la liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, la République d’Albanie a été retenue comme constituant un pays d’origine sûr, tandis qu’il se dégage des éléments du dossier que la demanderesse et son fils ont la nationalité albanaise et qu’ils avaient leur résidence habituelle en Albanie avant de venir au Luxembourg.

Comme l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En l’espèce, l’analyse de la situation personnelle décrite par la demanderesse lors de son audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes ne permet cependant pas d’en dégager des éléments suffisants pour conclure à l’illégalité de la décision ministérielle. En effet, si la demanderesse a certes déclaré avoir quitté son pays d’origine, d’une part, en raison des violences répétées qu’elle aurait subies elle-même de la part de son beau-père et, d’autre part, parce que son époux aurait été victime de violences de la part de ses créanciers, qui auraient également proféré des menaces à l’encontre de la demanderesse et de son fils, il n’en demeure pas moins qu’il ne ressort pas de son récit qu’elle ou son époux auraient recherché une protection de la part des autorités albanaises en dénonçant les agissements des agresseurs de son époux à la police. La demanderesse a, au contraire, déclaré qu’après que son mari ait été victime d’une attaque à l’acide, il n’a pas dénoncé ses agresseurs à la police et ce alors même qu’immédiatement après cet incident il aurait été arrêté par la police pour excès de vitesse et qu’il aurait dès lors eu l’occasion de solliciter rapidement une protection policière.

Il ne ressort pas non plus des déclarations de la demanderesse que cette dernière aurait dénoncé les agissements de son beau-père, que ce soit à la police ou même à son époux. Or, au lieu de quitter son pays d’origine et de solliciter une protection internationale, la demanderesse aurait dû et pu tenter d’échapper aux violences de son beau-père en se confiant à son époux et en quittant le domicile de ses beaux-parents pour aller vivre autre part avec son époux et son fils, respectivement en déposant en bonne et due forme une plainte contre son beau-père.

Ensuite, si, en ce qui concerne les problèmes de son époux, la demanderesse tente certes de justifier son inaction et celle de son époux par le fait que cela n’aurait servi à rien de s’adresser à la police parce que les agresseurs de son époux entretiendraient des liens avec les autorités policières et que le dépôt d’une plainte n’aurait fait qu’aggraver la situation, cette affirmation non autrement corroborée n’est en tout état de cause pas de nature à justifier leur inaction à recourir à l’aide de la police.

Le tribunal est en effet amené à constater au regard des extraits de rapports internationaux cités dans sa requête introductive d’instance qu’il ne ressort pas du récit de la demanderesse que cette dernière se soit à une quelconque occasion vue refuser l’accès à la police et elle n’a pas non plus fait état d’expériences négatives, notamment en termes de corruption, qu’elle ou son époux auraient personnellement déjà vécues avec la police et qui auraient pu les dissuader de requérir une protection policière.

Il s’ensuit qu’à défaut pour la demanderesse, respectivement son époux, d’avoir au moins tenté de porter plainte contre les agresseurs de ce dernier auprès des autorités policières locales, la demanderesse ne saurait leur reprocher une quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider, ce d’autant plus que la demanderesse n’a en particulier pas fait état de ce que malgré sa volonté de déposer une plainte, un tel dépôt lui aurait été refusé par les policiers albanais.

En tout état de cause, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection, s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de menaces contre la vie et d’agressions, communément la forme d’une plainte.

Au vu de ce qui précède, il aurait en tout état de cause appartenu à la demanderesse, avant de requérir la protection d’un Etat étranger, de rechercher activement la protection offerte par ses propres autorités et institutions nationales en ayant recours aux moyens à sa disposition pour bénéficier d’une protection des autorités compétentes et plus particulièrement en sollicitant officiellement l’aide de la police par le biais du dépôt d’une plainte, et non de s’abstenir de toute tentative en ce sens, de sorte qu’elle ne saurait conclure à une absence, respectivement à un refus de protection effective dans le chef des autorités albanaises.

Par ailleurs, si la demanderesse avait eu le sentiment que ses doléances ou celles de son époux n’étaient pas accueillies avec le sérieux nécessaire par les policiers locaux, il lui aurait été possible de protester contre le comportement des policiers auprès d’une autorité supérieure ou bien de l’Ombudsman, ce que ni elle, ni son mari n’ont toutefois pas fait.

Finalement, il y a encore lieu de rappeler que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou une atteinte grave ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Or, au vu de ce qui précède, le tribunal est amené à retenir qu’il ne résulte en tout état de cause ni du récit de la demanderesse tel qu’acté dans son rapport d’entretien, ni des explications de son litismandataire concernant ce volet du recours, que les autorités albanaises ne sont pas capables ou pas disposées à l’aider, voire qu’elles encourageraient ou toléreraient les agissements des créanciers de l’époux de la demanderesse ou ceux du beau-père de cette dernière. Au contraire, il ressort des déclarations de la demanderesse que cette dernière n’a pas épuisé tous les moyens à sa disposition dans son pays d’origine en vue d’obtenir une protection contre les violences auxquelles elle et sa famille auraient été confrontées que ce soit de la part des créanciers de son époux ou de son beau-père.

La demanderesse n’a donc pas fourni d’éléments de nature à renverser le constat du règlement grand-ducal du 21 décembre 2007 précité, selon lequel l’Albanie est à considérer comme pays d’origine sûr.

Il suit des considérations qui précèdent que la demanderesse n’invoque pas de faits démontrant que l’Albanie ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’elle était originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006. Ainsi, le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait lieu d’analyser la condition de l’article 20, paragraphe (1) a).

2. Quant au recours tendant à la réformation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, une demande en réformation a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation, ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, est recevable.

A l’appui de ce volet du recours et après avoir souligné qu’elle limiterait ce volet du recours au refus ministériel relatif à la protection subsidiaire, la demanderesse, se basant sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, fait tout d’abord valoir en ce qui concerne la crédibilité de son récit, qu’elle aurait apporté la preuve de l’attaque subie par son époux par le biais de photos remises à l’agent ministériel lors de son audition, de sorte que conformément à l’article 26 (5) de la loi du 5 mai 2006, les autres aspects de ses déclarations ne nécessiteraient pas de preuves documentaires ou autres puisque les conditions requises par ledit article seraient remplies.

La demanderesse donne ensuite à considérer que le ministre n’aurait pas apprécié la gravité des risques pesant sur elle et son fils au regard des critères fixés par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. Elle rappelle à cet égard qu’elle craindrait les menaces des agresseurs de son époux et plus particulièrement que ces derniers ne s’attaquent à son fils. En effet lorsqu’un Albanais chercherait à faire pression ou à se venger sur un autre Albanais, il viserait surtout les hommes de la famille et en particulier les fils. Or, la menace pesant sur son fils serait d’autant plus accrue que les agresseurs de son mari auraient déjà jeté de l’acide au visage de ce dernier.

La demanderesse insiste également sur le fait que comme elle n’aurait plus pu sortir de chez elle pour faire suivre sa thérapie à son fils, et ce de peur d’être suivie par les créanciers de son époux, les chances d’amélioration de l’état de santé de ce dernier se réduiraient à néant. Or, le fait pour son fils de ne pas pouvoir suivre sa thérapie et d’être soigné devrait être considéré comme étant une atteinte grave au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. La demanderesse estime dès lors devoir bénéficier de la présomption de l’article 26 (4) selon laquelle ces atteintes graves se réaliseront à nouveau en cas de retour en Albanie et ce à moins que le ministre ne rapporte la preuve de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. Il s’ensuivrait que les mauvais traitements dont aurait fait l’objet la demanderesse et son fils et ceux qu’ils risqueraient encore de subir constitueraient des traitements inhumains, sinon dégradants.

Pour ce qui est de la possibilité d’une protection nationale, la demanderesse, en se référant sur l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, fait valoir que ce se serait inutile de s’adresser à la police albanaise et ce non seulement en raison du fait que les agresseurs de son époux aurai ent des liens avec la police, mais également en raison de la corruption sévissant au sein des autorités et de l’inefficacité de ces dernières, la demanderesse insistant également sur sa peur d’être victime d’actes de vengeance de la part des agresseurs de son époux en cas de dénonciation des faits à la police.

La demanderesse se base ensuite sur divers rapports internationaux pour souligner qu’il serait constant en cause que les autorités albanaises ne prendraient pas des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou les atteintes graves et que l’Albanie ne bénéficierait pas d’un système judiciaire effectif. Lesdits rapports permettraient également de comprendre pour quelle raison les réformes anti-corruption ne trouveraient pas à s’appliquer au sein de l’ordre juridique albanais. Il ressortirait d’ailleurs d’un rapport de la Commission européenne de juin 2014 que la circonstance que le statut de candidat à l’adhésion à l’Union européenne a été accordé en juin 2014 à l’Albanie ne changerait rien à la situation actuelle de corruption et d’inefficacité des autorités albanaises et que malgré les efforts que l’Albanie a fournis, il resterait encore d’énormes progrès à réaliser avant qu’elle puisse obtenir le statut d’Etat membre. La demanderesse en conclut que l’Etat albanais ne pourrait pas, respectivement ne voudrait pas lui accorder une protection contre les atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

Finalement, en ce qui concerne la possibilité d’une fuite interne, la demanderesse donne à considérer que si le ministre avait analysé sa demande conformément à l’article 30 de la loi du 5 mai 2006 et s’il avait voulu lui opposer l’exception de fuite interne, il aurait dû prouver positivement l’absence de tout risque pour elle et son fils à …. Or, la demanderesse aurait expliqué qu’il ne lui était pas possible de s’installer dans une autre région et surtout pas à … où elle aurait été suivie jusqu’à l’hôpital par les agresseurs de son époux. Il s’ensuivrait que les conditions pour pouvoir opposer l’alternative d’une fuite interne à sa demande de protection internationale ne seraient pas remplies dans son chef.

Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé d’accorder à la demanderesse l’un des statuts conférés par la protection internationale et conclut au rejet de ce volet du recours.

Le tribunal constate de prime abord que la demanderesse limite son recours en réformation à la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire. A ce sujet, il y a lieu de rappeler qu’une demande en protection internationale peut viser l’obtention soit du statut de réfugié, soit du statut conféré par la protection subsidiaire et non obligatoirement les deux statuts et que partant un demandeur est en droit de limiter sa demande au seul statut conféré par la protection subsidiaire, statut strictement autonome et indépendant du statut de réfugié politique1.

Il y a partant lieu de lui en donner acte.

Pour ce qui est de la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère comme atteintes graves, sous ses points a), b) et c), «la peine de mort ou l'exécution ; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine ; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, indépendamment de la question de la crédibilité du récit de la demanderesse ou encore de celle de savoir si les actes invoqués sont d’une gravité suffisante pour être qualifiés d’atteintes graves au sens de la loi du 5 mai 2006, force est au tribunal de relever que les auteurs des agissements craints par la demanderesse sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat. La demanderesse ne saurait dès lors faire valoir un risque réel de subir des atteintes graves que si les autorités albanaises ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre ces atteintes graves, en application de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006.

En effet, la notion de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire implique, outre nécessairement des atteintes graves, ou à tout le moins un risque d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.

Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale2. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour 1 Trib. adm. 26 novembre 2007 n°23343 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Etrangers n°176.

2 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut3.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, la crainte de subir des atteintes graves est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de l’atteinte grave infligée. A cet égard, il y a lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1), points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, tel que relevé ci-avant, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une atteinte grave ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

Dans le cadre de la procédure contentieuse, la demanderesse tente de justifier son inaction à solliciter une protection policière en mettant en cause l’efficacité des autorités policières et judiciaires albanaises auxquelles elle ne pourrait pas s’adresser parce qu’elles seraient corrompues.

Si la demanderesse insiste certes sur l’incapacité des autorités policières locales à pouvoir lui assurer une protection adéquate et ce en mettant l’accent sur diverses défaillances au sein 3 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

desdites autorités, notamment en raison de leur corruptibilité et de l’absence de moyens suffisants dans leur chef, force est au tribunal de relever à cet égard qu’il lui appartient de considérer non pas le ressenti subjectif de la population sur la protection qu’offrent les autorités albanaises, mais bien la réalité de cette protection, telle qu’elle est décrite dans les textes juridiques et les rapports internationaux pertinents.

Or, il ressort des sources invoquées par les parties que, bien que la corruption des autorités policières et judiciaires dénoncée par la demanderesse ne soit pas totalement endiguée, l’Etat albanais peut se targuer d’une amélioration exponentielle de la situation dans ce domaine, l’Albanie ayant en effet fait des efforts constants au cours des dernières années pour lutter et prévenir toute forme de corruption, notamment en mettant en place un cadre juridique efficace contre la corruption et les abus de pouvoir de la part des policiers, quelle que soit la police à laquelle ils appartiennent. Ainsi, l’Albanie dispose non seulement d’un service spécialement créé pour combattre la corruption policière et les violations des droits de l’Homme, mais l’Etat albanais a également amendé sa loi sur la police d’Etat afin de créer un bureau national d’investigation chargé d’enquêter sur les infractions en relation avec la corruption. Il ressort encore des développements du délégué du gouvernement, sources internationales à l’appui, que l’Etat albanais n’a de cesse de mettre en place de nouvelles stratégies pour lutter encore davantage contre la corruptibilité au sein des autorités judiciaires et policières.

Il s’ensuit qu’en l’absence d’éléments pertinents à cet égard relatifs à la situation personnelle de la demanderesse - qui n’a en effet elle-même jamais vécu d’expériences négatives, notamment en termes de corruption ou d’inefficacité, avec les autorités judiciaires et policières de son pays -, il est vain d’invoquer une situation générale de corruption pour discréditer la protection que peuvent apporter les autorités nationales aux victimes d’agressions et de menaces.

En résumé, au regard des éléments à disposition du tribunal, il n’est pas établi que la demanderesse ne peut pas obtenir une protection suffisante dans son pays d’origine. Plus particulièrement au vu des explications et sources internationales fournies de part et d’autre, quant à la disponibilité d’un système judiciaire et policier, et à défaut pour la demanderesse d’avoir recherché activement la protection des autorités de son pays, - la demanderesse ne pouvant à cet égard valablement se retrancher derrière sa peur d’une aggravation de la situation pour justifier sa propre inaction -, la seule affirmation qu’elle ne bénéficierait d’aucune protection dans son pays d’origine est insuffisante pour emporter le constat que les autorités albanaises seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006.

Le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation, vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer que la demanderesse est originaire d’un pays d’origine sûr au sens de la loi, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande.

Actuellement, le tribunal, statuant par rapport au seul volet du rejet de la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et motifs invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que Madame …ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale pris en son double volet, la demanderesse n’ayant en effet fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités albanaises seraient dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’elle ne saurait, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat.

Pour être tout à fait complet et en ce qui concerne les problèmes de santé du fils de la demanderesse, dont cette dernière a fait état lors de ses auditions et dans le cadre du recours sous analyse, le tribunal est amené à rappeler que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 se réfère à des traitements ou des sanctions « infligées », tandis que l’article 28 de la même loi énumère les acteurs des persécutions et des atteintes graves, de sorte à nécessiter une intervention, une responsabilité humaine et à exclure de son champ d’application l’éventualité d’ « atteintes graves » lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable. Il en résulte que la maladie à elle seule, sinon avec la situation sanitaire et sociale du pays d’origine, ou encore l’état de précarité, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’il aurait été infligé ou qu’il résulterait d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constitue pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire au sens de la loi du 5 mai 2006.

Il s’ensuit que la demanderesse ne remplit en tout état de cause pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3. Quant au recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

A cet égard, la demanderesse fait valoir que dans la mesure où la décision ministérielle de refus d’une protection subsidiaire devrait être réformée, il y aurait également lieu d’annuler l’ordre de quitter le territoire.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire de la demanderesse comme non justifiée, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

La demanderesse fait encore exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait de manière autonome l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Aux termes de l’article 129 de la loi précitée du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Il convient de relever que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Albanie, le tribunal administratif a conclu ci-avant à l’existence dans le chef de la demanderesse d’une possibilité de protection suffisante de la part des autorités albanaises et qu’elle ne saurait dès lors prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement pas se départir de cette conclusion à ce niveau-ci de son analyse.

Au vu de ce qui précède, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi de la demanderesse en Albanie soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 15 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte à la demanderesse qu’elle limite son recours en réformation au refus ministériel relatif à la protection subsidiaire ;

reçoit dans cette mesure en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 15 juin 2015 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 15 juin 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 19 août 2015 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, juge Olivier Poos, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19/8/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36521
Date de la décision : 19/08/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-08-19;36521 ?

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