Tribunal administratif N° 34573 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mai 2014 3e chambre Audience publique du 14 juillet 2015 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière d’autorisation d’occupation temporaire
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 34573 du rôle et déposée le 21 mai 2014 au greffe du tribunal administratif par Maître Faisal Quraishi, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Pakistan), demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 18 février 2014 portant refus de lui délivrer une autorisation d’occupation temporaire ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2014 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;
Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 avril 2015.
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Le 18 décembre 2012, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, direction de l’immigration, une demande d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection internationale, ci-après dénommée « la loi du 5 mai 2006 ».
Par courrier réceptionné par le Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration, direction de l’Immigration, en date du 10 octobre 2013, Monsieur … sollicita une autorisation d’occupation temporaire afin de pouvoir être engagé en tant que collaborateur polyvalent en restauration par la société … s.a., établie à L-…, ci-après désignée par « l’employeur », sur base d’un contrat de travail non daté et non signé par les parties.
Par décision du 18 février 2014, dont Monsieur … fut avisé le 21 février 2014, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », refusa de faire droit à la demande de Monsieur … aux motifs suivants :
« (…) J'accuse réception de votre demande en obtention d'une autorisation d'occupation temporaire au sens de l'article 14, paragraphe 3 de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d'asile et à des formes complémentaires de protection.
D'après cet article, l'octroi et le renouvellement de l'autorisation d'occupation temporaire peuvent être refusés pour des raisons inhérentes à la situation, à l'évolution ou à l'organisation du marché de l'emploi, compte tenu de la priorité à l'embauche dont bénéficient les citoyens de l'Union européenne, les citoyens des Etats liés par l'accord sur l'Espace économique européen, les ressortissants de pays tiers en vertu d'accords spécifiques ainsi que les ressortissants de pays tiers en séjour régulier qui bénéficient d'allocations de chômage.
Or, selon l'avis de l'Agence pour le développement de l'Emploi pris conformément à l'article 3 du règlement grand-ducal du 5 septembre 2008, fixant les conditions et modalités relatives à la délivrance d'une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié, il appert que des demandeurs d’emploi appropriés bénéficiant d’une priorité d’embauche étaient disponibles pour le poste de collaborateur polyvalent en restauration à raison de 35 heures par semaine proposé par « … S.A. ».
Par conséquent, les membres de la commission pour travailleurs salariés ont, en date du 16 janvier 2014, émis un avis négatif quant à la délivrance d'une autorisation d'occupation temporaire.
Au vu de ce qui précède, l'autorisation d'occupation temporaire est refusée. […] ».
Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 mai 2014, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision précitée du 18 février 2014 portant refus de lui délivrer une autorisation d’occupation temporaire.
Ni la loi du 5 mai 2006, ni aucune autre disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.
A l’appui de sa demande et en fait, le demandeur fait valoir que malgré le respect, par l’employeur, de la procédure prévue pour l’occupation d’un demandeur de protection internationale en tant que travailleur salarié, l’Agence pour le développement de l’emploi, ci-après désignée par « l’ADEM », n’aurait pas assigné des travailleurs appropriés en temps utile à l’employeur pour occuper le poste vacant, lequel aurait toujours été disponible le jour de l’introduction de la présente requête. L’employeur serait, par ailleurs, toujours disposé à l’employer sous condition qu’il obtienne une autorisation d’occupation temporaire.
En droit, le demandeur conclut à l’annulation de la décision déférée pour violation de la loi.
A cet égard, le demandeur, en se référant à deux jugements du tribunal administratif1, reproche à la décision déférée d’être fondée sur des motifs imprécis en reprenant une formule standard et en se bornant à faire état de la présence de demandeurs d’emploi appropriés 1 Trib. adm. 12 juin 1997, n° 9627 du rôle ; Trib. adm. 18 novembre 1997, n° 9718 du rôle.
bénéficiant d’une priorité à l’emploi pour refuser de faire droit à sa demande, au lieu de faire connaître les motifs spécifiques au cas d’espèce ayant mené à la décision de refus, et notamment quels demandeurs appropriés auraient été disponibles sur le marché de l’emploi luxembourgeois.
Dans la mesure où il ne lui aurait ainsi pas été possible de comprendre les raisons se trouvant à la base du refus de sa demande, l’autorité administrative aurait fait un usage arbitraire de sa liberté d’appréciation des éléments de fait, contrairement au principe de conduite raisonnable applicable en droit administratif en vertu d’une jurisprudence du Conseil d’Etat belge2.
Le demandeur prétend encore que la décision déférée ne refléterait pas la réalité des faits de l’espèce, en l’occurrence le fait que les prétendus demandeurs d’emploi n’auraient été adressés à l’employeur que très tardivement par l’ADEM et qu’ils n’auraient eu ni les qualifications ni les qualités requises pour occuper le poste déclaré vacant.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et conclut ainsi au rejet du recours.
Aux termes de l’article 14 de la loi du 5 mai 2006 : « (1) Les demandeurs n’ont pas accès au marché de l’emploi pendant une durée de neuf mois après le dépôt de leur demande de protection internationale. Toute demande de permis de travail présentée par un demandeur est irrecevable.
(2) Lorsque le ministre n’a pas pris de décision sur la demande de protection internationale neuf mois après la présentation de celle-ci et que ce retard ne peut être imputé au demandeur, le ministre délivre, sous réserve des paragraphes qui suivent, une autorisation d’occupation temporaire pour une période de six mois renouvelable. L’autorisation d’occupation temporaire est valable pour un employeur déterminé et pour une seule profession.
(3) L’octroi et le renouvellement de l’autorisation d’occupation temporaire peuvent être refusés pour des raisons inhérentes à la situation, à l’évolution ou à l’organisation du marché de l’emploi, compte tenu de la priorité à l’embauche dont bénéficient les citoyens de l’Union européenne, les citoyens des Etats liés par l’accord sur l’Espace économique européen, les ressortissants de pays tiers en vertu d’accords […] ».
Quant au moyen tiré d’une insuffisance de motivation de la décision ministérielle déférée, il convient de retenir qu’aux termes de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des Communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », : « Toute décision doit baser sur des motifs légaux. La décision doit formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui lui sert de fondement et des circonstances de fait à sa base, lorsqu’elle :
- refuse de faire droit à la demande de l’intéressé ; […] » 2 Conseil d’Etat belge 18 décembre 1979, Pasicrisie belge 1982.IV.17.
Il convient tout d’abord de rappeler qu’une imprécision de motivation, à la supposer établie, dans le chef de la décision déférée, ne constitue pas un vice susceptible d’entraîner l’annulation de la décision affectée, mais est tout au plus de nature à entraîner la suspension des délais de recours.3 Force est encore de retenir que, dès lors que la motivation expresse d’une décision peut se limiter, conformément à l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, à un énoncé sommaire de son contenu, il suffit en l’occurrence, pour que l’acte de refus soit valable, que les motifs aient existé au moment du refus, ceux-ci pouvant encore être valablement fournis par l'auteur de la décision en cours de procédure contentieuse, sous l'obligation toutefois qu'un débat contradictoire ait pu avoir lieu impliquant toutes les parties à l'instance.4 En l’espèce, force est au tribunal de constater que la décision déférée est suffisamment motivée en droit et en fait en ce qu’elle indique la cause juridique, notamment l’article 14, paragraphe 3 de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par la « loi du 5 mai 2006 », ainsi que les circonstances de fait à sa base, en l’occurrence la référence faite à l’avis de l’ADEM pris conformément à l'article 3 du règlement grand-ducal modifié du 5 septembre 2008 fixant les conditions et modalités relatives à la délivrance d'une autorisation de séjour en tant que travailleur salarié, selon lequel des demandeurs d’emploi appropriés bénéficiant d’une priorité d’embauche étaient disponibles pour le poste de collaborateur polyvalent en restauration à raison de 35 heures par semaines proposé par l’employeur.
Il convient encore de noter que le délégué du gouvernement a fourni des explications supplémentaires en cours d’instance relatives aux éléments de fait à la base de la décision déférée. Ainsi, il ressort de son mémoire en réponse que l’avis précité de l’ADEM, datant du 20 décembre 2013 et versé parmi les pièces du dossier administratif, a été émis suite à un test du marché du travail effectué préalablement par l’ADEM et selon lequel dix-neuf demandeurs d’emploi appropriés, dont 12 ressortissants de l’Union européenne et 7 ressortissants de pays tiers, remplissaient le profil requis pour le poste proposé par l’employeur. Le délégué du gouvernement a encore précisé que ces dix-neuf demandeurs d’emplois avaient de l’expérience dans le secteur et avaient été assignés par l’ADEM.
Le tribunal est dès lors amené à conclure que le demandeur n’a pas pu se méprendre sur la motivation à la base de la décision déférée, de sorte que ses droits de la défense n’ont pas été violés, étant relevé, par ailleurs, que l’indication de la motivation n’est pas à confondre avec le bien-fondé d’une motivation.
Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.
Quant au moyen du demandeur suivant lequel la décision déférée ne refléterait pas la réalité des faits de l’espèce, au motif que l’ADEM n’aurait adressé les prétendus demandeurs d’emploi que très tardivement à l’employeur et que ceux-ci n’auraient eu ni les qualifications ni les qualités requises pour occuper le poste déclaré vacant, force est au tribunal de constater que ces affirmations ne sont étayées par aucune des pièces soumises par le demandeur à l’appréciation du tribunal, de sorte qu’elles restent à l’état de pures allégations et ne permettent 3 Trib. adm23 décembre 2004, n° 18236 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 68.
4 Trib. adm. 26 février 2013, n° 30464 du rôle, Pas. adm. 2015, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 67.
pas au tribunal de contrôler la réalité des faits litigieux.
Il s’ensuit que le moyen afférent laisse d’être fondé.
Il résulte des considérations qui précèdent que le recours en annulation est rejeté comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;
reçoit le recours en annulation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne le demandeur aux frais.
Claude Fellens, vice-président, Annick Braun, premier juge, Jackie Maroldt, attaché de justice, et lu à l’audience publique du 14 juillet 2015 par le vice-président, en présence du greffier en chef Goreti Pinto.
s. Goreti Pinto s. Claude Fellens Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2015 Le greffier du tribunal administratif 5