Tribunal administratif N° 35004 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 1er août 2014 3e chambre Audience publique de vacation du 22 juillet 2015 Recours formé par Monsieur … et consorts, … contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’asile, en matière de protection internationale (art. 19, L.5.5.2006)
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 35004 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2014 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … (Turquie), et de son épouse, Madame …, née le … (Turquie), agissant en leur nom personnel et au nom et pour le compte de leurs enfants mineurs …, tous de nationalité turque, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant, d’une part, à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 juillet 2014, portant rejet de leur demande de protection internationale, et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte ;
Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 25 mars 2015 ;
Vu l’avis du tribunal administratif du 25 mars 2015 invitant les parties à verser des pièces supplémentaires relatives à l’octroi, par le Luxembourg et l’Allemagne, d’une protection internationale à des membres de la famille proche de Monsieur et de Madame … et autorisant des mémoires supplémentaires par rapport à de telles pièces ;
Vu les pièces supplémentaires versées en cause ;
Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juin 2015, par Maître Ardavan Fatholahzadeh, au nom de Monsieur … et consorts ;
Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juin 2015 ;
Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 8 juillet 2015.
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En date du 2 avril 2008, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.
Quant à Madame …, épouse de Monsieur …, et leurs enfants mineurs, . …, ci-après désignés par « les consorts … », il ressort des pièces du dossier qu’après avoir introduit une demande de protection internationale en Slovaquie en 2011 et suite à un accord de prise en charge émis par les autorités luxembourgeoises conformément à l’article 15 du Règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, dit « règlement Dublin III, ils furent transférés en date du 9 juin 2011 de la Slovaquie vers le Luxembourg.
En date du 10 juin 2011, Madame …, agissant en son nom personnel ainsi qu’au nom et pour le compte de ses enfants mineurs, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, désignée ci-après par « la loi du 5 mai 2006 ».
Monsieur … fut entendu les 21 novembre et 11 décembre 2013, ainsi que les 16 janvier et 20 et 27 février 2014, tandis que Madame … fut entendue en date des 26 août et 25 octobre 2013 par un agent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, respectivement par un agent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’immigration, sur leur situation et sur les motifs se trouvant à la base de leurs demandes de protection internationale.
A l’occasion de ses auditions, Monsieur … déclara être originaire de Turquie et appartenir à l’ethnie kurde. Il précisa avoir quitté son pays d’origine en raison de problèmes qu’il aurait rencontrés en raison de son appartenance à l’ethnie kurde et de ses opinions politiques.
Ainsi, il déclara appartenir à une famille engagée pour la cause kurde depuis 1983, en ce sens que trois de ses frères, les dénommés . …, auraient activement lutté comme membres du Parti des travailleurs du Kurdistan, ci-après désigné par « le PKK », contre les militaires turcs et qu’ils auraient tous les trois trouvés la mort comme martyrs en 1983, en 1990, respectivement en 1994. Il précisa encore que toute sa famille aurait soutenu les militants du PKK en les cachant dans leur maison lorsqu’ils auraient été de passage dans son village et en les approvisionnant de vêtements, de nourriture et de médicaments. De manière générale, son village d’origine aurait été sous la pression militaire puisqu’un commissariat militaire se serait trouvé à proximité.
Monsieur … relata que, dès 1990, il aurait aidé le PKK en sensibilisant les jeunes à rejoindre le PKK et qu’une fois, après avoir escorté un groupe de jeunes dans les montagnes pour rejoindre les combattants du PKK, il aurait été convoqué au commissariat militaire de …, où il aurait été frappé violemment, au point d’avoir perdu connaissance trois à quatre fois. A cette époque, les militaires auraient également régulièrement fouillé les maisons de son village natal à la recherche de combattants kurdes cachés ou de signes faisant présumer un soutien du PKK, auraient brûlé toute la nourriture des villageois et les auraient torturés en cas de soutien du PKK. En 1992, il se serait fait arrêter par des militaires, qui l’auraient emmené au commissariat, l’auraient frappé jusqu’à l’inconscience et l’auraient obligé à se présenter chaque jour au commissariat pendant un à deux mois pour signer un papier. Il précisa qu’à chaque fois qu’il se serait présenté au commissariat pour signer le papier, les militaires lui auraient posé des questions sur les « havals », les militants du PKK dans les montagnes.
Il précisa encore qu’à cette époque, son frère … se serait fait arrêter par les militaires, qu’il aurait subi un grand nombre de gardes à vue et qu’au total, il aurait été incarcéré pendant cinq à six ans. Il rajouta que, pendant le séjour de son frère dans la prison de Diyarbakir, les militaires lui auraient arraché toutes ces dents avec une pince. Après la libération de ce dernier en 1993, il serait parti dans les montagnes pour rejoindre le PKK et dix ou onze mois plus tard il serait tombé en martyr.
Monsieur … raconta que, pendant toute cette période, c’est-à-dire depuis la première incarcération de son frère … et jusqu’à la mort de celui-ci, il aurait été emmené au moins une dizaine de fois au commissariat, où il aurait été frappé et questionné sur … et les autres « guérillos ». Après la mort d’…, le commandant du commissariat militaire, accompagné de soldats, seraient venus fouiller sa maison parentale. Le commandant lui aurait donné une pioche et lui aurait ordonné de creuser le sol, ce qui aurait cependant été impossible, vu que le sol aurait été en béton. Le commandant l’aurait alors violemment frappé et lui aurait ordonné de sauter dans le puits devant la maison, dans lequel le commandant aurait eu l’intention de jeter une grenade pour le tuer. Son père aurait réussi au dernier moment à le faire sortir du puits avant que la grenade ne soit explosée.
Monsieur … indiqua que, trois mois après cet incident, le même commandant et quelques soldats seraient venus le voir lorsqu’il aurait gardé ses moutons à l’extérieur du village. Après avoir tué un de ses chiens, le commandant lui aurait dit qu’il le rendrait handicapé et l’auraient frappé jusqu’à ce qu’il n’aurait plus pu bouger.
Il déclara encore qu’après avoir fait son service militaire entre 1994 et 1996, lui-même et son épouse auraient de nouveau subi de nombreuses gardes à vue arbitraires entre 1996 et 1998, précisant que, si son épouse, qui parlerait le turc, aurait surtout servi comme interprète, elle aurait cependant aussi subi des interrogatoires et des attouchements de la part des militaires.
En 1998, il aurait quitté la Turquie, ensemble avec son épouse et son premier fils, …, pour l’Allemagne, où ils auraient demandé la protection internationale. Cette demande leur aurait cependant été refusée et ils auraient été obligés de retourner en Turquie le 24 septembre 2005.
Il déclara qu’après son retour en Turquie, il aurait eu de l’espoir que la situation des Kurdes allait s’améliorer suite à un cessez-le-feu conclu entre le PKK et le président turc Er….
Or, peu de temps après sa réinstallation à …, des policiers de la Direction de sûreté de la lutte contre le terrorisme, faisant partie du service secret turc, auraient commencé à le convoquer au commissariat. Ainsi, il aurait subi six gardes à vue arbitraires entre 2006 et 2008, dont deux à …, trois à … et une à Istanbul.
Il précisa, que le but de ces gardes à vue aurait toujours été le même, à savoir d’obtenir des informations de sa part sur le PKK et sur des gens le soutenant, en essayant de le convaincre de travailler pour eux et de devenir un gardien de village, censé dénoncer des Kurdes liés au PKK au service secret. Suite à son refus d’accepter une telle mission, les policiers lui auraient indiqué qu’à défaut de devenir leur informateur et vu ses liens étroits avec des combattants du PKK morts en tant que martyrs, à savoir ses trois frères, il ne pourrait pas vivre en Turquie.
Il expliqua qu’en 2006, suite à la mort de trois « havals », il aurait été convoqué par la section antiterroriste et aurait été questionné sur ces personnes. Après avoir nié les connaître, les policiers l’auraient insulté et menacé de s’en prendre à son épouse1 et qu’un jour il serait tué comme ses trois frères2.
Monsieur … raconta encore qu’en 2007, il aurait déménagé à Istanbul où un ami lui aurait trouvé du travail et que, trois semaines après son arrivée, il aurait participé paisiblement aux festivités du … à …, qui se seraient terminées par une intervention policière à l’aide de gaz lacrymogène. Il estima avoir été identifié par des caméras de la police lors de ces festivités, voire même avoir été dénoncé par des informateurs travaillant pour l’Etat, puisqu’une semaine après cette fête, la police, accompagnée de gendarmes, aurait fait une descente dans les dortoirs de la société pour laquelle il aurait travaillé et dix personnes, dont lui-même, auraient été arrêtées et emmenées au commissariat de la gendarmerie de Tuzla. Le commandant l’aurait accusé d’avoir organisé cette fête et d’y avoir emmené des jeunes, ce qu’il aurait nié. Selon lui, les policiers auraient eu des soupçons à son égard, puisqu’il y aurait des martyrs dans sa famille et puisqu’il aurait déjà participé auparavant à de telles festivités, ainsi qu’à d’autres actions kurdes. Devant sa résistance, les policiers auraient commencé à l’insulter et à le frapper, le blessant au nez. Le soir même il aurait été relâché.
Il relata que, suite à cet incident, il serait retourné à … et que, de là, il aurait régulièrement rendu visite à son père à …. Lors de ses visites, les militaires l’auraient emmené à deux reprises au commissariat militaire de … pour lui proposer de travailler pour eux et de leur montrer les chemins empruntés par les « havals ». Il aurait encore été convoqué une troisième fois lors de son séjour à … pour la semaine des condoléances de son père, décédé en octobre 2007, mais cette fois-ci par la direction de sûreté. A cette occasion, il aurait été questionné sur la présence d’un groupe de militants du PKK dans la région, au sujet duquel il aurait déclaré ne rien savoir. Il précisa cependant lors de ses auditions devant l’agent du ministère, qu’à ce moment-là, il aurait commencé à approvisionner les militants en médicaments et que les autorités auraient eu des soupçons à son égard concernant ses activités pour le PKK, mais qu’elles n’en auraient eu aucune preuve.
Monsieur … expliqua qu’à cette époque, les autorités auraient commencé à massivement arrêter de personnes soupçonnées d’être de près ou de loin impliquées dans l’Union des communautés du Kurdistan, appelé le « KCK », qui serait une branche du PKK composée de civils, comme lui-même, fournissant de la logistique au PKK, et qu’il aurait eu peur de se faire également arrêter tôt ou tard. Il aurait alors pris la décision de quitter la Turquie le plus rapidement possible. Après son arrivée au Luxembourg il aurait contacté un 1 Rapport d’entretien sur la demande de protection international de Monsieur …, p. 8/37.
2 Ibidem.
ami, un dénommé …, de qui il aurait appris que certains de ses amis auraient effectivement été arrêtés, dont notamment le dénommé … lui-même, qui aurait cependant été libéré peu de temps après, ainsi qu’un dénommé …, qui aurait été condamné à quinze ans de prison et serait toujours incarcéré.
Il donna encore à considérer qu’après son départ, les autorités auraient demandé au dénommé … où il se trouverait et qu’ils auraient également fait une descente chez lui à la maison et auraient questionné son épouse sur son lieu de séjour.
Monsieur … précisa que, même s’il n’était pas membre actif du PKK, il l’aurait toujours soutenu et qu’il sympathiserait avec la cause kurde et avec les Kurdes combattant dans la montagne pour ses droits. En cas de retour dans son pays d’origine, il aurait peur que la guerre entre les Kurdes et les Turcs éclaterait à nouveau et qu’il serait obligé de choisir son côté.
Quant à la possibilité d’une fuite interne, il indiqua qu’il n’y en aurait pas eu, étant donné que la situation des Kurdes serait partout pareille et qu’il aurait été arrêté tôt ou tard par les autorités, comme cela aurait été le cas pour certaines de ses connaissances, dont l’une, un dénommé …, aurait même été tué.
Lors de son audition, Madame …, indiquant être également de nationalité turque et d’ethnie kurde, confirma les dires de son époux. Elle précisa qu’elle aurait subi des pressions en Turquie pour avoir participé à des manifestations pro-kurdes. Elle indiqua encore que, du fait que trois des frères de son époux seraient morts en martyrs et que les policiers et les militaires de son village d’origine auraient soupçonné sa famille de loger et de nourrir des militants kurdes, elle aurait fait l’objet de descentes journalières dans sa maison par des policiers et des militaires, qui l’auraient frappée, ainsi que les membres de sa famille, et qui auraient saccagé leurs affaires. A ce sujet, elle déclara encore avoir été emmenée de nombreuses fois au commissariat, où elle aurait été retenue toute la journée. Lors de ces gardes à vue, elle aurait subi des agressions physiques sous forme de coups de pied, des humiliations, des attouchements et des menaces de viol de la part des militaires, qui lui auraient reproché de soutenir les militants kurdes. Elle aurait été obligée de nier ces reproches pour éviter d’être frappée d’avantage.
Madame … précisa que ces pressions et ses convocations au commissariat auraient commencé bien avant leur départ en Allemagne en 1998 et auraient continué après leur retour en Turquie en 2005. Même après le départ de son époux en 2008, elle aurait continué à subir des gardes à vue au commissariat, même si elle aurait toujours été relâchée le jour-même. La dernière descente dans sa maison aurait eu lieu avant son départ de la Turquie. Les militaires l’auraient interrogé sur le lieu de séjour de son époux et ils auraient fouillé la maison.
Elle relata encore avoir participé à des actions à l’occasion des enterrements de martyrs, à des marches pour le leadeur kurde, Abdullah Öcalan, ainsi qu’à des festivités pour le …, activités qui, même si elles furent autorisées, auraient toujours été surveillées par la police pour empêcher les gens de se promener avec des drapeaux et des posters du dénommé Öcalan. Lors d’une de ces manifestations, la police serait intervenue avec des chars blindés et auraient dispersé les manifestants à l’aide de jets d’eau de gaz lacrymogène.
Elle donna à considérer qu’elle et son époux ne se seraient jamais adressés à une instance supérieure en Turquie pour signaler les maltraitances qu’ils auraient subies de la part des militaires, puisque les autorités turques auraient été les auteurs de ces maltraitances. Elle déclara qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle craindrait pour la vie de son époux et pour celle de leurs enfants, puisqu’ils n’auraient aucune garantie pour leur vie en Turquie.
Quant à la possibilité d’une fuite interne, elle indiqua que la situation serait partout pareille et qu’elle-même et sa famille pourraient être retrouvés partout en Turquie. Ainsi, son époux aurait, à un moment donné, essayé de s’installer à Istanbul, mais il y aurait également rencontré des problèmes, ce qui s’expliquerait par le fait que le nom de famille des personnes, qui auraient des martyrs dans leur famille, tel que ce serait le cas chez eux, serait fiché par les autorités turques.
Finalement, Madame … fit encore état d’une certaine souplesse, dont les autorités turques feraient actuellement preuve, au niveau de l’emploi de la langue kurde.
Par décision du 2 juillet 2014, notifiée aux consorts … par lettre recommandée expédiée le 3 juillet 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé « le ministre », les informa que leurs demandes de protection internationale avaient été rejetées comme non fondées, tout en leur enjoignant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.
Le ministre estima que si les faits invoqués pourraient a priori rentrer dans le champ d’application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-
après dénommée « la Convention de Genève », le vécu des consorts … ne permettrait cependant pas de retenir dans leur chef l’existence d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi modifiée du 5 mai 2006. Ainsi, les actes invoqués, à savoir des gardes à vue, des perquisitions et des agressions, ne pourraient pas être qualifiées comme des actes de persécutions.
Il fit encore valoir que les événements s’étant produits dans les années 1980 et 1990, et notamment la mort des trois frères de Monsieur …, ainsi que les descentes des militaires dans la maison des consorts …, les perquisitions et les gardes à vue qu’ils auraient subies, seraient trop éloignés dans le temps pour fonder encore actuellement les demandes de protection internationale déposées en 2008, respectivement en 2011.
Le ministre souligna encore que des gardes à vue et des perquisitions, même régulières, basées sur des accusations concrètes et confirmées par les dires des consorts …, à savoir leur soutien actif du PKK en vivres et en nourriture, ne sauraient être considérées comme acte de persécution, dès lors que le PKK serait classé comme une organisation terroriste tant par la Turquie que par l’Union européenne, de sorte qu’il aurait été tout à fait légitime de procéder à des perquisitions dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
Quant aux gardes à vue que les consorts … auraient subies après leur retour en Turquie en 2005, le ministre donna à considérer que, si ces faits étaient certes condamnables, ils ne les auraient cependant jamais dénoncés auprès des autorités compétentes, notamment auprès du bureau du procureur, en citant à cet égard un rapport du Imigration and Refugee Board of Canada de juin 2012, ainsi qu’un rapport du US Department of State sur la Turquie de 2012.
Le ministre souligna encore qu’il ne serait pas exclu que la marche kurde, à laquelle Madame … aurait participé en 2011, n’aurait pas été autorisée, de sorte qu’il ne serait pas établi que la police n’avait pas été en droit de disperser une manifestation non autorisée. Il en serait de même pour les festivités et actions, auxquels Monsieur … aurait participé et lors desquels il aurait eu peur d’être filmé par les caméras de la police.
Le ministre prit ensuite position sur la situation générale de la population kurde en Turquie, en faisant en substance valoir que s’il était vrai que cette minorité avait fait l’objet de persécutions par le passé, sa situation aurait nettement évoluée, puisque le gouvernement turque aurait commencé à entreprendre en 2012 des mesures visant à améliorer la situation et leur intégration au sein de la société turque, notamment en légalisant l’enseignement de la langue kurde dans les écoles privées et en institutionnalisant son usage. A cet égard, le ministre se référa à un rapport de la Commission européenne d’octobre 2013, à un rapport du UK Home Office de mai 2013 et à des publications de différents médias.
Le ministre cita encore un rapport du Conseil de l’Europe de novembre 2013 faisant état de la création d’un Ombudsman en Turquie en juin 2012, auquel les consorts …-… auraient pu s’adresser concernant leur traitement discriminatoire par les autorités turques.
Pour le surplus, le ministre souligna que les motifs avancés par les consorts … dans le cadre de leurs demandes de protection internationale ne rentreraient pas dans un des critères prévus par la Convention de Genève, étant donné qu’une personne vraiment persécutée n’aurait pas volontairement retiré sa demande de protection internationale pour partir clandestinement en Allemagne, comme l’aurait cependant fait Monsieur …. Il considéra encore que, contrairement à ce qu’aurait fait Madame …, une personne vraiment persécutée ne serait pas restée trois années de plus dans son pays d’origine avant de rejoindre son époux dans un pays étranger sûr pour y déposer une demande de protection internationale.
Enfin, le ministre ajouta que les consorts … n’auraient présenté aucune raison valable pour justifier leur impossibilité de s’installer dans une autre partie de la Turquie afin d’échapper aux difficultés rencontrées.
En outre, le récit des consorts … ne contiendrait pas de motif sérieux et avéré permettant de croire qu’ils courraient un risque réel de subir des atteintes graves défini à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006 en cas de retour dans leur pays d’origine.
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er août 2014, les consorts … ont fait introduire un recours tendant, d’une part, à la réformation de la décision du ministre du 2 juillet 2014 portant refus de leurs demandes de protection internationale et, d’autre part, à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire inscrit dans le même acte.
A titre liminaire, le tribunal est amené à analyser le moyen d’inadmissibilité du mémoire supplémentaire déposé le 1er juin 2015 au greffe du tribunal administratif par Maître Fatholahzadeh, tel que soulevé par le délégué du gouvernement, au motif que ledit mémoire aurait été déposé au greffe du tribunal administratif en dehors du délai fixé sous peine de déchéance par l’avis du tribunal administratif du 25 mars 2015.
La Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972 et introduite dans le droit luxembourgeois par une loi du 30 mai 1984, applicable à la computation des délais en matière administrative en vertu de son article premier3, dispose en 3 Article 1er de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972 : « La présente Convention s’applique à la computation des délais en matière civile, commerciale et administrative, y son article 5 : « Il est tenu compte des samedis, dimanches et fêtes légales dans la computation d’un délai. Toutefois, lorsque le dies ad quem d’un délai avant l’expiration duquel un acte doit être accompli est un samedi, un dimanche ou un jour férié légal ou considéré comme tel, le délai est prolongé de façon à englober le premier jour ouvrable qui suit ».
En l’espèce, le mémoire supplémentaire a été déposé par Maître Fatholahzadeh au greffe du tribunal administratif en date du 1er juin 2015, alors que le dernier jour du délai lui accordé par l’avis du tribunal administratif précité avait été le 31 mai 2015. Toutefois, le 31 mai 2015 ayant été un dimanche, le délai pour déposer le mémoire en réplique a été prolongé jusqu’au premier jour ouvrable qui suit, soit le lundi 1er juin 2015. Partant, le mémoire supplémentaire déposé le 1er juin 2015 par Maître Fatholahzadeh a été déposé dans le délai imparti et est partant admissible. Le moyen afférent soulevé par le délégué du gouvernement est à rejeter pour ne pas être fondé.
1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 2 juillet 2014 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en réformation en matière de décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation. Ledit recours en réformation est par ailleurs recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs renvoient aux faits et rétroactes de leurs demandes en obtention d’une protection internationale tels que retranscrits dans les rapports d’entretien auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères.
En droit, ils affirment que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir la réformation pour violation de la loi, respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits. Dans cet ordre d’idées, ils soulignent que ce serait à tort que le ministre aurait retenu que leurs demandes ne seraient pas fondées sur un des motifs mentionnés à l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève, étant donné que leurs droits, tels qu’ils seraient énumérés tant dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1984, que dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques entré en vigueur le 23 mars 1976, auraient été violés, alors même que le Pacte international relatif aux droits civils et politiques dans son article 4 interdirait toute dérogation y relative même en cas de troubles à la sécurité publique. Ils estiment dès lors que les faits dont ils auraient fait état justifieraient dans leur chef une crainte fondée de persécution en raison de leur appartenance à un groupe social vulnérable, respectivement en raison de leurs opinions politiques, ainsi que de leur appartenance ethnique.
Ainsi, en rappelant qu’ils auraient toujours vécu en Turquie, à l’exception de la période de 1998 à 2005 passée en Allemagne, ils indiquent qu’ils auraient subi de graves persécutions depuis leur enfance du fait de la présence constante de l’armée turque, des fouilles, des mises en garde à vue, de la violence et des agressions en raison des activités propres du demandeur, mais surtout en raison des activités de toute la famille … en relation avec le PKK, et plus particulièrement de ses trois frères, morts comme martyrs.
compris la procédure relative à ces matières, lorsque ces délais sont fixés : (a) par la loi ou par une autorité judiciaire ou administrative […] ».
Ils prétendent encore risquer de subir de graves persécutions dans leur pays d’origine en cas de retour du fait de leurs origines kurdes et du fait qu’ils auraient été victimes de discriminations, de persécutions, de menaces, d’agressions physique et morale et de traitements humiliants et dégradants par les autorités turques ou par la population turque en raison des activités politiques de la famille …, qui aurait été assimilée à des terroristes.
Il ressortirait du dossier administratif que les demandeurs auraient quitté la Turquie pour des raisons de crainte permanente de persécution de la part des autorités du pays, rendant leur vie intolérable dans ledit pays.
A cet effet, les demandeurs résument en détail les différents problèmes qu’ils auraient rencontrés en Turquie jusqu’à leurs départs en 2008, respectivement en 2011, tels qu’ils ressortent de leurs rapports d’entretien respectifs auprès de l’agent compétent du ministère des Affaires étrangères.
Quant à la situation générale de la minorité kurde dans leur pays d’origine, les demandeurs contestent une nette amélioration de celle-ci, malgré les articles de presse et les rapports internationaux cités à ce sujet par la partie étatique.
Quant à l’affirmation par le ministre que la situation de la population kurde se serait nettement améliorée en Turquie depuis leur départ en 2008, respectivement en 2011, les demandeurs estiment, sources internationales à l’appui4,5,6,7,8,9,10, qu’au vu des multiples revendications figurant dans le programme du parti pour la paix et la démocratie, ci-après désigné par « le BDP »11, il serait évident que les efforts engagés et les mesures prises par le gouvernement turc et mis en avant par le ministre n’auraient pas apporté une nette amélioration de la situation de la minorité kurde, qui risquerait toujours la censure, des harcèlements, ainsi que des poursuites judiciaires dès qu’ils s’engageraient publiquement pour la cause kurde. La lutte étatique contre le PKK s’acharnerait contre toute personne sympathisant avec ce groupement armé, voire même simplement soupçonné d’avoir des liens de quelque nature que ce soit avec cette organisation.
A ce sujet, les demandeurs se réfèrent encore, dans leur mémoire supplémentaire, à deux articles de presse publiés en décembre 201412, respectivement en janvier 201513, selon lesquels le processus de paix, entamé en 2012 entre le gouvernement turc et le PKK, n’aurait pas encore abouti à des résultats significatifs, mais ferait surtout fonction de coup politique stratégique du gouvernement turc. La fragilité de ce processus de paix aurait, en effet, été soulignée par la mort d’un garçon de quatorze ans, abattu lors d’affrontements entre la police turque et des manifestants début janvier 2015.
4 UK Border Agency, Operational Guidance Note Turkey, mai 2013.
5 Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Direction des recherches, Turquie :
information sur la situation des Kurdes dans les villes de l’Ouest comme Ankara, Istanbul, Izmir, Konya et Mersin ; la réinstallation dans ces villes (2009-mai 2012).
6 www.rojbas.org, Turquie : un nouveau journaliste kurde emprisonné, 2 septembre 2013.
7 www.lemonde.fr, Coup d’arrêt du PKK sur son retrait de Turquie, 9 septembre 2013.
8 www.rfi.fr, Le PKK annonce l’interruption du retrait de ses combattants de Turquie, 9 septembre 2013.
9 www.actukurde.fr, Le PKK suspend le retrait de ses combattants, 9 septembre 2013.
10 Library of the European Parliament, La situation des Kurdes en Turquie s’est-elle améliorée ?, 31 janvier 2013.
11 Parti pour la Paix et la Démocratie, www.wikiped https://fr.wikipedia.org/wiki/Parti_pour_la_paix_et_la_d%C3%A9mocratie ia.org.
12 www.lemonde.fr, Cemil Bayik : L’AKP, parti du président turc, reste notre ennemi, 24 décembre 2014.
13 www.lemonde.fr, Turquie : un adolescent tué dans des heurts dans la ville kurde de Cizre, 7 janvier 2015.
Les demandeurs mettent ensuite en exergue qu’ils auraient, à plusieurs reprises, été victimes de persécutions, de discriminations, de harcèlements et d’agressions physiques et morales de la part des autorités militaires et policière. En ce qui concerne plus particulièrement l’attitude affichée par les policiers turcs lors d’interrogatoires, les demandeurs renvoient à un rapport de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada du 8 juin 201214 qui dépeindrait la violence policière, notamment lors d’arrestations et d’interrogatoires. Les demandeurs soulignent encore que les craintes dont ils se prévalent répondraient en tout état de cause aux exigences de gravité de l’article 31, paragraphe (1), points a) et b) de la loi du 5 mai 2006 puisque les violences qu’ils auraient subies de la part des autorités turques seraient suffisamment graves de par leur nature et de par leur caractère répété pour constituer une atteinte grave à leurs droits fondamentaux.
Quant aux agents de persécution et quant à la protection des autorités nationales, le s demandeurs font valoir que les actes invoqués proviendraient d’agents de police, de sorte que, par définition, dans de telles situations, toute protection nationale serait impossible. A cet égard, les demandeurs se basent sur le rapport précité de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada15, en vertu duquel, « Plusieurs sources signalent que les plaintes de torture et de mauvais traitements infligés par des agents d’applications de la loi ne sont pas instruites comme il se doit. […] ».
Les demandeurs renvoient encore à un communiqué de presse du Parlement européen16, ainsi qu’à un article de presse17, selon lesquels les droits et libertés fondamentaux ne seraient pas respectés en Turquie, mais, au contraire, seraient de plus en plus restreints par le biais de décisions gouvernementales et de nouvelles lois adoptées par le parlement turc sur initiative du Premier ministre Recep Tayip Erdogan.
Ils soutiennent, par ailleurs, qu’ils auraient subi des violences morales et physiques du fait que leurs agresseurs, respectivement les autorités de leur pays d’origine les assimileraient directement ou indirectement aux membres du PKK, de sorte que les dispositions de l’article 31, paragraphe (2), point a) de la loi du 5 mai 200 seraient remplies.
Quant à la notion d’opinions politiques, motif sur lequel une demande de protection internationale peut être fondée, les demandeurs se réfèrent à deux décisions de la commission permanente de recours des réfugiés, selon lesquelles une simple abstention, et non l’action positive dans le champ politique, pourrait être retenue comme opinion politique neutre dans le cadre d’une persécution fondée sur un des motifs mentionnés à l’article 1er, section A, § 2 de la Convention de Genève. Tel serait leur cas, puisqu’ils seraient persécutés du simple fait de leur appartenance à l’ethnie kurde, du fait des activités du demandeur et de toute la famille … au sein du PKK, ainsi que du fait de la mort de trois des frères du demandeur comme martyrs.
Ils donnent encore à considérer que les mesures de police auraient été mises en œuvre de manière discriminatoire, alors que les interpellations et les interrogatoires à leur égard 14 Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Direction des recherches, Turquie :
information sur le traitement des personnes détenues par la police ; les recours dont disposent les détenus pour porter plainte contre la police et leur efficacité, 8 juin 2012.
15 Ibidem.
16 Parlement européen, communiqué de presse, Turquie : un engagement crédible et une base démocratique solide sont nécessaires, 12 mars 2014.
17 www.rojbas.org, Une Turquie de plus en plus divisée, 13 mars 2014.
n’auraient pas été justifiées, de sorte que ces actes de persécutions prendraient la forme prévue au point b) de l’article 31, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006.
En guise de conclusion, les demandeurs soutiennent qu’en cas de retour en Turquie, ils risqueraient de subir des persécutions qui rendraient leur vie intolérable.
A titre subsidiaire, ils estiment, sur base des mêmes faits, pouvoir bénéficier du statut de la protection subsidiaire et notamment du fait qu’ils courraient un risque, en cas de retour en Turquie, de faire l’objet d’actes de harcèlement, de discrimination ou de traitements inhumains au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et il conclut au rejet du recours.
Quant au bien-fondé de la demande en obtention du statut de réfugié, aux termes de l’article 2 a) de la loi du 5 mai 2006, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.
La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 d) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourne […] ».
Par ailleurs, aux termes de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006 : « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :
a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). » Finalement, aux termes de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :
a) l’Etat ;
b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;
c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et aux termes de l’article 29 de la même loi : «(1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :
a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-
ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.
(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.
(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière. » Il se dégage des articles précités de la loi du 5 mai 2006 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 28 de la loi du 5 mai 2006 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.
Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.
Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
S’agissant tout d’abord du vécu des demandeurs datant d’avant leur premier départ de la Turquie en 1998, en l’occurrence, en ce qui concerne Monsieur …, les gardes à vue, les maltraitances physiques et psychiques, la tentative de meurtre commise à son égard par le commandant militaire de … et les pressions de diverses natures subies tant par lui, que, en partie, par les autres membres de sa famille pendant son enfance et son adolescence en raison des activités politiques et du sort de trois de ses frères, ainsi que de son propre soutien du PKK, et, concernant Madame …, les gardes à vue, les agressions physiques, les humiliations, les attouchements et les menaces de viol de la part des militaires, actes dont elle est devenue victime à partir de son mariage avec Monsieur …, il convient de retenir que ces faits rentrent a priori dans le champ d’application de la Convention de Genève pour être motivés, d’une part, par l’appartenance des demandeurs à la minorité kurde, partant par des considérations raciales, et, d’autre part, par leur appartenance à une famille plus ciblée, puisque, dans le passé, trois frères du demandeur, les dénommés …, ont combattu pour la cause kurde et ont trouvé la mort à cette occasion en 1983, en 1990, respectivement en 1994, ainsi que par leur soutien, bien que clandestin, du PKK, et par leur participation à diverses manifestations et festivités kurdes, partant par des considérations politiques.
A cet égard, et en ce qui concerne plus particulièrement l’activité politique des demandeurs, il y a lieu de préciser que si ceux-ci ont admis lors de leurs entretiens respectifs auprès de la direction de l’Immigration qu’ils n’ont jamais été membres effectifs du parti PKK, bien qu’ils l’aient soutenu en cachette principalement en approvisionnant les militants en médicaments, en nourriture et en vêtements, ils ont néanmoins ouvertement proclamé leurs convictions politiques en participant notamment aux manifestations et aux marches organisées par ledit parti à l’occasion de la mort d’un de ses combattants ou en protestation contre l’emprisonnement du leadeur du parti, Öcalan. Il résulte encore du rapport d’audition de Monsieur … que les interrogatoires, dont deux à … et trois à …, auxquels il a été soumis par les militaires, ainsi que par la Direction de sûreté, ont eu lieu en raison de son appartenance à une famille kurde dont trois membres, en l’occurrence trois de ses frères, sont morts dans les combats entre le PKK et l’armée turque, et que la garde à vue qu’il a subie à Istanbul a eu lieu suite à sa participation aux festivités du … fin mars 2007. Pour ce qui est de Madame …, force est de constater qu’elle a subi des interrogatoires, des insultes et des descentes dans sa maison en raison de son appartenance, de par son mariage avec Monsieur …, à une famille proche du PKK. Ainsi, et dans la mesure où l’article 32, paragraphe (2) de la loi du 5 mai 2006 prévoit qu’il est indifférent si un demandeur de protection internationale possède effectivement la caractéristique liée à ses opinions politiques, pour autant que cette caractéristique lui soit attribuée par l’acteur de persécution, ce qui au vu des différents interrogatoires des demandeurs et descentes dans leur maison est le cas en l’espèce, le tribunal est amené à conclure que les craintes mises en avant par eux tant en ce qui concerne leur origine ethnique, que leurs opinions politiques trouvent leur fondement dans l’un des critères de l’article 2 d) de la loi du 5 mai 2006.
En ce qui concerne l’affirmation du ministre que les évènements remontant à avant 1998 seraient trop éloignés dans le temps pour être pris en considération dans le cadre de la présente demande de protection internationale, il convient tout d’abord de souligner que le simple écoulement du temps est insuffisant pour amener à cette conclusion.
A ce sujet, force est au tribunal de retenir que, si ces faits sont certes relativement éloignés dans le temps, la gravité de ces évènements, en l’occurrence les nombreuses maltraitances physiques et psychiques subies par les demandeurs et ayant consisté en des coups, des attouchements, des insultes et des menaces, la tentative de meurtre exercée à l’encontre de Monsieur …, les ingérences disproportionnées et répétées dans leur vie privée du fait des nombreuses perquisitions et les grades à vue arbitraires systématiques et régulières leur infligées, et le fait que ces évènements se sont déroulés dans le même contexte, voire dans un contexte fortement similaire à celui des faits se situant juste avant leur deuxième départ de la Turquie en 2008, respectivement en 2011, à savoir dans le contexte de leur appartenance à une famille kurde de martyrs, les rendent cependant pertinents dans le cadre de l’examen de leurs demandes de protection internationale.
Cette conclusion n’est pas énervée par les développements du ministre selon lesquels les perquisitions et les gardes à vue, mêmes régulières, basées sur des accusations concrètes, en l’occurrence le soutien actif, par la famille …, du PKK en vivres et en nourriture, l’hébergement de militants du PKK par cette même famille et les liens étroits de trois frères de Monsieur … avec le PKK, ne sauraient être perçues comme un acte de persécution, au motif que le PKK serait classé comme une organisation terroriste aussi bien par la Turquie que par l’Union européenne. En effet, force est de retenir que même des mesures dirigées par les forces de l’ordre d’un pays contre les membres d’une organisation terroriste doivent être effectuées dans le respect des droits de l’homme et ne doivent pas être disproportionnées par rapport au but recherché, ce qui, en l’espèce, n’a pas été le cas au vu des violences subies par les demandeurs.
Concernant en outre les craintes des demandeurs se situant entre leur retour en Turquie en 2005 et leur départ pour le Luxembourg en 2008, respectivement en 2011, et exprimées par eux en raison, d’une part, de leur appartenance à la minorité kurde, et, d’autre part, de leur appartenance à une famille plus ciblée, puisque, dans le passé, trois frères du demandeur, les dénommés …, ont combattu pour la cause kurde et ont trouvé la mort à cette occasion en 1983, en 1990, respectivement en 1994, ainsi que de leur soutien, bien que clandestin, du PKK, et celles éprouvées par eux en raison de leur participation à diverses manifestations kurdes, ainsi qu’à des festivités du …, ces faits rentrent également dans le champ d’application de la Convention de Genève pour être liés à des considérations raciales et politiques.
Ensuite, si la gravité des faits dont se prévalent les demandeurs n’est pas contestée par la partie étatique, ni dans la décision déférée du ministre, ni dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, le ministre a cependant invoqué qu’une personne vraiment persécutée dans son pays d’origine n’aurait ni, à l’instar de Monsieur …, retiré sa demande de protection internationale, ni n’aurait-elle, à l’instar de Madame …, attendu trois ans dans son pays d’origine avant de rejoindre son époux dans un pays sûr en vue d’y demander la protection internationale.
Or, concernant Monsieur …, il convient de constater qu’il ressort de ses déclarations, d’une part, qu’il n’a pas officiellement retiré sa demande de protection internationale, et, d’autre part, que s’il avoue certes avoir quitté le Luxembourg peu après avoir déposé sa demande de protection internationale pour se rendre en Allemagne, alors même qu’il savait qu’il n’en avait pas le droit, il explique cependant l’avoir fait dans le seul but de gagner assez d’argent pour faire venir son épouse et ses cinq enfants, accompagnés de sa nièce, au Luxembourg.
S’agissant de Madame …, elle confirme les dires de son époux, en rajoutant que, si elle avait dû attendre trois ans avant de pouvoir rejoindre, ensemble avec tous les enfants du couple, son époux au Luxembourg, cette durée aurait correspondu au temps mis par son époux pour rassembler les fonds nécessaires à leur voyage, elle-même n’ayant eu aucune influence sur ce laps de temps plus ou moins long.
Au vu des explications compréhensibles et logiques qui précèdent, il convient de retenir que les points soulevés par le ministre dans sa décision déférée ne sont pas de nature à remettre en cause la qualification de persécution des faits subis.
Pour le surplus, le tribunal constate, de concert avec les deux parties, que les faits invoqués par les demandeurs à la base de leurs demandes de protection internationale sont suffisamment graves pour constituer une atteinte aux droits fondamentaux de l’homme au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006.
En effet, il résulte des déclarations circonstanciées et non contestées des demandeurs qu’entre 2006 et octobre 2007, Monsieur … a fait l’objet de cinq convocations par les forces de l’ordre turques, dont deux à … en 2006 et trois à … entre avril et octobre 2007. Il a en outre fait l’objet d’une garde à vue à Istanbul fin mars 2007.
Quant à la première convocation datant de 2006, il a été invité par les policiers d’… faisant partie de la section antiterroriste du service secret turc à les accompagner au commissariat, où ils lui ont proposé de devenir un de leurs informateurs en échange de l’amnistie. Suite au refus de Monsieur …, les policiers lui ont répondu qu’en tant que frère de trois militants du PKK et à défaut de travailler pour eux, il ne pourrait pas vivre en Turquie.
Pour le surplus, le demandeur n’a fait état d’aucune violence, ni physique, ni verbale, à son égard.
Monsieur … a été convoqué une deuxième fois en 2006 par le service secret, à l’occasion de quoi il a été interrogé sur trois « havals » tués peu de temps avant à… N’ayant obtenu aucune réponse de sa part, les policiers l’ont menacé de violer son épouse et ils ont estimé qu’un jour il serait tué comme ses frères.
Entre avril et octobre 2007, à l’occasion de ses visites chez son père à …, Monsieur … a été invité à deux reprises par des militaires au commissariat militaire du village, où ils lui ont proposé de collaborer avec eux et de leur fournir des informations sur les militants du PKK, ce qu’il a refusé. Il ressort encore de ses déclarations qu’à l’occasion de ces entrevues, les militaires l’ont insulté.
Finalement, en octobre 2007, à l’occasion de la semaine de condoléances pour son père précédemment décédé, il a été convoqué à la Direction de sûreté, où il a été interrogé sur la présence d’un groupe de militants dans la région.
Force est de constater, que l’ensemble de ces convocations, interrogatoires, coups, insultes et menaces subis par Monsieur … sont à qualifier de traitements fortement condamnables de la part des autorités de police ayant un degré de gravité indéniable.
S’agissant ensuite de la garde à vue que Monsieur … a subie à Istanbul et à l’occasion de laquelle il a été arrêté, ensemble avec neuf autres personnes, dans les dortoirs de l’entreprise pour laquelle il a travaillé, et emmené au commissariat de la gendarmerie de Tuzla, où il a été interrogé, insulté et frappé sur le nez avant d’être relâché le jour-même, force est au tribunal de constater qu’il s’agit là d’une privation de liberté se caractérisant par des traitements dégradants et inhumains.
Pour ce qui est de Madame …, il résulte de son rapport d’audition auprès de la direction de l’Immigration qu’elle a également fait l’objet de convocations au commissariat et d’interrogatoires, lors desquelles elle a non seulement été insultée et frappée quelque fois par les militaires, mais a en plus subi des attouchements de la part ceux-ci. A côté de ces mesures condamnables, elle a en outre subi au moins une perquisition, accompagné d’un interrogatoire après le départ de son époux en 2008, ayant eu pour objet de repérer le lieu de séjour de ce dernier.
Au vu de ce qui précède, il y a lieu de retenir que les persécutions de la part des entités étatiques dont les demandeurs font état, à savoir des arrestations arbitraires, des gardes à vue dans des conditions inhumaines et dégradantes pendant lesquelles ils ont non seulement subi des menaces et insultes, mais également des coups de de pied et de poing, ainsi que, s’agissant de Madame …, d’attouchements sexuels, s’analysent en de véritables actes de torture physiques et sont de ce fait suffisamment graves de par leur nature et leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme au sens de l’article 31, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006. Etant donné que ces faits émanent, par ailleurs, de personnes qui sont à qualifier d’acteurs aux termes des articles 28 et 29 de la loi du 5 mai 2006 pour avoir agi au nom et pour le compte de l’Etat turc, il convient de retenir que les demandeurs ont été victimes de persécutions dans leur pays d’origine, de sorte qu’ils bénéficient de la présomption simple établie par l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006, selon laquelle ces persécutions sont présumées se poursuivre en cas de retour dans leur pays d’origine.
Le tribunal relève néanmoins, de concert avec la partie étatique, que ces incidents se sont produits dans un contexte particulier où les affrontements entre la minorité kurde, respectivement les membres du PKK et les forces de l’ordre turques étaient plus aiguës. Ainsi, eu égard au calendrier du déroulement des faits et au contexte actuel de la situation de la minorité kurde en Turquie, illustrée par les explications fournies par la partie étatique s’appuyant sur diverses sources internationales récentes, démontrant une tendance vers l’amélioration de la situation sécuritaire de la minorité kurde, et même s’il est vrai qu’il se dégage des sources citées par les demandeurs que cette situation est loin d’être résolue, il y a néanmoins de bonnes raisons d’admettre que ces incidents ne se reproduisent actuellement pas dans le même contexte, de sorte qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, les demandeurs ne devront pas craindre d’être à nouveau soumis à de tels traitements.
Force est de constater qu’il ressort des sources internationales18,19,20 citées par la partie étatique, que depuis début 2011, moment du départ de Madame … de la Turquie, la situation des Kurdes s’est relativement améliorée et la majorité des revendications figurant sur le programme du BDP21, auquel se réfèrent les demandeurs, ont été réalisées, ou du moins ont été entamées entre temps. Ainsi, en mars 2013, un armistice a été proclamé entre l’Etat turc et 18 Cf. note de bas de page n° 14.
19 U.S. Department op State, Turkey 2012 Human Rights Report, 2013.
20 Council of Europe – Commissioner for Human Rights, Report by Nils Muiznieks, Commissionner for Human Rights of the Council of Europe, following his visit to Turkey from 1 to 5 July 2013, novembre 2013.
21 Cf. note de bas de page n° 11.
le PKK22,23, qui, malgré quelques incidents isolés, est toujours en vigueur. Par ailleurs, suite à la réélection du Premier ministre turc de l’époque, Recep Tayyip Erdogan, le gouvernement turc a, dans le cadre d’une réforme constitutionnelle, ouvert des négociations avec l’opposition et des représentants de la minorité kurde en vue de la reconnaissance de cette minorité, notamment de sa culture et de sa langue, et de l’intégration de ses droits civils et politiques dans la nouvelle constitution.24 Concernant plus particulièrement la langue kurde, elle pourra désormais être enseignée dans les écoles privées.25,26 Les élections d’août 2014 ont, en outre, démontré que la minorité kurde avait dans sa grande majorité voté pour l’ancien Premier ministre Er… après que, sur son impulsion, le parlement turc ait adopté le 10 juillet 2014 un projet de loi visant à relancer le processus de paix avec les rebelles kurdes.27 Il ressort encore d’un arrêt récent de la Cour administrative que « tout récemment, à l’issue des dernières élections législatives, la minorité kurde dispose d’une représentation au Parlement ».28 Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a déclaré non fondées les demandes en obtention du statut de réfugié, dès lors que, à l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, les faits dont ils font état, du fait du contexte particulier dans lequel ils s’inscrivent et de l’évolution positive subséquente de la situation des Kurdes en Turquie, ne permettent pas de justifier une crainte fondée de persécutions pour le futur, permettant dès lors de conclure que la présomption de l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 a été renversée.
Cette conclusion n’est pas énervée par les affirmations des demandeurs qu’après le départ de Monsieur …, en l’occurrence entre avril 2008 et début 2011, les militaires se sont renseignés à plusieurs reprises auprès de son épouse sur son lieu de séjour, ce fait ne constituant pas un indice suffisant pour admettre la probabilité que les persécutions subies par les demandeurs se poursuivront en cas de retour par eux dans leur pays d’origine.29 Quant au volet de la décision litigieuse portant refus dans le chef des demandeurs d’un statut de protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 f) de la loi du 5 mai 2006, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37, l’article 39, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».
22 Commission européenne – Štefan Füle, European Commissioner for Enlargement and Neighbourhood Policy, Enlargement Package 2013, 16 octobre 2013.
23 www.reuters.com, Turkey court frees 45 Kurdish suspects in militant case, 27 mars 2014.
24 UK Home Office, Operational Guidance Note – Turkey, mai 2013.
25 www.lemonde.fr, En Turquie, Er… fait un pas vers les Kurdes, 30 septembre 2013.
26 www.aljazeera.com, Turkey to allow Kurdish lessons in schools, 12 juin 2012.
27 www.zamanfrance.fr/article/kurdes-turquie-sera-er…-10783.html, Pour les Kurdes de Turquie, ce sera Er…, 8 juillet 2014.
28 Cour adm. 7 juillet 2015, n° 35756C du rôle.
29 Ibidem.
L’article 37 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».
Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 37 précité de la loi du 5 mai 2006, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c) précitées de l’article 37, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 28 et 29 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.
Par ailleurs, l’article 2 f), précité, définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 37 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006 établit une présomption simple que les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.
Le tribunal constate qu’à l’appui de leurs demandes de protection subsidiaire, les demandeurs invoquent en substance les mêmes motifs que ceux qui sont à la base de leurs demandes de reconnaissance du statut de réfugié.
Le délégué du gouvernement estime que les demandeurs n’auraient invoqué qu’un sentiment d’insécurité et qu’ils n’auraient nullement démontré qu’ils subiraient, en cas de retour dans leur pays d’origine, des actes contraires à l’article 37 de la loi du 5 mai 2006, les évènements invoqués par eux étant tous trop anciens pour être pris en considération au vu changement de situation en Turquie.
Comme il n’y a pas de conflit armé en Turquie et que les demandeurs n’allèguent pas risquer la peine de mort ou l’exécution dans leur pays d’origine, il y a seulement lieu de vérifier si les traitements dont ils font état peuvent être qualifiés de torture ou de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants au sens de l’article 37 b) de la loi du 5 mai 2006.
Seul un mauvais traitement revêtant un minimum de gravité est à considérer comme acte de torture ou de traitement inhumains et dégradants. Or, au vu des conclusions dégagées ci-avant dans le cadre des demandes de reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les faits et motifs invoqués par les demandeurs ne permettent pas de justifier leur crainte de persécutions futures, le tribunal est amené à conclure qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir dans leur chef l’existence de motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour en Turquie ils s’exposeraient à un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 37 précité, et plus particulièrement, des traitements ou des sanctions inhumains ou dégradants. En effet, les persécutions subies par les demandeurs avant leur départ de la Turquie, notamment en 2011, certes condamnables et d’une gravité indéniable, ne permettent pas, du fait du contexte particulier dans lequel elles s’inscrivent et de l’évolution positive subséquente de la situation kurde en Turquie, de justifier une crainte fondée de persécutions pour le futur, renversant dès lors la présomption de l’article 26, paragraphe (4) de la loi du 5 mai 2006.
Tel que retenu ci-dessus, cette conclusion n’est pas énervée par les affirmations des demandeurs qu’après le départ de Monsieur …, en l’occurrence entre avril 2008 et début 2011, les militaires se sont renseignés à plusieurs reprises auprès de son épouse sur son lieu de séjour, ce fait ne constituant pas un indice suffisant pour admettre la probabilité que les persécutions subies par eux se poursuivront en cas de retour dans leur pays d’origine.30 Il en résulte que c’est à juste titre que le ministre a déclaré non fondées les demandes des demandeurs en obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.
2) Quant au recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle du 2 juillet 2014 portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 19, paragraphe (3) de la loi du 5 mai 2006 prévoit un recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire, une requête sollicitant l’annulation de pareil ordre contenu dans la décision déférée du 2 juillet 2014 a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en annulation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.
Aux termes de l’article 19, paragraphe (1) de la loi du 5 mai 2006, « une décision négative du ministre en matière de protection internationale vaut ordre de quitter le territoire aux termes de la loi du 5 mai 2006.
A cet égard, les demandeurs exposent en substance que dans la mesure où ils auraient fait valoir un risque réel de subir des atteintes graves au sens des articles 37 et 39 paragraphes (1) et (2) de la loi du 5 mai 2006, l’ordre de quitter le territoire serait à annuler.
Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté les demandes de protection internationale des demandeurs, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.
En outre, les demandeurs font exposer que l’ordre de quitter le territoire encourrait l’annulation au motif qu’il violerait de manière autonome l’article 129 de la loi du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ainsi que l’article 3 CEDH. Ils citent à l’appui de leur moyen une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme aux termes de laquelle l’éloignement serait proscrit dès lors qu’il existerait un risque de subir un traitement inhumain ou dégradant résultant de facteurs objectifs indépendants des autorités ou du droit interne de l’Etat d’origine même sans intention discriminatoire.
30 Ibidem.
Il convient de rappeler que si l’article 3 CEDH, auquel renvoie l’article 129 précité, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.
En effet, si une mesure d’éloignement - tel qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.
Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La Cour européenne des droits de l’Homme recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.
Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.
Le tribunal vient, tel que développé ci-dessus, de retenir que les demandeurs n’ont pas fait état d’une crainte justifiée d’atteintes graves telles que définies à l'article 37 de la loi du 5 mai 2006, de sorte que, compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée portant ordre de quitter le territoire.
Partant, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 2 juillet 2014 portant refus d’un statut de réfugié et d’une protection subsidiaire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre la décision ministérielle du 2 juillet 2014 portant ordre de quitter le territoire ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par :
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique de vacation du 22 juillet 2015, par le vice-président, en présence du greffier Judith Tagliaferri.
s. Judith Tagliaferri s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23.07.2015 Le greffier du tribunal administratif 21