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19/08/2015 | LUXEMBOURG | N°36485

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 août 2015, 36485


Tribunal administratif N° 36485 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 19 août 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36485 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2015 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat

à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …,...

Tribunal administratif N° 36485 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 juin 2015 chambre de vacation Audience publique de vacation du 19 août 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36485 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2015 par Maître Karima HAMMOUCHE, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …(Tunisie), de nationalité tunisienne, demeurant actuellement à L-…, tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même ministre du 5 juin 2015 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2015 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Karima HAMMOUCHE déposé au greffe du tribunal administratif le 29 juillet 2015 pour compte du demandeur ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 juillet 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport ainsi que Maître Karima HAMMOUCHE et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 août 2015.

Le 9 février 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-

après « la loi du 5 mai 2006 ».

Le même jour, Monsieur… fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg.

Monsieur… fut ensuite entendu le 22 avril 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 5 juin 2015, notifiée en mains propres à Monsieur… en date du 10 juin 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », l’informa qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et b) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2015, Monsieur… a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 5 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la même décision du ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur… expose les faits et rétroactes de sa demande en obtention d’une protection internationale. Ainsi, et en substance, il explique avoir quitté la Tunisie en janvier 2011 pour fuir les persécutions et menaces dont il aurait été victime de la part d’un groupe de salafistes intégristes appartenant au parti salafiste Ennahda.

En effet, en voulant protéger sa sœur d’un viol, le demandeur aurait reçu un coup de couteau de la part d’un des violeurs. Par la suite, il se serait avéré que ses agresseurs étaient des membres actifs d’un groupe islamiste salafiste et que ces derniers n’auraient cessé de le menacer. Le demandeur insiste d’ailleurs sur le fait que les nombreuses cicatrices qu’il présenterait attesteraient de la violence manifeste de l’altercation dont il aurait été victime. Ce serait dès lors en raison de sa crainte de subir de graves représailles de la part des Salafistes que le demandeur aurait décidé de quitter la Tunisie pour se rendre en Europe, en transitant par la Lybie. Il explique à cet égard encore que ses craintes auraient été d’autant plus sérieuses que le parti salafiste d’Ennahdha aurait pris le pouvoir et ne se priverait pas de mettre un terme par tous les moyens à tous les comportements qui lui sembleraient ne pas correspondre à sa politique radicale. Comme le pays n’aurait pas été stable, les vendettas des Salafistes auraient été courantes et le demandeur serait resté cloîtré chez lui pour éviter tout risque d’agression. Le demandeur insiste à cet égard sur le fait que sa famille serait à l’heure actuelle toujours menacée par les islamistes radicaux.

1) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur… dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Monsieur… reproche au ministre d’avoir retenu à tort que son récit rentrerait dans l’une des hypothèses énumérées à l’article 20 (1), a) et b) de la loi du 5 mai 2006 et d’avoir statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

Il estime en effet avoir expliqué de façon claire et précise, lors de son entretien avec l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, avoir subi des persécutions parce qu’il aurait essayé de protéger sa sœur victime d’un viol par un groupe de frères qui se seraient avérés être des salafistes. Il ressortirait des faits invoqués par le demandeur que sa demande mériterait d’être étudiée au vu des agressions physiques dont il aurait fait l’objet en Tunisie, ce d’autant plus que ce pays serait actuellement en proie à de graves problèmes d’insécurité.

Le demandeur est encore d’avis que l’examen des faits à la base de sa demande de protection internationale ne se limiterait pas à la pertinence des faits allégués mais il s’agirait également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et de la crédibilité de ses déclarations, le demandeur estimant que son récit serait manifestement crédible et ce contrairement à ce que laisserait entendre le ministre. Ainsi, la présence des multiples blessures et cicatrices sur son corps corroboreraient la crédibilité des agressions physiques qu’il aurait subies.

Le demandeur estime en tout état de cause avoir démontré qu’il a fait l’objet d’une atteinte à son intégrité physique et qu’il fait état d’une crainte réelle en raison du fait qu’il s’est opposé « aux comportements indignes et scandaleux des salafistes vis-à-vis de sa sœur », le demandeur insistant à cet égard encore sur le fait qu’il aurait clairement identifié les agresseurs de sa sœur et qu’il se serait agi d’islamistes appartenant au groupe ayant dirigé la Tunisie. Le demandeur met encore en exergue qu’il aurait fait état dans son récit du fait que les personnes qui l’auraient agressé auraient été membres du groupe qui aurait mis la Tunisie en sang par des représailles violentes tant envers la population qu’envers les autorités policières sensées protéger le pays.

Partant, au vu de ces données et au regard de la situation sociale et politique en Tunisie, il serait indubitable qu’il « entendait faire état des salafistes, qui étaient le seul partie se revendiquant comme un parti religieux ».

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée et conclut au rejet de ce volet du recours.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et b) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants : a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ;

b) il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et b) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale, soit s’il apparaît clairement que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons de nature à justifier dans son chef dans son pays de provenance une crainte fondée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social, respectivement un risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la même loi.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire et qu’en vertu de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « réfugié » est définie comme tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, tandis qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire», « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par Monsieur… à l’appui de sa demande en obtention du statut de réfugié dans le cadre de son audition, amène le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation - appelé dès lors à apprécier la légalité de la décision déférée en considération de la situation de droit et de fait au jour où elle a été prise, de sorte à ne pas pouvoir tenir compte des faits nouveaux invoqués dans le seul recours en annulation sous analyse - à conclure que les éléments soumis au ministre permettent de conclure que le demandeur ne remplit manifestement pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale et plus particulièrement celle tenant à l’absence de protection dans son pays d’origine, de sorte que le ministre a valablement pu décider de statuer sur la demande de protection internationale du demandeur dans le cadre d’une procédure accélérée.

Force est en effet de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire impliquent, outre nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine, une absence de protection dans le pays d’origine, soit que la personne concernée refuse d’accepter la protection des autorités du pays dont elle a la nationalité, soit qu’elle n’y a pas accès.

Dès lors, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale1. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’État fait défaut2.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. En cas de persécution ou d’atteinte grave infligée par des entités non étatiques, la crainte d’être persécuté ou de subir des atteintes graves est considérée comme fondée si les autorités ne veulent ou ne peuvent pas fournir une protection effective au demandeur ou s’il n’y a pas d’Etat susceptible d’accorder une protection : c’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a, à cet égard, encore lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnab les pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection ». Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

Pour ce qui est de l’agression dont le demandeur aurait personnellement été victime en 2009, il y a tout d’abord lieu de relever que le demandeur a expliqué que les auteurs de cette agression auraient été quatre frères de la famille … et que ces mêmes hommes auraient quelque temps auparavant également violé sa sœur. Ensuite, il appert que suite à son agression, le demandeur a bien eu accès à la police puisqu’il déclare avoir porté plainte contre ses agresseurs. La police se serait d’ailleurs déplacée à l’hôpital pour acter les déclarations du demandeur en relation avec sa propre agression et le viol de sa sœur3. Le tribunal relève également que suite à l’agression dont aurait été victime le frère du demandeur de la part des mêmes individus en décembre 2014, la police aurait également acté la plainte de la famille du demandeur4.

1 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNHCR, décembre 2011, p.21, n° 100.

2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.

3 Pages 4 et 5 du rapport d’audition.

4 Page 5 du rapport d’audition.

Si le demandeur se plaint certes de la circonstance que jusqu’à l’heure actuelle aucune suite n’aurait été donnée à sa plainte en relation avec sa propre agression, il ne ressort toutefois pas de son récit que lui-même ou, depuis son départ de Tunisie, un membre de sa famille, ait contacté les autorités policières pour connaître les suites données à cette plainte.

Il aurait cependant en tout état de cause appartenu au demandeur, avant de quitter son pays d’origine et de requérir la protection d’un Etat étranger, de s’enquérir activement des démarches entreprises par les autorités policières tunisiennes et, le cas échéant, de les relancer afin de faire avancer les choses. Le tribunal est à cet égard également amené à relever que la famille du demandeur semble avoir affiché la même passivité en relation avec l’agression du frère du demandeur en décembre 2014, puisque lors de l’audition par l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, le demandeur n’a pas été en mesure de dire si cet incident avait donné lieu à des suites judiciaires et ce alors même qu’il semble être régulièrement en contact avec sa famille en Tunisie5. Il ne résulte par ailleurs pas non plus du récit du demandeur, qu’alors même qu’il aurait continué à recevoir des menaces de la part de ses agresseurs par l’intermédiaire de sa famille, ces agissements auraient été dénoncés à la police.

En tout état de cause, il ressort des développements non contestés contenus dans la décision ministérielle que si le demandeur avait effectivement eu le sentiment que ses doléances n’avaient pas été accueillies avec le sérieux nécessaire par les policiers locaux parce que ses agresseurs seraient issus d’une famille influente, il lui aurait été possible de porter sa plainte par devant les policiers d’un autre commissariat - le demandeur ayant en effet déclaré s’être uniquement adressé à la police de son quartier6 - ou bien de protester contre le comportement des policiers auprès d’une autorité supérieure ou auprès de l’Ombdusman, ce qu’il n’a toutefois pas fait.

Force est encore de rappeler qu’une persécution ou une atteinte grave ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Or, le demandeur n’a manifestement pas soulevé des faits permettant de retenir que les autorités tunisiennes seraient incapables ou non disposées à lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006, ni a fortiori de retenir une absence de protection dans son chef, absence de protection qui, tel que relevé ci-avant, est une condition commune à l’octroi d’un des statuts conférés par la protection internationale.

Le demandeur n’ayant dès lors manifestement pas eu recours à tous les moyens à sa disposition pour bénéficier effectivement de la protection des autorités compétentes, le ministre a valablement pu considérer, au vu des éléments lui soumis, qu’il apparaît clairement que Monsieur… ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, prise en son double volet, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande.

Partant le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être 5 Page 6 du rapport d’audition.

6 Page 7 du rapport d’audition.

fondé, sans qu’il n’y ait besoin d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006.

2) Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, seul un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours principal en réformation ayant été introduit par ailleurs dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

A l’appui de ce volet du recours, Monsieur… expose tout d’abord que la situation actuelle en Tunisie, caractérisée par la confrontation entre deux courants principaux diamétralement opposés, à savoir, d’une part, une conception intégriste de l’Islam, et, d’autre part, une approche plus tolérante de l’Islam. La situation resterait dès lors encore instable en raison de l’existence de ces deux façons de penser radicalement opposées et de l’incapacité de la police à faire respecter la tranquillité publique, la police étant en particulier dans l’incapacité de rétablir le calme et de protéger efficacement la population des groupements salafistes. Si le parti Ennahda s’était certes retiré du gouvernement, la Tunisie resterait un pays instable où les salafistes essaieraient d’imposer leur doctrine sectaire à la population, ce qui justifierait la crainte du demandeur de retourner dans un pays où il risquerait sa vie pour s’être opposé ouvertement au comportement ingrat des salafistes vis-à-vis de sa sœur et donc aux règles des islamistes radicaux.

Le demandeur invoque ensuite les mêmes faits que ceux avancés dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, en soutenant que les persécutions dont il risquerait de faire l’objet en cas de retour dans son pays seraient à qualifier d’actes graves au sens de l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006 et ce plus particulièrement eu égard au fait qu’il se serait fait agresser à quelques mètres de son domicile par un groupe d’hommes barbus d’un mouvement islamiste radical. Il s’agirait par ailleurs d’atteintes au droit à la liberté religieuse et de pensée, protégé par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi que d’atteintes au droit à la vie de toute personne, protégé par l’article 2 de la même Convention, lesquelles constitueraient de par leur nature même une violation grave des droits fondamentaux conformément à l’article 31 (l) a).

Il relève encore qu’il aurait été victime de violences physiques et mentales, puisqu’il aurait fui son pays d’origine parce qu’il y aurait subi une agression d’une extrême violence de la part de salafistes qui souhaitaient lui imposer leurs règles de fonctionnement. Si lors de son bref retour en Tunisie, il n’aurait certes pas subi d’agressions, puisqu’il serait resté cloitré chez lui, il se serait toutefois su menacé par les salafistes qui auraient été prêts à tout pour le retrouver et le tuer, ce qui lui aurait été confirmé par son entourage.

Il aurait donc risqué la mort s’il était sorti et il craindrait également de subir à nouveau de graves persécutions s’il ne respectait pas les règles des salafistes.

Le demandeur insiste ensuite sur le fait qu’il craindrait non seulement de subir des persécutions liées à son opposition manifeste au viol de sa sœur mais également de faire l’objet de représailles en cas de retour forcé en Tunisie alors qu’aux yeux des islamistes radicaux en général et de ce groupe en particulier, il deviendrait un opposant à éliminer en se basant sur l’application de la loi du Talion.

Pour ce qui est des agents de persécutions, le demandeur explique avoir parlé de partisans d’Ennahda pour caractériser ses agresseurs lors de son audition et que pour lui les partisans de ce parti islamique auraient les même idées que les salafistes. Or, le groupe de personnes qui l’aurait agressé aurait été manifestement composé de salafistes alors qu’ils se seraient uniquement attaqués à lui parce qu’il aurait refusé leur comportement abjecte envers sa sœur. A cela s’ajouterait que le parti islamiste d’Ennahda constituerait la branche politique des salafistes ce qui créerait une confusion impliquant que dans l’esprit de la population tunisienne, Ennahda et les salafistes ne feraient qu’un. Il s’ensuivrait que l’agent persécuteur du demandeur aurait donc bien été un parti qui contrôle l’Etat ou une partie importante de celui-ci.

En ce qui concerne le refus du ministre d’octroyer au demandeur le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur, après avoir relevé que l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 énumérerait de manière alternative et non pas cumulative trois hypothèses d’actes susceptibles d’être qualifiés d’atteintes graves, insiste encore sur le fait que l’article « 2 e) » de la loi du 5 mai 2005 ne mentionnerait pas l’exigence d’un auteur au sens de l’article 28 de la même loi, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait ajouté dans sa décision une condition non prévue par la loi.

Le délégué du gouvernement conclut quant à lui au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation, vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer qu’il apparaît clairement que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, le demandeur ne s’étant pas, de façon valable, prévalu d’une absence de protection dans le pays d’origine, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande.

Actuellement, le tribunal, statuant par rapport au volet du rejet de la demande en obtention de la protection internationale en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de son audition ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que Monsieur… ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.

En effet, si dans le cadre de la procédure contentieuse, le demandeur tente de mettre en avant l’impossibilité pour lui d’obtenir une protection dans son pays d’origine du fait que ses agresseurs auraient été des salafistes faisant nécessairement partie du parti islamiste Ennahda, de sorte à devoir être considérés comme des agents de persécution au sens de la loi, tout en mettant également en avant une incapacité de l’Etat tunisien à garantir une quelconque stabilité sécuritaire à sa population, force est tout d’abord de relever qu’à aucun moment lors de son audition, le demandeur n’a déclaré que ses agresseurs auraient été des islamistes ou des membres du parti Ennahda. En effet, il a uniquement fait état, lors de son audition, de ce que « maintenant ce sont des gens qui se sont islamisés »7, ce qui implique nécessairement qu’au moment de son agression et de celle de sa soeur, le demandeur n’a pas jugé ces personnes comme faisant partie d’un quelconque mouvement islamiste, voire comme étant impliqués d’une quelconque manière au sein du parti Ennahda. Par ailleurs, même si les agresseurs du demandeur devaient effectivement avoir été partisans du parti Ennahda au moment des faits, cette seule qualité ne saurait suffire pour pouvoir les qualifier d’agents de persécution au sens de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006, alors qu’il ne ressort aucunement du récit du demandeur, ni des éléments à la disposition du tribunal que les agissements répréhensibles de ces personnes auraient été commis à l’instigation dudit parti ou cautionné par ce dernier.

Ensuite, il résulte des explications de la partie étatique, dûment étayées, que le parti Ennahda, certes islamiste, mais qui s’était distancé des salafistes, s’est retiré du gouvernement tunisien en janvier 2014 et qu’une nouvelle Constitution tunisienne a été adoptée par l’Assemblée Nationale Constituante en date du 26 janvier 2014, Constitution qui jette les fondements d’un Etat démocratique, tout en accordant une place réduite à l’Islam. Par ailleurs, le nouveau gouvernement tunisien est de manière prédominante apolitique8.

Aussi, si la stabilité recouvrée depuis les élections législatives qui se sont tenues le 26 octobre 2014 et qui ont mis fin à la période de transition démocratique est encore précaire, les autorités tunisiennes n’ont eu de cesse d’afficher leur volonté de garantir le respect de l’Etat de droit et de la démocratie, tout en combattant activement les dérives de l’Islam extrémiste9.

Il y a, à cet égard, lieu de rappeler l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 qui définit la protection comme suit : « Une protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » Si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En tout état de cause, et au vu des développements qui précèdent, le tribunal constate que Monsieur… reste en défaut de prouver, voire même d’alléguer que les autorités tunisiennes ne seraient pas en mesure de lui offrir une protection suffisante, étant encore 7 Page 6 du rapport d’audition.

8 Trib. adm. 15 juillet 2014, n°34561 du rôle.

9 idem précisé à cet égard que l’appréciation de la juridiction administrative saisie d’un recours en réformation dirigé contre une décision de refus de l’octroi du statut de réfugié doit porter sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourt en cas de retour dans son pays d’origine et que s’agissant d’un recours en réformation, le juge administratif est amené à considérer les éléments de fait et de droit au moment où il statue10, c’est-à-dire en considération de la situation régnant en Tunisie après les élections législatives du 26 octobre 2014 et la victoire du parti Nidaa Tounès. En effet, vu la victoire du parti anti-islamiste Nidaa Tounès, les persécutions mises en avant par le demandeur et ayant prétendument trait aux agissements de certains salafistes, ne devraient pas être tolérés par les nouvelles autorités en place.

Dès lors, le demandeur n’a fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités tunisiennes seraient actuellement dans l’incapacité de lui fournir une protection au sens de l’article 29 (2) précité de la loi du 5 mai 2006, de sorte qu’il ne saurait, à travers la protection internationale, réclamer la protection d’un autre Etat ; il s’ensuit que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, pris en son double volet.

Pour être tout à fait complet, le tribunal est encore amené à relever que la situation sécuritaire précaire actuelle en Tunisie, qui a été en proie au cours des derniers mois à des attentats meurtriers particulièrement graves suite auxquels l’état d’urgence a de nouveau été décrété, ne saurait justifier à elle seule l’octroi au demandeur du statut conféré plus particulièrement par la protection subsidiaire en cas de conflit interne armé dans le pays d’origine.

A ce sujet, dans un arrêt du 30 janvier 201411, la Cour de Justice de l’Union européenne, selon une jurisprudence constante, a affirmé qu’« en l’absence de toute définition, dans la directive [de la directive 2004/83/CE, dit directive « Qualification »], de la notion de conflit armé interne, la détermination de la signification et de la portée de ces termes doit être établie (…) conformément au sens habituel de ceux-ci en langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie ». Pour définir la notion de « conflit armé interne », la Cour de Justice a renvoyé à son sens habituel en langage courant et ils soulignent que cette notion « vise une situation dans laquelle les forces régulières d’un Etat affrontent un ou plusieurs groupes armés ou dans laquelle deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent12 ».

Aucun critère n’est alors nécessaire au constat de l’existence d’un conflit armé, tels qu’un « niveau déterminé d’organisation des forces armées ou une durée particulière du conflit13 ».

Toutefois, afin d’obtenir la protection subsidiaire en cas de conflit armé interne dans le pays d’origine du demandeur, encore faut-il que « les affrontements auxquels [les] forces armées se livrent engendrent [un] degré de violence [tel qu’il crée] un réel besoin de 10 Trib. adm. 15 juillet 2004 n° 18355 du rôle, Pas. adm. 2012, V° Recours en réformation, n° 17 11 CJUE, 30 janvier 2014, aff. Diakité, C-285/12, point 27; voir également, CJCE, grande chambre, 11 juillet 2006, aff. Chacón Navas, C-13/05, point 40.

12 Point 28.

13 Point 34.

protection internationale du demandeur qui court un risque réel de subir des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne14 ».

La Cour souligne en effet que l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un demandeur de protection subsidiaire « peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours (…) atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné (…) courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire (…) un risque réel de subir lesdites menaces15 ». Le degré de violence caractérisant la situation de conflit armé est ainsi utilisé comme critère d’appréciation de l’existence de menaces graves et individuelles contre le demandeur de protection.

Un conflit armé interne, au sens d’une situation dans laquelle des forces régulières d’un Etat affrontent un ou plusieurs groupes armés ou dans laquelle deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, ne pourra mener à l’octroi d’une protection subsidiaire que si « le degré de violence aveugle qui [le] caractérise atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné (…) courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire (…) un risque réel de subir » des menaces graves et individuelles contre sa personne16.

Il convient encore de relever que la position ainsi retenue par la Cour de Justice est, en tout état de cause en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme17. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, l’appréciation d’un risque de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH en cas de renvoi d’un individu dans son pays d’origine doit se faire, notamment, à l’aune de la situation générale prévalant dans le pays de destination18. Toutefois, l’existence d’une conjoncture instable dans le pays d’origine n’entraîne pas en soi une violation de l’article 3 de la CEDH19.

Enfin, cette position a encore été retenue dans la directive 2011/95 du Parlement et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, refonte de la directive dite « qualification », dont l’article 15 c) dispose à présent que les atteintes graves pouvant ouvrir droit à la reconnaissance de la protection subsidiaire sont « (…) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Le tribunal relève dès lors que la situation précaire actuelle en Tunisie, laquelle ne résulte en tout état de cause pas d’un conflit armé interne, au sens, comme indiqué ci-avant, d’une situation dans laquelle des forces régulières d’un Etat affrontent un ou plusieurs 14 Point 34.

15 CJCE, 17 février 2009, aff. Elgafaji, C-465/07, point 43.

16 CJUE, 30 janvier 2014, aff. Diakité, C-285/12, point 30.

17 Joanna PETIN, La protection subsidiaire devant la Cour de justice : un concept autonome du droit de l’Union européenne, Réseau universitaire européen dédié à l’étude du droit de l’Espace de liberté, sécurité et justice (ELSJ), 11 février 2014 18 CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres contre Royaume-Uni, n°13163/87, point 108.

19 CEDH, 26 avril 2005, Müslim contre Turquie, n°53566/99, point 70 ; CEDH, 17 juillet 2008, N.A. contre Royaume-Uni, n°25904/07, point 114.

groupes armés ou dans laquelle deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, mais de tentatives de déstabilisation de groupes terroristes éminemment minoritaires, ne revêt pas, actuellement, au vu des quelques éléments soumis en cours de procédure contentieuse par le demandeur, le degré de violence aveugle requis.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

A l’appui de ce volet du recours, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire en vertu d’un prétendu « principe de précaution » non autrement expliqué.

Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale du demandeur comme non justifiée, de sorte que compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.

En ordre subsidiaire, le demandeur conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire, au motif qu’il violerait son droit à la vie familiale tel que protégé par la Convention européenne des droits de l’Homme et ce parce qu’il serait le père d’un enfant naturel né sur le territoire luxembourgeois.

L’article 8 CEDH dispose que :

« 1) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance 2) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

S’il est de principe, en droit international, que les Etats ont le pouvoir souverain de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers, il n’en reste pas moins que les Etats qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’Homme ont accepté de limiter le libre exercice de cette prérogative dans la mesure des dispositions de la Convention.

La garantie du respect de la vie privée et familiale ne comporte pas le droit de choisir l’implantation géographique de la vie familiale et privée, de sorte qu’on ne saurait obliger un Etat à laisser accéder un étranger sur son territoire pour y créer des liens familiaux nouveaux.

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont fait état le demandeur pour conclure dans son chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale et privée par le biais des dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international.

Or, en l’espèce, les éléments soumis au tribunal et qui se résument en un acte de reconnaissance paternelle et en deux photographies représentant a priori le demandeur et sa fille ne permettent en tout état de cause pas de conclure à l’existence effective dans le chef du demandeur d’une vie familiale et privée au Grand-Duché de Luxembourg.

Le tribunal est dès lors amené à retenir que le demandeur ne tombe pas sous le champ d’application de ladite disposition à défaut d’avoir établi l’existence d’une vie familiale et privée effective au Luxembourg, de sorte que son moyen doit être rejeté pour manquer de fondement.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 5 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur… dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 5 juin 2015 portant refus d’une protection internationale à Monsieur… ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 5 juin 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 19 août 2015 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, juge, Olivier Poos, juge, en présence du greffier Michèle Hoffmann.

s. Michèle Hoffmann s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19/8/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36485
Date de la décision : 19/08/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-08-19;36485 ?

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