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30/07/2015 | LUXEMBOURG | N°36580

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juillet 2015, 36580


Tribunal administratif Numéro 36580 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juillet 2015 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 30 juillet 2015 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36580 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2015 pa

r Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif Numéro 36580 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 juillet 2015 Chambre de vacation Audience publique extraordinaire de vacation du 30 juillet 2015 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 23 L.5.5.2006)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 36580 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2015 par Maître Olivier LANG, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le .. (Albanie) et de son épouse, Madame …, née le …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité albanaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 juin 2015, par laquelle le ministre a déclaré irrecevable leur nouvelle demande tendant à l’obtention d’une protection internationale sur le fondement de l’article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 juillet 2015 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah MOINEAUX, en remplacement de Maître Oliver LANG, et Madame le délégué du gouvernement Jacqueline JACQUES en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 29 juillet 2015.

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Le 4 octobre 2012, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leur enfant mineur …, ci-après dénommés « les consorts … », tous de nationalité albanaise, introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».

Par décision du 20 décembre 2012, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration rejeta les demandes de protection internationale des consorts ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 janvier 2013, les consorts … introduisirent un recours tendant à l’annulation de la décision du ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration du 20 décembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de leur demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1 Par jugement du 7 mars 2013, inscrit sous le numéro du rôle 31917, le tribunal administratif déclara le recours fondé, annula la décision ministérielle du 20 décembre 2012 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, dans le cadre de son recours en réformation, annula la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale et annula la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire et renvoya l’affaire devant le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration en prosécution de cause.

Par décision du 19 mars 2013, le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration rejeta les demandes de protection internationale de Monsieur … et de son épouse, Madame …, accompagnés de leur enfant mineur ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 avril 2013, les consorts … introduisirent un recours tendant à la réformation de la décision de rejet du 19 mars 2013 de leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans la même décision, recours dont ils furent déboutés par jugement du 2 avril 2014, inscrit sous le numéro 32377 du rôle, confirmé en appel par arrêt de la Cour administrative du 25 septembre 2014, inscrit sous le numéro 34489C du rôle.

Par déclaration officielle du 26 août 2014, Monsieur … et son épouse, Madame … avaient signés respectivement une renonciation expresse à leur demande de protection internationale et étaient retournés volontairement en Albanie le 2 septembre 2014.

Le 29 avril 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineur…, affirmant détenir de nouveaux éléments, introduisirent une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 5 mai 2006.

Les déclarations des consorts … sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, du même jour.

Le 11 mai 2015, Monsieur … et son épouse, Madame … passèrent séparément un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».

Monsieur … et son épouse, Madame … furent ensuite entendus séparément par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 12 mai 2015 sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 5 juin 2015, expédiée par lettre recommandée le 8 juin 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », rejeta cette nouvelle demande pour être irrecevable, décision libellée en les termes suivants :

2« J'ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection que vous avez présentées auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 29 avril 2015.

Avant tout autre développement, il convient de rappeler que vous avez déposé des premières demandes de protection internationale au Luxembourg en date du 4 octobre 2012 qui ont été rejetées comme non fondées par une décision ministérielle en date du 20 décembre 2012. Monsieur, il résultait de vos déclarations que le frère de votre beau-père, …, aurait travaillé pour la police criminelle et il aurait découvert des explosifs dans des bâtiments de Shkodër en 2005. Il aurait dénoncé le groupe mafieux auquel ces explosifs auraient appartenu et les personnes coupables auraient été arrêtées. Vous indiquez que votre épouse aurait été placée sous protection de l'Etat pendant trois ans et la famille de votre épouse aurait déménagé à plusieurs reprises pour que les mafieux ne la retrouvent pas. Vous vous seriez marié avec votre épouse le 27 septembre 2009 et depuis vous auriez des problèmes avec ce groupe mafieux. Vous auriez été menacé par des personnes inconnues à trois reprises entre 2009 et 2012 et une fois par téléphone début 2010 à cause des actes d'…. Selon vos dires, vous auriez porté plainte et la police aurait rédigé un rapport. Vous précisez qu'… se trouverait actuellement au Luxembourg et les coupables du groupe mafieux auraient été condamnés à une peine entre 20 et 25 années. En outre, vous avez indiqué que votre grand -

père serait en possession d'un terrain mais que votre voisin vous aurait envoyé devant le tribunal sous prétexte que le terrain lui appartiendrait; l'affaire serait toujours en cours.

Vous précisez qu'une personne armée en civil, qui serait officier de police, selon vos dires, vous aurait forcé à quitter ce terrain et vous pensez qu'elle aurait été payée par votre voisin.

Madame, vous avez confirmé les dires de votre époux. En 2005, des personnes inconnues auraient stationné leur voiture près de votre maison et auraient tourné autour. Suite à la demande de votre père en 2005, vous auriez bénéficié d'une protection de la part de l'Etat, mais suite à votre mariage, et contrairement au reste de votre famille, vous n'auriez plus eu droit à cette protection. Vous auriez été menacée pour la dernière fois « (…) quand je me trouvais à Shkoder en 2010, 2011. » (p. 7/13) Vous dites que vous auriez gagné l'affaire concernant le terrain au tribunal. Suite à cela, le policier en civil serait venu chez vous pour que vous quittiez le terrain.

Vous avez été définitivement déboutés de vos premières demandes de protection internationale par arrêt de la Cour administrative du 25 septembre 2014 aux motifs qu': « (…) La Cour rejoint cependant le tribunal en ce que celui-ci a souligné que les intimidations et menaces dont les consorts …-… avaient été les victimes dans leur pays d'origine émanaient de criminels de droit commun et ne pouvaient être qualifiées comme constituant des persécutions au sens de la Convention de Genève ou de la loi du 5 mai 2006. En effet, ni les membres de la famille du réseau de malfaiteurs ayant été arrêtés et condamnés grâce à l'intervention d'un membre de la famille de Madame …-… et désirant venger ceux-ci, ni leur voisin ou les membres du groupe mafieux ayant tenté de les déposséder de leur terrain, ne sont à considérer comme des agents étatiques engageant la responsabilité des autorités de l'Etat en cas de persécution de particuliers. Il en est de même de la personne que les consorts …-… considèrent comme ayant été un policier à la solde de leur voisin et ayant agi en civil puisqu'en cette qualité, celui-ci n'a pas revêtu la qualité d'un agent étatique. Le tribunal est encore à approuver en ce qu'il a reproché aux consorts …-… de ne pas avoir recherché la protection des autorités en place devant les menaces dont ils faisaient l'objet. L'arg ument d'une absence de confiance dans ces autorités ne saurait valoir, le cas des appelants ayant montré que la police s'était occupée de manière efficace de leur sécurité, du moins pendant 3un certain temps et le seul fait qu'ils eussent soupçonné un des malfaiteurs d'être un policier ne suffisant pas pour justifier qu'ils n'aient alors même pas tenté de rechercher la protection de la police, certains rapports émanant de différentes organisations qui font état de la difficulté à faire punir les agents de l'ordre en cas d'exactions n'étant pas suffisants à justifier qu'un citoyen qui soupçonne une personne d'être un agent de police ayant agi en dehors de l'exercice de ses fonctions, de renoncer à dénoncer les agissements de celui-ci et à rechercher la protection des autorités en place. (…) ».

Vous êtes par la suite retournés volontairement en Albanie le 4 septembre 2014.

Quant à vos déclarations auprès du Service des Réfugiés En mains les rapports d'entretien Dublin III du 11 mai 2015 et les rapports d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 12 mai 2015 sur les motifs sous-tendant vos demandes de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes.

Monsieur, il ressort de vos déclarations que vous auriez déposé une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg sur base des mêmes problèmes que ceux exposés lors de votre première demande. Ainsi, en octobre 2014, après votre retour en Albanie, le dénommé …qui serait au courant de l'histoire de votre épouse, vous aurait croisé en ville et aurait commencé à vous menacer et insulter en voulant savoir où se trouverait votre beau-père … et sa famille. Vous auriez dénoncé ce fait à un policier qui aurait noté son nom sans toutefois entreprendre de démarches. Vous ne seriez par la suite plus sorti de la maison et vos enfants ne seraient plus allés à l'école.

Deux semaines avant votre départ pour le Luxembourg, votre épouse aurait d'abord été suivie par …sur le chemin de l'hôpital avant d'être insultée et de recevoir un coup de coude. Vous dites que … aurait voulu savoir où se trouveraient … et … …. Vous auriez par la suite accompagné votre épouse au bureau de police et vous signalez que les policiers auraient rempli un formulaire sans toutefois entreprendre de démarches. Comme vous auriez alors de nouveau eu envie de quitter le pays, vous seriez allé voir le maire de « … » afin qu'il vous remette un document.

Vous ajoutez que vous connaîtriez toujours des problèmes concernant le terrain possédé par votre famille. Vous dites que vous auriez désormais perdu ce terrain au détriment de la famille … qui s'en serait emparé illégalement et qui vous menacerait afin que vous arrêtiez d'y prétendre.

Madame, vous confirmez les dires de votre époux. Etant donné que vous seriez l'unique membre de votre famille encore présent en Albanie, vous auriez peur que le dénommé …, puisse se venger sur vous.

Vous avez versé plusieurs documents pour étayer vos dires:

 La copie d'une attestation émise par le maire de la commune de …le 27 avril 2015. Madame, il en ressort que vous seriez l'unique membre de la famille … restant en Albanie. Vous seriez « menacée » et « triste » et auriez peur que des membres d'une « bande criminelle » puissent se venger sur vous ou votre famille.

4 Un certificat non traduit émis par la commune de …, attestant que vous, Madame, auriez bénéficié d'une protection étatique.

 La page principale d'un article de presse albanais non traduit, comprenant la photo de …, ainsi que de quatre autres personnes qui seraient impliquées dans une affaire d'explosifs.

Madame, Monsieur, il s'agit de noter que l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 dispose que: « Le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d'une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d'une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu'ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. ».

Or, force est en premier lieu de constater que les problèmes dont vous faites état (menaces dans le cadre des révélations du policier … … et des condamnations qui en suivirent ainsi que le problème concernant le terrain de votre famille et les menaces de la part des usurpateurs) ont déjà été traités et toisés dans le cadre de vos premières demandes de protection internationale. En effet, il s'agit de préciser qu'il s'agit de problèmes absolument identiques à ceux exposés dans le cadre de vos précédentes demandes; l'unique nouvelle résidant dans le fait que vous précisez dorénavant être menacés par un criminel nommé …alors qu'il s'agissait encore de malfaiteurs inconnus lors de vos premières demandes de protection internationale.

Par ailleurs, les menaces dont vous auriez été victimes après votre retour en Alb anie en 2014 de la part de …ne sauraient être qualifiées d'éléments nouveaux alors qu'elles sont intimement liées aux motifs invoqués lors de vos premières demandes. Même à supposer ces menaces établies, des faits d'ordre privé et donc de droit commun ne relèvent pas de la Convention de Genève. Sans oublier que de simples menaces ne sont pas d'une gravité telle qu'elles pourraient être qualifiées de persécution.

A cela s'ajoute que les documents versés ne constituent donc pas non plus des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire. Cela vaut d'autant plus que les informations notées dans l'attestation du maire ou le certificat de la commune n'ont jamais été mises en doute dans le cadre de vos précédentes demandes de protection internationale.

Madame, Monsieur, force est en tout cas de constater, que les éléments que vous avancez dans le cadre de vos deuxièmes demandes de protection internationale ne sont pas des éléments nouveaux pouvant augmenter de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.

5Par conséquent, je suis au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 23 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection, vos demandes de protection internationale sont irrecevables au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau augmentant de manière significative la probabilité que vous remplissiez les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Vos nouvelles demandes en obtention d'une protection internationale sont dès lors déclarées irrecevables. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2015, Monsieur … et son épouse, Madame …, accompagnés de leurs enfants mineurs … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du ministre du 5 juin 2015, par laquelle leur nouvelle demande en obtention de la protection internationale a été déclarée irrecevable.

Etant donné que l’article 23 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation en matière de nouvelles demandes déclarées irrecevables, seul un recours en annulation a pu être dirigé contre la décision ministérielle attaquée, recours qui, en l’espèce, est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs rappellent en substance les faits à la base de leur première demande de protection internationale, ainsi que la procédure précontentieuse et contentieuse ayant eu lieu avant leur retour volontaire en Albanie en septembre 2014. Par ailleurs, ils exposent que l’un des malfaiteurs, un dénommé …, qui aurait été emprisonné grâce à l’intervention de l’oncle de la demanderesse, aurait été libéré de prison et aurait manifesté son désir de se venger sur Madame …, la seule représentante de la famille … encore présente sur le territoire albanais. En effet, un mois après leur retour en Albanie, le dénommé …aurait insulté et menacé Madame … en s’enquérant sur l’endroit où se trouveraient ses oncles. Elle aurait dénoncé ces faits à la police. Par la suite, les demandeurs déclarent avoir été la majeure partie du temps cloîtrés à leur domicile, et que les enfants n’auraient pas été scolarisés par peur qu’ils se fassent kidnapper. Ils soutiennent encore que lorsque la demanderesse serait exceptionnellement sortie de son domicile afin d’accompagner sa belle-mère à l’hôpital, elle se serait faite une seconde fois menacer par le dénommé …, qui l’aurait cette fois-ci également bousculée. Les demandeurs déclarent avoir rapporté ce second événement à la police. Finalement, les demandeurs renvoient à leurs déclarations respectives concernant les autres éléments nouveaux et font remarquer que les parents de la demanderesse, … et…, ses sœurs…, ainsi que son frère … se seraient entretemps vu reconnaître le statut de la protection subsidiaire par un arrêt de la Cour administrative du 5 février 2015, inscrit sous le numéro 34795 du rôle.

Les demandeurs considèrent que les éléments dont ils auraient fait part lors de leurs auditions respectives seraient des éléments nouveaux qui augmenteraient de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions pour prétendre à un statut de protection internationale.

Ils considèrent que le fait que les agressions proviennent de …, personne emprisonnée grâce à l’intervention de l’oncle de la demanderesse et que celui-ci ait été libéré, lui permettant ainsi de se venger personnellement sur la seule représentante de la famille … encore présente sur le territoire albanais, constituerait un fait majeur nouveau pour eux. Ils soulignent qu’il serait certes incontestable que les faits et éléments nouveaux invoqués par eux à l’appui de leur seconde demande de protection internationale seraient la conséquence du désir de vengeance de criminels qui composeraient le gang de malfaiteurs qu’… …, l’oncle de la demanderesse, aurait dénoncé et démantelé il y a une dizaine d’années. Cette constatation ne serait pourtant pas de nature à priver ces événements de la qualification de faits nouveaux puisque les circonstances auraient évolués depuis leur retour en Albanie en ce que des membres du prédit gang auraient entretemps été libérés de prison.. Ils indiquent qu’ils se seraient également adressés à deux reprises aux autorités albanaises afin de réclamer leur aide, celles-ci n’ayant cependant rien entrepris, de sorte à les forcer de vivre cloîtrés chez eux jusqu’à leur départ pour le Luxembourg.

Isl soulignent le fait que la demanderesse demeurerait la seule représentante de la famille … sur le territoire albanais, les autres membres de sa famille ayant tous obtenu une protection internationale au Luxembourg, de sorte qu’elle craindrait avec raison qu’à défaut de pouvoir mettre la main sur son père ou un de ses oncles, la vengeance de sang pesant sur la famille … s’exercerait finalement sur sa personne.

Ils considèrent la circonstance que les parents et frère et sœurs de la demanderesse aient obtenu le statut de la protection subsidiaire au Luxembourg constituerait également un fait nouveau qui aurait dû être pris en compte par le ministre.

Ils rappellent que malgré le fait que la loi du Kanun n’autoriserait en principe pas l’exécution de la vengeance sur une femme ou un enfant, l’évolution aurait cependant conduit à ce que désormais les femmes et les enfants seraient également victimes de telles actes et citent à cet égard un rapport du 23 août 2013 de Monsieur Christof HEYNS, intitulé « Rapport du Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires » Les demandeurs reprochent ensuite encore au ministre d’avoir considéré que les faits ou éléments nouveaux présentés par eux à l’appui de leur nouvelle demande de protection internationale ne seraient pas de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.

A l’appui de cette considération, ils font valoir que …aurait été libéré de prison, qu’il s’en serait pris à la demanderesse, seule représentante de la famille … sur le territoire albanais tandis que tous les autres membres de sa famille bénéficieraient d’une protection internationale au Luxembourg, et que suite à ces nouvelles menaces, que les demandeurs auraient déclarées à la police et malgré la connaissance du contexte de vendetta de ces menaces par la police et qu’une protection policière avait été accordée à la demanderesse auparavant, pour ensuite lui être retirée suite à son mariage en 2009, la police ne serait pas intervenue. Ces nouveaux faits auxquels ils auraient été confrontés augmenteraient ainsi la probabilité de retenir que l’Etat albanais ne serait pas en mesure de leur accorder une protection effective contre les persécutions ou les atteintes graves, au sens de l’article 29 de la loi du 5 mai 2006, les autorités albanaises n’ayant pas pris les mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou la commission d’atteintes graves alors qu’elles se seraient bornées à refuser l’accès à cette protection nationale recherchée.

A titre superfétatoire, les demandeurs citent encore des rapports internationaux afin de conclure à la défaillance du système judiciaire albanais dans le cadre spécifique des affaires de vendetta.

Ils considèrent qu’ils appartiendraient au sens de l’article 32 (1) de la loi du 5 mai 2006 à un groupe social, à savoir celui des membres de la famille … visés par la vendetta, et qu’au vu des faits nouveaux survenus, ils pourraient craindre la réalisation de l’assassinat de la demanderesse ou de ses enfants, ou le kidnapping de ceux-ci, éléments qui seraient à considérer comme suffisamment graves au sens de l’article 31 (1) a) de la loi du 5 mai 2006, de sorte que la décision ministérielle encourrait l’annulation.

Le délégué du gouvernement estime pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs, de sorte que ceux-ci seraient à débouter de leur recours.

Aux termes de l’article 23 (1) de la loi du 5 mai 2006, telle que modifiée par la loi du 17 juillet 2007 « le ministre considérera comme irrecevable la demande de protection internationale d’une personne à laquelle le statut de réfugié ou la protection internationale ont été définitivement refusés ou d’une personne qui a explicitement ou implicitement retiré sa demande de protection internationale, à moins que des éléments ou des faits nouveaux apparaissent ou sont présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse ».

Le droit à l’ouverture d’une nouvelle procédure d’instruction d’une demande de protection internationale est ainsi conditionné par la soumission d’éléments qui, d’une part, doivent être nouveaux et être invoqués dans un délai de 15 jours à compter du moment où le demandeur les a obtenus et, d’autre part, doivent augmenter de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur devant par ailleurs avoir été dans l’incapacité - sans faute de sa part - de se prévaloir de ces nouveaux éléments au cours de la procédure précédente, en ce compris la procédure contentieuse.

Il y a lieu de souligner que ce droit ne constitue en principe pas en quelque sorte une « troisième instance », mais une exception - soumise à des conditions d’ouverture strictes - à l’autorité de chose jugée dont est revêtue la procédure contentieuse antérieure, respectivement à l’autorité de chose décidée dont est revêtue la première décision de refus de protection internationale.

Il appartient dès lors au ministre d’analyser les éléments nouveaux soumis en cause par les demandeurs afin de vérifier le caractère nouveau des éléments lui soumis, ainsi que leur susceptibilité d’augmenter de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour l’obtention de la protection internationale, le caractère nouveau des éléments avancés en cause s’analysant notamment par rapport à ceux avancés dans le cadre de la précédente procédure, laquelle, doit, aux termes de l’article 23 (1) de la loi du 5 mai 2006, être définitivement terminée.

Il est constant en l’espèce que les demandeurs se sont vus refuser en date du 20 décembre 2012 la protection internationale, refus entre-temps revêtu de l’autorité de chose jugée, les demandeurs ayant été définitivement déboutés de leur recours contentieux afférent par l’arrêt précité de la Cour administrative du 25 septembre 2014, inscrit sous le numéro 34489C du rôle. Force est dès lors de retenir que la demande des époux …, accompagnés de leur deux enfants mineurs … présentée en date du 29 avril 2015 doit être considérée comme nouvelle demande au sens de l’article 23 précité.

Or, la première demande des époux … était basée essentiellement sur les faits suivants, tels que résumés dans l’arrêt de la Cour administrative du 27 février 2014 : « ils exposèrent qu’au début de l’année 2005, un oncle de Madame …, travaillant auprès de la police criminelle de Skhodër, aurait démantelé un groupe de trafiquants d’armes et d’explosifs dont les membres auraient été condamnés en justice à de lourdes peines d’emprisonnement. Les familles de ceux-ci auraient alors tenté de se venger sur toute la famille …, qui pour la plupart auraient entre-temps quitté l’Albanie pour se mettre à l’abri de cette vendetta. La famille aurait alors bénéficié, pendant un certain temps, d'une protection policière, entraînant un changement de nom et divers changements de domicile. Après leur mariage en septembre 2009, les époux … auraient décidé d’emménager ensemble à une quarantaine de kilomètres du domicile familial de la famille …, où cinq mois après, Monsieur … aurait reçu un appel téléphonique d’une personne qui lui aurait ordonné de se séparer de sa femme et qui les aurait menacés de mort s’ils se rendaient à Shkodër. Pour faire bonne mesure, la police aurait peu de temps après cessé sa protection, malgré l'opposition de Madame …, ce qui aurait obligé le couple à vivre caché pour ne pas être retrouvé. – Parallèlement, Monsieur …, propriétaire d’un terrain sur lequel il aurait entendu construire une maison, aurait eu des problèmes avec un voisin qui aurait voulu s’accaparer ce terrain à tout prix et qui serait allé jusqu'à engager un groupe mafieux dénommé «…» qui les aurait chassés de leur terrain et aurait proféré des menaces de mort à leur encontre en leur faisant transmettre le message qu'ils auraient dix jours pour laisser tomber l’affaire et disparaître ».

Force est de constater que les menaces de mort émanant du dénommé …et dont se prévalent les demandeurs dans le cadre de leur présent recours constituent certes des faits nouveaux qui se sont déroulés après que les demandeurs aient été définitivement déboutés de leur première demande de protection internationale, mais ne sont néanmoins pas à qualifier de faits nouveaux augmentant de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire au vu de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006. En effet, les demandeurs se sont déjà infructueusement prévalus de menaces de mort émanant aussi bien de membres de groupes mafieux incarcérés grâce à l’intervention de l’oncle de la demanderesse, que de leur voisin concernant le litige les opposant à celui-ci au sujet de la propriété d’un terrain, dans le cadre de leur première demande en obtention d’une protection internationale. Les nouvelles menaces ne diffèrent pas qualitativement de celles invoquées lors de leur première demande de protection internationale et le fait que Madame … demeure la dernière représentante de sa famille sur le territoire albanais, de sorte à être ainsi la seule personne sur laquelle la vengeance des criminels mafieux arrêtés par son oncle pourrait s’exercer ne change rien à cette analyse, ces oncles ayant déjà quitté l’Albanie depuis un certain temps et ne résidaient déjà plus en Albanie lors de leur première demande de protection internationale. La même conclusion s’impose d’ailleurs en ce qui concerne la prétendue absence de protection de la part des autorités policières et judiciaires albanaises, cette question ayant d’ores et déjà été soumise en dernier ressort à la Cour administrative dans le cadre de l’appel enrôlé sous le n°34489C. En effet, la même analyse que celle déjà retenue par le jugement du 2 avril 2014 et résumée dans l’arrêt de la Cour administrative peut être retenue concernant les nouveaux faits invoqués, à savoir que « Concernant les problèmes liés au fait d’appartenir à la famille d’un policier ayant démantelé un réseau de trafiquants, le tribunal souligna que Madame … n’avait pas été directement et personnellement menacée, mais qu’elle avait néanmoins bénéficié des mesures de protection que la police albanaise avait organisées pour sa famille.

Il releva par ailleurs qu'une fois la protection policière terminée, les menaces reçues étaient exclusivement liées à la présence des consorts … à Shkodër et que Madame …, tout en n'acceptant pas la proposition de la police de mettre fin aux mesures de protection spéciales, aurait dû insister davantage auprès des forces de l’ordre afin que ses plaintes en relation avec les menaces de la part de la famille des trafiquants mis sous verrous fussent traitées avec les soins nécessaires et, le cas échéant, porter ses doléances devant des instances supérieures. Le tribunal reprocha, dans ce contexte, aux consorts … de se plaindre d’une absence de protection de la part des autorités, tout en affichant une attitude relativement passive. Il souligna encore que les consorts … avaient valablement pu se mettre à l’abri des menaces en quittant Shkodër vers une autre localité dans laquelle ils avaient même commencé à construire une nouvelle maison. » Dans la mesure où les demandeurs fondent leur deuxième demande de protection internationale également, d’une part, sur des menaces de mort proférées, à deux occasions, par un membre d’un groupe mafieux démantelé par l’oncle de la demanderesse, et, d’autre part, sur une absence de protection des autorités étatiques albanaises, force est au tribunal de constater que s’il s’agit certes de faits postérieurs à la première demande de protection internationale, ces faits n’augmentent cependant pas de manière significative la probabilité que les demandeurs remplissent les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire au vu de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006 pour correspondre à des faits quasi-identiques à ceux invoqués dans le cadre de leur première demande de protection internationale. Le fait que le reste de la famille … ait pu obtenir une protection internationale au Luxembourg et qu’elle demeurerait la dernière représentante de sa famille en Albanie, de même que le fait que le dénommé …ait été libéré de prison ne viennent pas infirmer cette analyse.

Il en résulte que la demande de consorts … a valablement pu être déclarée irrecevable en application de l’article 23 de la loi du 5 mai 2006, les demandeurs ne fournissant aucun nouvel élément permettant de retenir qu’il existerait de sérieuses indications d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève ou d’atteinte grave augmentant de manière significative la probabilité qu’ils remplissent les conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours formé par les demandeurs est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement, reçoit le recours en annulation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, donne acte aux demandeurs de ce qu’ils déclarent bénéficier de l’assistance judiciaire ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

Carlo Schockweiler, premier vice-président, Paul Nourissier, juge, Hélène Steichen, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire de vacation du 30 juillet 2015, à 17 heures par le premier vice-président, en présence du greffier en chef Arny Schmit.

s. Arny Schmit s. Carlo Schockweiler Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30/7/2015 Le Greffier en chef 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 36580
Date de la décision : 30/07/2015

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2015-07-30;36580 ?

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