Tribunal administratif N° 35116 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 25 août 2014 3e chambre Audience publique de vacation du 22 juillet 2015 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35116 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2014 par Maître Geoffrey Paris, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né … (Kosovo), et de sa concubine, Madame …, née le …., agissant en leur nom personnel et au nom et pour le compte de leur enfant mineur …, … (Serbie), tous de nationalité kosovare, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 22 juillet 2014 portant refus de faire droit à leur demande de protection internationale et à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;
Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Geoffrey Paris et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 20 mai 2015.
Le 28 mars 2014, Monsieur … et sa concubine, Madame …, agissant en leur nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineur …, dénommés ci-après par « les consorts …-…», introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations des consorts …-… auprès d’un agent du service de police judiciaire, police des étrangers et des jeux, de la police grande-ducale sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, furent actées dans un rapport daté du même jour.
Au moment du dépôt de leurs demandes de protection internationale, ils indiquèrent comme raison sous-tendant leur départ du Kosovo que Monsieur … aurait trouvé une bombe dans le hangar à côté de leur maison, qu’il aurait appelé la police, mais que cette dernière l’aurait soupçonné d’avoir posé cette bombe lui-même et l’aurait mis sous pression pour qu’il l’avoue.
Il ressort de la décision ministérielle déférée du 22 juillet 2014, qu’en date du 4 avril 2014, les consorts …-… firent, séparément, l’objet d’un entretien auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement UE 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dit « règlement Dublin III ».
Les consorts …-… furent entendus séparément en date du 25 avril 2014 par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leur demande de protection internationale.
A cette occasion, Monsieur … originaire du Kosovo, ayant vécu à … et appartenant à l’ethnie serbe, raconta que le matin du 21 mars 2014, il serait sorti de chez lui pour nourrir ses bêtes et qu’il serait rentré dans la maisonnette située dans son jardin, accompagné de ses chiens, pour prendre la nourriture. Ses chiens auraient alors commencé à aboyer et à jouer avec un objet noir. Lorsqu’il aurait regardé cet objet de plus près, il se serait rendu compte qu’il se serait agi d’une bombe. Il aurait eu très peur d’une explosion et serait immédiatement sorti pour aller appeler la police.
Il indiqua que la police de Gnjilane serait arrivée quinze minutes plus tard et, après avoir dressé un constat dans le hangar, elle aurait fait appel à une brigade spéciale de Pristina, qui serait intervenue une heure plus tard pour désactiver la bombe. La police de Gnjilane lui aurait ensuite expliqué et à sa concubine qu’elle effectuerait, dans l’intérêt de leur sécurité, une perquisition de leur maison entière, laquelle se serait cependant avérée négative.
Monsieur … relata encore qu’avant de partir, un des policiers, un dénommé …, l’aurait convoqué au poste de police, où on lui aurait montré des photos de l’endroit, à savoir un trou dans la maisonnette, où la bombe se serait trouvée. Le même policier lui aurait expliqué que la bombe n’aurait pas pu avoir été jetée à cet endroit, mais qu’elle aurait déjà dû s’y trouver. Il précisa encore que le policier lui aurait tout de suite proposé un avocat avant d’avoir commencé de lui poser des questions.
Il ajouta que les questions auraient été posées de façon indirecte et que le policier lui aurait donné la possibilité soit de dire qu’il n’aurait pas été au courant de l’existence de cette bombe, que ses chiens l’auraient trouvée par hasard et qu’elle aurait éventuellement été placée dans la maisonnette à son insu par son grand-père pendant la guerre, soit de ne pas coopérer avec la police et de risquer, dans ce cas, jusqu’à dix ans de prison. A ce sujet, il expliqua que son grand-père aurait vécu dans cette maisonnette jusqu’à sa mort en 2003.
Monsieur … indiqua avoir été tellement étonné des questions et des propositions du policier, qu’il n’aurait rien répondu. Lorsqu’il aurait enfin commencé à répondre, le policier qui lui aurait posé des questions, ainsi que les deux autres policiers présents, lui auraient dit de se taire, qu’il aurait eu assez de temps pour répondre et que ce serait maintenant trop tard.
Il se serait excusé, mais les policiers n’auraient pas accepté ses excuses et lui auraient dit qu’au poste de police, il devrait s’assoir correctement et répondre aux questions qu’on lui posait. Il aurait ensuite été questionné sur son passé, notamment pendant la guerre de 1999.
Vu son jeune âge, les policiers auraient compris qu’il n’aurait pas été impliqué dans la guerre.
Ils lui auraient encore posé quelques questions sur son père et lui auraient dit de parler avec lui au sujet de cette bombe afin de découvrir si elle avait éventuellement été cachée par ce dernier.
Il déclara que l’interrogatoire aurait duré trois heures et qu’à la fin, les policiers auraient appelé le procureur pour savoir s’ils devaient le garder pendant quarante-huit heures ou s’ils pouvaient le laisser partir. Il précisa qu’il aurait pu rentrer chez lui, puisque la police n’aurait eu aucune preuve à son encontre, mais que le policier lui aurait indiqué que s’il voulait changer son adresse ou partir quelque part, il devrait parler avec son avocat.
Il ajoute que la presse l’aurait attendu devant sa maison pour lui poser des questions.
Les journalistes lui auraient expliqué que s’il n’allait rien dire, ils iraient diffuser les déclarations de la police de Gnjilane. Ainsi, les nouvelles du soir auraient relaté qu’il serait soupçonné par la police d’avoir été en possession illégale d’une bombe.
Monsieur … expliqua ne pas avoir retrouvé son calme après cet incident, étant donné qu’il aurait été soupçonné d’une infraction qu’il n’aurait pas commise. Le lendemain, il aurait appelé un journaliste, un dénommé …, de la chaîne de télévision Puls, et il aurait donné une interview, qui serait passé le jour même dans les nouvelles du soir.
Il déclara que le 22 et le 23 mars 2014, il aurait demandé de la protection pour sa famille auprès de la police et que, suite à une réponse négative et puisqu’il aurait eu très peur d’être emprisonné sur base des soupçons à son égard, il aurait cherché des possibilités pour partir du Kosovo. Il indiqua encore que le 23 mars 2014, la police serait venu chez lui à la maison pour parler avec son père. Par ailleurs, un représentant de l’organisation OSCE, qui aurait entendu parler de son histoire à la télévision, serait venu chez lui et, en son absence, aurait indiqué à sa famille qu’il pourrait se présenter dans les locaux de cette organisation pour répondre à quelques questions et pour obtenir de l’aide.
Il expliqua ne pas avoir accepté l’aide de cette organisation, au motif qu’elle n’aurait de toute façon pas pu l’aider, en affirmant que la loi kosovare laisserait les criminels circuler librement, mais que lui-même et sa famille ne pourraient pas circuler librement puisqu’il serait soupçonné de possession illégale de bombe.
Il relata que, de façon générale, son village serait multi-ethnique et compterait environ mille familles albanaises, mais seulement vingt familles serbes et que, si la police indiquerait que tout le monde aurait des droits et qu’elle serait là pour les protéger, la réalité serait pourtant différente. Ainsi, le porte-parole de la police de Gnjilane, un dénommé …, parlerait toujours en faveur des Albanais, mais jamais en faveur des Serbes. Il s’offusqua du fait que lui, en tant que Serbe, serait soupçonné d’une infraction qu’il n’aurait pas commise, alors que la police aurait mis des années pour chercher des Albanais coupables de certains actes. Par ailleurs, les Serbes feraient constamment l’objet de provocations du fait de leur origine ethnique.
Depuis son départ du Kosovo, la police de Gnjilane serait venue deux fois chez sa famille et aurait demandé à sa mère où il se trouverait. La police aurait également convoqué son frère cadet au poste et lui aurait posé les mêmes questions que celles que le policier lui aurait posées le 21 mars 2014.
Sur question de la possibilité d’une fuite interne, Monsieur … indiqua qu’il n’y en aurait pas eu, étant donné qu’il aurait eu trop peur d’être emprisonné du jour au lendemain. Il déclara encore qu’en cas de retour au Kosovo, il serait certainement emprisonné pour un minimum de dix ans et que la peine serait sûrement plus élevée en raison du fait qu’il ait quitté le Kosovo, étant donné qu’une personne soupçonnée d’une infraction n’aurait pas le droit de quitter le Kosovo. Il fit encore état de sa crainte d’être emprisonné jusqu’à ce que les autorités aient une preuve de son innocence.
Lors de son audition, Madame …-…, indiquant être également de nationalité kosovare et d’ethnie serbe, confirma les dires de son concubin, tout en précisant qu’elle-même et son concubin seraient d’avis que quelqu’un aurait placé cette bombe dans leur maisonnette au jardin, étant donné que le père de son concubin aurait déclaré n’avoir jamais été en possession d’une bombe ou d’une arme. Elle expliqua encore qu’ils habiteraient un village composé majoritairement d’Albanais, où il y aurait déjà eu des incidents de ce genre, selon elle, probablement pour faire partir tous les Serbes du village.
Elle indiqua cependant n’avoir jamais eu des problèmes avec une famille albanaise en particulier et avoir eu de bonnes relations avec tous leurs voisins albanais directs.
Quant à la découverte de la bombe par son concubin, Madame …-… déclara que le porte-parole de la police aurait indiqué lors de son interview télévisée le jour-même des faits que son concubin devrait se trouver un avocat. Elle précisa encore que cet incident aurait eu lieu un vendredi et que les policiers auraient dit à son concubin qu’ils reviendraient vers lui le lundi pour avoir une autre conversation avec lui, mais qu’elle-même et son concubin n’auraient pas voulu que ce dernier soit emprisonné et qu’ils auraient alors décidé de partir.
Elle raconta qu’une famille serbe originaire de son village se trouverait actuellement en prison sans aucune preuve à leur encontre.
Elle déclara encore qu’elle et son concubin n’auraient pas pris un avocat, étant donné que la police aurait proposé un avocat lors de l’interrogatoire de son concubin et qu’ils n’auraient d’ailleurs pas du tout pensé à prendre un avocat afin de régler cette affaire, puisqu’ils auraient eu trop peur et qu’ils auraient juste voulu partir.
Elle relata encore que, depuis leur départ du Kosovo, la police se serait rendue à quatre reprises chez les parents de son concubin et aurait interrogé les deux frères de ce dernier. Les policiers auraient encore demandé à la mère de Monsieur … où il se trouverait et ils auraient indiqué à la mère de celui-ci que le procureur voudrait parler avec lui.
Elle indiqua encore qu’en cas de retour au Kosovo, son concubin devrait éventuellement aller en prison et que s’ils devaient continuer à habiter dans la même maison, il pourrait y avoir un accident, telle une nouvelle bombe. A ce sujet, elle précisa que, si les relations entre sa famille et les voisins albanais étaient bonnes, il existerait cependant des Albanais dans son village qui ne seraient pas content de devoir partager leur village avec des Serbes, tout en admettant que, depuis 2010, il n’y aurait plus eu aucune altercation entre des Serbes et des Albanais.
Finalement, elle donna à considérer que la famille de son concubin ne serait pas protégée par la police, puisque celle-ci viendrait les questionner comme s’ils étaient fautifs.
Une fuite interne aurait, par ailleurs, été impossible, puisque son mari serait recherché et puisque la police kosovare serait présente sur tout le territoire.
Par décision du 22 juillet 2014, envoyée aux intéressés par courrier recommandé le jour même, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », informa les consorts …-… que leur demande en obtention d’une protection internationale avait été rejetée comme étant non fondée, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.
Le ministre motiva sa décision par la considération que les faits invoqués par les consorts …-… à l’appui de leurs demandes ne sauraient établir dans leur chef une crainte fondée d’être persécuté dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leurs opinions politiques ou de leur appartenance à un certain groupe social ainsi que le prévoient les dispositions de l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et des articles 31 et 32 de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne les événements invoqués à l’appui de leur demande de protection internationale, il estima que ce serait tout à fait normal que les agents de police auraient fait une investigation à l’encontre de Monsieur … après avoir trouvé une bombe sur sa propriété.
Le ministre constata que Monsieur … aurait déclaré lui-même que les policiers auraient cru que cet explosif aurait pu appartenir à son grand-père, qu’il aurait eu recours à un avocat pendant son interrogatoire et qu’il aurait finalement pu quitter librement le commissariat de police, étant donné que les policiers n’auraient eu aucune preuve à sa charge.
Le ministre en conclut qu’aucun reproche ne pourrait être formulé contre les forces de l’ordre kosovares.
A cet égard, le ministre constata que la police serait la plus forte des institutions du Kosovo pour ce qui est d’assurer la primauté du droit, en se référant à un rapport de la Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada1, ainsi qu’à un rapport du Conseil de l’Europe2. Il cita encore un rapport de l’OSCE3, faisant état plus particulièrement du caractère multiethnique de la police de Gnjilane, pour en conclure qu’il serait peu probable que Monsieur … ait été visé par les forces de l’ordre simplement parce qu’il serait d’ethnie serbe.
De plus, en se basant sur diverses sources internationales, le ministre affirma que les consorts …-…, s’ils s’étaient sentis lésés par le comportement de la police kosovare, auraient pu dénoncer ce comportement à l’inspectorat de Police du Kosovo4 ou bien s’adresser à l’Ombudsman5 afin de se défendre contre les injustices dont ils se seraient sentis lésés de la part des fonctionnaires étatiques. A ce sujet, le ministre souligna encore qu’il ressortirait des déclarations de Monsieur … que des représentants de l’OSCE se seraient présentés chez lui afin d’offrir leur aide, qu’il n’aurait cependant pas acceptée.
Il retint, par ailleurs, que les consorts …-… ne feraient état d’aucun problème concret au sens de la Convention de Genève. En effet, leur crainte que la bombe trouvée dans la 1 Commission de l’Immigration et du statut de réfugié du Canada, Kosovo: information sur la force policière, y compris sa structure, la procedure à suivre pour deposer une plainte contre la police et la réceptivité relativement aux plaints, novembre 2011.
2 Council of Europe, Parliamentary Assembly, The situation in Kosovo and the role of the Council of Europe, 7 janvier 2013.
3 OSCE Mission to Kosovo, Municipal profiles : Pejèe/Pec, janvier 2013.
4 European Commission, COMMISSION STAFF WORKING DOCUMENT KOSOVO 2013 PROGRESS REPORT accompanying the document COMMUNICATION FROM THE COMMISSION TO THE EUROPEAN PARLIAMENT AND THE COUNCIL: Enlargement Strategy and Main Challenges 2013-2014, 16 octobre 2013..
5 European Commission, Joint report to the European Parliament and the Council on Kosovo’s progress in negotiations on the Stabilisation and Association Agreement, 22 avril 2013.
maisonnette dans leur jardin y aurait été placée par un de leurs voisins albanais, ainsi que la peur de Monsieur … d’être emprisonné seraient purement hypothétiques et ne sauraient dès lors constituer des motifs visés par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Quant aux articles de presse invoqués par les consorts …-… et portant sur le cambriolage de la maison de la grand-mère de Monsieur … et sur le viol de sa cousine, le ministre précisa qu’il s’agirait de faits non personnels vécus par d’autres membres de sa famille, qui ne seraient susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur de protection internationale établissait dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières, ce que les consorts …-… resteraient pourtant en défaut de faire.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 août 2014, les consorts Sarkinovic ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 22 juillet 2014 portant refus de leur demande de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans la même décision.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 22 juillet 2014 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de demandes de protection internationale déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours, les demandeurs renvoient aux faits tels qu’exposés lors de leurs auditions.
En droit, ils reprochent au ministre d’avoir fait une appréciation erronée de leur situation.
Les demandeurs font valoir que la situation du Kosovo, telle que décrite dans la décision ministérielle du 22 juillet 2014, ne correspondrait pas à la réalité. Ainsi, le ministre aurait omis de citer un extrait d’un des rapports internationaux auxquels il s’est référé, lequel ferait état non seulement de la difficulté de la police kosovare pour combattre la criminalité de haut niveau, mais encore de la corruption qui règnerait au Kosovo. Quant au caractère multiethnique de la police de Gnjilane, il ressortirait encore des sources citées par le ministre que le nombre de policiers serbes serait minime par rapport à celui des policiers albanais.
Les demandeurs, en se référant à un rapport du tribunal de Gnjilane6, se montrent encore inquiets du fait qu’aucun Kosovar d’ethnie serbe n’occuperait un poste de procureur ou de magistrat à Gnjilane. Ils concluent de cette carence de représentation de Serbes dans les institutions judiciaires que ces derniers seraient victimes de discriminations.
Les demandeurs seraient justement devenus victimes d’une telle discrimination de la part de la police partiale et corrompue du Kosovo, ce qui aurait fait naître dans leur chef une crainte sérieuse et raisonnable d’être persécutés en cas de retour dans leur pays d’origine.
6 www.osce.org/kosovo, Gnjilan/Gnjilane basic court.
Ils estiment encore que, conformément au principe selon lequel nul ne saurait s’incriminer soi-même et contrairement aux affirmations du ministre, il ne serait pas normal que, suite à l’alerte à la bombe par Monsieur …, celui-ci aurait été accusé par la police de l’avoir placée lui-même.
Il font ensuite état d’une méfiance légitime dans leur chef à l’égard de toutes les institutions kosovares en raison de la discrimination permanente dont ferait l’objet la minorité serbe au Kosovo, ainsi que des accusations aberrantes portées par la police à l’encontre de Monsieur …, pour expliquer leur défaut de s’être adressés à une organisation hiérarchiquement supérieure à la police. Le ministre ne leur saurait pas non plus reprocher de ne pas s’être adressés à l’Ombudsman, étant donné qu’il ressortirait de l’article 4.1 du Règlement de la MINUK n° 200/38 du 30 juin 2000 que cette institution ne saurait protéger les citoyens kosovares contre des abus des forces de police, faute d’avoir une fonction décisionnelle coercitive.
Finalement, les demandeurs donnent à considérer qu’au vu de l’acharnement policier et médiatique que cette affaire relative à la découverte de la bombe dans leur jardin a provoqué, leur crainte d’un emprisonnement arbitraire de Monsieur … ne serait point hypothétique, mais bien réelle.
Finalement, les demandeurs estiment que, s’ils ne devaient pas se voir accorder le statut de réfugié, ils rempliraient néanmoins les conditions requises pour pouvoir prétendre au statut conféré par la protection subsidiaire. En effet, le placement en détention de façon arbitraire serait à qualifier de traitement inhumain ou dégradant. Ils devraient, par ailleurs, bénéficier de la présomption prévue par l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006.
Ils estiment que, même si les menaces ne devaient pas se réaliser, le fait de devoir vivre dans la crainte constituerait, à lui seul, un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».
Le délégué du gouvernement fait valoir pour sa part que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et conclut au rejet du recours.
Quant au bien-fondé de la décision déférée, aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-
ci, pour autant qu’ils soient déposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. » (3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière.» Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
En l’espèce, l’examen des faits et motifs invoqués par les demandeurs à l’appui de leurs demandes en obtention d’une protection internationale dans le cadre de leurs auditions respectives, ainsi qu’au cours de la procédure contentieuse et des pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure qu’ils ne remplissent pas les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale.
En effet, en substance, les demandeurs font état d’un interrogatoire policier de trois heures dont Monsieur … a fait l’objet suite à la découverte, par lui, d’une bombe dans la maisonnette de son jardin, ainsi que des soupçons exprimés par les policiers de Gnjilane quant à une éventuelle infraction de possession illégale de bombe commise par Monsieur …, ainsi que de l’ouverture subséquente d’une investigation à l’encontre de ce dernier.
Cependant, le tribunal constate qu’il ne ressort ni des déclarations des demandeurs faites devant l’agent du ministère des Affaires étrangères et européennes ni des pièces soumises par eux au tribunal à l’appui de leurs demandes, que les agissements des agents de police de Gnjilane à l’encontre de Monsieur … rentrent dans le champ d’application de la Convention de Genève pour être motivés par un des critères de persécution y énumérés et, notamment, par l’appartenance des demandeurs à la minorité serbe, partant par des considérations raciales.
Les demandeurs ne font, en effet, état d’aucun propos raciste de la part des policiers à leur égard ayant pu provoquer l’impression, dans leur chef, que l’interrogatoire dont Monsieur … a fait l’objet, ainsi que les soupçons exprimés par les policiers à son égard concernant la possession illégale d’un bombe auraient été motivés par leur appartenance à la minorité serbe et auraient constitué un traitement discriminatoire par rapport à des Kosovares d’ethnie albanaise qui se seraient trouvés dans la même situation.
Ce constat est encore renforcé par le fait que les demandeurs déclarent eux-mêmes avoir de bonnes relations avec leurs voisins albanais et, de façon générale, n’avoir jamais rencontré le moindre problème avec les habitants albanais de leur village.
Force est dès lors de retenir que les agissements dont les demandeurs font état dans le cadre de leurs demandes de protection internationale consistent dans des actes de procédure policières normaux et dont il ne ressort d’aucun élément soumis au tribunal que ces actes trouvent leur origine dans l’un des motifs de persécution énoncés par la Convention de Genève et repris à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, et notamment leur appartenance à un certain groupe social, en l’occurrence la minorité ethnique serbe.
Cette conclusion n’est pas énervée par les affirmations des demandeurs selon lesquelles la police kosovare connaîtrait des problèmes de corruption et se composerait majoritairement d’Albanais, étant donné que les demandeurs ne démontrent pas en quoi ces problèmes leur auraient personnellement et concrètement causé un grief.
C’est partant à juste titre que le ministre, au terme de l’analyse de la situation personnelle des demandeurs, a déclaré leurs demandes de protection internationale comme étant non fondées.
Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par les demandeurs, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que les demandeurs avancent, du risque réel de subir des atteintes graves qu’ils encourent en cas de retour dans leur pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de leur demande de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leur demande de reconnaissance du statut de réfugié.
Comme il n’y a pas de conflit armé au Kosovo et que les demandeurs n’allèguent pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans leur pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont ils font état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.
Seul un mauvais traitement revêtant un minimum de gravité est à considérer comme acte de torture ou de traitement inhumains et dégradants.
Force est de constater que les agissements de la police à l’égard des demandeurs, et plus particulièrement à l’égard de Monsieur …, ne sont en rien condamnables et que leurs craintes relatives à un éventuel emprisonnement de Monsieur en raison des soupçons exprimés par les policiers à son égard concernant une éventuelle détention illégale d’une bombe sont purement hypothétiques. En effet, il convient de constater, d’une part, que, suite à l’appel de Monsieur …, la police est intervenue rapidement afin de faire désarmer la bombe par des spécialistes. Elle a encore procédé à une perquisition de la maison d’habitation des demandeurs dans l’unique but, tel que précisé par les demandeurs, de garantir leur sécurité.
Pour ce qui est de l’interrogatoire subséquent de Monsieur …, en tant que propriétaire de la maison où la bombe a été trouvée, le tribunal ne saurait constater aucune irrégularité ni aucun comportement condamnable des policiers en charge du dossier. Au contraire, force est de relever qu’il ressort des déclarations de Monsieur …, que les policiers lui ont immédiatement proposé l’assistance d’un avocat avant le début de l’interrogatoire, lequel s’est déroulé paisiblement. Il déclara encore que les policiers ont tout d’abord fait état de leurs soupçons non pas que lui-même, mais que son grand-père, voire son père auraient caché la bombe dans la maisonnette. Faute pour lui de répondre, ils lui ont expliqué que s’il ne répondait pas à leurs questions, il pourrait être personnellement soupçonné d’avoir possédé illégalement une bombe. Or, le fait d’être soupçonné et de faire, par la suite l’objet d’une investigation, ne laisse en rien conclure que Monsieur … ait été susceptible de faire l’objet d’une garde à vue arbitraire de la part des policiers dans le futur, voire même d’une condamnation à un emprisonnement, d’autant plus que les demandeurs ne font état d’aucun exemple concret où la police kosovare aurait procédé à une telle détention arbitraire dans un cas similaire.
L’affirmation selon laquelle une famille serbe de leur village serait emprisonnée de façon injustifiée est trop vague est imprécise et reste à l’état d’une pure allégation.
Le tribunal est dès lors amené à retenir qu’il n’existe pas d’éléments susceptibles d’établir dans leur chef l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour au Kosovo ils s’exposeraient à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité, et plus particulièrement, des traitements ou des sanctions inhumains ou dégradants. Le risque qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, Monsieur … devrait se soumettre à de nouveaux interrogatoires de la police, voire du procureur d’Etat dans le cadre de l’affaire relative à la bombe trouvée dans son jardin, n’est pas d’une gravité suffisante au regard de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 pour pouvoir être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants. En effet, il ne ressort d’aucun élément du dossier à la disposition du tribunal que Monsieur … risquerait de subir des interrogatoires arbitraires en violation de ses droits de l’homme et accompagnés d’une privation arbitraire de liberté et de maltraitances, alors qu’il ressort, au contraire, de ses déclarations, qu’il a eu droit à un avocat dès le début de son interrogatoire du 21 mars 2014 par la police de Gnjilane et que cet interrogatoire s’est déroulé sans le moindre indicent.
Il s’ensuit, en l’absence d’autres éléments, que c’est à juste titre que le ministre a retenu que les demandeurs n’ont pas fait état de motifs sérieux et avérés permettant de croire qu’ils courraient le risque de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 et qu’il leur a partant refusé l’octroi d’une protection subsidiaire au sens de l’article 2 f) de ladite loi.
Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a déclaré la demande de protection internationale sous analyse comme non justifiée, de sorte que le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 22 juillet 2014 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19 (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être introduit, lequel recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Les demandeurs soutiennent en premier lieu que si la décision de refus d’octroi d’une protection internationale encourrait la réformation, l’ordre de quitter le territoire devrait également être annulé.
Aux termes de l’article 19 (1) de la loi du 5 mai 2006, une décision négative du ministre vaut décision de retour, laquelle est définie par l’article 2. o) de la même loi comme étant la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire. L’ordre de quitter le territoire y prononcé comporte l’indication du délai pour quitter le territoire, ainsi que le pays à destination duquel le demandeur sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
Il se dégage des conclusions ci-avant retenues par le tribunal que le ministre a refusé à bon droit d’accorder aux demandeurs un statut de protection internationale, de sorte qu’il a également pu valablement émettre un ordre de quitter le territoire à leur encontre.
En outre, les demandeurs font exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait de manière autonome l’article 129 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi que l’article 3 CEDH. Ils citent à l’appui de leur moyen une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme aux termes de laquelle l’éloignement serait proscrit dès lors qu’il existerait un risque de subir un traitement inhumain ou dégradant résultant de facteurs objectifs indépendants des autorités ou du droit interne de l’Etat d’origine même sans intention discriminatoire.
Il convient de rappeler que si l’article 3 CEDH, auquel renvoie l’article 129 précité, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une crainte justifiée d’atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 22 juillet 2014 portant refus d’une protection internationale ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique de vacation du 22 juillet 2015 par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.07.2015 Le greffier du tribunal administratif 14