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13/08/2015 | LUXEMBOURG | N°36452

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 août 2015, 36452


Tribunal administratif Numéro 36452 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2015 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 13 août 2015 Recours formé par la société … S.A., …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36452 du rôle et déposée le 18 juin 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Philip

pe DRESCHER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no...

Tribunal administratif Numéro 36452 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 juin 2015 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire du 13 août 2015 Recours formé par la société … S.A., …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36452 du rôle et déposée le 18 juin 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Philippe DRESCHER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme … S.A., ayant son siège social à L-…, enregistrée auprès du Registre de Commerce et des Sociétés de Luxembourg sous le numéro B …, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision prise en date du 18 mai 2015 par le directeur de l’administration des Contributions directes portant fixation d’une amende administrative fiscale au sens de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 juillet 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Maître Martin MICHARD, en remplacement de Maître Jean-Philippe DRESCHER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Sandro LARRUCIA en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 12 août 2015.

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Par courrier du 16 mars 2015, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », enjoignit à la société anonyme … S.A., ci-après désignée par « la société », de lui fournir, pour le 22 avril 2015 au plus tard, certains renseignements concernant une société tierce, à savoir sa filiale, la société de droit français …, ladite demande étant libellée comme suit :

« En date du 3 décembre 2014, l’autorité compétente de l’administration fiscale française nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et la France du 1er avril 1958, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l’Avenant et de l’échange de lettres y relatif à ladite convention, ainsi que de la 1directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L’autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements.

La personne morale concernée par la demande est la société …, ayant son siège social au … à F-… Paris.

Les autorités fiscales françaises vérifient la situation fiscale de la société …, détenue par la société … SA, et nécessitent des renseignements afin de pouvoir se prononcer sur l’application des retenues à la source sur les distributions effectuées par … à … SA.

Par conséquent, je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1 er janvier 2011 au 31 décembre 2012, les renseignements et documents suivants pour le 22 avril 2015 au plus tard.

— Veuillez indiquer si la société dispose d’un siège de direction effective au Luxembourg et veuillez décrire les caractéristiques principales (description du siège, surface des bureaux propres à …SA, équipement matériel et informatique appartenant à … SA, copie du contrat de bail des locaux, adresse de domiciliation) des sièges sociaux successifs de la société …SA, avec pièces à l’appui ;

— Veuillez fournir une liste des salariés de la société … SA avec leur fonction au sein de la société et identifier les salariés liés au siège social de la société ;

— Veuillez indiquer si la société … SA loue de la main-d’oeuvre au Luxembourg ;

— Veuillez indiquer s’il existe un contrat entre les sociétés … SA et … et, dans l’affirmative, veuillez fournir une copie de ce(s) contrat(s) ;

— Veuillez indiquer les participations de la société … SA dans d’autres sociétés et veuillez indiquer comment ces participations ont été financées, avec pièces à l’appui ;

— Veuillez indiquer les noms et adresses des associés de … SA ainsi que le montant du capital détenu par chaque associé et le pourcentage de détention de chaque associé ;

— Veuillez indiquer pour quel montant les titres … étaient inscrits à l’actif de la société … SA avant l’assemblée générale de la société … en date du 7 mars 2012 et veuillez fournir l’historique des valeurs d’entrée des titres de … à l’actif lors de l’apport du 5.12.2002, de l’apport du 31.10.2003 et de l’acquisition du 2.10.2007.

Je tiens à vous rendre attentif que conformément à l’article 2 (2) de la loi du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération. (…) » Le 21 avril 2015, la société répondit au prédit courrier du 16 mars 2015, en refusant explicitement de remettre certaines des informations requises, à savoir les noms et adresses de ses associés ainsi que le montant du capital détenu par chaque associé et le pourcentage de 2détention de chaque associé, au motif allégué que les informations requises ne seraient pas vraisemblablement pertinentes, le passage afférent se lisant comme suit :

« (…) Par conséquent, nous vous informons que nous répondons à votre injonction à l’exception des documents / informations relatifs aux noms et adresses des associés de la Société, montant du capital détenu par chaque associé et pourcentage de détention de chaque associé, dans la mesure où ces éléments ne sont vraisemblablement pas pertinents (au sens de la convention fiscale entre le Luxembourg et la France du 1er avril 1958, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l’Avenant et de l’échange de lettres y relatif à ladite convention, ainsi que de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011) pour permettre aux services de la Direction Générale des Finances Publiques en France de poursuivre la procédure en cours.

En effet, comme vous pouvez le constater à la lecture du courrier de la société … du 5 décembre 2014, l’exonération de retenue à la source est fondée sur la doctrine administrative fiscale française, telle que celle-ci résulte de la décision DENKAVIT de la Cour de justice des communautés européennes du 14 décembre 2006 (BOI-RPPM-RECM-30-30-20-40 ; Instruction fiscale 4 C-7-07 du 10 mai 2007 ; Instruction fiscale 4 C-8-07 du 12 juillet 2007) et non sur les dispositions de l’article 119 ter du code général des impôts (CGI).

Dès lors, la demande d’informations concernant les noms et adresses de la Société, le montant du capital détenu par chaque associé et le pourcentage de détention de chaque associé, ne sont donc pas pertinents pour apprécier si les distributions de notre filiale doivent être soumis à la retenue à la source. (…) » Le 22 avril 2015, l’administration des Contributions directes adressa à la société un courrier lui enjoignant à communiquer, pour le 29 avril 2015, les informations requises, faute de quoi une amende administrative fiscale jusqu’à un montant de 250.000 euros pourrait lui être infligée sur base de l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après « la loi du 25 novembre 2014 ».

La société n’ayant pas obtempéré, le directeur prit le 18 mai 2015 une décision à son encontre dans laquelle il constata qu’elle n’avait pas donné de suites à sa décision d’injonction, de sorte qu’il lui infligea une amende administrative fiscale de 250.000 euros conformément à l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014, ladite décision étant libellée comme suit :

« Vous n’avez pas donné suite à notre rappel du 22 avril 2015, vous enjoignant de nous fournir les renseignements manquants dans le cadre d’une demande d’assistance émanant des autorités fiscales françaises.

Par conséquent, je suis au regret de vous informer que conformément à l’article 5 de la loi du 25 novembre 2014 précitée, je me vois dans l’obligation de vous infliger une amende administrative fiscale de 250.000 EUR.

3Je vous prie de bien vouloir payer endéans 1 mois, à partir de la réception de la présente, cette somme sur le compte chèque postal du bureau de recette de Luxembourg : BIC CCPLLULL IBAN LU [….].

Je tiens à vous informer que contre la présente décision un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements.

Ce recours doit être introduit dans un délai d’un mois à partir de la notification de la décision au détenteur des renseignements. » Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 juin 2015, la société a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du directeur du 18 mai 2015 d’un montant de 250.000 euros.

Aux termes de l’article 6 (2) de de la loi du 25 novembre 2014, « contre les décisions visées à l’article 5, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif », de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.

La recevabilité du recours principal en réformation n’étant pas autrement critiquable, il est recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai de la loi.

Il n’a y dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, la société expose de prime abord les rétroactes de l’affaire, en insistant sur les antécédents procéduraux en France, initiés en date du 27 novembre 2014 par une demande de la Direction générale des Finances Publiques de l’Ile de France adressée à la société …, précitée, en vue d’obtenir des précisions sur la non-application d’une retenue à la source relative à des distributions réalisées par cette dernière au profit de la société … S.A., en sa qualité d’associé unique, précisions que cette dernière juge toutefois dépourvues de toute pertinence.

La société expose ensuite avoir appris avec stupéfaction que l’administration fiscale française avait, avant même d’avoir pris connaissance des observations de la … et de lui avoir laissé un délai raisonnable pour répondre à sa demande, d’ores et déjà adressé en date du 3 décembre 2014, soit moins d’une semaine après avoir adressé son courrier du 27 novembre 2014 à …, une demande d’assistance administrative auprès de l’administration fiscale du Grand-Duché de Luxembourg dans le cadre de l’assistance administrative internationale ; elle insiste tout particulièrement sur le fait que la société … ne dispose à ce stade d’aucun recours en France pour modifier l’étendue des renseignements demandés par l’administration fiscale française à l’administration fiscale du Grand-Duché de Luxembourg, tant … que … S.A. estimant ne pas devoir fournir l’ensemble des documents requis mais seulement ceux vraisemblablement pertinents pour permettre à l’administration fiscale française de poursuivre la procédure en cours.

Dès lors et en droit, la société estime que l’amende est non-fondée pour les motifs qui en substance peuvent être résumés comme suit :

41.

La société estime que le montant de l’amende lui infligée par le directeur serait contraire au principal général suivant lequel les amendes prononcées doivent être proportionnées à la gravité et à la durée des faits commis ; à cet égard, elle relève avoir promptement fourni la majorité des informations demandées, puisqu’elle aurait communiqué à l’administration des Contributions directes au total cinq informations sur les sept demandées. Aussi, comme elle aurait fourni la majorité des informations demandées et aurait expliqué pourquoi elle ne fournirait pas les autres, elle aurait dû se voir infliger une amende qui en tout état de cause ne pouvait correspondre au montant maximum prévu par la loi, le montant maximum ne pouvant se justifier que dans les hypothèses où une personne refuserait de fournir l’ensemble des informations demandées.

2.

La société soulève ensuite une violation de l’article 6, paragraphe 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après la « CEDH »). Elle affirme en substance que l’amende fiscale lui infligée et prévue par l’article 5 paragraphe 1er de la loi du 25 novembre 2014 n’aurait pour seul objectif que de punir le contribuable qui n’aurait pas fourni les documents demandés suite à une décision d’injonction et ce afin de l’empêcher de réitérer l’infraction, de sorte qu’il conviendrait, au vu de ce caractère punitif, partant pénal, de lui appliquer les dispositions de l’article 6 CEDH. Or, cet article consacrerait le droit à un procès équitable et notamment le droit pour toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement mais aussi le respect du principe d’égalité des armes, ce qui impliquerait nécessairement le fait que toute sanction ou décision prise par une autorité publique puisse faire l’objet d’un contrôle ultérieur par un tribunal indépendant exerçant un contrôle de pleine juridiction sur l’affaire pour laquelle il est saisi et que le justiciable se voit donner l’accès à l’ensemble des pièces du dossier afin de préparer sa défense. A cet égard, elle estime qu’il conviendrait que le tribunal connaisse tous les tenants et aboutissants de l’amende, ce qui ne peut nécessairement se faire sans contrôler l’opportunité et le bien-fondé de la demande d’injonction adressée par l’administration des contributions directes, en particulier la pertinence vraisemblable des informations demandées.

Par ailleurs, se prévalant du principe de l’égalité des armes découlant de cette disposition, selon lequel chaque partie aurait le droit d’accéder à l’ensemble des pièces du dossier, faute de quoi elle ne pourrait pas préparer sa défense et faire entendre sa cause de manière équitable, la société relève qu’aux termes de l’article 4 de la loi du 25 novembre 2014, la demande d’échange de renseignements ne pourrait pas être divulguée, ce qui violerait les principes consacrés par l’article 6 paragraphe 1 de la CEDH : partant, elle estime que toute demande d’information de l’administration française dans le cadre de la loi du 25 novembre 2014 devrait lui être communiquée afin qu’elle puisse elle-même en vérifier la régularité formelle.

3.

Toujours dans ce contexte, elle met en exergue le pouvoir étendu du juge dans le cadre du recours en réformation, appelé à déterminer le bien-fondé de l’amende et, ce faisant, appelé à se substituer à l’administration des Contributions directes et prendre une décision en lieu et place de celle-ci : dès lors, le juge de la réformation devrait effectuer le contrôle de la régularité formelle de la décision, et donc se substituer à l’administration des contributions directes du Grand-Duché de Luxembourg afin de vérifier la pertinence vraisemblable des informations demandées.

5Or, elle affirme que la pertinence vraisemblable n’aurait pas été recherchée par l’administration des Contributions directes et que la demande de l’administration fiscale française s’apparenterait clairement à une « pêche aux renseignements » en ce qu’il apparaîtrait que les renseignements demandés ne seraient pas pertinents pour élucider les affaires fiscales de la société …, la société remettant par ailleurs en cause l’existence d’un but fiscal dans certains des renseignements demandés.

Ayant exposé la problématique fiscale en France opposant le fisc français à la société …, elle estime que l’administration fiscale française aurait dû attendre la réponse de la société … et aurait dû trancher préalablement la question de droit, à savoir si la société … avait valablement ou non choisi d’appliquer la doctrine même de l’administration fiscale française en matière d’exonération de retenue à la source résultant d’un arrêt de la Cour de justice de la Communauté européenne du 14 décembre 2006 (aff. C-170/05) et des instructions fiscales afférentes, ou si elle aurait dû au contraire appliquer l’article 119ter du code général des impôts français avant de demander des éléments d’informations relatifs à l’application de l’article 119ter du code général des impôts français.

4.

Enfin, la société soulève la non-conformité de l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014 aux normes hiérarchiquement supérieures, au motif qu’elle ne se verrait pas donner la possibilité par la loi du 25 novembre 2014 de contester la demande d’échange de renseignements ni même la décision d’injonction : aussi, sa cause n’aurait pu et ne pourrait donc en l’état actuel faire l’objet d’un contrôle ultérieur par un tribunal indépendant, ce qui constituerait manifestement le constat de la privation d’un droit fondamental prévu par la CEDH à savoir le respect du principe des droits de la défense, la société soulignant encore n’être, de ce fait, pas sur le même pied d’égalité que l’administration des Contributions directes en ce sens qu’il ne lui serait pas accordée la possibilité d’exposer raisonnablement sa cause.

Partant, elle demande au tribunal d’écarter l’application des dispositions de l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014 en ce que celles-ci seraient contraires à l’article 6 (1) de la CEDH.

A titre subsidiaire et conformément à l’article 95ter (3) de la Constitution, la société soulève la question de la compatibilité de la disposition en question avec l’article 12 de la Constitution, et faisant valoir que le contribuable faisant l’objet d’une demande d’injonction se retrouverait privé de tout moyen de contester la décision administrative, ce qui constituerait une violation des droits fondamentaux élémentaires d’un Etat de droit et en particulier du respect des droits de la défense auquel tout citoyen a droit et qui découlerait de l’article 12 de la Constitution.

Le délégué du gouvernement conclut de son côté au bien-fondé de la décision et corrélativement au rejet du recours.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant : aussi, indépendamment de l’ordre de présentation des moyens de la société demanderesse, le tribunal se doit de prime abord de recadrer le présent recours.

6 Il convient en effet de rappeler que le tribunal, statuant en la présente affaire en tant que juge de la réformation, est uniquement saisi d’un recours introduit à l’encontre d’une décision prise par le directeur à l’encontre de la société sur base de l’article 5 (1) de la loi du 25 novembre 2014, aux termes duquel « Si les renseignements demandés ne sont pas fournis endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés, une amende administrative fiscale d’un maximum de 250.000 euros peut être infligée au détenteur des renseignements. Le montant en est fixé par le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué ».

La portée de l’analyse du tribunal devrait donc, a priori, se limiter à vérifier la régularité et la légalité de la décision au vu de ces dispositions, à savoir vérifier l’existence d’un défaut de communication des renseignements exigés, et, le cas échéant, vérifier l’adéquation de l’amende retenue.

Il est vrai toutefois que la société, par le biais de ce recours, tente également de soumettre au contrôle du tribunal la décision d’injonction du directeur, en contestant la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités et en incriminant l’absence de recours ouvert à l’encontre de cette décision d’injonction, la société, comme exposé ci-avant, croyant y déceler une violation de l’article 6 de la CEDH, respectivement de l’article 12 de la Constitution, la société critiquant en particulier l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014, selon lequel « aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction ».

Le tribunal ne saurait toutefois suivre le raisonnement de la partie demanderesse, et ce pour une triple raison :

Il convient de première part de constater que la société, dans le cadre du présent recours, entend en fait se prévaloir de l’illégalité de la décision antérieure d’injonction lui adressée. Or, le juge administratif n’est pas autorisé à exciper de l’illégalité d’une décision administrative individuelle sauf les hypothèses prévues par la loi1, et ce, d’une part, pour des considérations de sécurité juridique et de respect dû aux droits acquis du bénéficiaire de l’acte individuel - en l’espèce l’administration des Contributions directes - et d’autre part, en vertu d’un argument de texte : l’article 95 de la Constitution ne vise pas les actes à caractère individuel2.

De deuxième part, la discussion de la pertinence vraisemblable des renseignements ayant fait l’objet de la demande d’injonction, telle qu’entamée par la société dans le cadre du présent recours, se heurte, - que ce soit par la voie directe ou par la voie indirecte - au prescrit de l’article 6 (1) de la loi du 25 novembre 2014, qui exclut précisément tout recours contre la demande d’échange de renseignements et contre la décision d’injonction.

Si la société entend certes, comme énoncé ci-avant, se prévaloir à cet égard de l’article 6 de la CEDH, respectivement de l’article 12 de la Constitution, le tribunal rappelle toutefois que 1 Cour adm. 14 juillet 2009, n° 25414C ; trib. adm. 24 janvier 2011, n° 27022 et 27023, Pas. adm. 2015, V° Lois et règlements, n° 78.

2 Rusen Ergec et Francis Delaporte, Contentieux administratif luxembourgeois, Pas. adm. 2015, p.29.

7si l’amende sous analyse relève clairement de l’article 6 de la CEDH3 en tant qu’atteinte patrimoniale directe, manifestant clairement sa nature répressive, dont tant son appellation même4 que son degré de gravité considérable5 en raison de son montant en témoignent , il n’en est pas de même de la décision d’injonction, ne s’agissant en tout état de cause pas d’une sanction administrative, mais, le cas échéant, d’une décision fiscale préparatoire, échappant à l’application de l’article 6 de la CEDH, puisque, d’une part, l’application de l’article 6 en question est exclue en matière purement fiscale6, et d’autre part, le même article ne s’applique pas aux phases préliminaires7 : en effet, la question de savoir si un procès satisfait aux exigences de l’article 6 de la CEDH ne peut être déterminée qu’en examinant la procédure dans son ensemble, ce qui suppose normalement qu’elle soit terminée8, respectivement qu’en procédant à une appréciation globale9 de la procédure.

Or, à cet égard, force est de constater que les commentateurs les plus divers se sont accordés à admettre - encore qu’avec une certaine réticence - l’absence de recours contre la demande d’échange de renseignements, respectivement la décision d’injonction, l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg ayant ainsi retenu que cette approche du législateur peut « à l’extrême limite paraître acceptable quand la demande d’échange d’informations provient d’un Etat de Droit et qu’il y a un contrôle judiciaire dans l’état d’origine de la demande d’échange d’informations: Au lieu de contester la décision d’exécuter la demande d’échange d’informations au Luxembourg, le justiciable contestera la demande devant les juridictions du pays d’où elle trouve son origine10 ».

Si à cet égard, la société avance que la société … ne disposerait, à ce stade de la procédure, d’aucun recours en France pour modifier l’étendue des renseignements demandés par l’administration fiscale française par le biais de l’administration fiscale luxembourgeoise, en expliquant que, selon la loi fiscale française, tant que le contribuable est en cours de vérification et qu’aucune proposition de rectification ne lui a été adressée, le contribuable ne pourrait pas utiliser de voies de recours qui ne s’offriraient à lui qu’après l’envoi d’une proposition de rectification, il en résulte nécessairement que la société … disposera effectivement d’une possibilité de défendre sa cause dès notification d’une proposition de rectification de sa déclaration, et sans préjudice des possibilités ultérieures de recours contentieux fiscaux en France, dont l’existence n’est pas déniée en cause.

3 Projet de loi n° 66805, prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale et modifiant la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, Avis du Conseil d’Etat, p.2.

4 Thomas Bombois et Diane Déom, La définition de la sanction administrative, Les sanctions administratives, Bruylant, p.53, n° 32.

5 Pascal Gilliaux, Droit(s) européen(s) à un procès équitable, Bruylant, p.198.

6 CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c/Italie, aff. 44759/98, pt.31, ainsi que 13 janvier 2005, Emesa Sugar NV c/ Pays-Bas, aff. 62023/00.

7 Pascal Gilliaux, op.cit, p.121.

8 CEDH, 24 mai 2011, Konstas c/ Grèce, aff. 53466/07 9 CEDH, 9 avril 1984, Goddi c/ Italie, aff. 8966/80, ainsi que Pascal Gilliaux, op. cit, pp. 352-353.

10 Projet de loi n° 66807, prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale et modifiant la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, Avis de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, p.6.

8En tout état de cause, il convient de rappeler que l’article 6 de la CEDH ne confère pas un droit de recours, cette faculté étant prévue en matière pénale par l’article 2 du Protocole n° 7 à la Convention11.

S’il est certes vrai que cette argumentation, articulée par rapport à la société tierce …, est à rejeter au vu des possibilités ultérieures de recours dont dispose cette dernière, le tribunal relève que la société détentrice des renseignements demandés, à savoir la société … S.A., ne dispose pas de telles possibilités en France.

Toutefois, le tribunal, de ce point de vue, note que la société demanderesse, si elle fait certes état d’un intérêt indéniable à lui déférer la décision l’ayant condamnée à une amende, n’avance aucune justification l’autorisant à critiquer - en l’espèce incidemment - la demande de renseignements, les seuls motifs invoqués étant propres à la société …, personne juridique distincte de la société demanderesse. Or, sous peine de vider l’exigence d’un intérêt à agir suffisant, à savoir personnel et direct ainsi que né et actuel, il ne saurait être admis - sans préjudice de ce que le tribunal a retenu ci-avant - qu’un administré, à qui un recours direct aurait été refusé pour défaut d’intérêt, puisse contourner cet écueil par la voie incidente de l’exception d’illégalité. Aussi, et de troisième part, le tribunal doit en tout état de cause se refuser -

indépendamment des autres raisons - d’analyser la décision d’injonction.

Par ailleurs, le tribunal relève, à l’instar de la société demanderesse, qu’il statue en la présente espèce en tant que juge de la réformation, alors qu’il statuait, sous l’égide de la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, seulement en tant que juge de l’annulation par rapport aux décisions portant injonction de l’administration fiscale adressée au détenteur des renseignements concerné de fournir les renseignements demandés. Aussi, admettre la société à soumettre au tribunal dans le cadre de la présente affaire la question de la pertinence vraisemblable, alors qu’il statue actuellement en tant que juge de la réformation, aurait pour conséquence, de déférer au juge du fond, lequel n’existe que sur base d’une habilitation légale expresse, une compétence qui ne lui avait jamais été dévolue, et ce même en faisant abstraction de l’actuel texte prohibant tout recours.

Quant à l’invocation de l’article 12 de la Constitution, le tribunal rappelle que cet article a pour objet de garantir la liberté individuelle, ladite disposition se lisant en effet comme suit :

« La liberté individuelle est garantie. - Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. - Nul ne peut être arrêté ou placé que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit. - Hors le cas de flagrant délit, nul ne peut être arrêté qu’en vertu de l’ordonnance motivée du juge, qui doit être signifiée au moment de l’arrestation, ou au plus tard dans les vingt-quatre heures. - Toute personne doit être informée sans délai des moyens de recours légaux dont elle dispose pour recouvrer sa liberté.» 11 Nuala Mole et Catharina Harby, Le droit à un procès équitable, Un guide sur la mise en œuvre de l’article 6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, Précis sur les droits de l’homme, n° 3, Conseil de l’Europe, p. 9.

9 Or, il est constant en cause que la société demanderesse n’est confrontée ni à une décision la privant de sa liberté - le tribunal rappelle par ailleurs qu’il s’agit d’une personne morale, par définition non susceptible de faire l’objet d’entraves à sa liberté physique - ni à une procédure pouvant aboutir à une quelconque atteinte à sa liberté, de sorte que conformément à l’article 6, alinéa 2, de la loi du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour constitutionnelle, le tribunal est dispensé de saisir la Cour constitutionnelle, alors que la question soulevée, respectivement la réponse à y apporter, est dépourvue de toute incidence en l’espèce, de sorte à ne pas être nécessaire pour rendre son jugement.

A titre tout à fait superfétatoire, le tribunal relève que si la société …, respectivement la société … S.A. sous condition de se prévaloir d’un intérêt suffisant, avaient estimé ne pas devoir fournir les renseignements demandés, il leur aurait appartenu, selon leur propre logique consistant à considérer la suppression des voies de recours afférentes comme illégale, à déférer la décision d’injonction au tribunal.

Le débat devant le tribunal, statuant en tant que juge du fond, se limite dès lors à la question de savoir si, compte tenu des conditions énoncées à l’article 5 (1) de la loi du 25 novembre 2014, le directeur était en droit d’imposer une amende à la société et si, compte tenu des circonstances de fait, le montant imposé est adéquat.

En effet, afin de tenir compte tant de l’attitude du détenteur des renseignements au cours de la procédure administrative, que des spécificités de cette matière et pour pallier à d’éventuels stratagèmes de détenteurs de renseignements incompatibles avec la célérité indispensable à la procédure en matière d’échanges de renseignements sur demande, le tribunal est amené à moduler son contrôle en la présente matière en ce sens qu’il lui appartient de contrôler, d’un côté, la légalité et l’opportunité de la décision déférée au jour où elle a été prise compte tenu de l’attitude du détenteur des renseignements à ce moment, tout en prenant en compte, de l’autre côté, dans l’hypothèse où le bien-fondé de la fixation de l’amende est retenu, son attitude lors de la procédure contentieuse, afin de modifier, le cas échéant, en sa faveur ou en sa défaveur, l’amende fixée à juste titre par le directeur, sur base du comportement global affiché par le détenteur des renseignements12.

D’emblée, en ce qui concerne l’invocation de l’article 6 de la CEDH par rapport à la seule décision ayant frappé la société d’une amende, le tribunal ne décèle, d’une manière générale pas de violation des dispositions de cet article, la société ayant pu déférer ladite décision à un tribunal indépendant et impartial, statuant en pleine juridiction. S’il est vrai, tel qu’avancé par la société, que le droit à un procès équitable implique que toute partie doive avoir une possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse, dans la mesure que le principe du contradictoire s’entend comme le droit, pour les parties à un procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter13 et qu’en l’espèce, l’article 3 (4) de la loi du 25 novembre 2014 prohibe la divulgation de la demande d’échange de renseignements tandis que l’article 6 (1) de la même loi exclut tout 12 Trib. adm. 10 octobre 2014, n° 35082.

13 CEDH, 25 janv. 2000, Slimane-Kaïd c/ France, n° 29507/95 ; 8 fév. 2000, Voisine c/ France, n° 27362/95.

10recours contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction, cette circonstance n’est pas, en l’espèce de nature à porter atteinte aux droits de la société, cette dernière, en qualité de détentrice de renseignements, ayant l’obligation légale de fournir les renseignements requis, sans qu’il ne lui soit loisible d’en discuter la pertinence, la seule exception concevable étant éventuellement lorsqu’une norme supérieure lui interdirait, pour des raisons spécifiques, de communiquer lesdites informations à l’administration fiscale. Dès lors, la question de la pertinence des renseignements demandés est sans incidence sur l’obligation légale imposée à la société, et, le cas échéant, sur l’appréciation de ses manquements.

A cet égard, il est ensuite constant en cause que la société non seulement a refusé au directeur de communiquer l’intégralité des renseignements demandés, mais qu’elle persiste à ce jour dans ce refus, de sorte que la condition matérielle, à savoir le refus de communication, est donnée, et le principe même de l’amende justifié.

En ce qui concerne le montant de l’amende fixée par le directeur, le tribunal rejoint la partie étatique dans la mesure où celle-ci invoque le caractère coercitif de l’amende, encore que le tribunal ne saurait admettre qu’une même amende puisse, tel que plaidé par le délégué du gouvernement, être itérativement prononcée contre le même détenteur de renseignements jusqu’à ce que le détenteur exécute ses obligations, alors qu’il ne s’agirait plus d’une amende, mais d’une astreinte. Le tribunal, pour sa part, considère que le caractère coercitif de l’amende, caractère mis en exergue par les travaux parlementaires14, s’exerce par l’effet dissuasif de la crainte de la sanction financière et, postérieurement, par l’effet coercitif du risque de voir le tribunal administratif, siégeant en tant que juge du fond, maintenir l’amende, voire augmenter le cas échéant l’amende initialement prononcée dans le cadre d’une réformation in pejus15.

Aussi, il y a en tout état de cause lieu de fixer les amendes à un niveau suffisamment dissuasif en vue de sanctionner les détenteurs en cause, mais aussi en vue de dissuader d’autres détenteurs de s’engager dans de pareils comportements dilatoires : l’amende infligée au contrevenant doit donc tenir compte de la dissuasion de ce même contrevenant, mais aussi des contrevenants potentiels. Cette dissuasion passe a priori essentiellement par le prononcé de sanctions aux montants particulièrement forts.

Toutefois, cette nécessité ne saurait faire l’impasse sur l’exigence de respecter les principes généraux de la proportionnalité, de l’individualité, voire de la spécialité, de la gravité des faits, de la durée de la situation ainsi que de l’exigence de motivation ut singula pour chaque amende prononcée16 ; il en est de même du pouvoir d’appréciation accordé au directeur, lequel ne saurait s’exprimer sans retenue ni pondération.

A cet égard, le tribunal constate que la société estime en substance que l’amende serait disproportionnée eu égard au fait qu’elle aurait fourni la majorité des informations sollicitées et que son refus ne porterait que sur 2 des 7 points de la demande en question.

14 Projet de loi n° 6680 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale et modifiant la loi du 31 mars 2010 portant approbation des conventions fiscales et prévoyant la procédure y applicable en matière d’échange de renseignements sur demande, Commentaires des articles, ad. Article 5, p. 8.

15 Voir à ce sujet trib. adm. 30 mars 2015, n° 33903a.

16 Voir en ce sens trib. adm. 13 novembre 2008, n° 24433C.

11 Cette argumentation est toutefois à rejeter, alors que la pondération s’imposant au directeur n’est pas de nature purement arithmétique, en ce sens que le montant de l’amende prononcé ne dépend pas du nombre d’informations fournies ou retenues, et ce d’autant plus que toutes les informations demandées ne présentent pas intrinsèquement la même valeur, certaines informations s’avérant plus importantes que d’autres : il en est ainsi notamment de l’identification des bénéficiaires économiques, information que la société refuse en l’espèce précisément de fournir. Par ailleurs, la valeur ou importance globale des informations réclamées dépasse a priori celle de la somme des informations prises individuellement, alors que ce n’est qu’à condition de disposer de l’intégralité des informations sollicitées que l’administration fiscale est à même de procéder à une évaluation globale de la situation fiscale du contribuable concerné.

Enfin, admettre le raisonnement de la société aboutirait à ouvrir la voie à toutes sortes de stratagèmes, par lesquels un détenteur d’informations récalcitrant - à l’instar de la société … S.A.

- fournirait les informations de moindre importance, ou sans importance aucune prises isolément, tout en refusant de fournir les renseignements essentiels, en escomptant ainsi, compte tenu du nombre des informations fournies, une amende largement minorée et financièrement supportable.

Le tribunal constate ensuite qu’il résulte des explications de la partie étatique que le directeur s’est donné des critères à appliquer afin de décerner une amende administrative fiscale en matière d’échange de renseignements, lignes directoriales qu’il convient pour les besoins de la cause de citer intégralement :

« Suivant l’article 5, 1er alinéa de la loi du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale et modifiant la loi du 31 mars 2010, le directeur ou son délégué peut infliger une amende administrative fiscale d’un montant maximum de € 250.000.- à tout détenteur des renseignements qui n’obtempère pas à l’injonction lui notifiée de fournir, endéans un mois à partir de la notification, les renseignements demandés.

Les présentes lignes directoriales exposent des critères objectifs et subjectifs, applicables cumulativement, et permettant de déterminer le quantum de l’amende administrative fiscale (ci-après l’amende) à fixer.

I Critères objectifs On distingue selon que le détenteur des renseignements est une personne morale (fiscalement opaque) ou une personne physique.

a. Personne morale L’amende peut s’élever à un montant de 10 % du montant total de la somme bilantaire (total du bilan) de la valeur en date du 31 décembre de l’année précédant celle où l’amende administrative fiscale est fixée. Est pris en compte le bilan publié au Registre de commerce et des sociétés (ci-après RCS).

12 Si la personne morale n’a pas déposé de bilan au RCS l’année précédant la fixation de l’amende, le dernier bilan en date déposé sera pris en compte.

Dans ces deux cas, l’amende prononcée ne pourra être inférieure à € 10.000.-

Si aucun bilan n’a encore été déposé au RCS depuis la constitution de la société, l’amende s’élève à un montant forfaitaire de € 10.000.-

Ces mêmes règles valent pour les personnes morales fiscalement transparentes.

b. Personne physique Si le détenteur de renseignements est une personne physique, l’amende s’élève à 10 % du montant du revenu imposable ajusté de l’année précédant celle où l’amende est fixée. Si aucune déclaration d’impôt sur le revenu n’a été déposée l’année précédant celle de la fixation de l’amende, le revenu imposable ajusté de la dernière déclaration d’impôt sur le revenu déposée par la personne physique est prise en compte.

Dans tous les cas, l’amende prononcée ne pourra être inférieure à € 10.000.-

Si aucune déclaration d’impôt n’a encore été remise, l’amende s’élève à un montant forfaitaire de € 10.000.-

II Critères subjectifs Outre les critères objectifs, la fixation de l’amende prendra également en compte les critères subjectifs suivants :

 ne pas fournir les renseignements demandés malgré un jugement coulé en force de chose jugée ou un arrêt en ce sens prononcé par les juridictions administratives  l’attitude manifestement récalcitrante du détenteur de renseignements témoignant une volonté de ne pas vouloir coopérer avec l’ACD et mettant celle-ci dans l’impossibilité matérielle de répondre à l’autorité compétente requérante  le fait de ne pas répondre à la décision d’injonction, à la lettre de rappel, respectivement de répondre partiellement à la décision d’injonction de même que le refus de fournir les informations manquantes  l’attitude récidiviste du détenteur de renseignements ne voulant pas coopérer avec l’ACD La présence d’un ou de plusieurs critères subjectifs entraînera une majoration de l’amende.

Cette majoration sera de l’ordre d’une augmentation de 1 à 3 % du montant de l’amende, déterminée d’après les critères objectifs, avec un minimum de € 2.500.- ».

13L’Etat fait exposer que la société est une société anonyme dont le capital social entièrement libéré s’élève, d’après les informations publiées au registre du commerce et des sociétés, à 129.029.752 euros, tandis que la somme du bilan pour l’exercice 2014 s’élève à 359.419.682,95 euros. Il estime que l’attitude récalcitrante, justifiant une majoration de l’amende, légitimerait le montant de l’amende de 250.000 euros, et ce d’autant plus que les dix pourcents de la somme bilantaire excèderaient, à eux seuls déjà, largement le maximum légal de l’amende administrative fiscale à décerner.

Le tribunal retient toutefois que ce raisonnement méconnaît le système mis en place par la circulaire directoriale retraçant une approche partant de montants minima pour, au vu de circonstances aggravantes, permettre une majoration objective cumulant dans le montant maximal infligeable, à savoir 250.000 euros.

Le tribunal relève ainsi que le montant de départ minimal pour le calcul d’une amende, tel que découlant de cette instruction directoriale, s’élève au montant de 10.000 euros, montant retenu par ladite instruction pour les sociétés n’ayant pas déposé de bilan. Le tribunal souligne d’emblée que frapper tel qu’en l’espèce une société ayant régulièrement déposé ses comptes et bilan d’une amende calculée automatiquement à 10 % du montant total de la somme bilantaire -

alors que le texte de la circulaire ne prévoit qu’une possibilité ou faculté17 - risque d’entraîner des effets pernicieux et contre-productifs, puisque dans cette optique, une société aurait tout intérêt à ne pas publier ses comptes et bilan pour échapper à une amende importante.

Partant de ce montant de base, ladite circulaire énonce ensuite des critères subjectifs entraînant une majoration de l’amende, ces critères étant basés sur des circonstances plus au moins graves, allant de manière progressive de circonstances moins graves, telles que le fait de ne pas répondre à la décision d’injonction, à la lettre de rappel, respectivement de répondre partiellement à la décision d’injonction de même que le refus de fournir les informations manquantes - hypothèse somme toute standard d’un refus -, au fait de faire preuve d’une attitude manifestement récalcitrante, pour finalement culminer en des circonstances présentant une gravité certaine, tel que le fait de persister dans son refus malgré un jugement coulé en force de chose jugée ou un arrêt en ce sens prononcé par les juridictions administratives ou de récidiver face à une nouvelle de demande de renseignement.

Ces critères doivent partant permettre au directeur de moduler le montant de la sanction selon le comportement, la gravité des faits, leur fréquence, etc.

Or, force est en l’espèce de constater que le directeur a immédiatement appliqué le montant maximal de l’amende, sans tenir compte ainsi des règles de progressivité et de proportionnalité énoncées dans ses propres instructions, sanctionnant ainsi la société, laquelle doit être considérée comme primo-contrevenant, au même titre qu’un détenteur d’informations qui refuserait de se plier à une décision de justice ou qui opposerait systématiquement un refus à toutes les demandes de l’administration des Contributions directes.

17 « L’amende peut s’élever à un montant de 10 % du montant total de la somme bilantaire ».

14Le tribunal relève par ailleurs qu’une telle sanction, outre d’être manifestement disproportionnée, risque encore d’être contreproductive, puisque, s’agissant de la sanction maximale, elle pousse le contrevenant à persister même devant le juge administratif dans son refus, celui-ci ne pouvant en effet plus reformer l’amende in pejus. Au-delà de cette considération propre au cas d’espèce, le tribunal tient encore à souligner qu’une telle politique maximaliste porte atteinte au caractère dissuasif et pédagogique de la possibilité de prononcer des amendes progressives, puisque tout contrevenant, indépendamment des circonstances subjectives de son cas, risque systématiquement le montant maximal, qu’il soit primo-

contrevenant ou récidiviste notoire.

Le tribunal est partant amené, au vu de ces considérations, à réformer la décision et à revoir l’amende prononcée à la baisse, permettant ainsi, de surcroît, à la société d’obtempérer enfin à ce stade de la procédure, sous peine, le cas échéant, de voir la Cour administrative prononcer une amende plus importante.

Aussi le tribunal, partant du montant de référence de base de 10.000 euros, et en considération de la situation financière de l’entreprise, telle que résultant de la somme bilantaire, de l’attitude de la société, ayant persisté en son refus de fournir les informations manquantes malgré l’injonction lui adressée jusque devant le juge administratif, constituant une circonstance moyennement grave, tout en tenant compte de la nécessité d’assurer le caractère coercitif et dissuasif du système par le prononcé d’amendes fortes, retient en tant que juge du fond appelé à se substituer au directeur, pour appropriée et proportionnée une amende d’un montant de 150.000 euros, représentant environ 2/3 du montant maximal prévu par l’article 5 (1) de la loi du 25 novembre 2014.

La société réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 30.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives. Il y a cependant lieu de constater que les conditions d’application et notamment l’établissement du caractère d’iniquité résultant du fait de laisser les frais non répétibles à charge de la partie demanderesse n’ont pas été rapportées à suffisance comme étant remplies en l’espèce, de sorte qu’il y a lieu de rejeter cette demande.

Toutefois, eu égard à l’issue du litige il convient de faire masse des dépens de l’instance et de les imposer pour deux tiers à la partie demanderesse et pour un tiers à l’Etat du Grand-

Duché de Luxembourg.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

dit qu’il n’y a pas lieu de se prononcer sur le recours subsidiaire en annulation ;

au fond, dit le recours principal en réformation partiellement fondé ;

partant, par réformation de la décision déférée, ramène l’amende administrative fiscale infligée à la société … S.A. au montant de 150.000 euros ;

15 déclare le recours non fondé pour le surplus ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure ;

fait masse des dépens et les impose pour deux tiers à la société … S.A. et pour un tiers à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 13 août 2015 par :

Marc Sünnen, premier vice-président, Alexandra Castegnaro, juge, Olivier Poos, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Warken s.Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13/08/2015 Le Greffier du Tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36452
Date de la décision : 13/08/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-08-13;36452 ?

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