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05/08/2015 | LUXEMBOURG | N°36502

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 août 2015, 36502


Tribunal administratif N° 36502 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2015 chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 5 août 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36502 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2015 par Maître Katia AÃ

¯dara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom d...

Tribunal administratif N° 36502 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 juin 2015 chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 5 août 2015 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 20, L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36502 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2015 par Maître Katia Aïdara, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Monténégro), de nationalité monténégrine, demeurant actuellement à L-… tendant 1) à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, subsidiairement à l’annulation de la décision du même jour portant refus de lui accorder le statut de la protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juillet 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Hakima Gouni, en remplacement de Maître Katia Aïdara, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline Jacques en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 août 2015.

Le 13 mars 2015, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Le 16 mars 2015, Monsieur … passa un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 dit « règlement Dublin III ».

Monsieur … fut également entendu en date du 20 mai 2015 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 15 juin 2015, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait été statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sur base de l’article 20 (1), a) et c) de la loi du 5 mai 2006 et que sa demande avait été refusée comme non fondée tout en lui enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2015, Monsieur … a fait introduire un recours tendant 1) à l’annulation de la décision précitée du ministre du 9 avril 2015 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) à la réformation, sinon à l’annulation de la décision du même ministre dans la mesure où elle refuse de faire droit à sa demande de protection internationale et 3) à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision.

A l’appui de son recours et en fait, Monsieur … expose avoir fait l’objet de maltraitances de la part de policiers monténégrins lorsque ceux-ci auraient perquisitionné sa maison en juillet 2014. Ces policiers lui auraient intimé l’ordre de quitter le Monténégro au motif qu’il serait d’origine albanaise et pour avoir aidé les membres de l’UCK pendant le conflit armé ayant régné au Kosovo dans les années 1990. Le demandeur soutient finalement être dans l’impossibilité de pouvoir se faire soigner au Monténégro, le refus des médecins étant également fondé sur son origine albanaise que les médecins déduiraient de son prénom. En raison de ces faits, il aurait été contraint de quitter le Monténégro, le demandeur relevant encore que les services de police et judiciaires n’entendent lui assurer la moindre protection.

1. Quant au recours visant la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, un recours en annulation a valablement pu être introduit contre la décision déférée du ministre de statuer sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée. Le recours en annulation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur estime que ce serait à tort que le ministre a, d’une part, estimé que ses déclarations lors de son audition du 20 mai 2015 seraient sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, et, d’autre part, retenu qu’il proviendrait d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 alors que sa situation personnelle permettrait valablement de renverser une telle présomption et ce conformément à l’article 21 (2) de la même loi.

Le délégué du gouvernement estime que le ministre aurait à juste titre statué sur la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, dès lors que la situation du demandeur correspondrait aux deux hypothèses visées par le ministre au fondement de sa décision.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les points a) et c) de l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006, aux termes desquels : « Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; (…) c) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 20 (1) a) et c) de la loi du 5 mai 2006, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence ou d’une pertinence insignifiante au regard de l’examen de la prédite demande en obtention d’une protection internationale ou encore si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 précité de la loi du 5 mai 2006.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée sont énumérées à l’article 20 (1) de la loi du 5 mai 2006 de manière alternative et non point cumulative, de sorte qu’une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Plus particulièrement, en ce qui concerne le point c) de l’article 20 (1), précité, visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, il convient de rappeler qu’un pays est à considérer comme un pays d’origine sûr au sens de l’article 21 de la loi du 5 mai 2006 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays peut être désigné comme pays d’origine sûr pour les besoins de l’examen de la demande de protection internationale.

(2) Un pays qui est désigné comme pays d’origine sûr conformément aux paragraphes (3) et (4) du présent article peut uniquement, après examen individuel de la demande de protection internationale, être considéré comme étant un pays d’origine sûr pour un demandeur, s’il possède la nationalité de ce pays ou s’il avait précédemment sa résidence habituelle dans ce pays, et que le demandeur n’a soumis aucune raison valable permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

(3) Une demande de protection internationale est rejetée, sans préjudice du paragraphe (2) qui précède, lorsqu’un pays est désigné comme pays d’origine, sûr soit par l’Union européenne, soit par règlement grand-ducal.

(4) Un règlement grand-ducal pourra désigner un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève. Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme un pays d’origine sûr :

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;

b) le respect du principe du non-refoulement prévu par la Convention de Genève ;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.» En l’espèce, il est constant en cause que par règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant la liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006, ci-après « le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 », le Monténégro a été reconnu comme constituant un pays d’origine sûr.

Il y a dès lors lieu de conclure que c’est a priori à bon droit que le ministre a pu conclure que le demandeur, qui a la nationalité monténégrine et qui a habité au Monténégro avant de venir au Luxembourg, provient d’un pays d’origine sûr au sens de la loi.

Dès lors que l’énumération d’un pays d’origine sûr dans la liste du prédit règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 ne constitue qu’une présomption que ce pays est à considérer comme un pays d’origine sûr et qu’aux termes de l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006 un examen de la situation individuelle du demandeur de protection internationale est indispensable pour pouvoir considérer que concrètement pour le demandeur de protection internationale considéré individuellement, le pays de provenance est à considérer comme pays d’origine sûr, il appartient au tribunal, statuant comme juge de l’annulation dans le cadre et les limites de la procédure accélérée prévue à l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006, de vérifier, dans le cadre des moyens invoqués, si le demandeur lui soumet, conformément à l’article 21 (2) de la loi du 5 mai 2006, des raisons valables permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

En ce qui concerne les problèmes auxquels le demandeur aurait été exposé au Monténégro et ce indépendamment de la question de la crédibiltié de son récit, il y a lieu de retenir qu’il s’agit principalement, d’une part, d’un incident isolé en juillet 2014 lors duquel la police monténégrine, en perquisitionnant sa maison, l’aurait maltraité et menacé de mort en essayant de l’obliger à quitter le Monténégro en raison de ses origines albanaises, et, d’autre part, d’un refus de la part de médecins monténégrins de le soigner en raison de ses origines albanaises.

Le tribunal tient tout d’abord à relever que les déclarations du demandeur, au cours de son audition du 20 mai 2015, sont très imprécises au sujet des prétendus agissements de la part des policiers monténégrins, et ce malgré l’insistance de l’agent du ministère chargé de procéder à la prédite audition pour que le demandeur clarifie ses propos, la requête introductive d’instance ne remédiant par ailleurs pas à ce manque de précision, de sorte que l’analyse du tribunal ne saurait porter, en ce qui concerne les prétendues maltraitances policières, que sur l’incident survenu en juillet 2014.

Force est au tribunal de constater, à ce sujet, qu’à défaut d’avoir au moins tenté de porter plainte contre ses agresseurs auprès des autorités policières monténégrines, respectivement auprès d’autorités hiérarchiquement supérieures, le demandeur ne saurait reprocher aux autorités monténégrines une quelconque inaction volontaire ou un refus de l’aider.

En tout état de cause, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas lui-même tenté formellement d’obtenir une telle protection : or, une telle demande de protection adressée aux autorités policières et judiciaires prend, en présence de violences et d’intimidations, communément la forme d’une plainte. Par ailleurs, si le demandeur avait effectivement eu l’impression que certains policiers pourraient refuser d’accueillir sa plainte, respectivement qu’une plainte contre des policiers auprès d’autres policiers serait vaine, il lui aurait toujours été possible de se plaindre du comportement des policiers auprès d’une autorité supérieure, ce qu’il n’a toutefois pas non plus fait. Le demandeur aurait ainsi pu s’adresser à des autorités supérieures, telles que le « Department for Internal Control of Police Operations » et l’Ombudsman, cités par la décision déférée et dont le demandeur n’a contesté ni l’existence, ni l’efficacité. Dans ces conditions, le demandeur n’était pas fondé à ne pas demander la protection des autorités de son pays d’origine suite aux intimidations et à l’agression physique subies par lui.

Il y a encore lieu de rappeler que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ou des atteintes graves ne sauraient être admises dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par une personne ou un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée.

En ce qui concerne le refus de la part de médecins monténégrins de soigner le demandeur, force est au tribunal de constater que ce dernier n’apporte aucun élément, dans le cadre du présent litige, permettant d’infirmer les conclusions étatiques quant à l’existence, au Monténégro, d’un système de soins ethniquement neutre et accessibles à tous les bénéficiaires d’une assurance maladie, de sorte qu’il y a lieu de retenir que le prétendu refus de soins de la part de médecins monténégrins n’est pas de nature à renverser le constat du règlement grand-

ducal modifié du 21 décembre 2007 précité, selon lequel le Monténégro est à considérer comme pays d’origine sûr.

Il suit des considérations qui précèdent que le demandeur n’invoque pas de faits démontrant que le Monténégro, ne serait pas à considérer comme pays d’origine sûr dans son chef, de sorte que c’est à bon droit que le ministre, après analyse de sa situation concrète, a conclu qu’il était originaire d’un pays d’origine sûr, et qu’il a à bon droit pu statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre de la procédure accélérée prévue par l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

Partant le recours tendant à l’annulation de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée est à rejeter pour ne pas être fondé, sans qu’il n’y ait besoin d’analyser les conditions retenues à l’article 20 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, cet examen étant surabondant.

2. Quant au recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision portant refus d’une protection internationale Dans la mesure où l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées dans le cadre d’une procédure accélérée, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

A l’appui de ce volet du recours, le demandeur, se basant en substance sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre du recours dirigé contre la décision ministérielle de statuer sur sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, reproche au ministre de ne pas avoir pris en compte la situation des personnes appartenant à la minorité ethnique albanaise au Monténégro. En ce qui concerne sa situation personnelle, il reproche au ministre d’avoir fait abstraction des « menaces directes, graves et réelles » qu’il aurait subies de la part de policiers monténégrins en raison de son appartenance à la minorité albanaise.

Il reproche encore à l’autorité administrative d’avoir fait une appréciation erronée et superficielle des faits lui soumis, de sorte qu’elle serait arrivée à tort à la conclusion que lesdits faits ne seraient pas de nature à justifier une crainte suffisante dans son chef en vue de la reconnaissance d’un statut de réfugié.

Quant à la protection subsidiaire, le demandeur soutient en substance remplir les conditions posées par l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en ce qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à des traitements inhumains et dégradants en raison de son appartenance à la minorité ethnique albanaise.

Le délégué du gouvernement pour sa part estime que ce serait à bon droit que le ministre a refusé le statut de protection internationale au demandeur et conclut partant au rejet du recours.

Aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…)».

Par ailleurs, aux termes de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est au tribunal de constater qu’il ressort du rapport d’audition du demandeur qu’il a été victime d’une agression, respectivement de menaces de mort proférées par des policiers lors d’une perquisition de son domicile en juillet 2014 en raison de son appartenance à la minorité ethnique albanaise, de sorte à conclure qu’il a été victime d’actes ayant été motivés par un des critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir des actes ayant été commis en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, en l’occurrence en raison de son appartenance à la minorité albanaise.

Indépendamment de la question de la gravité des agissements subis par le demandeur de la part de policiers monténégrins, il y a lieu de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge de l’annulation, vient ci-avant de retenir dans le cadre de l’analyse de la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée que le ministre a valablement pu considérer que le demandeur est originaire d’un pays d’origine sûr au sens de la loi, de sorte que c’est à bon droit qu’il a décidé de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée sur le bien-fondé de sa demande.

Actuellement, le tribunal, statuant par rapport au volet du rejet de la demande en obtention de la protection internationale en tant que juge de la réformation, ne saurait que réitérer son analyse précédente au niveau de la décision au fond du ministre de refuser la protection internationale, en ce sens que c’est pour les mêmes motifs qu’il y a lieu de conclure, au vu des faits et motifs invoqués par le demandeur à l’appui de sa demande en obtention d’une protection internationale dans le cadre de ses auditions, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, que le demandeur ne remplit pas les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié, le demandeur n’ayant en effet fourni, dans le cadre de la procédure contentieuse, aucun élément complémentaire pertinent permettant de conclure que les autorités monténégrines seraient dans l’incapacité de lui fournir concrètement une protection au sens de l’article 29 (2) de la loi du 5 mai 2006 contre les agissements des policiers ayant voulu contraindre le demandeur à quitter son pays d’origine.

En ce qui concerne le refus de la part de médecins monténégrins de soigner le demandeur, force est au tribunal de constater que bien que ce refus paraît également être motivé par l’origine albanaise du demandeur, il ne ressort pas des déclarations du demandeur dans le cadre de son audition auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, ni des éléments fournis dans le cadre de la procédure contentieuse que ces agissements – qui paraissent être le fait d’un nombre restreint de médecins et non pas une pratique généralisée du corps médical monténégrin qui est tenu de soigner, conformément à la législation monténégrine, tout citoyen monténégrin – seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 31 (1) de la loi du 5 mai 2006 pour constituer du fait de leur nature ou de leur caractère répété une violation grave des droits fondamentaux de l’homme. Il y a finalement lieu de relever que le demandeur n’a pas porté plainte contre les médecins ayant refusé de le soigner, de sorte qu’il n’est pas établi que les autorités étatiques monténégrines n’auraient pas pu, respectivement voulu lui apporter une protection adéquate et qu’ils auraient ainsi toléré de tels agissements discriminatoires de la part de médecins.

Partant il y a lieu de retenir que le demandeur ne remplit pas les conditions prévues pour l’octroi du statut de réfugié, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a déclaré sa demande non fondée.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef du demandeur d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26 (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Force est au tribunal de constater qu’il ne ressort pas des propos livrés dans le cadre de son audition, respectivement des éléments fournis dans le cadre de la procédure contentieuse, que les actes subis par le demandeur puissent être qualifiés de peine de mort ou d’exécution;

respectivement de torture ou de traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés ou de menaces graves et individuelles contre sa vie en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international au sens de l’article précité. En effet, bien que le comportement des policiers revête un certain degré de gravité, le tribunal relève qu’il ne ressort pas des éléments soumis à son appréciation que les autorités monténégrines ne peuvent ou ne veulent pas lui apporter une aide adéquate, le demandeur étant, comme retenu ci-avant, resté en défaut de s’adresser aux autorités monténégrines compétentes pour dénoncer, d’une part, les faits subis de la part des policiers ayant perquisitionné son domicile en juillet 2014 et, d’autre part, les médecins ayant refusé de le soigner. Par ailleurs, il ne ressort pas du rapport d’audition du demandeur qu’en cas de retour au Monténégro il se verrait infliger la peine de mort ou la torture au sens des points a) et b) de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006. En ce qui concerne le refus de la part de médecins monténégrins de soigner le demandeur, le tribunal vient ci-avant de retenir que ces faits ne revêtent pas le caractère de gravité suffisant requis par la loi. Il n’a pas non plus fait état d’une situation dans laquelle il risquerait des menaces graves et individuelles contre sa vie ou sa personne en tant que civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international, le Monténégro ne se trouvant pas spécifiquement en l’état d’un tel conflit à l’heure actuelle, de sorte qu’il n’est pas non plus fondé à invoquer l’article 37 c) de la loi du 5 mai 2006.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

3) Quant au recours tendant à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 20 (4) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigée contre la décision ministérielle litigieuse.

Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Aux termes de l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 r) de la loi du 5 mai 2006 la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire».

En l’espèce, le demandeur sollicite l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire en conséquence du bien-fondé des arguments qu’il aurait développés à l’appui de son recours. Il invoque par ailleurs le principe de précaution pour affirmer qu’il serait « (…) en tout état de cause préférable de ne pas reconduire une personne vers un pays où il y a lieu de craindre qu’elle court un risque réel de subir des atteintes graves à sa vie (…) ».

Or, le tribunal vient de retenir que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande de protection internationale sous analyse, de sorte qu’a priori, il a pu assortir la décision négative d’un ordre de quitter le territoire conformément à l’article 20 (2) de la loi du 5 mai 2006, sans violer le principe de précaution.

Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 15 juin 2015 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 15 juin 2015 portant refus d’une protection internationale à Monsieur … ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 15 juin 2015 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

donne acte au demandeur de ce qu’il déclare bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

Paul Nourissier, juge, Alexandra Castegnaro, juge, Michèle Stoffel, juge et lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 5 août 2015 à 17.00 heures par le juge Paul Nourissier, en présence du greffier Monique Thill.

s. Monique Thill s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5.8.2015 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36502
Date de la décision : 05/08/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-08-05;36502 ?

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